[CR] Millevaux et autres jeux Outsider

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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

CURIOSA PLAGA

Où les personnages trébuchent en plein Millevaux de l'An Mil. Une partie enregistrée par Claude Féry.

(temps de lecture : 3 minutes, temps d'écoute : 1H53)

Le jeu : Damnatio, le jeu de rôle surnaturel de l'an Mil, par Yakaab Multiversalis

Joué le 22/06/2019

Image
Wellcome Images, cc-by


Voici le témoignage audio d'une partie / tentative première de Damnatio de Yakaab. Nous avons joué en une heure et demie la moitié du scénario de découverte, Curiosa Plaga, adapté à notre table afin de l'insérer dans notre campagne Millevaux Mantra. Quoique je pense assez fidèle à l'esprit du jeu, il y a des morceaux de Millevaux dedans. La part de Millevaux et Mantra augmentera dans la suite que nous jouerons mercredi.
bonne écoute,


Partie précédente de la campagne Millevaux Mantra :
Ramasser la peau de leur voix à l'ombre de leurs gestes
Le prologue d’une campagne Millevaux Mantra Oniropunk jouée avec Sève et For the Queen !


Thomas, retour après écoute :

A. C’est embêtant de refuser à Xavier de tirer à l’arc pour le plaisir et de le forcer à être chasseur.

B. Intéressant la chaleur / sécheresse, ça change du climat froid et humide qu’on pratique le plus souvent à Millevaux.

C. À nouveau le horla-loup est très peu décrit, c’est cool car ça laisse de la place aux interprétations multiples et paranoïaques

D. C’est cool que les personnages aient un repas végétal.

E. En terme de localisation, tu dirais que la partie se passe dans les Vosges ?

F. On ne sait pas si le vieux milites oublie ou arnaque les persos, c’est intéressant.

G. Intéressant de voir que le bulletin de sécurité émotionnelle t’a amené à occulter un aspect du scénario (la pédophilie, j’ai l’impression?).

H. La partie me semble archétypale de tes intrigues habituelles. Penses-tu avoir été fidèle au scénario ou te l’es-tu beaucoup approprié ?

I. Hum, je sens que le perso mordu va devenir un loup-garou.

J. Tu parles de pervasivité et oui, les joueuses auraient demandé une description plus ample de la créature, en mode time freeze, ça se serait passé différement. Mais à l’instar des personnages, elles ont plutôt réagi en mode instinctif sans prendre le temps de se poser.

K. Lâcher des chiens enragés chez l’ennemi : étonnante anecdote historique !


Claude :

A. L'an mil n'est pas une époque caractérisée par l'ouverture d'esprit, la liberté individuelle, etc.. Avant de débuter la création de personnages j'ai pris l'attache de Yakaab afin de déterminer l'incidence de la jeunesse des personnages au regard des points de création. Pour lui la réponse tenait en l'absence d'aptitudes de combat ou d'aptitude spécialisée. Gabriel a choisi la lecture de la bible avec le prieur en réduisant ses aptitudes générales, tandis qu'Alexane et Xavier ont choisi des aptitudes de combat. Dans la mesure où leur groupe est un groupe d'enfants marginaux et crève la faim, le braconnage sur les terres du Duc de France fait sens.

B. C'est la caractéristique mise en avant pour décrire l'époque. Un réchauffement graduel qui accompagne les mutations culturelles politiques et religieuses.

C. Dans le scénario de Yakaab ce sont des chiens errants et affamés, qui errent dans la brume suscitée par le démon Mardas. J'ai tenté de demeurer le plus ambigu possible sur leur aspect. Xavier a commenté qu'ils ne font pas peur lorsque le premier s'approche de Camille.
En revanche, les descriptions brèves et parfois contradictoires font que lorsqu'Hélinant est confronté à la gueule de la bête il est terrorisé et Xavier surtout qui fond en larmes.
Ce ne sont pas alors des chiens, des loups ou même des loups garous mais l'incarnation de la peur du loup.
Par là j'entends que mon intention était bien de proposer ces molosses terrifiants à la frontière du fantastique.
En revanche je regrette que Xavier ait eu aussi peur.

D. Le choix d'une communauté pauvre dans ce contexte permet de s'inscrire dans une dimension de frugalité et de respect de la Nature.

E. Non pas du tout. L'ancrage géographique est très clair. Ce sont des serfs du duc de Sinletis, (Senlis) , Robert le pieux, roi des hommes libres, des francs, second des capétiens. Ils se perdent en forêt d'Halatte, forêt domaniale du roi, pour déboucher dans la vallée de Criolo (Creil), dans le hameau de Mortefontaine, (Villers-Saint-Paul) domaine de Foulque. Nous jouions dans l'Oise.

F. Il ne le sait plus lui même, il est rongé par le démon de la maladie qui lui boulotte ses souvenirs.

G. La méchante du scénario a été violée et laissée pour morte par son seigneur. Rongée par l'esprit de vengeance elle propage la maladie par son souffle possédée par le démon.
Interdits : rapport charnel, pédophilie, viol.

H. Foulque est un dévôt. Il ne supporte pas son penchant jamais assouvi pour les femmes qui l'entourent. Le démon l'habite et par son souffle il emporte dans la pestilence les femmes tentatrices.
Foulque, allié indéfectible des capétiens, fut un dévôt cruel et violent au point de choquer ses contemporains. Il tenta de racheter son âme souillée en bâtissant des églises et des cloîtres.

I Camille sera possédé par le démon (non prévu, résultat du tirage du tarot en début de seconde session)

H.
Voici la réaction de Yakaab après écoute :
Salut,

J'apprécie beaucoup la façon dont tu t'es approprié Curiosa Plaga pour le transposer en un autre lieu. Tu utilises le jeu comme un support d'apprentissage historique et c'est tellement ce que j'avais en tête en créant ce jeu.
L'immersion est excellente ; la narration sublime le scénario et comble ses manques.
Ce fût vraiment un régal à écouter.
Merci encore.

Je ne sais plus lequel de tes deux grands fils, peut-être les deux, fait une remarque sur l'équilibre du mélange historicité / fantasy, mais c'est ce que je vise. De même pour le système qui mêle volontairement ludicité et narrativiste : je veux que chacun y trouve son compte.
En tout cas, avec un MJ de ta qualité, Damnatio prend toute sa dimension. C'est un pur bonheur pour moi.
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Message par Pikathulhu »

LE KORRIGAN

Joué le 27/08/2019

Où l'on voit que la parano des rôlistes (se méfier de tout le monde et collectionner les fusils) ne porte pas toujours chance ! Un récit par Michel Poupart.

Le jeu : Millevaux Mémoires Vives, par Michel Poupart (en développement)

Image
peinture par Edgard Maxence, tous droits réservés


Parties précédentes :

1. Au nom du fils
Un test par Michel Poupart de son nouveau jeu Millevaux, autour de l’histoire d’une mère et son enfant en proie aux difficultés, et de ruines qui décèlent des noirs secrets et des artefacts à la mémoire d’éléphant.

2. La statuette
Suite de la campagne-test par Michel Poupart. Où les personnages commencent à se frotter à des dieux ! (temps de lecture : 1 minute)

Mon joueur principal à remis ça aujourd’hui. Son perso à fait une crise juste après avoir lu un graffiti, une phrase gravée sur le portail de l'entrée de la caverne du clan de la Pierre Bleue (qui, à présent, est devenue une sorte de temple dédié au Dieu Cerf où les chefs des tribus du peuple de la pierre et les druides se réunissent pour décider des actions à mener lors des temps troublés (et les temps sont bien troublés dans le domaine du cerf blanc). Cette petite phrase gravée récemment dans la pierre de l'arche disait : "Ici, seuls les humains oublient". Le joueur s'est souvenu qu'il avait déjà vu cette affirmation écrite sur un mur dans les Millevaux (mais il ne se souvenait pas où exactement 😂). Cela a suffit pour lui faire péter un câble.

Il a donc quitté rapidement le camps des hommes de la pierre (toujours suivi par Lenna, qui porte encore la cape faite avec la peau d'un cerf géant - et blanc - et le bâton, plus grand qu'elle, taillé dans un des andouillers du même cerf). Les deux on rejoint Sadjin, le marche-rêves, qui les attendait dans un bois de mélèzes,  assis sur un rocher de la même couleur rouge que ses cheveux.

Après les blagues habituelles (vous voulez vraiment retourner dans les Millevaux ? Vous êtes sérieux ? C'est quoi votre problème ?) Sadjin va accepter de guider nos deux héros à travers les univers. Mais avant, il leur demande le payement promis par le Korrigan.

Le Korrigan est venu aider Olliver et Lenna, mais son aide n'est pas amicale, il a besoin des talents du personnage et de sa compagne pour affronter Maars, le "faux dieu" qui est devenu le dirigeant autoproclamé du peuple du bois. Après sa crise existentielle, notre héros à soudain refusé de lui apporter son aide. Il a même exprimé clairement le désir de ne plus jamais croiser son chemin. Kori lui a répondu qu'il était libre de faire ce qu'il voulait et qu'il trouverait d'autres voyageurs pour l'aider. Il lui a dit où trouver le marche-rêves, mais il ne lui a pas donné l'objet qu'il devait lui remettre après le combat contre le horla. Sans ce "signe de reconnaissance", le passeur de mondes ne peux pas faire confiance à Olliver, Il ne va pas le conduire dans les Millevaux, près du village de Sainte Mort des Fourrés, mais il va le laisser dans la forêt limbique, prés du reflet de la Base 75 (où est toujours enfermé l'esprit du démon Derros, et où l'attend un troll affamé et mécontent). Voici le châtiment que je réserve aux radins et aux paranos.


Suite des aventures d'Olliver Mc traveller.

Comme notre héros ne lui a pas donné le payement promis par le korrigan, Sadjin n'a pas ramené Olliver et Lenna dans les Millevaux. Il a franchi la brume et il les a conduit dans la forêt limbique, prés du reflet de la base 75, là où est enfermé l'esprit du démon Derros. Il a ensuite refusé de les conduire plus loin (car ils n'ont rien d'utile à lui offrir) et il a disparu après avoir éteint sa lanterne. Par chance, le troll n'était pas dans son repère, et son colocataire (le serpent-bélier) était endormi. Après une petite discussion, Olliver a accepté d'utiliser le lllemnyr pour ouvrir la porte de la prison de Derros. Une fois l'air de musique joué dans le bon sens, la lourde dalle d'acier s'est entrouverte et la partie spirituelle du démon s'est retrouvée libre. Derros a tenu sa part du marché en prenant la forme d'un portail. Il a fait passer les personnages dans les Millevaux.

Olliver et Lenna se sont retrouvés dans un lac (la magie qu'utilise Derros pour passer entre les mondes implique la présence d'un point d'eau, au moins au point de départ ou au point d'arrivée). Olliver à manqué de se noyer (il était tiré vers le fond par le poids de son sac à dos - et la collection de fusils qui y est accrochée). Il a été sauvé au dernier moment par Derros, qui l'a déposé sur la berge avec sa compagne. Lenna a utilisé le sortilège que le Korrigan lui a appris pour générer une sphère d'énergie élémentaire rouge et brillante. Nos deux héros l'ont utilisée pour se réchauffer et sécher leurs vêtements. La forme mouvante de Derros à disparu dans la nuit pendant ce temps-là.

Bien que la lune soit voilée par des nuages, Lenna va reconnaitre l'endroit où ils sont apparus. Le lac est en fait le réservoir qui se trouve au fond d'un des volcans d'Auvergne, le Puy Chagrin. Elle va demander à Olliver de vite finir de se rhabiller, car elle à cru voir l'ombre d'un homme vêtu d'une longue robe de bure au sommet du puy. Elle va demander à son compagnon de fuir sans attendre car elle sait qu'à une lieue au nord du lac, se trouve le mont Dhöl, un endroit effrayant où une secte s'est installée dans une sorte de monastère où des "moines" se livrent à d'étranges activités. La plus inquiétante étant qu'ils y construisent des machines. Mais alors qu'il suit sa compagne en direction du sud, Olliver se souvient lui aussi d'un détail. Derrière la photo qu'il a trouvé avec le llemnyr sur un des cadavres qui gisaient dans un couloir de la station 75 figure une inscription. Ce sont les noms des trois personnes qui sont visibles au premier plan de la photographie (Olliver est l'homme le plus à droite). Il et aussi précisé que cette image de la compagnie des danseurs de lune à été prise au sommet du mont Dhöl. Une sorte de structure métallique et un homme revêtu d'une robe de bure à la capuche relevée sont visibles en arrière plan.
Olliver va (une fois de plus) hésiter sur la direction à prendre et arrêter sa course. Il va montrer la photo à Lenna (il oublie souvent qu'elle ne peut pas voir dans le noir). Au même instant, un puissant projecteur va s'allumer et les éclairer. Cette lampe très puissante (elle se trouve sur la ligne de crête du puy, de l'autre côté du lac) les vise directement. Sans attendre, Oliver et Lenna se cachent derrière un des rares buissons qui poussent sur les flancs pelés du volcan. il arme le fusil à lunette qu'il a récupéré dans le camp du peuple du bois (par chance, celui-ci a aussi eu le temps de sécher) et il tire sur le projecteur. Une fois l'obscurité revenue, il constate que quatre hommes - qui ne portent pas des robes de moines, mais des uniformes militaires - courent dans leur direction depuis l'autre versant du puy. Il remarque qu'ils se dirigent droit sur eux, et qu'une diode rouge brille sur les appareils qui recouvrent leurs yeux...
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Message par Pikathulhu »

LE CHÂTEAU INTÉRIEUR

Marcher dans la forêt, marcher dans la mémoire, marcher dans ses pensées, marcher dans l'horreur, marcher dans les demeures de ses anciens tourments.

(temps de lecture : 9 minutes)

Joué / écrit le 23/11/2020

Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
publicenergy, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : suicide, mort d'enfant


Passage précédent :
38. L’impossibilité de croire
Quand le passé comme le présent deviennent insoutenables, que reste-t-il comme refuge ? Le périple de retour vers Les Voivres, maintenant joué / écrit avec Bois-Saule ! (temps de lecture : 5 mn)


L'histoire :

Image
Auk / Blood par Tanya Tagaq, entre chant inuit chamanique revisité et violons à fleur de peau, entre l’émerveillement et la terreur.

Tout d'abord, la présence incongrue de la Sœur Jacqueline révolta la Sœur Marie-des-Eaux. Mais presque aussi rapidement, il fut pris d'une curiosité qui l'obligea à poursuivre la conversation :
"Je suis désolé de t'avoir laissé aux mains de la Bernadette. Je savais au fond de moi qu'elle chercherait à profiter de la situation."

Mais elle n'était plus là.

"À qui parliez-vous ?", demanda le Père Benoît, rouge comme un soufflet de forge.
"À un fantôme."

Le novice jetait des regards derrière lui. Un sentiment d'insécurité croissait dans ses veines.

Alors qu'ils progressaient, un roulement de tambour se fit entendre par-dessus les frondaisons, et bientôt une tempête de grêle leur tomba sur le greugnot. Ils purent se réfugier sous les mélèzes. Le sol fut vite jonché de billes blanches qui contrastaient avec le rouge des aiguilles mortes à leurs pieds.

C'est dans ce décor onirique qu'ils reprirent leur marche à la recherche de la moindre indication qui leur confirmerait la direction des Voivres.

"Là, des lumières !", pointa du doigt le Père Benoît.

Du monde ! On allait pouvoir les renseigner ! Ils coururent vers les fanaux qui grelottaient dans le seuil végétal.

Au détour d'un arbre, les lumières s'étaient atténués, on voyait des enfants à la place, qui semblaient jouer sur un tertre.

"Hé les minots ! Pouvez-vous nous dire...", entama le prêtre.

Ils se tournaient vers lui. Ils avaient des robes blanches et ils ne jouaient pas, ils rampaient.

"Emmenez-nous... au cimetière...", dirent-ils.

La Sœur Marie-des-Eaux croyait être prêt à tout, et pourtant cette rencontre lui fut un choc. "Pas des enfants...", se dit-il.

Il chopa le Père Benoît par la soutane et le força à fuir. Il le fit courir jusqu'à la perte totale de ses forces, jusqu'à ce qu'il glisse et s'écroule dans le lit immaculé de la grêle.

"C'était... C'était des enfants morts sans baptême, souffla le prêtre. Tout ce qu'ils voulaient, c'était qu'on leur accorde la dignité des rites funéraires.
- C'était plus fort que moi. Je ne supporte pas la vue de l'innocence bafouée. Elle m'est trop familière.
- Qu'est-ce qui vous arrive, Marie ?"

Le visage du novice était crispé comme un jambon pris dans un étau.


Il ne desserra pas la mâchoire du reste de la journée. Alors, à la faveur de la bleue-nuit, à la chaleur du feu de camp, le Père Benoît sortit un livre de sa valise. Il avait les rides et les froissures d'une amante trop usée.

"Je vous l'offre. Vous en aurez besoin plus que moi. Il vous tiendra compagnie dans le voyage que vous êtes en train de faire. Il vous fera plus de bien que l'Apocalypse."

Le novice ne remercia pas, il ne savait pas faire.

Mais quand le prêtre l'entendit lire le titre avec déférence, il sut qu'il avait touché juste :

"Le Château Intérieur, par Sainte-Thérèse d'Avila."


Image
Ardor, par Big Brave, un post-hardcore aux drones aussi profonds que mélodiques, avec un chant féminin rituel et poignant, pour se traîner jusqu’au bout de la nuit.

Marie l'enfant-soldat erre dans les vestiges des champs de bataille de la Grande Guerre. Les arbres plantés de schrapnels comme des feuilles de métal, l'humus qui cache en sa mollesse des mines prêtes à sauter, le brouillard avec son arrière-goût de gaz moutarde. Il effectue une reconnaissance solo ; il le doit à la confiance que lui porte la Madone à la kalach et il le sait.

C'est au milieu de la brume que la chose apparaît tout à coup, ses museaux juste à quelques centimètres de lui. Il étreint sa mitraillette, mais son instinct lui interdit de tirer.
Le horla le contemple avec ses trois têtes de furets. Son odeur d'amadouvier et de viande braisée lui revient en tête, lancinante.

Ils se sont unis, ils se sont compris, ils sont amants.
"Embrasse-moi.", demande Marie.
"Si je t'embrasse, je mourrai."

Le novice se réveilla d'un bloc, congelé dans sa sueur. Il sentait sur ses lèvres le souvenir d'une haleine musquée qui ne voulait pas s'en aller.


À quoi ça aurait servi d'en parler au Père Benoît. Pouvait-il comprendre ? Approuver ? Aider ? Et l'idée même que ça prenne la forme d'une confession, eurk. Alors, il considéra que le livre offert hier était un message. Il resta seul à arpenter son château intérieur. Et quand à l'aube, ils durent reprendre leur marche, il emboîta le pas au prêtre sans piper mot.

Seul le chant de la grive musicienne, un concert qui imite tous les autres oiseaux, troublait le silence tel un filet de voleur d'âmes.

Ce matin encore, le Père Benoît avait embrassé son crucifix, il avait offert sa prière au Vieux, occultant la part de lui-même qui disait : "Cela ne sert plus à rien. Papa est mort et tu dois te débrouiller sans lui." Aujourd'hui, il espérait des réponses. Il attendait des réponses.

Et durant toute cette journée, ils réfléchissent tous deux, leurs pieds les portent où bon leur semble. Ils ne prêtèrent presque pas attention au fait que la forêt poussait à vue d'oeil à leur approche. Les arbres étendaient leurs branches, des feuilles sortaient de terre et bientôt c'étaient de robustes baliveaux qui se tortillaient, et partout les buissons d'orties et de digitales prenaient de l'ampleur, les fougères grossissaient en vagues, dans ce phénomène de croissance automnale qui n'est pas si rare au cœur des Vosges.

La Sœur Marie-des-Eaux parcourait le château intérieur. Elle n'est pas encore dans les demeures de prière et d'adresse au divin ; loin s'en faut. Il faut d'abord traverser les demeures du tourment, parcourues de liserons et de scarabées, de ces chambres de bonnes malodorantes où l'on étouffe, de ces escaliers terminant au plafond parce qu'ils n'ont pas été conçus par les vivants, de ces cuisines où mijote une tambouille malodorante, de cette architecture qu'Euphrasie qualifierait d'artificielle ; et pourtant si concrète dans sa décrépitude. Et de partout parviennent les trilles de la grive, qui évoquent à chaque fois la voix d'un proche différent. L'oiseau-mémoire a tout entendu, mais il répète ce qui l'arrange.

Le Père Benoît reprenait son souffle au sommet du côteau. Les taillis d'aubépines et les branches rasantes avaient tellement pris de la graine que leur avancée devenait ardue.

La réflexion que fit la Sœur Marie-des-Eaux, remontée de son mutisme monastique, de son errance dans le château, une bulle qui éclate à la surface d'un marais, le cueillit par derrière sans crier gare :

"Madeleine n'est pas allé dans un monde meilleur. Elle a mis fin à ses jours.
- Taisez-vous. Taisez-vous."


Ils reprirent leur progression ; mais c'était trop tard, l'idée était implantée, et à chaque pas, le Père Benoît se chargeait d'un poids toujours plus lourd, si bien que son ventre et ses cuisses lui semblaient légers en comparaison.

Mea culpa

Mea maxima culpa.


Lexique :

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) :
Pour cet épisode : 1269
Total : 71744


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article
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Message par Pikathulhu »

[Publication] Nervure, un jeu de cartes et de rôle fumé au bois de hêtre

Jouer dans l’univers forestier de Millevaux, c’est maintenant simple comme Nervure ! Un jeu de cartes et de rôle, avec en plus une application en ligne qui vous transformera en super navigateurs et exploratrices des tréfonds boisés, quelle que soit votre expérience en la matière !  

Je suis fier de vous présenter le Millevaux du turfu. Vous allez découvrir cinquante nuances de pluie, à quels jeux cruels jouent les enfants, ainsi que toute une variété d’arbres carnivores.  Alors, qu’attendez-vous pour franchir le seuil ?

Temps de lecture indispensable : 3 mn (les règles)  Temps de lecture facultatif : 8 mn (le making-of) + 1 H (les fiches)

Image
Jon Sullivan, domaine public
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LE SEUIL

Le dernier mort-vivant, la prison d'un être déchu et le mur du son à franchir, voici le programme des ultimes errements avant le retour aux Voivres !

(temps de lecture : 9 minutes)

Joué / écrit le 30/11/20

Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Life Pilgrim, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : aucun


Passage précédent :

39. Le château intérieur
Marcher dans la forêt, marcher dans la mémoire, marcher dans ses pensées, marcher dans l'horreur, marcher dans les demeures de ses anciens tourments. (temps de lecture : 9 mn)


L'histoire :

Image
Springtime Depression, par Forgotten Tomb, la perle noire du black métal dépressif et mélodique pour une excursion cauchemardesque en forêt vers cette maison abandonnée où l’on pourra tranquillement se livrer au suicide.

L'aube se détachait à grand-peine des bans de brumes d'où les troncs noirs émergeaient comme des récifs. Le Père Benoît contempla le visage de la Sœur Marie-des-Eaux, borgne et émacié. En son for intérieur, il se désolait de cette jeunesse abîmée mais les mots lui manquaient pour l'exprimer.

"Bénissez-moi une hostie, mon père.
- Mais ce n'est point l'heure de la messe.
- C'est l'heure du repas du matin, en revanche, et je ne veux plus manger que ça."

Alors il murmura une prière et plaça la pièce de pain sans levain, l'oublie, comme on dit aussi, dans la bouche du novice, à genoux, les mains en croix et fermant les yeux en refermant les dents. Le Père Benoît avait toujours trouvé ce geste gênant, un mélange de soumission et de nourrissage où il trouvait trop de sensualité.

L'oublie.

Reposant sur la litière et les feuilles mortes dans un drap pour le protéger de la saleté, "Le Château Intérieur" de Sainte-Thérèse d'Avila.

La Sœur Marie-des-Eaux se comporte en sainte anorexique, pensa le Père Benoît. On ne revient pas du purgatoire indemne.

Le novice s'abîma dans la prière un instant, ainsi qu'on tombe dans une fosse. Il s'attendait à ce que cette nouvelle journée apporte de nouvelles épreuves et de nouvelles révélations. Qu'elle ouvre une nouvelle porte vers une nouvelle demeure dans son château intérieur, dans la masure mérulée qui le conduisait vers le Vieux.

Il se redressa avec toutes les peines du monde, toutes les blessures passées se rappelant à son bon souvenir, inscrites dans ses os, dans ses muscles et dans son sang.

Et ils cheminèrent dans les marées fuligineuses qui peut-être étaient les maquis de Hautdompré, de la Rappe ou de Hardémont, ou pouvaient aussi bien être nulle part. Dans ce brouillard à couper à l'opinel, surnageaient les stolons et les ronces, une muraille de barbelés végétaux hérissés d'épines, et les éboulis de pierre de ce qui fut jadis une maison, une ferme ou une chapelle.

Le Père Benoît cherchait son chemin, un sentier matériel vers Les Voivres. Le novice cherchait un layon perdu qui la conduirait un peu plus loin vers la religion.

Ils étaient tout les deux si absorbés dans leurs quêtes respectives qu'ils ne le virent qu'au dernier moment.

C'était d'abord juste une tête flottant dans la brume, livide et torturée, avec un nœud coulant pour licol. 

C'était Blaise, le cordelier simplet qui avait profané l'église. Le cordelier qu'ils avaient exorcisé. Le cordelier qui s'était donné la mort dans le poulailler où on l'avait reclus.

Son visage avait le teint d'une chandelle, ses yeux et sa bouche étaient des trous, et il ululait : "Kyrié !"


À ces mots, la Sœur Marie-des-Eaux se sentit saisi de ce qui était le plus ferme dans son identité : l'exorcisme. C'est à cette amarre qu'il devait se raccrocher coûte que coûte et oui, dans son château à lui, il y avait une salle d'armes, et il était un chevalier du Vieux, c'est quelque chose qui surmontait l'épreuve de l'oubli, c'était la seule chose concrète qui substitait dans le présent.

Il fondit sur le revenant et le frappa à l'opinel :
au front : "In nomine patris" ;
au centre de la poitrine : "et Filii" ;
à l'épaule gauche : "Et Spiritus" ;
puis à l'épaule droite : "Sancti !" ;

puis lâcha son arme et joint les mains : "Amen !"

Mais ça ne fit rien que des lambeaux ensanglantées sur le cadavre ambulant, qui toujours avançait en répétant : "Kyrie !"

C'est le réflexe du Père Benoît qui leur sauva la mise. Il répondit : "Kyrie Eleison !"

Et il n'y eut plus que la brume.

"Si c'était bien Blaise, haleta la Sœur Marie-des-Eaux, il avait un message pour nous. Nous n'en avons pas fini avec les cordes."

Le prêtre le fixa un long instant. Il avait désormais devant lui exactement la personne qu'il avait cherché à former : un Templier. Et cela le cloua d'effroi.
 
Ils renoncèrent à marcher beaucoup plus longtemps ce jour-là : ils ne faisaient que tourner au rond et couraient le risque de finir au fond d'une mare. Le soir, quand la fumée céda aux ténèbres, la Sœur Marie-des-Eaux avala sa deuxième oublie. Le père Benoît vit dans ses paupières fermées une forme de réconfort. 

Il le laissa parcourir de nouvelles pages du Château intérieur tandis qu'il s'apprêtait à monter la garde.

Dans ce massif qui lui gelait la moelle des os, dans cette forêt dont l'humidité lui rammolissait tous les sens, avec la chaleur du feu dans son dos et les murmures du novice parcourant une nouvelle demeure, il se rendit compte d'une chose. 

Quand il était parti de Saint-Dié pour traverser la sylve hostile des Vosges à bord de cette cariolle conduite par un mercenaire, se rendre aux Voivres n'était qu'une étape sur son parcours d'exorciste. Mais aujourd'hui, alors que retourner dans ce village s'apparentait à un chemin de croix, il comprit que le destin de toute sa vie se jouait ici.


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Deeper Woods, par Sarah Louise, du psych-folk d’une belle intensité, une expédition au cœur de la forêt en compagnies des dames qui l’habitent.


"Amen."

Ce nouveau soir, quand la Sœur Marie-des-Eaux referma à nouveau sa bouche sur l'oublie, le Père Benoît en conçut une certaine forme de révolte. Que le novice se trouvât heureux à ne manger que des tranches de pain au levain assaisonnées d'un signe de croix alors que son propre estomac criait famine depuis des jours, à manger des glands comme un vulgaire sanglier, avec leur goût écœurant qui restait en bouche tout le jour durant, le prêtre ne pouvait le concevoir.

La nourriture avait toujours été un refuge dans les moments de doute, qui aujourd'hui étaient plus nombreux que jamais. 

C'est ce sentiment montant comme un gargouillis d'estomac qui le poussa à abandonner son poste de garde au milieu de la grasse-nuit. Il venait de découvrir une minuscule trouée au milieu des hautes herbes faite par un passage d'homme ancien mais bien marqué : un chemin de désir, de ces sentiers tracés par des envies buissonnières. 

Il se dit : "Cela descend, et Les Voivres doivent être plus bas que notre point actuel ; cela y mène peut-être."

Mais en vrai, il était plus guidée par une pulsion sensuelle, par une curiosité, ainsi qu'un enfant qui suit un fumet.

Alors il descendit, mettant ses pas dans de précédents pas, s'enfonçant entre les arbres nus aux bois chargés de balais de sorcière, la chandelle à sa main faisait office de soc et fendait la bourbe de la nuit.

Il atteignit un orme plus ancien encore que le reste de la forêt autour ; ses contreforts racinaires plaqués autour de lui comme autant de bras d'étoiles, et le chemin de désir s'y arrêtait pour ensuite rayonner dans tous les sens, et le piétinement était net tout autour de l'arbre, des petits pieds pour des rondes d'enfants. Le bois blanc tranchait de tout le reste. Le tronc était creux, y avait un trou à hauteur d'homme, de la taille d'une tête de chouette.

C'était plus fort que lui, le prêtre approcha sa tête.

"Je suis prisonnier ici depuis si longtemps... Je t'attendais...", fit une voix à l'intérieur qui avait le timbre d'une griffe sur de l'écorce.

"Qui es-tu ?", fit le prêtre.

"J'ai eu bien des noms. Je suis celui qui murmure à l'oreille des hommes et des femmes qui ont besoin qu'on les secoue de la torpeur où le Vieux les enferme.

"Le Vieux est mort.", abdiqua le Père Benoît.

"Et moi, je demeure.

Tu sais qui je suis. Quelqu'un d'assez puissant, d'assez libérateur, pour que des bien intentionnés tels que toi aient jugé de bon de sacrifier leur vie pour me murer dans cette prison."

Mais toi, je sais que tu es las. Tu peux me délivrer. Il suffit de dire : je te délivre. Et je t'offrirai tout ce que tu veux. Tu peux avoir la chère, je te l'accorde. (et une profusion d'odeurs montèrent du trou).

Tu peux avoir la chair, je te l'accorde. (et cette fois-ci, ce furent les senteurs corporelles de Marie qui s'insinuèrent dans ces narines.)

Tu peux récupérer le poste d'évêque qu'on t'a volé, je te l'accorde (et les fragrances de l'encensoir s'élèverent pour se mêler à la fumée de la bougie.)

Tu peux en finir avec ta vie d'esclave. Si le Vieux est mort, tes principes n'ont plus aucun sens. Tu peux t'affranchir. Il suffit que tu m'affranchisses."

Le Père Benoît était agité de frémissements. Son corps se réchauffait, parcouru de fringale, de concupiscence et d'enthousiasme.

Tous les arômes, celui des tofailles, de la sueur adolescente et de la myrrhe lui emplissaient le nez, la bouche et le cerveau. C'était si facile à dire, en finir avec tous ces sacerdoces, à faire le sale boulot du clergé, en finir avec le vieil ordre du monde qui ne signifiait plus rien, jusque quelques mots, et commencer une nouvelle vie...

"Tu as raison, répondit Benoît.

Je suis en prison. Je suis enfermé dans mes croyances, et je m'entête à réanimer un mort.

Mais j'ai choisi cette prison. Aussi misérable que soit cette cellule, ce sont maintenant des murs familiers et à l'intérieur, je suis à l'abri.

Alors, toi aussi, tu resteras en prison.

In saecula saeculorum."

Puis il rebroussa chemin. La mèche était presque à bout. Il était temps de retrouver sa sœur, et de se reposer.

Car demain serait un grand jour, il le sentait.


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La Violette Epineuse, un mélange de dark synth et de post-punk avec un chant féminin en français hanté, pour des cauchemars intimes au coeur d’une forêt qui nous renvoie dos à dos avec nos obsessions.

Le lendemain, ils ont ainsi dévalé les talus, pour descendre. Ils se sont débattus avec les lianes, celles qui grimpent aux bras et celles qui se pendent des ramures pour vous écorcher le visage, progressant à l'aveuglette. 

Ils ne savaient pas où aller, sinon toujours dégravir la vallée.

Et en plein cœur de la nuit, la Sœur Marie-des-Eaux, avec son corps léger de mangeur d'hosties, trempa les pieds dans la rivière. "Le Coney !"
"Le Coney ! On a loupé le village, mais on est tous proches ! On doit être en bas de la Colause, en bas de la Grande-Fosse, chez la sœur qui fait l'école !"

Le Père Benoît fut tenté un instant de lui serrer la taille et le faire tournoyer, mais il songea à l'incident d'hier et ravala son envie.

Ils n'eurent guère le temps d'établir avant un plan avant que des nouveaux-venus s'attroupent autour d'eux.

Ils venaient d'une autre époque. Des jeunes en treillis militaire, avec des casquettes et des dreadlocks, qui fouillaient la nuit de leurs lampes frontales comme on le fait d'un pays conquis. Avec eux, il y avait cette femme aux yeux sorciers, celle qui avait des cheveux tressés jusqu'à dévoiler le cuir chevelu, et des anneaux aux lèvres et dans les oreilles, celle qui était belle comme une icône intouchable, et qui se présenta à eux sous le nom d'Augure. 

"Vous ne me connaissez pas, mais je vous connais. J'étais une amie de Champo. Et d'Euphrasie. Il est temps que vous reveniez aux Voivres. Les choses se sont gâtées en votre absence. Ce qui va suivre va vous paraître bizarre, mais vous devez comprendre que cela appartient autant à notre passé commun que tout ce que vous avez pu connaître par ailleurs. Ces personnes sont tout autant à leur place que vous ne l'êtes. Et ils vont vous montrer le passage."

Ils les ont pris par la main. L'air était chargé des fumées de haschisch et des embruns des lampes de poche. Ils les emmenèrent auprès des roches romaines du Pont des Fées, un autre vestige parmi les vestiges, une autre des innombrables sédiments du temps, tous si amoncelés et sans âge distinctif. Les murs d'ampli posé entre les pierres n'étaient pas plus distants dans le temps que les ruines de l'empire ou les cailloux qui faisaient le lit du ruisseau. 

Et le son qui suivit, une fois que l'indicible terreur d'entendre une chose pareille fut passé, leur parut tout aussi ancien que les vagissements venus du fond des temps qu'ils avaient entendu dans les souterrains, mais ici ce son était humain, et tout viscéral qu'il était, il était familier, il était bienveillant, il vous entraînait dans les abysses mais ne vous lâchait pas la main.

Le Père Benoît était comme crucifié par ce mur auditif, mais conscient qu'il fallait en passer par là.

Mais la Sœur Marie-des-Eaux accepta totalement cet état second. C'était une nouvelle chambre du château, un seuil initiatique et il était prêt. Il s'avança au milieu des raveurs qui secouaient leurs cheveux, et il bascula sa tête d'avant en arrière, tout son corps s'abandonna au séisme, et il y puisa une énergie de l'apocalypse, il frappa l'air de ses poings dans la cadence impitoyable des battements par minute, et conscient qu'il n'y a de calme que dans l'oeil du cyclone, il accompagna le rythme avec chaque saccade de ses bras, de ses jambes, de ses os et de ses chairs tout entiers.

Il entra dans la transe, car la porte était de l'autre côté.


Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 2378
Total : 74122


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

DUSK RIVER

Un retour sur la plus ambitieuse session des Sentes à ce jour, 40 personnes plongées dans un western initiatique en pleine forêt sauvage durant tout un week-end !

(temps de lecture : 22 minutes)

Joué le 19 & 20 septembre 2020 à la Ville Albertine (Ambon, Morbihan)

Le jeu : Les Sentes, drames forestiers dans une réalité sorcière (jeu de rôle et GN)

Toutes les photos sont (C) Amandine Alexandre

Retrouvez la totalité de l'album photo ici

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Mon retour personnel :

L'événément s'est très bien passé, on a eu un bon taux de retours positifs. J'ai été personnellement charmé par la façon qu'on eu les joueuses et joueurs à incarner des autochtones. Au début, ce n'était que quelques personnes, mais au fur et à mesure, de plus en plus de personnages étrangers ont adopté le mode de vie et de pensée autochtone. On avait fait une ellipse en milieu de jeu, et ça a donné une bonne excuse pour accélérer ce mouvement
Le fait d'avoir distribué des contes je crois que ça a bien contribué à rendre plus présents les mythes autochtones, tout le monde baignait dedans, et c'était par exemple hyper intéressantes d'avoir des discussions sur la nature des wendigos autour du feu à trois heures du matin 🙂 On avait un joueur qui jouait un autochtone (Kwanita) qui avait été amené sur le continent européen, du coup il revenait sur ses terres natales, très européanisé, mais avec le désir de renouer avec ses racines. Il voulait se peindre le visage, au départ c'était prévu au tout début du jeu, puis on a pas eu le temps, et en fait les circonstances ont fait qu'on ne lui a peint le visage (avec les couleurs, blanches, rouges et noires) qu'à la toute fin, et ça marquait le retour aux racines, ça clôturait bien le personnage. On avait une joueuse qui, un peu plus âgée que la moyenne, a joué une sage, c'est une française comme nous toustes dans ce GN mais elle a vécu un temps en Amérique du Nord et a été instruite en matière de spiritualité par les Atikamekw : du coup, elle a mis beaucoup de ce qu'elle avait appris dans les rituels : l'invocation du nom de Wakan-Taka, les 4 points cardinaux... Elle s'est servi de connaissances un peu précises, là où le jeu dans sa globalité était plutôt pan-autochtone (je ne voulais pas faire d'amalgames entre des cultures et des spiritualités très diverses, mais c'était plutôt pour marquer mon refus de localiser précisément l'intrigue du jeu)

On avait construit une tente de sudation, l'idée c'était de faire une simulation avec une machine à fumée mais en fait ça ne s'est pas fait, parce que les joueurs et les joueuses ont trouvé pas mal d'autres activités à faire (comme par exemple aller resacraliser des totems qui avaient été corrompus par des wendigos). Bref, l'expérience était concluante. Je suis conscient qu'on a fait beaucoup d'à peu près au niveau des cultures et des spiritualités autochtones, et je n'ai pas essayé du tout de vendre le fait qu'on allait faire de "vraies" cérémonies, ce qui me serait de toute façon semblé décalé en l'absence d'autochtones. Donc, c'était surtout des simulations ludiques basées sur un jeu qui au départ n'a pas été écrit pour ce contexte là des autochtones, mais grâce à des conseils j'espère qu'on a pu éviter des approches trop grossières.

On n'a pas forcément respecté à la lettre recommandation (il y a eu quelques noms d'animaux pour des autochtones et quelques peintures de visage), mais dans l'ensemble je pense qu'on eu toustes à cœur de respecter les cultures autochtones au mieux de nos capacités.

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LE "HALL OF FAME"

Message de Thomas :

Toute ma gratitude pour vous qui êtes venus jouer à Dusk River ce WE et avez contribué à cette expérience ! Vous étiez super cool !
On fait bien sûr un big up à toute l'équipe de la Ville Albertine, notamment Sarah pour toute l'intendance, Carl pour la cuisine et la construction des totems, Ben pour les décors western, Amandine pour les photos, Cédric notre shérif pour avoir pris la courageuse décision de prohiber l'alcool 🙂 !

réponse d'un joueur :
Merci a toi pour l'orga et merci a carl, mon estomac est en manque de beignet au pommes maintenant ...

réponse de la joueuse de Kate Sullivan :
Merci beaucoup d'avoir su créer un cadre jeu si riche et si propice... à tout ! Si libre...
Et merci pour tes interventions toujours justes et en douceur, pour nous faire des propositions pour démêler des situations qui auraient bloqué...
Moi qui ne voulait plus organiser de jeux, cette créa me fait douter très fort !!! 

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Retours de joueurs :

"un grand merci à tous pour ce weekend formidable 😃 tant les organisateurs que les personnages  joueurs, un moment que même l'oubli ne pourra altérer"

"Pfiou c'était beau !!! 🙂 
Merci à tous pour toutes ces interactions et scènes fortes en émotions ! En attendant je vous laisse avec le morceau favoris de Hyène ! 

Joueuse de Maggie Sullivan / Patte de Grizzly :
"Un grand merci à tous les orga pour ce GN de folie ! C'était une excellente première expérience pour moi, et le cadre était parfait. 
De belles rencontres aussi, des passages intenses et quelques fous rires ^^ mille mercis !"

Joueuse de Kate Sullivan :
"C'était tellement beau et fort et intense et fait de rires ou de larmes, et surtout très libre pour tous !
Libre et très respectueux de l'autre, j'ai vu beaucoup d'ouverture et de bienveillance, même de mes bourreaux wendigos pour ne citer qu'eux. Merci Thomas et tous ceux qui ont aidé à organiser ! Ce GN etait une belle grande vague et je suis ravie de l'expérience et de tous ces beaux moments et ces superbes rencontres !!! A bientôt, ici oui ailleurs ! 
Signé Kate, l'aînée des sœurs Sullivan, Diamant de l'oeil.

PS : les wendigos ne peuvent pas nous ôter le souvenir du GN nananereuh"

- réponse d'une joueuse wendigo :
"Comment ça on peut pas retiré se souvenir 😏
Les copains ! On à une proie qui nous met au défi 😝 🍽️
- Joueuse de Maggie Sullivan :
Nan, c'est bon, on lui a dit qu'on la laissait se souvenir de tout, parole de wendigos ! 😁
Un vrai plaisir de jouer cette scène avec toi.
- Joueur de Jean Eiffel (un wendigo)
ça serait con qu'elle oublie ça franchement 😛
On se priverai d'un festin d'angoisse permanent !
- Un autre joueur de wendigo :
Alors moi j'ai signé chez les wendigos justement parcequ'il me bouffe les souvenir, c'est ca qu'est bien avec lui !"

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Retour de la joueuse de Wakanda :

"Merci a tous !!! Un superbe GN plein de liberté et de créativité... Merci au Grand esprit orga d avoir orchestré sauvagement ce jeu et a tous ses acolytes pour nous avoir accueillis et nourris. Entre spirit et coups de fusils j ai partagé de superbes moments avec l integralite des joueurs sur ce gn a echelle plus qu humaine meme si teintée de wendigos. Je garde un sacré gout de terre et de cactus dans la bouche 🌵🏜️❤️

- réponse d'une joueuse :
Wakanda et la capture de la biche à 5 pattes !"


Retour de la joueuse de Birdy :

"Un grand merci à toutes et tous pour ce beau GN. Je ne savais pas bien où je mettais les pieds à lecture des documents malgré les débriefs de copains copines sur de précédentes sessions des Sentes, j'étais même un poil sceptique, et au final j'ai vécu une de mes plus belles expériences de jeu de ces dernières années.
Alors un grand merci à toi Thomas pour ce beau concept de jeu que j'ai trouvé rafraîchissant et qui laisse la part belle aux émotions dans un cadre très safe. Grand merci aussi à tous les joueurs et joueuses pour avoir sans cesse rebondi sur les idées qui fusaient. Et merci enfin à l'équipe de la Ville Albertine pour votre accueil toujours au top. Câlin particulier aux saltimbanques qui m'ont accueillie sur le tard et aux humains-animaux (j'oublie le nom de votre communauté) pour ces très beaux moments de jeu, c'était un régal d'échanger avec vous. Câlin aussi aux wendigos, vous avez été affreux. 😛
Au plaisir de vous recroiser toutes et tous sur d'autres jeux !
Birdy, petit oise... wendigo parti trop tôt

commentaires :

- Un joueur converti wendigo :
Merci a toi pour le passage du coté wendigo de la force, c'etait vraiment rigolo 😃

- une joueuse saltimbanque :
T'as même réussi à me tirer une petite larme à ta mort Birdy !

- Joueuse de Martha :
Câlin à toi aussi, cette sacré canaille de Martha à adoré semer la zizanie dans les esprits et la terreur dans les bois à tes côtés !"

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Joueuse de Kate Sullivan :

"Rohlalala c'est pas possible, j'ai réveillé mon mari en pleine nuit en lui expliquant dans mon sommeil que j'avais laissé un bout de mon coeur à Dusk River ! Trop mignon 😃 ❤ 
Je propose de s'échanger en commentaires ci-dessous les plus belles citations du jeu ou les trucs trop cools qu'il y a eu, je commence avec de belles paroles au coin du feu :

commentaires des joueureuses :

Moyche Horovitz, au coin du feu vers 3-4h du mat, nous explique ce qui est selon lui la plus belle définition de la tradition :
"La tradition, c'est entretenir le feu et non pas vénérer les cendres."

"J'annonce la prohibition".

 "Du coup ça veut dire que l'alcool est gratuit puisque son commerce est interdit !"

"Venez me voir et devenez Cheyenne !"

"Thomas qui chante une chanson en anglais au coin du feu ! Quel était son titre et son auteur ?" (réponse de Thomas :  Si c'était celle de la fin de nuit, alors c'était "A grave is a grim horse" de Steve von Till 🙂 / commentaire de la joueuse : merci ! je réécoute de ce pas 😛 ça me fait un peu penser à wovenhand qui croise la route de tom waits"

Maggie Sullivan aka Patte de Grizzly : "Homme sachant devenu homme sage."

Une sauvage dont j'ai oublié le nom, après un rituel de rememorance particulièrement éprouvant : "si je ne peux plus voler, je dois chanter"

Ce n'est pas une citation, mais... La rixe entre l'adjointe Sarah Jane et Hyène 😂 💖

"Beignets!!!".

Je n'en ai pas été témoin, mais les wendigos qui disent au sauvage : "Maintenant, c'est toi la proie", ça avait l'air bien tendu 🤣 
- précision du joueur de Jean Eiffel : 
"ta plus grande peur est de devenir une proie ?
...
Ce soir, c'est toi la proie."

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Retour de la joueuse de Chimalis :

"Merci, merci merci à tou.tes pour cette expérience incroyable, magique, hors du temps, dont je ne me remets pas... Un lieu incroyable, une histoire riche et complexe, des joueureuses accueillant.e.s, inclusif.ve.s et safe. Un cadre parfait pour expérimenter et se laisser perdre la tête... J’envoie mes plus beaux souhaits pour l’avenir à chacun.e d’entre vous. Si vous avez un plan GN, n’hésitez pas à me le transmettre, et aussi n’hésitez pas à m’ajouter sur FB. Une belle vie à vous. "


Retour du joueur de Kwanita :

J'avais oublié mon message de remerciement ! Je jouais Kwanita, dit "Kwa", l'Amérindien "occidentalisé" pas très causant. Pas très facile à jouer au passage, l'aspect taiseux du perso. Ca m'a demandé une discipline mentale assez dure à tenir. Mais c'était cool ! Alors, merci à ma co-joueuse d'être monté au créneaux au dernier moment pour me rejoindre sur cette aventure. Merci aux orgas, à Thomas pour sa patience et sa disponibilité, de même que Sarah. Remerciement spécial aux cuisines ( Les beignets...les beignets putain ! Faut que vous me donniez la recette hein. Non vraiment, donnez-la moi où je fais péter le Saloon. Je plaisante pas... )
Merci aux Saltimbanques, qui avait prévu pleins de choses pour offrir du jeu, aux exorcistes qui m'ont accueilli et qui ont pris de leur temps de jeu pour m'offrir une belle scène finale. de même que le comparse des Homme-Animaux. L'un d'eux aurait d'ailleurs pu avoir plus de jeu si il s'était levé plus tôt le matin ^^. Il s'agit de celui que Kwa appelait  "Le simplet". Mais bon tant pis, ce que je voulais jouais avec lui je l'ai jouais avec quelqu'un d'autre. 
Kwanila a donc eu une bonne vie. Après une enfance heureuse, un chasse dantesque à travers les plaines de l'ouest et un périple à travers les plus grandes capitales d'Europe, il est revenu sur sa terre natale pour renouer avec son identité et finir sa vie en combattant un puissant Wendigo qui lui a offert une mort de guerrier. Il a bien mérité ses peintures de guerres et repose désormais dans la forêt  avec ses ancêtres. 

Voila voila. Je me laisserai sans doute tenter à nouveau pour un GN Les Sentes. C'était une chouette expérience. Merci encore, et à plus !"

Commentaire d'une joueuse :

"Merci à toi pour ton jeu ! Et tu m'as fait mourir de rire dans ton interprétation du livreur de lait et du distributeur de boisson de feu ! "

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Retour du joueur de Moyshe Horowitz :

[Compte-rendu initialement posté sur le forum An Argarder]

Voici un quart de siècle que je n'avais pas participé à un GN, et que l'envie me tenaillait de remettre le pied à l'étrier. On m'avait signalé celui-ci, je n'ai pas hésité à m'inscrire, le thème me paraissait prometteur. Et ma foi, je n'ai pas été déçu !

L'idée de départ était donc un western chamanique, inspiré de films tels que "Dead man" de Jarmusch, "Blueberry, l'expérience secrète" de Kounen ou encore "El Topo" de Jodorowski.

Plusieurs communautés, à la fin du 19ème siècle, survivent dans une forêt perdue, à l'écart de toute civilisation ; on trouve aussi bien des occidentaux que des amérindiens, tous rongés par un mal indicible, un oubli qui s'insinue peu à peu dans leurs souvenirs...
On trouvera dans les clairières des totems hantés, on apprendra que plusieurs de nos amis sont possédés par les wendigos ; les légendes et les souvenirs se mêlent, au final personne n'en sortira indemne ; mais nous aurons passé 24 heures de jeu intense et passionnant !

La grande originalité du système de jeu vient de la création du personnage, qui se choisit un destin, une ou plusieurs quêtes ou rituels, des souvenirs et des légendes... le scénario lui-même est très succinct, toute l'intrigue se tricotant au fur et à mesure au hasard des interactions entre les joueurs, de l'élaboration des rites, de l'émergence des souvenirs... et tout ceci donne au final un résultat prenant et sans fausse note !

Il faut bien dire que tous les joueurs étaient irréprochables, pas de trollage ni de mauvaise foi, pas de bisounoursisme non plus car certaines situations ont été très tendues et même parfois d'une grande violence psychologique.

A noter le lieu privilégié où nous avons joué, un terrain forestier de 26 hectares, aménagé par des rôlistes passionnés qui en sont propriétaires. Ils ont même créé tout un village western en pleine forêt, plusieurs bivouacs etc.
Et ils nous ont préparé d'excellents repas végétariens, le tout pour 35 euros pour tout le week-end.

Toute ma reconnaissance à Thomas Munier l'organisateur de ces belles journées. Et à tous les joueurs, qui ont été excellents ! Pour moi, sans doute l'un des meilleurs GNs auxquels il m'ait été donné de participer.

Bref, la Ville Albertine... on y reviendra !

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Retour à froid du joueur de Kwanita :

Bonjour Thomas, 

Alors j'avais dit que je ferai un débriefing plus complet à froid pour Dusk River. Donc me voilà enfin après avoir pris le temps d'y réfléchir et en avoir parlé autour de moi. Donc je vais donner un peu en vrac mes impressions. Ce que j'ai aimé, et ce que j'ai moins aimé. 

Alors, tout d'abord, d'une manière générale j'ai beaucoup apprécié. Ca c'est clair. Hm...du coup par quoi je commence pour expliquer en quoi j'ai apprécié. Hm...bon déjà le site de jeu est très bien. Suffisamment petit pour pas (trop) se perdre, suffisamment grand pour autoriser tous les voyages et autres scènes isolées. Assez varié avec la forêt, des sentiers, des petites clairières, pleins de chemins, des campements, la petite ville... La petite ville d'ailleurs. On sent que c'est fait maison, avec peu de chose. Mais c'est bien fait, très bien fait. Et c'est fait avec goût. Je trouve qu'il y a une atmosphère dingue qui s'en dégage, surtout à la nuit tombée. 

Le site de jeu en lui-même y compris hors-jeu. Comment dire. J'ai retrouvé un esprit roots et Do it yourself que j'avais pas ressenti en GN depuis mes tout mes premiers GN. C'était punk et putain ça c'est bon ! C'est très con à dire, mais quand t'arrives sur le site de jeu, il ya les poulets en liberté, les gosses qui courent pieds nus. Pour moi qui suis attaché à, disons une certaine forme de ruralité, ça m'attire, et surtout ça m'inspire. ( et des vrais douches, whoua c'est cool ! ) 

On est accueilli "comme à la maison" et je trouve que ça crée une ambiance assez familiale. Ca contribue à créer une espèce de complicité avec ses co-joueurs, qui s'installe très rapidement. 

Sinon, j'ai ressenti un esprit libertaire que j'ai jamais ressenti avant en GN. C'est la première fois que je fais une expérience de GN en quasi démocratie absolue. On pouvait discuter de tout librement, remettre en cause, voter, et c'était pris en compte. De ce point de vue c'était une expérience très intéressante. Je pense pas que ça soit adapté à tous les GN. Certainement pas même en fait. Mais pour des jeux semblables au tien oui carrément.

Quoi d'autre...C'est la première fois que je vois un créateur de GN prétendre à une ambiance aussi onirique et qui y parvient. Après j'ai peut-être pas fait assez de GN dont c'était l'ambition. Mais le fait que tu parviennes à insuffler une atmosphère magique sans avoir recours à des systèmes de règles complexes ou à des mises en scènes grandioses, c'était ambitieux et tu l'as parfaitement réussi. Donc bravo. 

A mon avis, t'as tout compris à comment créer du jeu avec des joueurs en quasi-complète autonomie. Avec quelques bouts de papiers, des formulations très ouvertes, et quelques éléments bien placés, t'arrives à occuper tes joueurs pendant des heures sans avoir besoin de faire grand chose. Bien vu ;)

Par contre là où ça peut-être risqué, c'est que ça implique d'avoir des joueurs qui viennent pas dans une posture de "consommateurs". Pour ce GN, t'as forcément besoin de joueurs ouverts, créatifs, et réactifs. Ce qui est pas toujours facile à trouver. Mais je pense que tu communiques suffisamment bien en amont pour attirer ce public là spécifiquement. Donc il y a pas trop d'inquiétude à avoir de ce point de vue là je pense. Tout le monde se place dans la bonne posture dès le début, et après ça va tout seul. 

Je crois que c'est la première fois que je peux parler d'un vrai "GN d'auteur".De la même manière qu'on peut parler d'un "film d'auteur" au cinéma. On sent ta "patte" qui ressemble à aucune autre. Un univers mental qui t'es propre et dans lequel tu nous plonges. C'est une posture intéressante à mon goût. 

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  Le coffre à jouet. Je trouve que c'est vraiment une très bonne idée, qui peut vraiment aller dans le sens de ton GN. Mais assez mal exploitée par les joueurs. C'est pas ta faute, c'est dommage. Peut-être trouver un moyen de mieux briefer les joueurs sur ce point. Par un atelier ou autre je sais pas. Mais en tout cas en GN moi j'aime bien quand les choses sont physiquement représentées. Mais bon ça c'est mon école de GN.

Bon sinon en point négatif. Hm... le système selon lequel les joueurs extérieurs à une scène peuvent créer "la bande son" de cette dernière en sifflant, chantant, ou en faisant des sons. Je ne suis qu'à moitié convaincu de son efficacité. Les seules fois où ça a marché pour moi, c'est quand c'était décalé, mais quand même à moitié cohérent par rapport au personnage, et donc en partie diégétique. Par exemple, une scène où je cheminais dans la forêt jusqu'au village en sifflant des airs de Jeremiah Johnson. En soit, il n'y a pas de raison que mon perso connaissent ses airs, puisque ça appartient à un film du nouvel Hollywood. Mais dans le contexte de cette scène, c'était cohérent par rapport à l'action de mon personnage, ça passait. Mais la plupart du temps, comme par exemple imiter des airs d'Harmonica pour un duel, ça n'a pas marché pour moi. Et je ne voyais rien d'autre que des joueurs extérieurs à une scène mimer des ambiances qui venait parasiter la scène. En plus je pense que chacun à une vision différente d'une même scène. Même si elle a lieu physiquement, on en a tous une perception mentale un peu différente suivant notre approche, notre compréhension, notre expérience,notre univers. Donc dès qu'il y plus d'une personne qui s'attèle à créer l'ambiance sonore d'une même scène, ça peut vite devenir incompatible, voir contradictoire. C'est peut-être que moi. T'as eu d'autres retours là-dessus ? 

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Bon, ensuite j'arrive à ce qui est pour moi le seul vrai point négatif du GN : ses ateliers. La partie purement briefing ça va. Outre l'aspect démocratique que j'ai évoqué et que j'ai bien apprécié, ça reste standard, clair, efficace. Les ateliers par contre, mouais... Je vais développer.

La distribution des cartes. C'est essentiel à ton jeu, et c'est un très bon système pour ce que tu veux faire. Mais je pense que ce qu'on doit faire pour le tirage des cartes est mal expliqué. Je reste persuadé que ton système de carte et la manière dont on les tire est très bien pensé, mais mal expliqué. J'en suis même à peu près sûr en fait, car quand on s'est retrouvé autours de la table, personne n'était capable d'expliquer en totalité ce qu'on devait tirer comme carte, en quelle quantité, et pour quoi faire. Il a fallu qu'on se concerte entre nous pour reconstituer l'ensemble, et qu'on comprenne enfin ce qu'on était censé faire. Et même comme ça je pense qu'il y a des subtilités que je n'ai pas compris, et il en est de même pour d'autres joueurs à mon avis. Bref, je critique ce système dans la manière dont il est expliqué, mais pas pour ce qu'il est fondamentalement. Ca c'est très bien. 

D'autre part, la suite des ateliers. Là tu m'as vraiment perdu. A un point qu'une fois le jeu lancé, ça m'a pris 20-30 minutes avant de réussir à "être dedans". Je les trouve vraiment...abscons. Et là pour le coup je suis persuadé de pas être le seul. On était vraiment beaucoup dans ce cas là. A se regarder pour essayer de comprendre ce qu'on devait faire. Peut-être que c'est fait exprès de nous perturber comme ça. Je ne suis pas sûr, à toi de me dire. Mais je pense pas que ça soit le cas de mon côté. Je pense qu'en fait ces ateliers ils sont bien conçus, et que c'est très clair dans ta tête. Mais c'est juste mal exprimé à mon avis. Ou mal amené j'en sais rien. Peut-être entre les deux. Mais tel quel ça marche pas je pense. 

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Sinon, c'est pas de ton fait, mais je trouve ça dommage que certains joueurs s'investissent si peu dans leur costume. Même pour un premier GN, il y a moyen de faire un peu mieux quand même. Je trouve que ça aide tellement l'imagination, pour communiquer de personnage à personnage. Alors quand je vois quelqu'un arriver pour me parler en chemise à carreaux, jean, converse. Vraiment j'ai du mal. Et j'ai tendance à me diriger plus naturellement vers ceux qui ont fait l'effort.

Voilà, c'est à peu près tout ce que j'avais à dire. Hésites pas à me répondre si tu en as envie. Sinon à défaut, juste un petit message pour me dire que tu as bien reçu le truc. Voila voila. 

PS: Dans tes sources d'inspis tu cites beaucoup "Blueberry l'expérience secrète" et "Deadman". Mais moi à la lecture des documents et ensuite avec mon expérience en jeu, ça me faisait énormément penser à "Jeremiah Johnson". Un film peut-être un poil moins mystique que tes références, mais non moins spirituel. Je te met le trailer et la bande originale en lien ci-dessous. C'est un western très particulier. Qui a été beaucoup influencé par la soif de nature et de liberté du mouvement Hippie, qui lui était contemporain.  

trailer

Bande originale

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Réponse de Thomas :

Un grand merci pour ce retour détaillé qui donne de la matière ! Je vais essayer de te donner mes réactions :)

C. Déjà merci pour les compliments sur le site de la Ville Albertine et sur les membres de l'association, ça sera sûrement apprécié :)

D. Le côté démocratique était une grosse volonté de ce format, donc c'est cool que tu l'aies relevé. J'avoue avoir été particulièrement content du moment où une joueuse a proposé de prolonger la durée de jeu et qu'on a ensemble voté un décalage de 4 heures. J'ai été surpris par la demande et content qu'on lui donne suite naturellement. J'ose espérer que la demande n'aurait pas été faite si un certain climat de confiance et de négociation n'avait pas été instauré auparavant par le dispositif.

E. Les Sentes (le GN générique dont Dusk River n'est qu'une session) a été pensé pour se faire avec peu de moyens. On utilise essentiellement ce qu'on peut trouver en forêt et on joue aussi beaucoup sur la mise en scène et sur la vie intérieure des personnages, leurs spéculations, leurs visions du monde. Pour le côté onirique, je m'inspire pas mal de la technique des black boxes, sauf qu'au lieu d'une pièce aux murs drapés de noir, on utilise un endroit spécifique de la forêt (comme ici la forêt de pins, symbolisant la forêt des esprits, ou encore les totems, délimitant un lieu hors du réel) ou des cercles magiques délimités par exemple par des rondes de personnages, des chants, des bougies ou des pierres. En fait, l'idée est de s'approcher de la vision d'un peuple ancré dans le surnaturel. Les personnes qui ont des "lunettes magiques" vivent dans le même monde que nous, mais elles le voient juste différemment.

F. En fait, je crois pas que les joueuses improvisent énormément plus que dans un GN classique. Un GN classique, ce sont des relations inter-PJ, un lieu + des objectifs RP. Les Sentes fournit tout ça. Si tu regardes bien, en cumulant toutes les fiches facultatives + les situations et les temps forts, on arrive à quelque chose de très scripté : tu as beaucoup de choses à faire, et si tu ajoutes à ça le fait de participer aux rituels des autres, il te reste pas plus de temps pour le freeplay que dans un GN classique. C'est conçu pour fonctionner même avec des joueuses peu à l'aise en impro. J'appelle ça de l'impro structurée, c'est bcp plus cadré que, mettons, certains GN impro où tu as trois lignes d'inspis et en avant Guingamp. Et il suffit de quelques personnes enthousiastes ou curieuses pour amener une vraie dynamique.

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G. Je suis heureux que tu caractérise ça comme un GN d'auteur, car en fait c'est peu ou prou ce qui reste dans ce GN. Le matériel de jeu laisse les joueuses extrêmement libres sur la nature des intrigues, les styles de jeu (enquête, diplo, combat, spiritualité, drama, vie quotidienne, etc.). Finalement, il se contente surtout de faire de la direction artistique et d'amener un univers.

H. C'est assez vrai qu'à chaque fois où le coffre à jouets a été pourvu, il a été relativement sous-utilisé. Lors d'une session précédente (Equinoxe), on a eu un coffre à jouets de malade et genre même pas 10% ont servi. Cela vient du fait que les joueuses sont trop occupées à faire du RP et aussi parce qu'on n'y pense pas, on n'a pas l'habitude. Ce pourrait en effet être une bonne idée de faire un atelier (il y a par exemple un atelier où on fait un bivouac et des rituels "pour du beurre") où on propose aux joueuses de piocher des accessoires dans le coffre à jouets.

I. J'avoue que la dramatisation voix, c'est mon kif perso, c'est quelque chose que j'aime beaucoup faire (sans doute parce que je viens du jeu de rôle, où je joue beaucoup sur la sono), mais je comprends tout à fait que ça ne te convienne pas, notamment parce qu'à te lire, et si je voulais te mettre dans une petite case, je dirais que tu es un immersionniste, et donc pour que ça te convienne, il faudrait en effet une approche plus Dogme, du genre : "si on entend un bruit ou une musique faites par une joueuse, on considère que c'est son personnage qui fait le bruit". C'est une façon tout à fait envisageable de jouer. Ceci dit, je devais sûrement être le seul sur ce GN à faire des sons d'ambiance (bruits de fond, cris de horlas) que mon personnage ne faisait pas. On peut aussi résoudre ce dilemme immersionniste en considérant que quand un joueur fait des bruits de fond ou des cris de horlas, c'est son personnage qui est possédé par le lieu ou le horla (ce qui renforcerait l'idée que les horlas n'ont pas vraiment de corps physiques propres).

J. Sur les cartes, il y a un défaut qui a été relevé : A part les cartes de Destin / Situation / Temps Fort, la nature de la carte est pas écrite sur la carte. je pensais que ça faisait sens, mais ça s'est avéré le contraire. Donc, déjà en écrivant bien "rituel", "mission de vie", "conte", ça l'aurait mieux fait. Surtout vu que vous avez mélangé toutes les cartes :)

K. Depuis le début du développement ce GN, les ateliers ont toujours été le point critique. Entre les joueuses qui les trouvent malaisants, qui ne savent pas quoi y faire, qui ne comprennent pas. En fait, beaucoup de ces ateliers sont influencés par la scène théâtrale / chamanique, mais du coup ça bloque pas mal de monde. J'ai aussi pas mal charcuté dans les textes d'explication pour que ça dure pas des plombes, mais on perd sûrement en compréhension à cause de ça, ceci en plus d'autres contraintes (j'ai rushé pour qu'on démarre pas trop en retard + je limite le HRP lors de ces ateliers pour qu'ils soient plus immersifs mais du coup j'explique moins bien). Donc oui, je reconnais qu'il y a encore du boulot de ce côté-là. Il faudrait peut-être les simplifier mais du coup expliquer mieux. Et sans doute également faire plus de concertation dans le programme des ateliers. Du genre, proposer un atelier, on vote pour savoir si une majorité veut le faire (éventuellement s'il y a des incompréhensions, c'est l'occasion d'en discuter), puis on passe au suivant, etc. Là, j'ai arbitrairement fait mon programme, privilégiant des ateliers chamaniques ("nos wendigos intérieurs") alors que j'avais écarté des ateliers plus pratique (le "bivouac" où on fait des rituels pour du beurre). Il faudrait, je pense, également rajouter un atelier "relation map" chronométré (durée à négocier avec le groupe), où on va voir quelques personnes pour déterminer les liens RP à l'avance (ce qui permettrait de mieux savoir ce qu'on va dire lors de l'atelier "les mots durs et les mots tendres")

J. Je comprends que tu sois embêté par le fait qu'on ait eu des joueureuses sans costume, mais c'est moi qui suis responsable de cela. Avec le GN Les Sentes, j'ai une grosse volonté d'être inclusif, et surtout sur cette session Dusk River en particulier (c'est d'ailleurs pour cela qu'on cherchait à avoir le plus de monde possible), aussi j'ai donné des directives de costume très permissives. Il me semble qu'on a dépanné quelques joueureuses sans costume avec le coffre à jouets, mais je peux comprendre que ça n'ait pas suffi à tes yeux (le coffre à jouets était pauvre en costume). Après, tu as eu la bonne attitude : tu t'es contenté d'interagir avec les joueureuses plus costumées pour sauvegarder ton immersion, tu n'es pas venu accabler de reproches les joueureuses peu costumées. On peut clairement envisager des sessions des Sentes où l'accent sera davantage mis sur le costume (par exemple, les sessions hors-saison attirent plus de "hardcore gamers" et généralement, les costumes sont plus poussés, comme par exemple sur Hiver Nucléaire). Je pense aussi qu'avoir un coffre à jouets garni en habits de rechange est le meilleur compromis possible. Je réalise que j'ai ai écrit "fripes" dans la liste de matériel, mais je vais changer pour un terme plus parlant comme "vieux vêtements et tissus".

K. Merci pour la référence Jeremiah Johnson, je connaissais pas !

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Réponse du joueur de Kwanita :

C : cool :)

D : Pas de commentaire à faire . Effectivement il y a des chances que ça soit tout le travail accompli en amont sur le climat de confiance qui ait permit ça. 

E :   Sur ce point j'avais écris un petit paragraphe pour expliquer pourquoi pour moi c'était pas des black boxes, mais je viens de l'effacer parce qu' à la réflexion oui t'as raison. Comme ça représente des lieux qui sont pas censés exister physiquement à cet endroit dans l'univers du jeu, oui c'est bien des black boxes. Par contre ça je l'avais pas bien perçu en jeu. 

F : J'y ai pas mal réfléchi, et oui t'as raison. Au final je dirai que oui c'est autant scripté ( voir plus ? ) qu'un GN "classique". Mais en fait, je dirai que le script concerne surtout le jeu "externe" au personnage ( ses interactions, objectifs, échanges avec les autres joueurs ) , mais que le jeu "interne" au personnage, son background, sa psychologie, ça par contre c'est laissé à l'improvisation. Ce qui est pas du tout un problème pour ton GN. 

G : Pas de commentaire à faire. Après ma remarque concernait surtout ton travail à toi. Et là j'ai l'impression que tu parles de GN d'auteur en parlant du travail de tes joueurs. C'est le cas?

D'autre part, je suis très content que tu dises, je cite : " Le matériel de jeu laisse les joueuses extrêmement libres sur la nature des intrigues, les styles de jeu (enquête, diplo, combat, spiritualité, drama, vie quotidienne, etc.)". En fait, quand je suis revenu de Dusk River, j'ai eu beaucoup de mal à en sortir le soir-même. J'étais très excité et inspiré à la fois et j'ai passé une partie de la nuit à mettre sur le papiers des idées de GNs que j'avais. Certaines étaient des vieilles idées que j'ai ressorti du carton. D'autres était des nouvelles idées qui me venaient. Et toutes ces idées venaient s'enrichir de certaines caractéristiques des Sentes. J'essayais de les conjuguer entre elles et plusieurs GN distincts ont émergés de tout ça. Ce qui fait que là, à l'issu de ce chaotique processus ^^, je pense que je tiens non pas un mais deux GN différents :D. Et je précise que c'est pas du tout une éditions des Sentes. Mais juste que ta manière de faire et certaines de tes idées m'ont beaucoup inspiré, mais pour en faire quelque chose d'encore différent. L'un emprunte aux Sentes son gameplay à base de papiers pré-tiré au service d'un GN très orienté ambiance, qui mettrait en scène le quotidien des personnage dans une espèce de fresque choral paysanne et champêtre. Et l'autre GN, ça emprunterait aux Sentes son aura d'intrigue onirique, très très "low fantasy", qui reposerait plus sur les croyances des personnages que sur du fantastique "palpable". Et avec une grosse charge de symbolisme. Et vas savoir pourquoi les deux ont pour point commun de se placer dans une univers historique, renaissance, et rural.

H: oui ! J'approuve cette idée. Ca mettrait sans doute plus en valeur le coffre à jouet. Et effectivement un atelier dans lequel chacun devrait choisir un objet pour faire une scène centrée autours de cet objet pourrait fonctionner. Ca permettrait deux choses à mon avis. Déjà, ça permettrait aux joueurs de faire un état des lieux de ce qui est présent dans le coffre à jouet. De se faire une idée de ce qu'il y a, de faire l'inventaire. Et d'autre part, ça les conditionnerait pour avoir ensuite le reflexe de piocher dans le coffre à jouet une fois en jeu.  

I : ça pourrait être une soluc en effet. Mais je pense que ça va très vite trouver sa limite. Trop vite sans doute. 

J : Le suis pas certain d'avoir eu la meilleure attitude. Bon certes je suis pas allé leur reprocher, ce qui aurait été encore pire. Mais l'idéal, ça aurait été que j'aille jouer autant avec eux qu'avec les autres, sans distinction. Mais vraiment j'ai eu du mal malgré moi. 

K: Pas de quoi. Je t'invite vraiment à voir le film. Ou à défaut regarder des extraits, écouter la bande originale. C'est un western qui n'en est pas un, c'est très atypique.


Réponse de Thomas :

G. C'est ce que je voulais dire : je me suis contenté de scripter la direction artistique, mais c'est justement sur ce critère-là que ça en fait un GN d'auteur : la direction artistique est assez cadrée.

G'. Je suis très content que l'émulation de ce week-end t'ait donné des idées pour créer tes propres GN !

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Message par Pikathulhu »

La Trace : le jeu de rôle solo Millevaux de vos cauchemars 

Yaakab nous livre sa vision du jeu de rôle solo dans l’univers forestier de Millevaux !

La Trace est un JdR solo onirique et introspectif qui plonge au cœur de vos cauchemars.

Qu’êtes-vous prêt à abandonner pour échapper à la forêt de Millevaux ?

Emparez-vous de quelques dés, d’un tarot divinatoire, et aventurez-vous dans la sylve touffue de votre psyché ! (temps de lecture : 12 mn) Image
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Message par Pikathulhu »

LA ROUTE DE KELP

La campagne multi-monde se poursuit avec une communauté d’enfants aux prises avec des désordres géographiques, climatiques et temporels, et une coalition de créatures insectoïdes. Un récit et un enregistrement par Claude Féry.

(temps de lecture : 6 mn)

Joué le 30/06/2019

Le jeu : Mantra Oniropunk, le vertige métaphysique du multivers par Quentin Bachelet, Nina François-Luccioni, Tanguy Mandias, Batronoban, Elsa Sulaiman

Télécharger le format PDF du récit

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LHG Creative Photography, cc-by-nc-nd

Episodes précédents de la campagne :

1. Ramasser la peau de leurs voix à l’ombre de leurs gestes. 
Le prologue d’une campagne Millevaux Mantra Oniropunk jouée avec Sève et For the Queen !


Le contexte :

Cet après-midi nous avons enfin joué à Millevaux Mantra.
J'ai demandé aux deux joueuses, Alexane et Gabriel de créer des personnages tout en reprenant leurs personnages utilisés pour le prologue de la campagne.
Ils ont conservé leur idéal collectif "repousser les ombres", retenu comme objet respectivement un silex et un galet.
Gabriel a conservé son nom l'enfant divin et Alexane a adopté comme nom Née du désastre.
Gabriel a retenu comme déjà vu "j'ai embrasé les eaux", Alexane séchant, nous avons convenu qu'elle l'adoptera en
jeu.

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Claude Féry, par courtoisie

Fiction :

Les deux enfants étaient membres d'une communauté, les littoraux, qui fuient l'Éternel Hiver. A bord de leurs pirogues, ils cabotent vers l'Été, en se nourrissant de phoques que drosse la mer. La violence croit au sein de la communauté à mesure qu'ils mangent des phoques. Leur physionomie évolue. Certains, sensibles aux cauchemars et aux pleurs des phoques se tournent vers le kelp, quittent le littoral et remontent le fleuve.
Ils trouvent du kelp dans la rivière, de l'amadou sur les berges et maintiennent à distance les lions du bois avec leurs lances à pointe de silex.
Si tous ont renoncé aux enseignements de l'Homme-Lion-de-Mer, et rejeté les os de phoques pour le silex froid comme l'Hiver qui s'échauffe comme l'Été quand on le taille, les enfants ont conservé l'effigie d'os de l'Homme-Lion-de-Mer pour les préserver de ce monde éternel, inconnu et hostile.
Maintenant tous les deux manient la lance et son propulseur avec habilité. Ils remontent le fleuve. Ils sont seuls désormais. Les autres ont bifurqués se sont installés ou sont morts.
A presque aube, L'enfant divin avise une grotte avec un affleurement de silex. Ils s'installent dans la grotte. Une rassurante odeur d'abeilles en émane. Née des astres adore le miel, elle rêvasse aux rayons qu'annonce l'odeur tandis que L'enfant divin dégage une pointe de lance en étoile.

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Claude Féry, par courtoisie

Une autre odeur flotte dans l’air de la cavité qui les abrite des rayons ardents du soleil.
C'est presque nuit. Gavroche, La Procure et Tricorne voguent sur le canal qui mène aux bassins de rétention. Monsieur Moteur ronronne. Ils s'en viennent prendre leur tour de guet. La Révolution des Enfants touche au but. Les Versaillais, les Grands, les oppresseurs nourrissent les vers. 
Les mouches pondent sur ceux encore debout. La menace des grands est écartée, mais les ogres prussiques entendent étendre leur emprise sur Parasite.
Les groupes de vigilance s'organisent et leur interdisent l'accès depuis les fortifs
C'est leur mission ce soir. Tricorne est pressé d'en découdre. Alors qu'ils ne sont pas parvenu encore à leur point de vigie, il aperçoit un groupe qui se coule dans le marécage.Sans plus attendre, il chausse ses échasses et se lance à leur rencontre, fusil au clair de lune.
La Procure le suit sans entrain, inquiète.
Gavroche néglige les échasses et se coule parmi les joncs, maintenant la révolution à hauteur d'Homme.
Il s'enlise glisse et découvre, au pied d'un arbre un accès maçonné au ventre de Parasite.
Curieusement le lieux exhale une chaude odeur.
Alors qu'il s'apprête à s'en ouvrir à La Procure, il discerne un prussique qui menace son amie par derrière.
Tir tendu dans l'obscurité, il touche l'envahisseur horsain en pleine poire, non sans avoir craint de défigurer La Procure au passage, [(4 sur 4, repousser les ombres, son fusil, ils sont deux, (elle se baisse pour lui donner du champ)].
Elle se retourne pour s’assurer du cadavre et découvre qu'une massive créature pleine de mandibules se rue sur elle avec la ferme intention de la dévorer. Trop proche pour que son seul vieux fusil parle de raison, elle hurle la puissance de l’ours. Son hurlement se répand sur la tourbière et déstabilise la créature, ce qui lui suffit à ajuster son tir ; [une perle de conscience pour le déjà vu].
Elle déguerpit vers la barque avec son ami Gavroche. Elle voit que plusieurs autres créatures chitineuses se coulent vers eux depuis la roseraie.
Gavroche en abat une première de son fusil. [1 sur 3].Ils embarquent. Gavroche vide sa dernière cartouchière sèche pour alimenter le vorace Monsieur Moteur qui vrombit d’aise.
Mais d’autres créatures s’approchent menaçantes et se tiennent désormais entre leur embarcation leur hardi compagnon.
Alors, Gavroche plonge en lui-même, puise aux tréfonds de son âme une étincelle qui boute le feu à son souffle et embrase les eaux afin de les débarrasser des viles créatures chitineuses.
Les flammes en un instant consument les ajoncs et grillent les cancrelats immenses qui couinent leur désespoir.
Au loin, le pauvre Tricorne se consume tel un brandon révolutionnaire. [une perle de conscience pour le déjà vu et deux points de Karma pour la perte.]
Une goutte de bave se répand entre les genoux de Née des astres. L’odeur singulière est désormais manifeste. Une gueule béante et avide la menace. Une araignée des frondaisons se tient au plafond, juste au-dessus d’elle.
L'enfant divin tient fermement sa pointe de lance à peine achevée, en forme de d’éclat de lune et bondit vers le cou de la créature. Il l’enfonce, fouaille, fracasse la chitine, arrache les chairs, habité par une démentielle rage. [1 sur 3] Alors le sol tremble, un son suraigu assaille leurs oreilles //Samael, Née des astres et L'enfant divin sont dans le bosquet ardent. Celui-qui-détient-le-dit-des-Dieux les y a confinés. Autour d’eux, les saules forment un cercle consacré, noyé sous les cocons des sœurs tisseuses.

La nuit et la voracité emportera les plus faibles aux fonds de la fondrière.
Les élus reviendront porteurs de la lumière.
Autrefois, Celui-qui-détient-le-dit-des-Dieux leur a dit qu’il convenait d’adopter le parler des oiseaux légers, qui volent vers Été.
Alors, L'enfant divin plonge avec décision dans l’eau turbide. Puis il en émerge et convainc, non sans mal, Samael que la lumière se trouve sous les eaux, parmi les insectes qui grouillent dans la vase. Tous trois plongent.
Au dedans d’un cercle d’une obscurité intense ils discernent deux statues d’os, l’une à l’effigie de l’Homme-Lion-de-Mer, l’autre à celle d’un prodigieux volatile. [une perle de conscience, résolution de la réminiscence gain d’un déjà-vu]
L'enfant divin s’empare sans hésitation de celle à l’effigie du Lion, car ils sont désormais les Lions qui courent le monde, la rage au ventre, [déjà vu consommé pour résoudre les soubresauts de l’araignée ].
//
L’araignée gît sans vie, ses pattes piteusement repliées sur son abdomen.
Née des astres remarque un cocon parmi les autres suspendus à la voûte. Une main blême en émerge. Frénétiquement, elle déchire de sa lame de silex les soies et en extirpe //
// Le Tricorne recrache les eaux sales de la Seine avec peine. Ses lèvre son exsangues. Ses cheveux sont roussis. Sa peau est toute craquelée. Néanmoins, il a réchappé au carnage.

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Commentaires de Thomas après lecture :

A. « Les deux enfants étaient membres d'une communauté, les littoraux, qui fuient l'Éternel
Hiver
. A bord de leurs pirogues, ils cabotent vers l'Été, », j’aime beaucoup cette analogie d’une migration climatique vers une migration dans le temps, ça convient bien dans le registre mindfuck de Millevaux Mantra qui confond espaces et durées

B. Pour la petite info, j'ai tellement aimé le concept des Gavroches que je te l'ai emprunté pour en faire une communauté d'enfants dans Les Sentes :)

C. "La violence croit au sein de la communauté à mesure qu'ils mangent des phoques. Leur physionomie évolue. Certains, sensibles aux cauchemars et aux pleurs des phoques se tournent vers le kelp, quittent le littoral et remontent le fleuve."
Très intéressant effet de l'égrégore, qu'on pourrait lier aux noirceurs qui adviennent à ceux qui tuent ou mangent des animaux dans Marchebranche, ou aux chocs mentaux pour ceux qui tuent des animaux dans Ecorce. Cela m'évoque aussi la transformation en morses dans le théâtre arctique "Moins Quarante" par Orlov pour Inflorenza.

D. Il y a donc des phoques et des lions en bordure de la rivière ? Le dérèglement géographique et climatique est total.

E. Que sont les ogres prussiques ? Des émanations de la Guerre franco-prussienne générées par l'égrégore ?

F. L'araignée des frondaisons est le monstre d'un des scénarios de Millevaux Sombre. Sympa de le retrouver ici :)

G. A quoi correspond le bosquet ardent dans ta campagne de Millevaux Mantra ?

H. Durant cette partie, pas vraiment de voyage entre les mondes parallèles comme ce qu'on pourrait attendre dans Millevaux Mantra. Est-ce que tu envisages plutôt ces voyages à l'échelle de la campagne ?

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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

NOURRIR LES FAIBLES

Enfin, le retour aux Voivres et un épisode pour se poser. Avec un changement de jeu de rôle pour guider l'écriture, cette fois-ci on passe à Nervure ! (bon, juste deux tirages...)

(temps de lecture : 5 mn)

Joué / écrit le 08/12/20

Le jeu principal utilisé : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Animal people forum, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : meurtre d'animal


Passage précédent :

40. Le seuil
Le dernier mort-vivant, la prison d'un être déchu et le mur du son à franchir, voici le programme des ultimes errements avant le retour aux Voivres ! (temps de lecture : 9 mn)


L'histoire :

Image
S/T par Winslow, de l’americana mélancolique, belle et inquiétante pour un voyage dans des bivouacs de lourds souvenirs.

C'est par ce petit matin fourbu qu'ils descendirent enfin la grand'rue des Voivres. Les poules en divagation, les tas de fumier devant les maisons, rien n'avait changé. Il pleuviottait juste, c'était un petit froid agréable.

"Allons prendre des nouvelles du père Houillon, fit le père Benoît.
- Non. On va d'abord aller voir la Sœur Jacqueline."

Ça lui fit une drôle d'impression de franchir à nouveau l'entrée de l'auberge du Pont des Fées.

"Mâ ? Ço â oures-ci qu’vos rotrez ?", leur fit la Bernadette pour tout accueil. Elle avait l'air vieilli.
"Où est ma sœur ?", répondit le novice sans plus de cérémonie.

"Elle est là, dans la cuisine. Elle tresse des bôgeottes avec les saules coupés à la fin de l’automne. Elle ne sait plus faire que ça, ça l'occupe."

L'ancienne se tourna vers eux, la rondeur de son visage toujours encadré par sa coiffe. C'était difficile à dire si elle les reconnaissait.

La Sœur Marie-des-Eaux s'avança. Au départ, il se configura comme le novice qui venait d'arriver aux Voivres, stoïque, hostile à toute marque de rapprochement. Mais cette image de lui était devenue floue, il ne se rappelait plus pourquoi il était comme ça, ni si c'était ce qu'il devait être. Ses réflexions s'écroulèrent et le corps parla. Il se jeta dans les bras de l'ancienne, et il la pleura. La Sœur Jacqueline arborait un sourire innocent.

"On vient de faire les sombres de pommes de terre, je vais vous faire çà.", annonça la Bernadette. Le novice déclina et réclama une hostie à la place. Mais de son côté, le Père Benoît ne se fit pas prier

Pour le dessert, la cuisinière posa le grand gaufrier de fonte à longs manches sur un trépied au-dessus de la flamme. Le bois sec et odorant. 

Pour le prêtre, chaque bouchée de nourriture comblait une blessure.

Dans le bar juste au bout du couloir, Vauthier redemanda une goutte et la but cul-sec. "Et bien, ça descend comme un char-à-bancs dans la côte des Voivres !", souligna la Bernadette avec des soupirs d'admiration.

Il y avait aussi des familles attelées à boire un canon. Un gamin racontait : "Parrain me dit, Serge, on va faire des founés !, je dis oui ! Nous oualà dans le champ. Parrain amasse avec sa fourche les bois de pommes de terre. Il y met le feu, oulà les grandes flammes qui montent. Tout à coup, il me dit, Serge, une souris ! Je cours, je prends un bâton et je lui fais la chasse. Je la tiens, je l’attrape par le bout de la queue et je la jette dans la flamme ; la pauvre bête était toute cuite et toute ratatinée par le feu."

Les Voivres n'avaient pas changé.


Quand ils sortirent pour aller au presbytère, ils croisèrent la Mélie Tieutieu : "Oh, mais c'est qui des grands fantômes là !"
La Sœur Marie-des-Eaux lui résuma leur périple. 
"Je sais que j'ai pas dit du grand bien de l'Euphrasie, mais quand même je suis désolé pour vous." Elle prit les mains squelettiques du novice dans les siennes toutes fripées, et les secoua bien fort. Et bien longtemps.
"Vous êtes ce qui nous est arrivé de mieux au village. Faites attention à vous."

Elle marqua un temps, qu'ils mirent à profit pour reprendre leur marche.

Et la Mélie Tieutieu de conclure : "Mais faites quand même attention à la Bernadette ! Une femme qu'a appris à lire dans le Grand Albert, c'est pas de la bonne compagnie !"

Quand ils toquèrent à la porte du père Houillon, ce fut une femme qui leur ouvrit. Elle avait l'air toute boudinée dans son tablier mais ses mains et son visage étaient fins. 

Elle les conduisit au curé attablé sur une assiette de kneffes qui fumaient comme l'encens du vendredi saint. Il ne se leva pas pour les saluer, rougeaud et empâté qu'il était.

"On vous croyait morts, j'ai fait dire des messes en votre honneur et j'ai même envoyé un pigeon au diocèse ! Mais installez-vous ! (le Père Benoît omit de préciser qu'il avait déjà mangé). Maintenant, j'ai une bâbette, c'est la Germine Colnot ! Germinie, tu apportes le couvert pour ces voyageurs !"

Elle obtempéra, elle avait l'air bien brave et bien sotte ainsi qu'il sied à une bonne du curé.

"Y'a d'autres nouvelles. Fréchin a été réélu maire du village. C'était tendu, parce que bon quand même il a tué son propre fils et pis le Nonô Elie s'était présenté en face de lui, mais on dirait qu'y a eu un petit coup de pouce du destin ! Enfin, c'est pas en s'usant les fonds de culotte à l'église qu'il a glané les suffrages qui lui manquaient !"

Le Père Benoît engloutit sa portion de kneffes et félicita la toute fraîche sacristine. Il avait le palpitant qui s'emballait, les ventricules qui battaient comme des fanons désolés, mais il s'en foutait.

Le novice sortit prendre l'air. Il faisait trop chaud, ça mangeait trop, ça causait trop comme s'il ne s'était rien passé.

Il vit dans une courelle, à l'ombre d'un châtaigner, un enfant, le Fleurance Jacopin, qui donnait du lait aux chats errants. L'un d'eux, un mistrigi tout râpé, s'approcha de la coupelle et y donna de la langue. Le Fleurance, un gamin tout blond et trop grand pour son âge, le prit dans ses bras et fit mine de le caresser. Il sifflait pour le rassurer.

La Sœur Marie-des-Eaux resta en arrêt.

Le Fleurance Jacopin glissa ses mains sur le cou du chat et serra aussi fort qu'il peut, son visage exprimait une satisfaction sans nom. La Sœur se rua vers lui, l'opinel à la main, mais - las !- son corps était à bout de ressources. Il trébucha sur un muret et s'étala de tout son nom. Le gamin était déjà loin dans la futaie, avec sa proie.

Le novice avait besoin d'aide. Mais il n'y avait personne.


Lexique : 

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Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1080
Total : 75202


Système d'écriture

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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

TON MEILLEUR AMI
  
 Dérives de banlieusards sur fond de terreur pour une partie en osmose
  
 Le jeu : S’échapper des Faubourgs, un cauchemar de poche dans une banlieue hallucinée
  
 Joué le 16/06/2017 lors de la Tournée Paris est Millevaux 5
  
  
 Personnages : Arnaud, Zedha, le policier, Arnaud, la chose.
  
  
 Avertissement : contenu sensible (voir après l’image)
  
 Image
 Apher, cc-by-nc-nd
  
 Contenu sensible : toxicomanie
  
  
 L’histoire :
  
 Des tunnels horizontaux et verticaux crépis de toiles d'araignées, par là où Jordan s'est évadé de l'HP.
 Un agent pourchasse un innocent et le tue avec un pistolet opératique.
 Rencontre entre Jordan et un policier, qui lui demande pourquoi il s'est évadé de l'HP (c'est aussi son tuteur légal).
 Un commissariat tout décrépi, les seules lumières viennent des prisons.
 Le bar d'Arnaud, juste avant qu'un type s'y fasse sauter, aujourd'hui tout dégradé, habité de clients fantômes.
 La maternité, envahie par les brumes organiques qui cachent la tête des gens.
 Ils sont poursuivis par l'Agent, le policier le tue et récupère le pistolet opératique.
 Le policier veut amener Jordan au commissariat pour qu'il soit en sécurité, mais quand il y arrive, Jordan n'est plus là, il est reparti. Le commissariat est submergé par une marée de dents issues des cauchemars où on perd ses dents, il arrive à les contenir dans une cellule et à y mettre le feu.
 Rencontre entre Arnaud et Jordan. Les tunnels sont inondés.
 Le quartier où un dealer qui se fait appeler « Ton meilleur ami » fait la loi. La fresque que Jordan y a peinte.
 Le policier se regarde devant la vitre en se rasant. Il a du mal à se reconnaître. Il a échoué a sauver le quartier mais il lui reste Jordan.
  
 Le quartier du sommeil profond, si rare et difficile à trouver, qu'on ne réalise qu'après coup, juste avant le réveil anxieux qui se nourrit de ton repos. L'insomnie du policier.
  
 Arnaud et Jordan sont pourchassés par un homme couvert d'une ceinture d'explosifs, c'est Karim le petit frère d'Arnaud. Arnaud le tue et récupère sa carte d'identité.
 On ne peut plus entrer dans le bar. Il y a une masse de débris matériels et humains qui l'entourent. C'est le souffle de l'explosion, suspendu dans le temps.
  
 Un autre homme les pourchasse. C'est l'homme qui attend le train. Il attend le train depuis toujours, il est perdu dans les quartiers des faubourgs, et le train n'arrive jamais.
 Il se rappelle de Jordan, parce qu'à une époque le policier lui avait décroché un petit job d'intermittent à la gare, Jordan avait un gilet fluo et guidait les gens, çà lui payait sa dope et au bout de trois semaines il a décroché. L'homme qui attend le train le pourchasse, il lui demande où est le train, bien sûr Jordan est incapable de le renseigner, alors il devient violent. Arnaud s'interpose, et l'homme lui décoche un coup de poing qui l'envoie à terre, puis il lui martèle le ventre de coups de pieds. Pris de panique, Jordan s'empare de la tête de l'homme et la frappe contre un mur jusqu'à qu'à être sûr de l'avoir tué. Il récupère son billet de train. C'est un billet pour la destination de nos rêves. Pour l'homme, c'était un billet pour Venise. Pour Jordan, c'est simplement un billet pour ailleurs.
 La mère de Ton meilleur ami, Zedha, est la meilleure femme du monde. Elle a couvert tout son entourage d'attention. Son seul échec, c'est son fils. Et le chagrin l'a plongée dans le coma. Elle se réveille dans les faubourgs. Jordan la découvre. Elle veut retourner dans son quartier, mais Jordan l'en dissuade : elle risque sa vie.
 Jordan parcourt les faubourgs à la recherche de drogue. Il est terriblement en manque. Mais c'est Arnaud qui tombe sur Ton meilleur ami et le tue. Il récupère son jogging Addidas blanc et doré, impeccable malgré la crasse des faubourgs.
 L'homme qui attend le train réapparaît dans la maternité. Au dehors, il y a une horde de manifestants anti-IVG. Ceux-là même qui dans un mouvement de colère ont piétiné jadis la femme enceinte du policier. Ils font irruption dans la maternité et piétinent tous ceux qui sont sur leur passage, y compris l'homme qui attend le train. Il réapparaît à nouveau dans la maternité et cette fois, il se fait manger par la brume.
 Zedha va se réfugier dans le commissariat. Mais les lumières qui forment tous les anciens interrogatoires brutaux créent un mur lumineux insupportable qui l'empêche de sortir : elle est bloquée.
 Dans les tunnels qui se reconfigurent en permanence, Jordan se retrouve en tête à tête avec le policier. Le policier lui dit d'aller à l'échappatoire, là il y a des médocs pour lui, de la méthadone. Il voudrait bien lui donner ses clefs mais une forme d'égoïsme qui le dépasse l'en empêche. Jordan croit comprendre que le policier l'invite à le tuer pour prendre ses clefs. Il hésite, et il réalise qu'il ne peut pas faire ça à la seule personne qui se soit jamais occupée de lui. Alors il sous-entend que c'est plutôt le policier qui devrait s'en aller, qu'il est un fardeau pour lui. Mais le policier se refuse à tuer Jordan. Arrive alors Arnaud. Jordan le prend dans ses bras affectueusement. Et lui brise la nuque.
 Jordan se rend à la maternité. Il trouve la pharmacie. Il enfile le jogging, avale le billet de train et colle la carte d'identité du terroriste sur sa poitrine comme un badge. Il s'entoure d'une ceinture de tubes de médicaments qui évoque une ceinture d'explosifs. Et il avale des comprimés jusqu'à tomber dans le coma. Jusqu'à enfin s'échapper des faubourgs.
 Le policier le rejoint. Il ne trouve plus qu'un tas de cendres dans le jogging. Il y a aussi un papier, où Jordan à écrit : le pistolet. Le policier se saisit du pistolet opératique et se tire dans la tête.
 Lui aussi, il s'est échappé des faubourgs.
  
  
 Playlist :
  
 Image
 Fréquence Néant, par Baron Oufo, entre dark-ambient, drone et musique minimaliste, voyage au bout de la nuit, voyage au bout de la ville, voyage au bout de sa vie.
  
 Image
 La Cassette Noire, par Clair-Obscur, l'un des cauchemars les plus dérangeants de ma collection.
  
 Image
 All Towers Must Fall, par Phragments. Dark ambient pour monde en friche où sourd une menace industrielle.
  
 Image
 Geisterstadt, par Omega Massif, un post-rock lourd, triste et urbain pour une soirée de fin du monde dans une ville fantôme.
  
 Image
 Time and Space, par Kaosmos, piano au fur et à mesure augmenté de réverb pour la traversée de la désolation.
  
  
 Retour personnel :
  
 Une partie vraiment bien réussi malgré un effectif un peu élevé pour le jeu (cinq personnes). L’un des joueurs a décidé de jouer un personnage qui était plus un concept qu’autre chose, tellement conceptuel que je ne me rappelle plus de ce que c’était et qu’il est pour ainsi dire absent de ce compte-rendu : je crois que ce choix n’était pas le meilleur pour un tel jeu où il faut privilégier des personnages (et même des monstres) humains.
 La glauquitude était totalement au rendez-vous. On a manipulé la notion de terrorisme et de décrépitude des banlieues, c’était un peu délicat en jouant près de Paris, mais je pense que tout le monde avait du recul, donc on a évité le malaise.
 Le joueur du policier a essayé de jouer à fond sur la manipulation psychologique à la fois pour maximiser ses chances de parvenir à l’échappatoire mais aussi de participer à la co-construction d’une belle histoire : un objectif qui a ici porté ses fruits sans exploser en plein vol. Il a focalisé son jeu sur la construction d’un lien avec mon personnage (Jordan) avec comme apothéose le moment où il me propose de m’échapper avant lui. Je me retrouve alors devant le choix de le tuer pour compléter mon jeu de clefs ou d’attendre une meilleure opportunité. J’ai un chouette moment de dilemme moral qui m’a forcé à réfléchir à ce que mon personnage déciderait : une posture de jeu assez inhabituelle en ce qui me concerne : poser la question au personnage avant de prendre une décision.
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LA SEMAINE DES MORTS

Quand le système de résolution nous réserve une méchante surprise... Il faut accepter son sort.

(temps de lecture : 7 minutes)

Joué / écrit le 14/12/20

Le jeu principal utilisé : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
beanpumpkin, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : insulte grossophobe, pulsions suicidaires


Passage précédent :

41. Nourrir les faibles
Enfin, le retour aux Voivres et un épisode pour se poser. Avec un changement de jeu de rôle pour guider l'écriture, cette fois-ci on passe à Nervure ! (bon, juste deux tirages…) (temps de lecture : 5 mn)


L'histoire :

Image
L’Âtre et l’enfant, par Edinbourg of the seven seas, une guitare folk sans voix pour des forêts mystiques à habiter vous-même.

Le retour aux Voivres permit aux exorcistes de retrouver un semblant de notion du temps. On leur dit que c'était l'Octave de la Toussaint, aussi leur périple aurait duré une vingtaine de jours, à une éternité près. Le Père Benoît était inquiet. Il avait mentionné à la Sœur Marie-des-Eaux qu'il craignait pour la sécurité du Père Houillon, sans pouvoir nommer pourquoi au juste. Il lui avait même confié : "Et si ce curé venait à disparaître ? Qui sait si le diocèse en renverrait un autre ? Et si j'étais appelé à le remplacer ? Je me croyais voué à de plus hautes destinées, mais ai-je le droit de décider ce que la providence me réserve ?"

La Germinie Colnot se traînait vers le lavoir communal, poussant à la brouette un baquet d'eau chaude et des bôgeottes chargées de soutanes et de sous-vêtements sacerdotaux.  "Faut-y donc que j'y mette moins de sauce dans ses plats pour qu'y tâche moins ses affutiaux !", pestait-elle. "J'sais bien qu'on doit pas faire le bouayre pendant l'Octave mais l'bon Vieux m'pardonnera bien si c'est pour briquer les habits d'Monsieur l'Curé !". Et la oualà penchée sur lo betch, toute ronde qu'elle est, et trempe, et trempe, et frotte, et frotte. Et oualà-t-y pas que s'approche d'elle une vieille bonne femme, grande, raide, sèche comme un coup de trique, avec pas plus de dents dans la bouche qu'un poisson-chat et des moustaches pareilles. Un temps, la Germinie imagina que ça serait à ça que ressemblerait la Sœur Marie-des-Eaux dans quequ' temps, et ça la fit rigoler. "Vous êtes qui madame ? Je vous ai jamais vu par ici, vous êtes pas de cheu'nous !"

La vieille la fixait avec un air de jugement dernier. Il y avait quelques cheveux qui dépassaient de son large chapeau de paille, mais c'était bien tout ce qu'elle avait sur le caillou. Elle s'approcha sans répondre en se cramponnant sur son bâton, et la bâbette était toute rouge, sous l'effort, le froid, et disons-le tout net, l'inquiétude. Ses guenilles immondes sentaient tout comme si on les avait trempées dans du purin, pour sûr l'étrangère respectait l'interdit de l'Octave.

Image
S/T, par 5ive. Du drone speed/heavy doom instrumental, tempête de goudron en fusion pour une débauche de son hallucinée et macabre.

"Tu peux m'appeller Herqueuche."
À entendre ce nom, la Germinie s'arrêta tout net, le battoir en l'air.

"Alors comme ça on coule la lessive pendant la semaine des morts ?
- Pardon, madame, je savais pas ?"

Et l'ancêtre sourit d'un air mauvais, contente de prendre en faute. Elle chopa la tête de la sacristine et la plongea dans le baquet d'eau chaude. Sa poigne était d'acier.

"Ah là grande guéniche-là ! Je vais t'apprendre le respect !"

Ce fut le Père Benoît qui lui retira la tête du bouillon, se brûlant la main au passage.

"Vous allez la laisser tranquille, sorcière !
- Tu crois pas si bien dire ! C'est quoi ce curé qui m'empêche de punir les pécheresses ?"

Et elle lui asséna un coup de béquille dans les côtes, on aurait dit un coup de barre à mine !

Il se plia en deux et alors elle lui cassa presque son bâton sur le dos, en poussant un cri de jubilation.

Le prêtre comprit qu'il n'avait pas affaire à une personne normale. Il roula sur le côté, brandissant le crucifix qu'il portait en sautoir autour du cou. Il avait tellement mal qu'il s'était pissé dessus.

"Horla ! Créature maudite !"

Herqueuche émit un râclement de gorge digne d'un oiseau de proie. Ses yeux roulaient dans ses orbites.

Elle passa son bâton derrière sa tête comme on prend son élan avec un fléau.

"Enlève ça de ma vue, gros couillon !"

Le Père Benoît n'eut pas le temps de la moindre prière qu'elle avait écrasé son bâton sur sa poitrine, éclatant le crucifix au passage.

"Ça y est, je vais rencontrer mon destin.", voilà la pensée qui le traversa.

"Lâche-le, peute bête de l'enfer !", breuîlla la Bernadette.

Herqueuche flanqua un coup de boutoir en plein dans le crâne du prêtre.

"Fiche-moi la paix, l'envoûteuse ! T'es pas forte assez !"
La cuisinière lui allongea sur le greugnot une claque qui aurait assomé un bœuf.
"Et celle-là, elle est pas forte assez ?"

L'entité fut si surprise qu'elle recula et détala sous le couvert forestier sans demander son reste.

La Germinie Colnot était à genoux, le visage fumant et rouge comme une écrevisse, où se lisait un mélange de peur, de reconnaissance et d'incompréhension.

"Bonté divine ! J’en ai le sang qui tourne en boudin !"

Dans ses bras, elle tenait la carcasse du Père Benoît.

Ce fut le père Houillon qui lui administra les derniers sacrements.


Image
Created in the image of suffering, par King of Woman, un stoner doom avec un chant féminin incantatoire et hypnotique pour une chevauchée épique et rituelle à travers les bois.


Encore une procession funèbre de trop.

La Sœur Marie-des-Eaux s'était peu à peu laisser distancer pour se retrouver en queue de cortège.

Derrière, il n'y avait que la bâbette, qui la suivait partout depuis, une chienne en quête d'un os ou d'une caresse, cherchant à exprimer auprès du novice une gratitude qu'elle n'avait pas eu d'occasion d'exprimer à son supérieur.

Non loin devant, se dandinaient la Sœur Jacqueline, bras dessus bras dessous avec la Bernadette qui ne cessait de demander à la Sœur Marie-des-Eaux comment ça allait, sans jamais obtenir de réponse.

Il y avait bien sûr la Mélie Tieutieu et le Sibylle Henriquet qui avaient transmis leurs messages de commisération.

Mais c'était loin d'être suffisant pour diluer la tourbe dans laquelle le novice s'enfonçait.

Si c'est une nouvelle demeure du château intérieur, à quoi sert-elle ?

Il voyait les voivrais de dos suivre le cercueil dans le vent frisquet de Vosmembres. Il entendait leurs sabots crisser sur le sol gelé. 

Pourquoi avait-on si peu félicité les exorcistes de leur retour et des services rendus ?

Et partout en lui, ça montait. Ce dégoût croissant de l’humanité. Ainsi qu'une remontée de pétrole venue du fond de la terre.


Le vin d'honneur ne fut pas en mesure de soigner son aversion. La contrition des villageois s'affaissa dès lors qu'on fut à l'abri dans l'Auberge du Pont des Fées, et que le vin chaud et la brioche circulèrent, et toute trace d'affliction avait tout à fait disparu quand au bout d'une heure, on lança les parties de belote et de tarot.

Le pire, c'était le curé Houillon, à l'aise en société comme un coq dans sa basse-cour, qui au bout du deuxième verre, était tout de suite parti dans ses anecdotes, et tous les amnésiques du canton à l'écouter avec plus d'attention que s'il était sur la chaire à débiter son sermon.

"Je ne vous ai jamais raconté pourquoi la peinture du Jésus-Cuit a été retirée de l'église ? C'était une fois que j'avais dû monter jusqu'au diocèse. Donc, comme je devais être absent pendant des semaines, j'avais confié la garde de l'église à l'Ernestine Couanney. C'était une grenouille de bénitier née avec une hostie dans la bouche, je savais que les lieux seraient mieux protégées que par un régiment de hussards !
Mais oualà-t-y pas que mon Ernestine Couanney elle se penche sur le tableau du Jésus-Cuit et qu'elle le trouve bien fissuré, bien patiné, bien abîmé, quoi ! Elle se dit, quand même c'est bien dommage, je m'en vais le restaurer, monsieur le curé il aura une saprée bonne surprise à son retour, et moi ma place au paradis elle sera toute acquise !
Et donc que mon Ernestine, elle décroche le tableau, elle le passe à la soude coustique, et puis elle redessine un visage au Jésus-Cuit, comme ça de tête, une bouille que même les gamins de l'école ils auraient fait mieux !
Et moi qui rentre, et elle me dit, l'est-y pas plus beau maintenant mon Jésus-Cuit !
Et moi qui répond, mais ma bonne Ernestine, maintenant j'ai plus qu'à le mettre à la poubelle !"

Il n'en pouvait plus de rire, et toute l'assemblée lui emboîta le pas, parce que c'était drôle d'accord, mais surtout parce que c'était un fait inconnu ou oublié de tous, alors c'était précieux, comme un nectar du bon Vieux dans ses caboches.

La Germinie Colnot, surtout, ouvrait grand la bouche et les yeux et n'en perdait pas une miette. Son visage avait gardé la marque de l'ébouillantement. Elle frémissait, c'est comme si ces bourrelets prenaient vie.


En fait, c'était la résilience même des villageois, cette capacité à se relever de tout, qui écœurait la Sœur Marie-des-Eaux. Il les plaqua tous sur place et s'ensauva dans les tréfonds de la forêt. Il courut sans se retourner, sans compter le temps, il voulait juste mettre le plus de champ entre lui et ses contemporains.

Quand il s'arrêta pour reprendre son souffle, il était au milieu d'une clairière, dans le nombril du monde sauvage. Il n'y avait pas le moindre bruit ni le le moindre souffle de vent et le froid arrêtait même l'écoulement du temps.

Il y avait cet arbre au milieu, grêle et haut dans la pleine lune.

Et dans ces branches, pendues, toutes ces cordes.

Et bout de ces cordes, des nœuds coulants.


Lexique : 

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Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1725
Total : 76927


Système d'écriture

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Message par Pikathulhu »

L'ARBRE DE VIE

L'exemple de partie pour le livre de jeu ! Une quête initiatique entre douleur et rédemption.

(temps de lecture : 16 mn) 

Le jeu : Marchebranche, aventures initiatiques dans un monde de forêts en clair-obscur

Joué le 17/12/2020 en solo

Image
Clive Varley, cc-by


N.B : Les informations entre crochets sont tirées des tables aléatoires.

Pour commencer, l’arbitre a décidé de préparer sa session avant la venue des joueuses. D’abord, se passer une musique d’ambiance tirée de la playlist :

Image
Tome X, par Erang (dungeon-synth, musique médiévale, dark folk pour un monde de châteaux et de chasses)

L’arbitre crée d’abord le premier décor, où les marchebranches vont rencontrer les donneurs de quête. Un tirage sur la table de lieu (plutôt qu’une forêt, que l’arbitre préfère explorer lors des prochaines péripéties) permet de le déterminer, ainsi qu’un tirage de climat pour en savoir plus sur la situation de départ. 

L’arbitre commence à remplir la feuille de décors et de figurants :

Décor 1 : [tirage : village] Port-Têtard
Situation en cours : [Climat : le jour où les maisons pourrissent] [Durée : une heure]
Habitants : [genre : féminin] [figurant : Une personne qui a tout oublié et qui pourrait devenir un marchebranche] Majoritairement des femmes, amnésiques, fascinées par la condition des marchebranches.

L’arbitre définit ensuite trois donneurs de quêtes que les marchebranches pourront rencontrer à Port-Têtard, toujours sur la feuille de décors et de figurants. L’arbitre décide de faire un donneur de quête complexe, avec beaucoup de tirages sur les tables aléatoires, et les deux autres sont plus simples.

Nom du Figurant 1 : Colombe
Description : [Femme] [adulte], [handicapée], [Une cultivatrice de lichen rouge qui ronge les pierres. Parfois, il est consciente que sa culture est dangereuse, parfois elle se régale de cette idée.]
Émotion / Jugement : [feint] [la rage]
Bizarrerie : [Vit avec les fantômes de son passé.]
Objet : [Une épée qui permettrait de tuer n'importe quel horla.]

Situation dramatique : [Se sacrifier à l'idéal : une personne donne sa vie pour un idéal. Un horla se nourrit des sacrifices ; si on le tue, peut-être que les suicides d'idéalistes cesseront ?]
Situation en cours : Colombe est une femme dépressive qui vit dans une demeure encombrée des fantômes de son passé, des proches qui se sont sacrifiés en tribut à un dangereux horla. Elle rêve de mettre fin à cette spirale. Mais en même temps, elle est emportée par ses propres penchants sombres. Cultivatrice de lichen, elle a découvert une variété de lichen, le lichen rouge, qui attaque la pierre. L’épidémie de pourriture qui s’en prend à son village est le fait de souches qui se sont échappées de ses serres.
                                                                                                                                
Nom du Figurant 2 : Fondrière
Description : [féminin] [handicapé]
Émotion / Jugement : 
Bizarrerie : Tient une boutique qui n'a jamais de client.
Objet : -
Situation dramatique : [Une personne oublie ses proches pour pouvoir consacrer toute sa mémoire à des études cruciales.]
Situation en cours : Fondrière est une femme autiste qui tient une boutique d’alchimie (alors que ça n’intéresse personne à Port-Têtard). Elle se mure dans ses études et se coupe peu à peu de ses proches.
                                                                                                     
Nom du Figurant 3 : Givre
Description : [Un sculpteur avec un très mauvais caractère qui crée des merveilles à partir de ruines.]
Émotion / Jugement :
Bizarrerie :
Objet :
Situation dramatique : [Résoudre une énigme : une personne essaie de résoudre une énigme difficile.  La personne est en danger de mort si elle ne résout pas l'énigme, il y a un compte à rebours.]
Situation en cours : En tant que sculpteur, Givre est un peu de pierre aussi. Il a été contaminé par le lichen rouge. Il pense qu’il ne tient son salut qu’en achevant une sculpture parfaite.                                                                                                  

L’arbitre crée un quatrième figurant simple, qui ne sera pas un donneur de quête, pour peupler Port-Têtard :

Nom du Figurant 4 : Rosée
Description : [humain-animal] femme avec des défenses de sanglier
Émotion / Jugement : -
Bizarrerie : -
Objet : [Une hache qui peut couper n’importe quel arbre.]
Situation dramatique : -
Situation en cours : Rosée est la bûcheronne du village. Avec sa hache magique, elle abat des arbres pour construire la charpente des bâteaux.
                                                    
L’arbitre décide aussi de préparer à l’avance la teneur des trois premières quêtes et remplit donc la feuille de quête. La première quête sera complexe, avec beaucoup de tirages, les deux autres seront plus simples. L’arbitre décide de ne pas préparer à l’avance de péripéties, un simple plan d’attaque global suffira.

Quête 1 : 
donneur de quête : Colombe
Situation dramatique : [Se sacrifier à l'idéal : une personne donne sa vie pour un idéal. Un horla se nourrit des sacrifices ; si on le tue, peut-être que les suicides d'idéalistes cesseront ?]
Ordre de quête : Tuer le horla [Des voix dans le vide. Elles semblent venir de nulle part mais en connaissent long sur vous.] qui exige des sacrifices humains en échange de sa clémence.    
Entourloupe : [Le donneur de quête menace de faire du mal à des personnes innocentes si les marchebranches refusent de travailler pour lui.]
Péripéties : Aller dans la forêt avec l’épée magique de Fondrière et tuer ce horla intangible, au prix d’une moisissure.
Liens avec le passé des marchebranches : [Le horla connaît et déteste les marchebranches]    
Carte : (Le Jugement) Venger un proche : une vengeance au sein d’une même famille.La famille sera déchirée si la personne essaye de se venger. 
                                                                                                                
quête 2 :
donneur de quête : Fondrière
Situation dramatique : [Une personne oublie ses proches pour pouvoir consacrer toute sa mémoire à des études cruciales.]
Ordre de quête : Fondrière veut que les marchebranches l’aident à rétablir une communication avec ses proches qui demeurent plus loin, en forêt, et qui se sont brouillés avec elle à cause de sa passion dévorante pour l’alchimie.                    
Entourloupe : 
Péripéties : Convaincre les proches de revenir voir Fondrière ne suffira pas. Il faudra permettre à Fondrière de comprendre les mécaniques de l’attachement humain. Peut-être par le truchement d’une formule alchimique ?
Liens avec le passé des marchebranches :                    
Carte : sera déterminée au dernier moment
                                                                                                                    
quête 3 :
donneur de quête : Givre
Situation dramatique : [Résoudre une énigme : une personne essaie de résoudre une énigme difficile.  La personne est en danger de mort si elle ne résout pas l'énigme, il y a un compte à rebours.]
Ordre de quête : Givre pense pouvoir guérir du lichen rouge en achevant une sculpture parfaite. Mais pour cela, il lui faut le modèle parfait. Il s’agit d’un mythique arbre de vie, caché au cœur de la forêt. Il veut que les marchebranches l’y escortent.                
Entourloupe :     
Péripéties : S’accommoder du caractère bougon de Givre et percer sa carapace. Trouver l’arbre de vie et comprendre que la guérison ne réside pas dans la sculpture mais dans la contemplation même de la beauté de l’arbre, épargner le rocher qui aurait dû être sculpté.
Liens avec le passé des marchebranches :                
Carte : sera déterminée au dernier moment                                                                                                                   


Le jour J est arrivé ! L’arbitre réunit trois joueuses, lance un album sur la playlist, leur présente le jeu et son contexte, et leur donne à chacune une feuille de personnage didactique à remplir.

Une joueuse fait un personnage complexe, qui s’appuie sur beaucoup de tirages dans les tables. Les autres font des personnages simples, se bornant aux informations demandées par la feuille de personnage didactique.


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Liminoid Lifeforms, par Aidan Baker, ambient, post-rock et orchestre de chambre pour une nuit sans lune, sans fin et sans but sous la caresse des branches.

Espèce :  [goupil bipède]
Âge :  Vieillesse
Genre :  [mystérieux]
État : handicap : ne peut pas courir 
Qualité : Âme {Paraître mystique / Détecter les esprits / Trouver un passage vers les forêts limbiques / Célébrer mariages et funérailles / Voir le vide qu'il y a dans l'âme de ceux qui ont trop oublié / Apaiser les personnes tourmentées}
Vocation :  Magie {Découvrir un mystère / Détecter l'égrégore / Détecter l'emprise / Détecter les horlas / Créer une courte illusion visuelle ou auditive / Créer un peu de chaleur ou de froid}
Domaine de prédilection :  Poterie
Nom : [Brume]
Description : [Explore les lieux hantés, veut se prouver qu’elle n’a pas peur] [Des champignons lui poussent dessus.]
Bâton : Un bâton tordu provenant d’un cep de vignes, ornementé de poteries à tête de renard.

Espèce :  humanité
Âge :  adolescence
Genre :  masculin
État :  avec un handicap (aveugle). Compensation : amulette qui permet de lire l’aura des gens.
Qualité : Esprit {Paraître doué / Présenter des arguments / Faire des calculs / Remarquer des détails importants / Tromper les gens / Inventer des histoires}
Vocation :  Artisanat {Allumer un feu / Fabriquer de petits objets / Commercer / Trouver des matériaux / Faire de petites réparations / Cultiver des plantes}
Domaine de prédilection :  Alchimie
Nom : [Basilic]
Description : 
Bâton : Un bâton avec un bout en fer forgé sur lequel sont attachés des fioles de produits alchimiques  et des outils tels que creuset, petit maillet...

Espèce :  animalité
Âge :  âge adulte
Genre :  féminin
État : valide
Qualité : Force {Paraître courageux / Soulever des charges lourdes / Avoir le sens pratique / Voir le point faible d'un être ou d'une chose / Combattre / Endurer souffrance et maladie}
Vocation : Voyage {Monter un bivouac / Raconter des histoires / Se frayer un chemin / Recruter des compagnons de route / Délivrer un message / Être au bon endroit au bon moment} 
Domaine de prédilection :  Chasse aux reliques
Nom : [Lune]
Description : Une pie amatrice d’objets qui brillent (ce qui justifie sa prédilection pour la chasse aux reliques)
Bâton : Une simple brindille attachée à son cou.

Au vu de la musique, l’arbitre annonce que les marchebranches arrivent à Port-Têtard en plein milieu de la nuit. Ils trouvent pourtant le village côtier en plein activité car les femmes adultes sont toutes réveillées,   elles sont pieds nus, en bras de chemise, les pantalons retroussés. Certaines puisent des grands baquets d’eau dans la mer et d’autres rincent à grand renfort d’huile de coude les maisons et l’embarcadère de pierre que commence à ronger le lichen rouge. Les hommes sont absents, tous partis en mer sauf les vieillards et  les enfants, qui d’ailleurs courent un peu partout, ravis de ce remue-ménage. Ce sont eux les premiers à crier « Des marchebranches ! Des marchebranches sortent de la forêt ! »

C’est Rosée, la femme aux défenses de sanglier, qui les accueille, la hache sur l’épaule, et leur explique que lichen rouge s’est échappé d’on ne sait où. Elle s’empresse de leur proposer le couvert, [des brioches de céréales et de la compote de groseilles]. Mais surprise sur la nourriture, c’est [immangeable] ! Rosée est bûcheronne, pas cuisinière, et elle arrive à rater même ces petites douceurs. Elle leur offre aussi le gîte, un vaste [refuge à oiseaux] construit dans les arbres, et leur annonce que des personnes vont sans doute bientôt venir les solliciter. En attendant, elle leur pose beaucoup de questions, et explique que la plupart des habitantes de Port-Têtard sont amnésiques. Elle se verrait bien partir à l’aventure avec eux…                                                                                  

C’est en effet rapidement le défilé des donneurs de quête : trois personnes viennent successivement demander audience.
L’alchimiste Fondrière les touche par son désir de se rapprocher de ses semblables malgré son fonctionnement psychologique atypique, et il tarde à Basilic d’apprendre à ses côtés.
Le sculpteur Givre les rebute par son côté « glacial ». Cet homme revêche n’a pas pris la peine de se changer pour venir les voir, il sème de l’argile partout sur son passage. En revanche, ils sont obligés de reconnaître son talent quand il leur montre les têtes de ses statues monumentales qu’on voit émerger des cimes des arbres à la faveur de la pleine lune. Il tousse et recrache du lichen rouge. Il prétend que ses jours sont comptés et qu’il faut l’aider à trouver ce qui lui semble le seul remède : aller trouver l’Arbre de Vie au cœur de la forêt, et en faire une statue parfaite. Les marchebranches ont conscience de l’urgence de la chose mais veulent entendre le troisième donneur de quête avant de prendre leur décision : l’arbitre vient de leur tenir au courant des diverses malédictions qui accablent les marchebranches. Il faut réaliser en premier lieu les quêtes les plus urgentes, car les quêtes inachevées vont empirer, et on ne peut refuser une quête que si l’on est prêt à accepter que le donneur de quête ne voit jamais son désir exaucé.

Rosée explique que la troisième personne ne peut se déplacer, il faut aller la voir dans ses serres à la lisière du bois. Il y a beaucoup de plantes différentes, notamment des lichens, les marchebranches commencent à faire des spéculations quand à la situation du village. Ils sont aussi frappés de trouver Colombe, l’horticultrice,  au milieu des fantômes de tous ses proches : on se marche littéralement dessus ! Quand elle leur explique qu’il faut tuer les « voix dans le vide » qui vivent dans les tréfonds sylvestres et réclament chaque année un sacrifice humain, ils accusent la gravité des faits, mais précisent qu’ils doivent d’abord s’occuper de Givre dont les jours sans comptés, alors que l’échéance du prochain sacrifice est lointaine. À ce moment, acculée par le désespoir, Colombe leur dit que s’ils ne s’occupent pas de sa quête, elle se débrouillera pour que Givre meure du lichen rouge. Pour elle, la sécurité du village vaut bien ce prix. Afin de gagner du temps, les marchebranches prennent son épée tueuse de horlas et annoncent qu’ils vont s’en occuper. Le problème, c’est que les trois lieux à visiter : l’Arbre de Vie, le repaire des voix dans le vide et la maison des parents de Fondrière, sont diamétralement opposés. 

Colombe n’a pas à le savoir, mais ils décident d’emporter Givre et de se rendre à l’Arbre de Vie en premier.

L’arbitre décide donc de leur improviser un programme robuste : quatre péripéties, le maximum !

Pour la première, pas besoin de jeter sur une table de péripétie. L’épreuve la plus logique, à mesure que les marchebranches s’enfoncent dans [Une forêt creusée de grands fossés qui forment des galeries entre les arbres], c’est de supporter le mauvais caractère du sculpteur. Il bougonne sans cesse, se plaint d’avoir des cailloux dans ses bottes, veut tout le temps s’arrêter pour tailler une ruine qui dépasse… Lune, en bonne pie-jacasse, commence à lui faire la morale : après tout, c’est son temps qui est compté, pas le leur, et puis s’il avait meilleur caractère, les gens l’apprécieraient plus, etc. Alors qu’il s’appuie sur Brume, Basilic touche son amulette pour sentir l’aura de Givre. L’arbitre lui annonce qu’il s’agit d’une aura de peur. Basilic dit alors : « Vous avez peur de mourir, c’est compréhensible. Je crois aussi que vous avez peur de tomber dans l’oubli. Mais ni vos ronchonnages ni votre art ne vous sauveront. Essayez d’ouvrir votre cœur. » Brume frémit en entendant cela, car cela fait écho à ses propres peurs qu’elle affronte en s’aventurant dans ces forêts hantées. Elle décide d’aider Givre à changer, et utilise  son Âme pour « apaiser les personnes tourmentées ».
L’arbitre estime qu’ils ont mis toutes les chances de leur côté pour faire évoluer le sculpteur, mais ce n’est pas si simple ! On ne transforme pas une telle tête de mûle en un claquement de doigts : cela vaut bien un jet de dé. Un volontaire pour encaisser une moisissure et réussir sans jet de dé ? Non ?
L’arbitre redemande ce qu’ils veulent exactement obtenir, ils précisent : « Que Givre soit gentil, et de façon définitive. ». Voici le risque annoncé par l’arbitre en cas d’échec : « Givre va les considérer comme des incapables moralisateurs et se faire la malle pour tenter l’aventure en solidaire, ce qui mettra sa vie en danger. »
Les marchebranches se disent que les risques sont trop élevés à ce stade de l’aventure, ils préfèrent s’abstenir de lancer le dé et supporter les jérémiades de leur compagnon jusqu’au bout.

Pour la deuxième péripétie, l’arbitre a envie de les confronter à un monstre errant, un horla sans grand rapport avec la quête. Alors que les marchebranches arrivent dans [une forêt remplie d'ordures de l'ancien empire, de statues effondrées, de décharges pourrissantes, de carcasses de robots.], ils croisent [le Bonhomme Douleur qui accompagne les blessés et grandit à mesure que leur état s'empire.] Cela vaut bien un changement de musique.


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Temple of Ancients, par Erdstall (dungeon-synth pour explorations de donjons aussi ténébreux que nostalgiques).

Le Bonhomme Douleur est [neutre] mais l’arbitre que sa présence ne sera pas forcément sans poser problème. En effet, il lui semble logique que ce horla ait été attiré par la douleur du sculpteur agonisant, qu’il incarne.

Cette créature ronde et rose commence à les suivre au milieu de ce champ de ruines recouvert d’arbres, entre les statues déchues et les poteries brisées que Brume ramasse dans l’espoir de les retaper. À mesure que Givre titube en se prenant la tête dans les bras, le Bonhomme Douleur, sans mot dire, enfle et grossit, jusqu’à dépasser les pins les plus grands. 

Les marchebranches comprennent l’ampleur de la souffrance du sculpteur, et décident qu’il ne faut pas attendre l’arrivée pour, sinon le guérir, au moins l’apaiser. Grâce à sa vocation pour la magie, Brume tente de « découvrir un mystère » : comment calmer un tel mal ? Par sa qualité d’esprit, Basilic essaie de « remarquer un détail important » qui aurait pu leur échapper. Quant à Lune, elle fait foin de son matériel ou de ses habiletés, elle se contente de parler à Givre pour le rassurer.
L’arbitre estime à nouveau que les marchebranches font tout ce qui est en leur possible, mais qu’à nouveau, ralentir ainsi la progression du lichen rouge mérite bien un lancer de dé ! Cette fois, Brume se dévoue pour encaisser une moisissure : elle ne veut pas jouer le santé de cet homme sur un lancer de dé. L’arbitre accorde donc une réussite aux marchebranches : ils ont trouvé comment apaiser Givre et le rendre transportable jusqu’à l’Arbre de Vie. Le Bonhomme Douleur continue à les suivre, mais il est tout petit, il devient pour ainsi dire la mascotte du groupe.

Mais Brume a encaissé une moisissure, la seule qu’elle pouvait puisqu’elle est de niveau 0. L’arbitre demande à sa joueuse si elle a une idée de moisissure et justement elle en a une, que l’arbitre valide : Brume délaisse son bâton de marchebranche et se met à arpenter lentement la forêt, ramassant toutes les poteries ébréchées et tentant de leur donner une seconde vie. On voit ainsi sa petite silhouette de renard claudiquer et s’enfoncer dans les taillis.

Basilic et Lune n’ont pas l’intention de laisser leur amie dans cet état, et visiblement elle ne cherchera pas à s’en sortir toute seule. Ils cherchent un moyen de lui faire remonter la pente. Ils ont alors l’idée de l’aider à tout ramasser et à tout réparer, et sollicitent l’aide de Givre, pour cela, qui va faire des merveilles.

L’arbitre trouve l’initiative touchante et accorde la guérison de la moisissure, sans lancer le dé.

C’est l’heure de la troisième péripétie, et l’arbitre décider de proposer une [Fouille : Il faut trouver un objet, un indice ou une personne cachée dans le décor. L’arbitre va décrire les lieux en insistant rapidement sur les endroits qui peuvent dissimuler quelque chose : aux joueuses de comprendre ces insinuations ou de gérer par un lancer de dé.]

Voilà les marchebrances dans [une forêt silencieuse où glissent des poches de brouillard mortel.] Il tente une description un peu détaillée : « des nappes de brume presque invisibles s’écoulent entre les troncs, flottant à ras au-dessus de l’humus et de ses terriers, et s’élevant aussi loin au-dessus du niveau des branches. » Les joueuses réfléchissent quelques temps, posent des questions à l’arbitre, et finalement annoncent qu’elles passent dans les terriers. Elles ont réussi leur fouille. « Terrier » est bien le mot-clé qu’il fallait capter dans la description. Elles réussissent donc la péripétie sans lancer le dé.

Il est temps de faire jouer la quatrième péripétie, et donc d’arriver à l’Arbre de Vie. L’arbitre change de musique, et prévoit cette fois-ci, pour marquer le cas, de faire jouer un cas de conscience : [Une personne demande d'en punir une autre mais elle refuse de reconnaître ses propres torts.]


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Métal, par Dark Sanctuary, du métal orchestral et gothique avec un chant féminin d’opéra pour une épopée forestière poignante.

Les marchebranches sont maintenant dans le cœur profond de la forêt, envahi de [serpents] qui glissent le long des racines et des branches. Au centre, trône l’Arbre de Vie, l’être le plus majestueux qui leur ait été donné de voir. 

Mais au pied de cet arbre, se tient Colombe, tenant une amphore remplie de lichen. La cohorte de ses fantômes se tient en ronde autour du tronc gigantesque.

« Ainsi donc, ce rustre de Givre a su vous convaincre que sa vie était plus importante que celle qui seront sacrifiées aux voix dans le vide.
- Mais voyons, imbécile, on se serait occupée de votre quête juste après ! Givre va mourir si on ne fait rien tout de suite !
- Quand vous aurez achevé la quête de Givre, une autre empirera, c’est votre malédiction. Et je ne veux pas prendre le risque que ça soit la mienne. Alors Givre va mourir en effet. Ceci est du lichen blanc : il dissout le bois à grande vitesse. Je vais tuer l’Arbre de Vie, alors la quête de Givre n’aura plus de sens et vous devrez vous occuper de la mienne. »

Comme c’est un cas de conscience, l’arbitre propose non pas un lancer de dé mais un choix difficile : à ses yeux, la seule façon de sauver Givre est de tuer Colombe avec l’épée qu’elle leur a confié, avant qu’elle ne lâche l’amphore.

C’est une option radicale, mais elle permettra d’achever la quête de Givre sans plus de risque supplémentaire. Les marchebranches s’y refusent pourtant : ils ne veulent pas tuer Givre et ne veulent pas non plus encaisser la  moisissure que ce crime impliquerait. Il y a peut-être moyen de maîtriser Colombe sans lui faire du mal. L’arbitre acquiesce : c’est possible moyennant un lancer de dé. Mais attention ! En cas d’échec, l’Arbre de Vie va mourir, et Givre également. Cela fera donc une moisissure à encaisser pour chaque marchebranche, autrement dit la mise hors-jeu de tout le groupe. À son sens, cela revient au même si l’on tue plutôt Colombe. Mais les marchebranches veulent quand même tenter leur chance, en cas de réussite, personne ne meurt et personne n’encaisse de moisissure.
Brume jette une poterie à la tête de Colombe dans l’espoir de l’assommer, Basilic court rattraper l’amphore en pleine chute, et Lune utilise sa qualité de Force et sa capacité à « Combattre » qui en découle.

L’arbitre n’arrive pas à déterminer quel marchebranche coordonne vraiment l’action, il le demande donc aux joueuses, et c’est alors Lune qui se dévoue pour lancer le dé.

Trois marchebranches sont impliqués. Le seuil de réussite est donc de 3.

Lune lance le dé.

Et c’est un 2 !

C’est donc inférieur au seuil de réussite : les marchebranches l’emportent !

L’arbitre sait qu’il faudra bientôt appliquer les conséquences d’entre-deux-quêtes, mais cela lui semble plus approprié de conclure l’histoire de Givre d’abord. 

Alors que Colombe est maîtrisée, Givre s’attelle à sculpter l’Arbre de Vie. Mais à peine a-t-il commencé à modeler sa première épreuve en argile, qu’il est touché par la beauté naturelle de l’arbre, et comprend que la perfection est dans la nature, et non pas dans la reproduction qu’il en fera. Il s’abîme dans la contemplation de l’arbre, et celui-ci, comme animé de rayons invisibles, lui extirpe son lichen rouge.

Givre tend aux marchebranches une carte de tarot : « Vous l’avez bien mérité. Vous avez fait bien plus que de me sauver la vie. »

Il est temps pour l’arbitre de tirer en secret la situation dramatique associée à  la carte. Voici le résultat : « (L'Ermite) [Le déshonneur d'un être aimé / l’être aimé se livre à des activités répréhensibles.] L'être aimé va perdre dans la forêt celles et ceux qu'elle croit convoiter la personne de ses pensées. » Il faut aussi tirer la polarité : la carte est à l’envers.

L’arbitre décrit une carte couverte de mousse sur les bords, cette mousse représentant la forêt. Au centre, un vieux barbu à l’air sombre, il conduit comme un berger des petits personnages innocents vers la mousse.

Cette carte ne dit rien qui vaille. Mais les marchebranches en ont besoin ! Ils sont tous de niveau 0, donc personne n’est prioritaire pour la recevoir. Brume et Basilic proposent à Lune de la prendre : après tout, c’est elle qui leur a sauvé la mise. Lune accepte ce cadeau empoisonné.

Elle tire la carte et l’arbitre lui explique en quoi consiste son souvenir (puisque la carte est à l’envers, c’est son rôle) : Lune, jadis a aimé très fort une autre pie. Mais celle-ci était très populaire. Alors, Lune a perdu une à une les pies rivales dans la forêt.

C’est dur à encaisser, mais Lune estime qu’elle n’est plus aujourd’hui ce genre de personne.

Elle peut choisir une spécialité de niveau 1 associée à sa vocation. L’arbitre lui demande si elle conserve la vocation « voyage ». Lune répond : « Oui, et je vais choisir la spécialité sens de l’orientation. Désormais, je ne perdrai plus les gens dans la forêt : je les guiderai. »

Lune peut se choisir un compagnon-lié et un objet-lié. Le compagnon-lié, ce sera Givre, maintenant qu’il est radicalement changé. Et l’objet-lié… un peu de lichen blanc dans une poterie. On ne sait jamais...

Il reste à statuer sur le sort de Colombe. Les marchebranches la feront sa fichue quête, ce n’est pas pour ses beaux yeux, mais pour empêcher des futurs sacrifices.

Il faut cependant d’abord repasser par Port-Têtard, chemin obligé pour repartir vers le repère des voix dans le vide.

Une fois qu’ils sont revenus au village, l’arbitre tire un jugement : [un figurant enquête sur les marchebranches.] En l’occurence, c’est Rosée, qu’on a chargée de les harasser de questions : on se demande s’ils ne sont pas responsables de l’épidémie de lichen rouge.

Il va falloir détromper la bûcheronne, mais avant c’est l’heure d’annoncer l’aggravation d’une quête :

Ce n’est pas celle de Colombe, comme cette dernière le craignait. En effet, un  enfant annonce aux marchebranches que, lassée d’attendre leur intervention, Fondrière est partie seule dans la forêt retrouver ses parents. À ses risques et périls !

Alors que les marchebranches se remettent à peine de toutes ces émotions, une nouvelle personne les aborde : elle a une quête à leur confier...
 
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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LE VISAGE SOUS UN SAC PLASTIQUE

La quête absurde qu’un dieu fait endurer à un homme… pour un simple nom. Un récit par Damien Lagauzère

(temps de lecture : 1/2 H)

Joué le 02/03/2019

Le jeu principal de cette séance : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux.  

Salut, voici donc mon dernier Bois-Saule. les parties "rituel" ont été joué avec The Name of God et les parties sur les Antigens avec Zombie dice ^^

Image
Apionid, cc-by-nc-nd, sur flickr


L'histoire :

    Ma vie n'est qu'une longue errance à travers la forêt. Des fois, je reste seul pendant des mois. Des fois, je me joins à un groupe de nomades. Des fois, comme maintenant, je reste quelque temps au sein d'un groupe sédentaire. Ils s'appellent le Clan des Arbres. J'ai écouté les paroles de leurs sages et de leurs shamans. Ils connaissent le Dieu qui est en moi. Ils savent qu'il existe. Ils savent qu'il est un Dieu. Un petit Dieu mais un Dieu quand même. Ils m'ont expliqué par quel rituel je peux retrouver son nom. 

    « Je suis le Glitch !
    D'un seul coup d’œil, on voit que je suis différent, même si on ne peut pas dire pourquoi.
    L'Envie se cache en moi.
    Mais la Justice se cache elle aussi en moi.
    «Je suis le Glitch ! »

XxXxX

    Il n'existe pas de trace écrite de ce rituel. Aussi, j'ai pris en note ce que m'a raconté un des shamans du Clan des Arbres. NoAnde m'a expliqué qu'afin que soit révélé le nom du Dieu qui m'habite, je devais me rendre en trois lieux importants à Ses yeux. Une fois là, à trois états différents de la lune, je devais demander aux Yeux de la Forêt ce qu'ils attendaient de moi. NoAnde affirme que ce n'est que quand j'aurais accepté par trois fois, en trois lieux et en trois états de la lune de me soumettre à leur volonté que les Yeux de la Forêt me révéleront le nom du Glitch.
    Je dois donc me rendre en trois lieux consacrés. Le premier, quand la lune est pleine, est le Tombeau des Corso. Le second, quand la lune est absente, est la Capitale de la Douleur. Le troisième, quand la lune est rouge, est Celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps...

XxXxX

    Nous sommes le 20 Merdier,

« Mes enfants... 
Vous êtes nés pour porter le fardeau de la corruption sur votre visage. 
Et ils vous chassent ? 
Triste hommes. »

    J'en ai pour trois jours avant d'atteindre le Tombeau des Corso. NoAnde m'a raconté que cette famille était connue, et réputée, pour combattre les Horlas. On dit aussi que le fondateur de cette lignée, Tad Edes Corso était un ange aux ailes de bois et de sang. On raconte qu'il a traqué les Horlacanthes jusque dans leur monde de cauchemars. Et on dit aussi qu'il est mort en combattant le Titan-Millevaux, un avatar de Shub-Niggurath. Ce dernier point est peut-être vrai, puisque l'histoire dit qu'il en est mort.
    J'étais perdu dans mes pensées quand j'ai été surpris par une effroyable tempête. Impossible de continuer dans ces conditions. Pourtant, nous sommes encore le matin et je m'en voudrais de perdre une journée de marche. J'avance du mieux que je peux et finis par me réfugier dans ce qui semble être une usine abandonnée. 
    Je suis tiraillé par la soif. J'explore un peu cet endroit et découvre de larges cuves remplies d'eau. Pourtant, les racines qui s'y sont plongées ont des formes étranges, torturées. Je remarque alors que ces racines courent justement des cuves jusqu'aux murs. Là, certaines s'enfoncent dans la terre et d'autres grimpent jusqu'au plafond. Je prends du recul et observe les murs. J'ai l'impression que ces racines dessinent un motif. On dirait une toile d'araignée. J'ai un très mauvais pressentiment. Suis-je tombé dans le repaire d'une horrible créature ? Quel genre d'araignée pourrait tisser une toile de bois ? Quel est le rôle de cette eau dans tout ça ? 
    Toujours sur mes gardes, je réfléchis. Je tourne sur moi même à la recherche de quelqu'un ou quelque chose qui me surveillerait, qui serait prêt à me sauter dessus. Ce ne peut être une araignée qui a tissé cette toile puisqu'elle sort de l'eau. Ou alors, l'araignée aurait tissé sa toile qui aurait ensuite gagné l'eau par ses propres moyens ? Peut-être ? Mais je pense plutôt que cela vient de l'eau. C'est elle qui a inspiré ce motif aux racines. Et si c'était l'eau qui possédait quelques caractéristiques arachnides ? Peut-être une araignée mutante y est-elle morte ? Et si elle n'était pas morte ? La solution est au fond de ces cuves. 
    Je dois savoir car je dois être certain d'être en sécurité. Mais surtout je dois savoir car j'en ai Envie ! Cette Envie me ronge. C'est plus que de la curiosité. C'est plus que la simple nécessité de me mettre en sécurité. Je dois savoir parce que, peut-être, d'autres savent. Et si personne ne sait, alors je serai l'unique détenteur de ce savoir. Je dois savoir !
    Je m'approche de la cuve. Peut-être y a-t-il à l'intérieur le cadavre d'une araignée mutante ? Peut-être qu'un monstre ou même un Horla va se jeter sur moi ? Peut-être qu'autre chose est tapi dans l'ombre et attend de me noyer dans cette cuve ? Je dois percer ce mystère ! Je dois savoir ! 
    Cette eau, c'est l'enfer ! Ce sont les eaux du Léthé, ce sont les eaux de l'oubli ! Cette cuve est vide, désespérément vide ! Comme... ma... mémoire...
    NoAnde me l'a dit. Pour connaître le nom du Glitch, je dois m'adresser aux Yeux de la Forêt en trois lieux et en trois moment de lune. L'un de ces lieux est Celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps, mais, de quoi s'agit-il ? Je ne sais... plus...
    Moi qui croyais lever le voile sur un mystère, la Brume s'est invitée dans mon crâne ! L'oubli ! Je regarde en moi et je ne vois que le vide, le vide sidéral ! La nuit ! Et je comprends que ce vide, ce néant, n'est que mon reflet à la surface de cette eau stagnante dans cette cuve rouillée.
    Je me sens mal. Je suis en nage. Je songe un instant à me laver de cette sueur sous la pluie. Mais je remarque alors que la tempête s'est calmée. Le ciel est maintenant dégagé. Je vais pouvoir reprendre ma marche. Si je me dépêche, je devrais pouvoir rattraper mon retard. Et aussi, j'espère pouvoir creuser la distance qui me sépare des Antigens. Ils m'ont laissé en paix tant que j'étais au sein du Clan des Arbres mais, maintenant, je sais qu'ils sont de nouveau après moi. J'espère aussi qu'une fois au Tombeau des Corso, les Yeux de la Forêt voudront bien me rendre cette partie de ma mémoire dont j'ai besoin...

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous traque/traquons celui qui se fait appeler le Glitch.
Pourquoi ?
Je/Nous ne le sais/savons pas.
Je/Nous ai/avons faim.
Je/Nous ai/avons vu ces gentils gens.
Je/Nous cours/courons après la fille et le garçon.
La fille et le garçon s'enfuient.
Quelqu'un Me/Nous tire dessus.
Deux Antigens sont tombés.
La fille et le garçon s'enfuient.
Je/Nous arrête/arrêtons de courir.
Je/Nous veux/voulons le Glitch.
C'est lui mon/notre véritable but.
Pourquoi ?


XxXxX

    Nous sommes le 21 Merdier,

« Ce qui me dégoûte le plus ? 
Ces êtres qui s'accrochent à leur humanité comme un clochard à ses guenilles. »

    Je marche de nuit. J'ai dû rester caché une partie de la journée car j'ai cru déceler la présence des Antigens. Je ne veux pas qu'ils me mangent. J'ai faim. Je n'ai pas pu chasser et mes modestes provisions ne suffisent pas à apaiser cette faim qui me tiraille. Je marche de nuit, poussé par un vent violent. J'entends une série de claquements. Je m'approche et un rayon de lune éclaire une forêt de sac en plastiques accrochés à Dieu sait quelles ruines. Ce sont les sacs secoués par le vent que j'ai entendus. Je m'approche prudemment. Je regarde autour de moi. Je ne vois ni n'entends rien. Mais cela peut être un piège. Je regarde à l'intérieur d'un sac. Vide ! Qui les a mis là et pourquoi ? Je me laisse aller à rêver d'une communauté qui aurait vu là un moyen de récolter de l'eau de pluie. Ça aurait pu être ingénieux si, malgré la tempête d'hier, ces sacs n'étaient désespérément vides. Et ceux qui les ont installés, où sont-ils ? Qui sont-ils ? Sont-ils seulement toujours en vie ? 
    Je déambule, à la faveur du clair de lune, entre ces ruines et ces sacs en plastique. Je garde la tête basse. Je ne veux pas voir le ciel étoilé. J'ai peur d'y voir ce que j'ai vu, un jour, dans le miroir. Mon reflet. Pas celui de mon visage. Celui de mon âme. Le vide. Le néant. Les ténèbres piquetées d'étoiles. Je ne peux pas voir ce vide. Ne suis-je qu'une enveloppe vide pour le Glitch ? Sera-t-il toujours là quand j'aurais trouvé son nom ? J'espère qu'il ne va pas m'abandonner. Non ! Je suis sûr que non ! Tout changera quand je connaîtrais le nom du Glitch. Je ne serai plus vide. 
    Le crissement de mes pas dans les feuilles mortes me tirent de mes pensées. Je me fige soudain. Je garde la tête basse. Je sens quelque chose s'agiter sous la peau de mon visage. Le vent fouette les sacs en plastiques. Les claquements donnent le rythme des mouvements qui animent ma chair. Qu'advient-il de mon visage ? Je ne veux pas voir ça. Je veux savoir mais je ne veux pas voir !
    La Brume cache les mythes. Il n'y a aucune brume ici. Et il n'y a aucun mythe. 
    Les mouvements sous ma peau cessent. Je porte mes mains à mon visage. Quelque chose a changé. Je me saisis d'un sac plastique. Je l'enfile sur ma tête. Je perce deux trous au niveau des yeux. Un autre au niveau de la bouche et un dernier au niveau du nez. Comme ça, je peux regarder mon visage. 
    Le sac sent mauvais. Je me dégoûte. 

    Je fais quelques pas et m'endors finalement au pied d'un mur en ruine. Quand je me réveille, je me sens bien. Je touche mon visage à travers le sac en plastique. Je n'ai pas rêvé. Quelque chose a changé. Mais, ce matin, j'ai le sentiment que si mon visage est horrible, cela est plutôt bon signe. Si je m'éloigne de l'humain, c'est que je me rapproche du Glitch. Et si je me rapproche du Glitch...

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
La fille tire. Un Antigen tombe.
Les gentils gens montent dans un autocar.
Je/Nous monte/montons aussi dans l'autocar.
Je/Nous mange/mangeons un gentil gens.
Les autres gentils se tassent à l'autre bout de l'autocar.
Des coups de feu. Des Antigens tombent et n'auront plus faim.


XxXxX

    Nous sommes le 22 Merdier,

« Moi j'ai connu un loup ma foi, moi j'ai connu un loup ! 
Qui ne se nourrissait pas ! 
Qu'est devenu fou ! »
Chansons du Patriarche

    Dans la forêt, tous les arbres se ressemblent. Mais, quand on reste un moment au même endroit, on commence par voir que, comme tout le monde, les arbres sont tous différents. On apprend à les connaître, à le reconnaître. Ces arbres me disent quelque chose. Ils ne me parlent pas mais j'ai l'impression de les avoir déjà vus. Si nous nous sommes croisés, c'est que je suis déjà passé par ici. Est-ce à dire que je repasserais par-là ? Je ne sais pas. 
    La nuit est tombée. La pluie tombe elle aussi. Tout le monde est tombé, sauf moi. Moi, je continue à marcher. J'ai l'impression d'avoir pris du retard. Je veux absolument atteindre le Tombeau des Corso tant que la lune est telle qu'elle doit être. Pleine ! La pleine lune. Et je me rappelle du jour que nous sommes. Et je me rappelle la Chanson du Patriarche. Est-ce qu'un loup va me sauter dessus ? Tout est possible dans cette forêt hantée par les Horlas. Pour l'instant, j'ai réussi à semer les Antigens. Mais si un loup-garou doit me tomber dessus, comme tombe la pluie, comme est tombée la nuit...
    J'accélère le pas. Pas seulement pour arriver au plus vite mais aussi pour accélérer le cours de mes pensées. Pourquoi cet endroit me dit-il quelque chose ? Je suis déjà venu ici. C'est sûr ! Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi je ne m'en souviens pas ? Est-ce la volonté du Glitch ? Est-ce la malédiction de Millevaux ? Et si, par le passé, ici même, j'avais croisé la route d'un garou ? La Lyre réunit les amis et les amants mais, à moins que ce garou n'ait été mon ami, peut-être que la Lyre réunit aussi les ennemis...
    Ça me gratte sous le sac plastique. Ça fait mal. Je me gratte. Me gratter me soulage mais la sensation qui suit est horrible. Je regarde mes mains. Elles sont pleines de vers, de larves et d'asticots. Je hurle à la lune. Je hurle à la mort. Je me gratte jusqu'au sang, sans pour autant retirer le sac en plastique. Je n'ose pas l'enlever. Je ne veux pas savoir ce qu'il y en dessous. Je veux juste que ça s'arrête. Je pleure... des vers, de la vermine !
    Je tombe par terre. Je me recroqueville, sous la pluie. Je me gratte le visage, libérant des dizaines et des centaines de choses dégoûtantes. Et je me rappelle que...

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Deux gentils tombent. Un s'enfuit. Je/Nous lui cours/courons après.
C'était un piège. D'autres gentils gens surgissent, armés.
Mais Je/Nous suis/sommes fort et Je/Nous les mange/mangeons.
Des coups de feu ! Des gentils gens qui courent. Des Antigens qui mangent.
Des Antigens mangent. Des Antigens tombent. 
Je/Nous a/avons encore faim mais Je/Nous dois/devons partir.
La fille n'était pas parmi eux.


XxXxX

    Nous sommes le 23 Merdier,

« Ses voix font écho à sa multitude. 
Faites-le taire, par pitié, l'emprise afflue et je sens qu'il cherche à me corrompre. »

    Il fait encore jour quand j'arrive au Tombeau des Corso. Cela ne ressemble pas du tout à ce que je croyais. Je m'attendais à une sorte de mausolée à moitié en ruines, en granit recouvert de mousse. En fait, ça ressemble plus à un monument aux morts qu'à une tombe. Il y a là, au milieu de cette clairière, un crucifix. Mais point de bonhomme en pagne accroché là les bras en croix. Non, à la place, une paire d'ailes en bois et en plumes rouges. Des rumeurs disent que le tombeau a été construit avec les restes du fondateur de la lignée, celui qui serait mort en combattant le Titan-Millevaux. C'est peut-être vrai finalement.
    Cet endroit n'est pas riche dans le sens où il n'a pas été construit avec des marbres rares. Il n'est pas recouvert de statues raffinées et détaillées, elles-mêmes recouvertes de dorures. Cet endroit est riche car on sent encore l'influence du fondateur des Corso. On dit que c'était un ange, avant... Et c'est peut-être vrai. Cette croix et ces ailes, ils s'en dégage quelque chose. Une force. C'est à la fois apaisant et un peu effrayant. Je ne peux m'empêcher de penser que ce type était quelqu'un de bien. Je ne l'imagine pas parfait, au contraire, mais je l'imagine animé de bonnes intentions. Je l'imagine courageux. Je l'imagine torturé aussi. Je fais le tour du tombeau. C'est un lieu de passage, en témoigne ces colliers de fleurs, ces fruits qu'on a déposés là. Il y a aussi, dans de petites coupelles, des Billes et des Noix. Tout à l'air calme par ici. Je m'installe et attends la pleine lune.
    Un raclement me tire de mon sommeil sans rêve. La lune n'est pas encore tout à fait dégagée. Ce n'est pas le moment. Je tourne la tête en direction du bruit qui m'a réveillé. Une silhouette me tourne le dos. Je l'appelle. Elle se retourne. Cette chose est morte mais ce n'est pas un Antigen. C'est différent. Cet être est en parti desséché. Sa peau est grisâtre. Son corps est percé en divers endroits, notamment au niveau du visage par de petits champignons translucides. L'être lève un bras dans ma direction. Il ouvre la bouche mais son bras retombe aussitôt et sa bouche se referme sans qu'aucun son n’en soit sorti. Et elle avance vers moi ! Et je vois ce qu'elle a déposé au pied du Tombeau des Corso. Un cercueil !
    Je suis le Glitch. Je ferme les yeux et m'en remets aux Yeux de la Forêt. Que va-t-il se passer ?
    Quand j'ouvre les yeux, l'homme-champignon n'est plus là. Il ne reste plus que le cercueil. Je vais pour me relever mais bouger me fait mal au ventre. Je baisse la tête et voit une plaie béante. Il y a du sang. Beaucoup de sang. Je n'ai pas peur de mourir mais j'ai peur que cette chose m'ait infecté avec ses champignons. Paniqué, je fouille la plaie mais je me fais mal et je ne vois rien. Je ferme les yeux et demande aux Yeux de la Forêt ce que je dois faire pour être certain de ne pas me transformer en Glitch-champignon.
    Et les Yeux de la Forêt me disent de changer mes sentiments. Ils me demandent aussi de placer parfaitement un crâne sur un livre au pied du Tombeau.
    Changer mes sentiments ? J'ai peur. Alors je tente de me calmer. Je respire lentement. Malgré la douleur, je tente de rester calme. Je fais confiance aux Yeux de la Forêt. La douleur semble refluer à mesure que je m'apaise. Un crâne sur un livre maintenant. J'ai vu un vieux grimoire au pied du Tombeau. Sa couverture était en vieux cuir et, dessus, était représentée une Bouche ricanante. Mais où trouver un crâne ? Dans ce cercueil peut-être ?
    Je me lève. Je n'ai plus mal. Mes vêtements sont recouvert de sang. En vérité, je ne saurais dire si le sang coule toujours. Je ne suis même pas certain que la plaie se soit refermée. Je n'ose pas vérifier. Pas tout de suite. D'abord, le crâne sur le livre. Je soulève le couvercle du cercueil. À l'intérieur, une petite fille vêtue de blanc dévore le cadavre d'un vieil homme. De la chair pourrie recouvert de vermine pendouille entre ses dents. Elle me jette un regard tourmenté. Je comprends qu'elle ne se livre pas à de tels actes par plaisir ni par cruauté, mais uniquement par nécessité. Je tends les bras vers elle. Elle a un mouvement de recul mais je parviens à l'attraper. Maintenant, je dois la tuer. Là encore, je ferme les yeux et m'en remets aux Yeux de la Forêt. Quand je les ouvre, la petite fille est morte, elle aussi, et mes mains et mes bras sont recouverts de traces de morsures. Maintenant, je dois choisir. Quel crâne vais-je déposer sur le Grimoire de la Bouche ? Celui du vieil homme ou celui de la petite fille ? Va pour le vieil homme !
    Lui arracher la tête n'est pas trop difficile puisque sa gorge avait déjà été bien entamée par la petite fille. Je la pose délicatement sur le Grimoire et du sang coule jusqu'à la Bouche. J'ai l'impression qu'elle esquisse un sourire. Une voix aiguë s'élève. 

    « …C'est l'histoire d'une rivalité entre un homme et son double maléfique. L'un est tolérant, serviable et intelligent. L'autre est une ombre inexistante avec une carte tatouée sur le corps. L'un est musicien. L'autre s'est réveillé avec de la terre sous les ongles... »

    Alors, pourquoi ?, j'ai mis un coup de pied dans la tête. Je ne veux pas en savoir plus ! Je regarde mes mains. Bien sûr, j'ai de la terre sous les ongles. Et je pense à la Lyre. La Lyre qui réunit les amis et les amants. Qui était ce vieil homme ? Aurais-je dû choisir la petite fille ? Je ne sais pas. Mais les Yeux de la Forêt ont tenu parole. Je ne deviendrai pas un Glitch-champignon !

    La lune est haute et pleine maintenant. C'est le moment. Je m'approche du Tombeau des Corso. Je ne sais pas si je dois rester debout, m’asseoir ou poser un genou à terre. Ne sachant pas ce que les Yeux de la Forêt me réservent, je préfère rester debout et prêt à me défendre ou m'enfuir. Je ferme les yeux. Je baisse la tête et commence à réciter...

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant, pour montrer mes très belles entrailles, je vais rouvrir cette plaie !
    Je suis le Glitch ! »

    Joignant le geste à la parole, je serre les dents alors que mes doigts s'insèrent dans cette plaie à peine refermée. Je serre fort les yeux. Les Yeux de la Forêt se font entendre. 

    « Glitch, tu dois maintenant introduire l'oracle dans tes entrailles ! »

    Je ne suis pas sûr de comprendre. Mais je me saisis du Grimoire de la Bouche et l'enfonce dans mon ventre. Je sens alors mes chairs se refermer. Cela fait très très mal. Je voulais rester debout mais je tombe finalement à genoux devant le Tombeau des Corso. Je m'écroule sur le flanc et, avant de perdre connaissance, j'ai l'impression de voir la tête du vieil homme sourire.

    Il fait encore nuit quand je me réveille. Il règne une chaleur étouffante dans cette clairière. J'ai soif. Je soulève mes vêtements ensanglantés et regarde mon ventre. Il n'y a plus qu’une discrète cicatrice en forme de sourire. Je me sens étrangement bien. Je me lève. Je rassemble mes affaires et reprends ma route. Je devrais atteindre la Capitale de la Douleur d'ici quatre jours.

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous veux/voulons l'Homme Rouge !
L'Homme Rouge n'est pas seul. Des gentils gens le protègent et me/nous tue.
Mais Je/Nous les tue/tuons aussi.
Mais ils me/nous tuent plus.
L'Homme Rouge s'enfuit.


XxXxX

    Nous sommes le 24 Merdier,

« Les lunéas se nourrissent par photosynthèse. 
Encore une preuve que nous n'avons
plus notre place ici. »

    Je me sens mal. Un mal me ronge. Je ne sais pas quoi. Si ! C'est ce Livre, ce Grimoire à la Bouche qui me dévore de l'intérieur. Il me déchire les entrailles et remplit ses pages des maux de mes terreurs les plus viscérales. 
    La nuit est douce. Tout l'inverse de mon âme. L'infection naît dans mon estomac, gagne mon cerveau. Je sens le pus se répandre dans ma tête. Il réveille mes terreurs ; celles liées au vide de mon visage, ce néant rongé par la vermine.
    J'ai encore, ou à peine, trois jours pour atteindre la Capitale de la Douleur. Mais comment y parviendrais-je si je ne tiens plus debout, si je succombe à la folie ? La Capitale de Ma Douleur, c'est ici et maintenant !
    Je repense à ces mots : 

« …C'est l'histoire d'une rivalité entre un homme et son double maléfique. L'un est tolérant, serviable et intelligent. L'autre est une ombre inexistante avec une carte tatouée sur le corps. L'un est musicien. L'autre s'est réveillé avec de la terre sous les ongles... » 

    Réfléchir me détourne de la douleur. Qui est ce double ? Un musicien ? Je ne suis pas un musicien. Pourtant, la Lyre guide mes pas, vers les amis, les amants... vers mon double ? L'autre est une ombre... Et je suis aussi guidé par la Brume. Dans la Brume se cachent les mythes, dans l'ombre aussi. J'ai peur que ce double maléfique, ce soit moi. Mais je n'ai aucune carte tatouée sur le corps. Ou alors, ce serait mon reflet dans le miroir. Mon visage. Cette absence de visage. Ce vide constellé d'étoiles. La carte, ma carte, serait celle des étoiles ? Quel mauvais présage cela cache-t-il ? Je crois saisir. Shub-Niggurath et les autres Anciens n'ont accès à notre monde que quand les astres sont propices. Si mon visage est une carte du ciel étoilé, si la vermine sous le sac en plastique altère cette carte, peut-être qu'elle la redessine, la reconfigure, peut-être que le reflet de mon visage serait une carte du ciel lorsque les astres sont propices. Mais propices à quoi ? Est-ce que cet autre moi, ce musicien, en saurait davantage ? M'attend-il au bout de mon chemin ?
    Je voudrais dormir. Mais je ne peux pas. Pas avec cet énorme chat au pelage vert qui s'approche. Il est gros comme un poney ou un petit ours. Son poil est vert car il se nourrit entre autre de la lumière du soleil. C'est rare d'en voir la nuit d'ailleurs. Son flanc gauche est déchiré d'une sinistre bouche humaine arborant un non moins sinistre rictus. Est-ce qu'il s'en ira si je fais le mort ? Non, bien sûr. Je vais devoir me lever et faire face. Le faire fuir, voire le tuer, si je peux. Oui, je dois le tuer. Sinon, c'est lui qui me tuera. Et si ce n'est pas lui qui me tue, ce sera ce Livre qui me bouffe de l'intérieur. Je vais mourir, mais je ne veux pas. Alors, je vais me battre.
    Je me relève. Je regarde mes mains et il y a de la terre sous mes ongles. Je me sens mauvais. Et si je suis mauvais, je peux tuer. Je suis le Glitch. La magie qui anime le dieu qui m'habite va déchirer ce gros chat vert. Je dis :

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant je te montre mes mains couvertes de terre et je te montre mon ventre rongé par le Grimoire de la Bouche pour que tu vois mon épouvantable Moi !
    Fuis ou meurs !
    Je suis le Glitch ! »

    Le chat émet un long feulement. La bouche sur son flanc pousse un hurlement suraigu. Et la créature s'enfuit en courant. Je suis le Glitch !
    Je me rallonge par terre et je m'endors. Je me sens bien. Je suis serein. Et pourtant, dans mon ventre, le Grimoire de la Bouche noircit ses pages de prophéties concernant divers événements astronomiques à venir. Je ferme les yeux. Je m'en occuperai plus tard.

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
Je/Nous veux/voulons la fille !
Je/Nous veux/voulons l'Homme Rouge !
L'Homme Rouge court.
Le Bon Samaritain tue des Antigens.
Mais les Antigens tuent aussi des gentils gens.
Ce n'est que justice. Œil pour œil...
L'Homme Rouge court mais la fille est tombée.
Je/Nous mange/mangeons la fille.
Les Antigens mangent des gentils gens mais l'Homme Rouge court toujours.
L'Homme Rouge tire.
Des Antigens mangent.
D'autres meurent.


XxXxX

    Nous sommes le 25 Merdier,

« Assister à la naissance d'un Horla, c'est un peu comme jouir de sa propre mort.
C'est extrêmement déstabilisant... »

    Cette nuit, le vent souffle. Aussi je m'arrête et me mets à l'abri à l'intérieur de cette carcasse envahit par la végétation. Elle a des roues, beaucoup. Et elles sont très grandes. Plus grandes que moi. À quoi servait cet engin par le passé ? À l'intérieur, c'est grand. Un petit clan pourrait y vivre. Un petit clan y a peut-être vécu. Peut-être que quelqu'un ou quelque chose vit encore ici ?
    Et soudain, j'ai peur !
    Suis-je vraiment en sécurité ici ? Mais suis-je vraiment en sécurité dehors ? Quelque chose en moi, ce Livre ?, me dit que les Antigens sont de nouveau sur mes traces. Je dois atteindre au plus vite la Capitale de la Douleur. 
    J'ai un étrange pressentiment. J'ai l'impression de ne pas être seul. Quelque chose ou quelqu'un est là, avec moi. Ça m'observe. Je reste sur mes gardes. Le vent bruisse dans les branches des arbres. Le danger est partout. Je n'aurais pas dû entrer dans cette carcasse. J'aurais dû continuer à marcher. Et tant pis pour les Antigens !
    Ce n'est pas juste!
    Pourquoi ai-je été choisi par le Glitch ? Pourquoi dois-je endurer tout ça pour retrouver son nom ? Et si, vraiment, je suis lié à un double, pourquoi ce serait moi le double maléfique ? Ce n'est pas juste. Je ne suis pas mauvais ! Je ne suis pas si mauvais, hein ?
    Tous les shamans le disent. Ce sont leurs esprits totems qui les ont choisis et non l'inverse. Eux n'ont eu d'autre choix que d'accepter. En échange, ils bénéficient des pouvoirs du totems mais ils le payent d'une vie de souffrance. Est-ce mon destin ? Dois-je endurer toutes ces souffrances pour user des pouvoirs du Glitch, pour venir en aide aux autres ? Dois-je nécessairement souffrir pour aider. Est-ce juste que, pour rétablir la justice, je dois souffrir à ce point ?
    Peut-être ?
    Peut-être pas ?
    Nous sommes le 25 Merdier. Je me rappelle de l'historiette du jour. Je ne veux pas assister à la naissance d'un Horla. Je ne veux pas mourir. Et je ne veux pas en éprouver du plaisir. Je vis et je souffre. Voir un Horla naître serait comme mourir mais en ressentant du plaisir. Ce n'est pas logique ? Si ?
    Normalement, vivre devrait être synonyme de plaisir et la mort de souffrance. Est-ce la faute des Horlas si c'est l'inverse ?
    Que me réserve le Glitch ? Que me réservent les Horlas ? Que me réservent les Antigens ? Que me réserve cette forêt ?
    J'ai peur !
    Je les entends. Les Antigens ! Ils approchent !

XxXxX

Je/Nous sommes les Antigens. Je/Nous mange/mangeons les gentils gens !
La fille n'est plus. L'Homme Rouge court toujours.
Les gentils gens courent.
Des coups de feu !
Ô joie !
L'Homme Rouge tombe.
Je/Nous fonds/fondons sur lui et savoure/savourons sa chair, rouge.
La fille est tombée.
L'Homme Rouge est tombé.
13 cerveaux de 13 gentils gens.
Le Glitch, maintenant.
Il est proche. Je/Nous le sens/sentons.


XxXxX

    Nous sommes le 26 Merdier,

« Il a modelé une créature de sang et de fumée. 
Pour rappeler la chair à lui lors des jours d'ennui. »

    La météo est plutôt clémente aujourd'hui. Et pourtant, je suis sous terre. J'erre depuis des heures dans ce labyrinthe. Ce n'est pas qu'un réseau de souterrains. Ce ne sont pas de simples couloirs. Je le sais ! Il y a ici un autre secret car le plan, ce plan que je dois percer, est un reflet. Un reflet de mon cerveau ! De mon âme ! Je me suis enfoui sous terre pour semer les Antigens. Mais je veux aussi me semer moi-même. Me semer... Me perdre ou me planter... pour pousser, germer, arriver à maturité ?
    Dehors, il fait jour et il fait beau. Ici, il fait noir et les murs suintent une humidité maladive. Je me cogne contre les murs. Sous le sac plastique, je me gratte le visage et je sens les larves grouiller. Non ! Ce ne sont plus des larves. Ce sont des mouches qui cherchent à fuir le sac. Mais que vais-je devenir si les mouches s'en vont ? Que va devenir mon visage ? Je ne veux pas revoir ce vide !
    Je me mets à courir. Vers je ne sais où. Vers la folie ! C'est cela qui m'attend. La folie et la mort. Je n'atteindrai jamais la Capitale de la Douleur. Je ne trouverai jamais le nom du Glitch et je vais mourir dévoré par les Antigens. Je ne trouverai jamais celui dont je suis le double maléfique et je ne pourrai jamais lui dire que je ne veux pas être maléfique ! Je ne veux pas être sombre. Je veux de la lumière !
    L'air ici est saturé d’Égrégore. Est-ce cela qui a fait apparaître ces mouches sous le sac en plastique ? Peut-être... Sûrement !
    La Brume qui cache les mythes. Je veux lever la Brume qui court dans ces souterrains. Je veux que la lumière rentre ici. Je veux percer le mystère de ce lieu !
    J'arrive devant une porte étanche. Je touche le volant. La rouille fait qu'il est difficile de le faire tourner. Mais, en forçant un peu, c'est possible. Pourtant, je renonce. Je préfère me saisir du sac en plastique et le jeter au sol. Je sens les mouches autour de ma tête. Elles restent là. Elles ne me quittent pas. Quelque part, ça me rassure. Ça me suffit. Peu importe finalement ce qu'il y a derrière cette porte. Je fais demi tour...
    J'avais peur qu'il se soit mis à pleuvoir mais non. Il fait toujours bon. J'avais peur que les mouches s'enfuient mais non. J'avais peur que les Antigens m'attendent mais non. Je m'asseois contre un arbre. Je reste convaincu que ce qu'il y a derrière cette porte était saturé d’Égrégore et m'aurait transformé. Mais est-ce que cela aurait été mieux que ces mouches ? Je ne sais pas. Je me sens bien.

    Une voix de femme me tire des mes pensées. Elle ne s'adresse pas à moi mais j'entends :

    « … la Capitale... de la Douleur... »

    Je me relève à toute vitesse. Il n'y a personne. Mais je suis certain d'avoir bien entendu. D'où venait cette voix ? La Capitale de la Douleur, c'est par là !

XxXxX

    Nous sommes le 27 Merdier,

« Un jour, j'ai trouvé un corps dans un ravin. 
Je n'aurais sûrement pas eu si peur, si cela n'avait pas été le mien. »

    Il fait nuit quand j'arrive en ce lieu étrange. On dirait une cathédrale en ruine. Ou un temple. Un très ancien temple. Seules ces colonnes en os blanchis et légèrement arrondis tiennent encore. Le clair de lune leur donne un reflet bizarre. Mais c'est beau. 
    J'erre en ce lieu, certain d'y rencontrer cette femme. Celle dont j'ai entendu la voix hier. Elle m'a attiré jusqu'ici. Elle m'a guidé. J'y suis, c'est ici. La Capitale de la Douleur. Mais ce n'est pas encore tout à fait le bon moment. La lune n'est pas parfaite. 
    Ce lieu m'est familier. Je ne sais pas pourquoi. En fait, je me demande si, quelque part, je n'ai pas envie qu'il me soit familier. J'ai envie de connaître ce lieu. J'ai envie d'être déjà venu. J'ai envie de connaître cette femme. Et si elle était ce double, cette amie, cette amante vers laquelle me pousse la Lyre ? Moi qui, hier, ne voulait plus être le double maléfique, comment pourrais-je rejeter ce fardeau sur elle ?
    Cet endroit est beaucoup plus grand que je ne le pensais. S'il n'a fallu que le squelette d'un seul animal pour le construire, il devait être gigantesque. Et s'il en a fallu plusieurs... ils devaient être gigantesques aussi. Il y a des dessins, des symboles, gravés sur ces os, jusqu'à hauteur d'homme. Mais de grands hommes tout de même. Plus grands que moi. Sont-ce eux qui ont chassé ces animaux pour construire cet endroit ? Et pourquoi ce nom ? Mais peut-être qu'ils lui en avaient donné un autre ? Et qui lui a donné celui-là alors ? Qui a baptisé cet endroit la Capitale de la Douleur ? Et pourquoi ? On a souffert ici. À l'évidence... Pourtant, je ne vois nulle trace de sang. Peut-être que si je cherchais mieux...
    En réalité, je ferais mieux de me chercher à manger. Et la chance me sourit. C'est une belle perdrix qui me remplira l'estomac ce soir.
    Je pensais trouver cette femme ici. Peut-être sera-t-elle là demain, pour le Rituel. Peut-être que demain j'aurais des réponses à mes questions sur ce lieux. Mais ce soir, je renonce à savoir. Je veux seulement profiter de ce bon repas. 
    Et une voix, de femme, se fait entendre :

    « … la Capitale... de la Douleur... »

    Et j'ai l'impression de chuter de très, très haut...

XxXxX

    Nous sommes le 28 Merdier,

« D'habitude je n'aime pas trop les blonds. 
Mais il faut dire que j'avais vraiment très faim. »

    Je me réveille en sursaut. C'est trop bizarre, cette sensation. Je n'ai pas vu le temps filer. La voix de cette femme. Puis, plus rien. Et de nouveau cet endroit, ces colonnes en os géants ! Je cherche la femme du regard. Je la vois !
    Elle court vers moi. Elle est poursuivie par les Antigens. Je veux courir vers elle, pour la protéger. Mais une force m'en empêche et j'assiste, impuissant, à sa mise à mort.

    « … la Capitale... de la Douleur... »

    Et à sa voix se superpose une autre...

La fille est tombée.
L'Homme Rouge est tombé.
13 cerveaux de 13 gentils gens.
Le Glitch, maintenant.


    Ils sont là ! Les Antigens ! Ce lieu va-t-il devenir la Capitale de MA Douleur ? Je ferme les yeux et je dis :

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant je m'ouvre les entrailles !
    Je révèle le Grimoire et mon épouvantable Moi !
    Je suis le Glitch ! »

    J'ouvre les yeux. Les Antigens gisent au sol. On dirait qu'ils se sont entre-dévorés. Je ne comprends pas ce qui s'est passé. Mais je ne suis pas mort. Les mouches volent toujours autour de mon visage et brouillent ma vision. Je cherche le corps de cette femme. Elle est là et... je la reconnais ! C'est elle ! J'en suis sûr ! Mon double lumineux. Et les Antigens l'ont mangée.

    La Capitale de Ma Douleur...

    Les mouches font du bruit autour de ma tête. Elles m'empêchent de me concentrer. Pourtant, la lune est telle qu'elle doit être, absente. Je dois accomplir le Rituel. Je ferme les yeux. La voix des Yeux de la Forêt couvre celle des mouches.

    « Utilises l'Athanor. Jettes-y le vestige. Crées un dysfonctionnement. La dysfonction est ta fonction. Et obtiens le fantôme...
    …
    Glitch ! Ton sang dans l'Athanor ! »

    Les Yeux de la Forêt se taisent. J'ouvre les yeux. Les mouches volent bruyamment autour de ma tête. L'Athanor, où est-il ? Je sais. Cette sorte de case en plaques d'os, hier j'ai eu peur de m'en approcher. Je n'ai même pas voulu la voir. Là est l'Athanor. Un vent soudain me pousse dans cette direction. C'est un vent chargé d’Égrégore. Heureusement, les Yeux de la Forêt et les mouches, aussi, me protègent.
    À l'intérieur, il règne une lumière apaisante. Elle provient de l'Athanor lui-même mais aussi de plusieurs bougies disposées ça et là sur des meubles en ossements ou à même le sol. Je ne sais pas qui a allumé ces bougies, ni qui a allumé l'Athanor. Je ne sais pas si les Antigens vont revenir. Et, pour l'instant, je m'en moque. Je me plie à la volonté des Yeux de la Forêt. J'ouvre la plaie zébrant mon ventre. Les mouches font un peu plus de bruit. Je plonge mes mains dans mes entrailles et en ressort le Grimoire. La Bouche ne sourit plus. Elle a l'air... triste. Pourtant, elle est recouverte de sang, mon sang. Et je jette le Grimoire dans le feu.

    Et l'Athanor explose ! Et je me retrouve projeté en l'air. Je heurte le plafond. Je retombe durement au sol. Les Yeux ? Les Yeux ? Que dois-je faire ? Je brûle !

    Quand je reprends connaissance, la première chose que j'entends, ce sont les mouches. La première chose que je vois, ce sont mes mains... brûlées ! Horriblement brûlées. Je les porte à mon visage et je sais. Je suis défiguré ! Puis, je réalise. Mes mains sont devenues rouges. Mon visage doit être rouge lui aussi. Je me souviens des paroles des Antigens.

La fille est tombée.
L'Homme Rouge est tombé.
13 cerveaux de 13 gentils gens.
Le Glitch, maintenant.

    Et si l'Homme Rouge, c'était moi ? Alors ça veut dire que je suis déjà mort depuis longtemps. Alors ça veut dire que je suis un fantôme. Est-ce cela qu'ont voulu me dire les Yeux de la Forêt ? « Obtiens le fantôme ! »
    Ce n'est pas juste ! Je voulais trouver le nom du Glitch pour faire de grandes choses, pour changer le monde. Je voulais trouver mon double lumineux pour me décharger de l'ombre et être, moi aussi, un être lumineux. Je voulais être le Glitch. Je voulais être un Dieu ! Et je suis un monstre ! Et je suis mort...

    Pourtant, je dois accomplir un troisième Rituel. Quand la lune sera rouge, mais je vois rouge maintenant. Tout est rouge ! Mais où, où est celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps...

    J'ai faim. Je croque un bout de mon avant-bras. À point...

XxXxX

    Nous sommes le 29 Merdier,

« Il gardait une trace d'eux, pour les maintenir en vie. 
Littéralement. »

    J'avance de nuit car le soleil me brûle. J'ai mal. Cette nuit, il pleut et ça me soulage, un peu. Et cela apaise ma soif aussi, un peu. Je suis fatigué. Je devrais m'arrêter, me reposer. Il y a de la lumière au loin. Je m'approche. C'est une maison. Pas une chaumière de bric et de broc. Une vraie maison, comme on en fabriquait avant. J'approche prudemment. Il y a des gens dedans. Je les vois, souriants, attablés. Ils ont à manger. Tout a l'air si propre là-dedans. Moi aussi, je veux de cette bonne nourriture. Moi aussi, je veux être propre.
    Je m'avance dans cette clairière et à mesure que j'approche de cette maison, ses murs se recouvrent de lianes grimpantes. Je me fige. Et les lianes stoppent leur progression. J'avance. Elles aussi. Elles pointent vers moi. Je sens leur hostilité. Elles gardent cette maison. Mais je veux manger et me laver. Je suis le Glitch ! Et je veux prendre une douche !
    Je suis brûlé. Je suis même peut-être mort. Et si je pouvais brûler ces lianes ? Les pouvoirs du Glitch me le permettent-ils ? Les Yeux de la Forêt l'autoriseront-ils ?
    Je suis le Glitch !
    Et les lianes flambent.
    Je rentre dans la maison. Mais elle n'est plus que ruines fumantes. Pourtant, je trouve à manger et je peux me laver. Les mouches qui m'entourent trouvent à manger elle aussi.

    J'en suis sûr maintenant. Je ne suis pas mort ! L'Homme Rouge est tombé sous les griffes des Antigens mais pourtant je ne suis pas mort. Comment ? Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais je suis vivant !

XxXxX

    Nous sommes le 1er Marche,

« Palétuviers, sentiers nénuphars, clairières de lentilles d'eau, murs de prêles et buttes de vase.
Le marais était une grande forêt saumâtre. »

    Il y a du vent aujourd'hui. Mais ce n'est finalement pas désagréable sur ma peau rongée, brûlée. J'erre sans trop savoir où mes pas me guident. Je cherche le dernier lieu pour le dernier Rituel mais je n'ai aucune idée de là où il peut se trouver. 
    « Celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps... » et je dois y être à la prochaine lune rouge. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai d'abord pensé que « Celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps... » était quelqu'un, peut-être moi-même d'ailleurs. Ce « Moi » que j'avais pas vu depuis que le Glitch m'avait choisi pour trouver son Nom. Mais, finalement, plus simplement, il s'agit peut-être plus simplement d'un lieu que je n'ai pas vu depuis si longtemps. 
    Et je repense à la Lyre qui réunit les amis et les amants. Où sont mes amis ? Ceux que je n'ai pas vu depuis si longtemps. Et qui sont-ils ? Je ne sais plus. J'erre seul depuis si longtemps. Mes seules vraies amies sont... mes pensées. 
    Et j'ai peur car je repense à cette fois où, dans le miroir, je n'ai vu que le vide. Mon crâne est-il vide ? Mes pensées ne sont-elles que du vide ? Ai-je tort de croire que je pense ? Je pense donc je suis, parait-il. Mais si mes pensées ne sont qu'illusion, mon sentiment d'être n'est qu'illusion aussi. 
    Et soudain, je regarde autour de moi. Une Brume recouvre le sol. Je suis maintenant dans des marais. L'air est chargé d’Égrégore. Je suis sur le terrain d'un Horla. J'ai peur. Il y a du bruit autour de moi. Quelque chose s'approche. La brume devient plus dense. Quelque chose me frôle. Je distingue une ombre dans la brume. C'est une de ces plantes carnivores énormes qu'on rencontre parfois. Elle passe à côté de moi sans m'accorder la moindre attention. Je n'existe pas pour elle. Mais alors, pour qui j'existe ? 
    J'étais pourtant certain d'être vivant ! Est-ce l'effet de la Brume ? Un des pouvoirs du Horla qui me donne cette impression de ne plus être. Est-ce un moyen de me tromper, de me piéger ? Pourquoi ne pas me dévorer tout simplement ? Peut-être que ce Horla se nourrit de mes pensées justement ? De mes peurs, de mes tourments ?
    Et je me rend compte que je suis immobile, les pieds dans la boue. Je tente de reprendre la maîtrise du cours de mes pensées et de mettre un pied devant l'autre. Je tente de me convaincre que je suis vivant. J'avance et la brume se dissipe. J'aperçois une série de petites bornes en pierre grossièrement taillée. Certaines sont coiffées de couronnes en écorces et branchages tressés. Je reconnais certains des symboles gravés sur ces bornes. Oui, j'ai bien traversé le territoire d'un Horla. Ceux qui vivent ici, ou qui vivaient ici, ont construit ces bornes pour en marquer les limites. Ils en ont fait un lieu sacré. Un lieu qui se distingue du profane. Un lieu où on n’entre pas. Mais je suis le Glitch. Ces distinctions ne me concernent pas, pas vraiment.
    « Celui que je n'ai pas vu depuis si longtemps... » Et si cet endroit était tout simplement le lieu d'où je viens ? Là où il y a des gens, pas des Antigens, des hommes et des femmes. Là où je ne suis pas seul avec mes pensées. Et si je rentrais chez moi ? Pas le chez moi d'où je viens, celui que j'ai oublié. Mais le chez moi qui est celui de tout homme, une communauté, un groupe, une famille, un clan. 
    Je dois retrouver le Clan des Arbres avant que la lune ne soit rouge !

XxXxX

    Nous sommes le 2 Marche,

« Je suis un nomade, je ne laisse pas de trace. Je vis au jour le jour. Demain, je serai peut-être mort.
Nul ne se souviendra de mon passage. »

    Demain... Mais peut-être que je serais mort dès aujourd'hui. Et nul ne se souviendra de mon passage. Ce serait dommage...
    J'ai marché toute la journée pour retrouver le Clan des Arbres. Pour retrouver des gens, des humains. Ceux que je n'ai pas vu depuis si longtemps. Mais, alors que la lune rouge apparaît, je suis seul. Désespérément seul. Il va pourtant falloir que j'interroge les Yeux de la Forêt, et ce même si je ne suis pas au bon endroit. Mais après tout, je n'ai aucune véritable idée de ce qu'est ce bon endroit. Et il est peut-être partout...
    Je me sens mal car je doute. Que va-t-il arriver si je ne trouve pas le nom du Glitch ? Et que va-t-il arriver si je le trouve ?
    Je suis seul.
    Je ferme les yeux.
    J'écoute les Yeux de la Forêt. Je dis :

    « Je suis le Glitch !
    Ici et maintenant, je m'assois dans la boue et je souris pour montrer qu'il y a du bon en moi !
    Je suis le Glitch ! »

    Et les Yeux de la Forêt disent :

    « Glitch ! Tu dois utiliser l'immobilité et sacrifier un compagnon ! 
    Glitch ! Tu dois accepter le destin de la fille... »

    Je crois que je comprends. Alors, je reste assis là, immobile. Je ne bouge plus. Je ne bougerai plus. Jamais. Je continues de sourire et accepte que la fille, mon double lumineux ?, soit morte. J'accepte aussi de ne plus jamais avoir de compagnon. Je vais rester là. Peut-être que d'autres viendront et me verront. Mais ils ne seront pas mes compagnons. Ils s’assoiront autour de moi. Ils parleront. Ils prieront. Ils feront des vœux. Mais ils ne seront pas mes compagnons. Mais je serai le leur. Je dis :

    « Je suis la Pierre !
    J'ai été fait par la force des Yeux de la Forêt.
    La permanence de la pensée est en moi.
    J'ai enduré un long voyage. J'ai croisé des Horlas, des monstres. J'ai été traqué par les Antigens. J'ai été brûlé...
    Je suis la Pierre.
    Ici et maintenant, pour assurer la stabilité et l'enracinement, je renonce...
    Je suis la Pierre ! »


Feuille de personnage :

Destin Fatal : Après une longue absence, des personnes se retrouvent. Elles croient se reconnaître mais il s'agit de souvenirs implantés ou d'identités usurpées.
La Chasse: Je suis traqué par ces Horlas qu'on appelle les Antigens. Moi, je chasse... mon nom, mon vrai nom, le nom du Glitch.
Une question et une Certitude : Que se passera-t-il quand j'aurai retrouvé mon nom, le nom du Glitch ? Je suis sûr que cela changera le monde !
Une Croyance : le Glitch est un Dieu. Pas un Créateur, pas un Ancien, mais un Dieu quand même. Et il est en moi.
Une vertu et un vice : la Justice mais aussi... l'Envie !
Un souvenir qui te hante : Un jour, j'ai vu mon reflet dans un miroir. Je n'y ai pas vu mon visage. J'ai vu les ténèbres, le vide, les étoiles. Les miroirs et les étoiles me font peur...
Ma quête : me rendre dans les Trois Lieux consacrés et y accomplir les rituels afin de découvrir le nom du Glitch.
Mes deux symboles : La Lyre qui réunit les amis et les amants. La Brume qui cache les mythes.
Ce qui m'accompagne : Je suis, pour l'heure, au sein d'une enclave réduite.


Commentaires de Thomas :


B. "Des fois, comme maintenant, je reste quelque temps au sein d'un groupe sédentaire. Ils s'appellent le Clan des Arbres" D'entrée de jeu, on s'inscrit dans la continuité des précédentes campagnes Millevaux, là où Nihill marquait un break.

C. Jouer les voyages entre les lieux avec Bois-Saule, c'est malin.

D. "Pourtant, les racines qui s'y sont plongées ont des formes étranges, torturées. Je remarque alors que ces racines courent justement des cuves jusqu'aux murs. Là, certaines s'enfoncent dans la terre et d'autres grimpent jusqu'au plafond. " D'emblée, on est sur du décor résolument forestier, contrairement à ton habitude. On sent bien là l'effet Bois-Saule

E. "Les mouvements sous ma peau cessent. Je porte mes mains à mon visage. Quelque chose a changé. Je me saisis d'un sac plastique. Je l'enfile sur ma tête. Je perce deux trous au niveau des yeux. Un autre au niveau de la bouche et un dernier au niveau du nez. Comme ça, je peux regarder mon visage. " : J'adore l'image.

F. "Ça me gratte sous le sac plastique. Ça fait mal. Je me gratte. Me gratter me soulage mais la sensation qui suit est horrible. Je regarde mes mains. Elles sont pleines de vers, de larves et d'asticots. Je hurle à la lune. Je hurle à la mort. Je me gratte jusqu'au sang, sans pour autant retirer le sac en plastique. Je n'ose pas l'enlever. Je ne veux pas savoir ce qu'il y en dessous. Je veux juste que ça s'arrête. Je pleure... des vers, de la vermine !" : Je sais pas du tout si c'est la conséquence d'une procédure de Bois-Saule, mais à nouveau, l'image est forte :)

G. "Je soulève le couvercle du cercueil. À l'intérieur, une petite fille vêtue de blanc dévore le cadavre d'un vieil homme." Trop cool...

H. "Je devrais atteindre la Capitale de la Douleur d'ici quatre jours." Comment as-tu déterminé la durée des voyages ?

I. "Pas avec cet énorme chat au pelage vert qui s'approche. Il est gros comme un poney ou un petit ours. Son poil est vert car il se nourrit entre autre de la lumière du soleil. C'est rare d'en voir la nuit d'ailleurs. Son flanc gauche est déchiré d'une sinistre bouche humaine arborant un non moins sinistre rictus." Est-ce que c'est Herbodoudiab ?


Réponse de Damien :


B, le Clan des Arbres fait partie des éléments récurrents dans mes scenar. ces éléments n'aurant pas forcément toujours la même signification d'un scenar ou d'une campagne à l'autre mais ils seront là. ça inclut le Clan des Arbres, NoAnde, le Thanatrauma etc. 

C-c'était ce que je voulais tester justement: une partie de The Name of God mais Bois-Saule pour les trajets. 

D-oui, j'ai ce réflexe d'utiliser Millevaux comme un monde parallèle qui est avant tout une menace planant sur le nôtre. j'aime bien cette idée. mais j'aime bien aussi quand même jouer dedans parfois ^^ là, c'était l'occasion. dans mes récents Chtulhu, j'utilise Millevaux comme Contrée des Rêves notamment.

E-Merci, ça fait typiquement partie des trucs qui ne m'arrivent qu'en solo. pas prévu du tout. ça s'impose! 

F-franchement, je ne sais plus trop mais là aussi... ça s'est imposé ^^ 

G-oh, ça sent le tirage de cartes Muses et Oracles ou un truc dans le genre ça  

H-au D6 ^^ 

I-je ne sais pas si c'est lui mais... c'est un de la même espèce en tout cas ^^ le célèbre chat millevalien XD
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Message par Pikathulhu »

LA NUIT

Une nuit en bateau, cruciale. Une romance vénéneuse. La nuit comme beauté.

Le jeu : Le Témoignage, se confronter à un phénomène qui nous dépasse

(temps de lecture : 2 mn)

Joué le 17/06/17 lors de la Tournée Paris est Millevaux 5

Image
Rémy Saglier, cc-by-nc-nd


Choix de jeu :

Dans cette partie décidée sur le pouce, nous choisissons comme phénomène "une beauté" (je n'en avais encore jamais jouée) et plus exactement, cette beauté sera "la nuit".


L'histoire :

La lune flotte en morceaux sur l'océan.

Le capitaine est dans la cabine. Il ajuste les machines.

Il remonte les cordages. Rugosité sur ses mains.

La femme est sur le ponton, penchée sur la barrière, un verre de whisky à la main. Rousse. Elle lui fait signe de le rejoindre. Il fait très chaud. Elle n'arrive pas à dormir.

Rumeur des vagues.

Plus tard, la lune disparaîtra et laissera place aux étoiles.

Il l'enserre. Il évoque une nuit douloureuse, elle le reconnaît mais elle veut se souvenir des autres nuits.

"Tu te rappelles quand on s'est baignés dans la fontaine, et qu'on s'est fait prendre en chasse par une estafette de flics ?"

Ils ont plongé dans l'eau du port. Il la ressort de l'eau. Ils partent en bateau en abandonnant leurs copains.

La lune sombre. Arrivée des premières étoiles.

Les cris d'oiseaux de mer en chasse. Sentiment d'immensité.

"Tu partiras après cette nuit.
- Elle ne finira jamais."

Elle se dresse sur la pointe des pieds et l'embrasse.

Lumière rouge du fanal.

Comme dans un vaisseau spatial.

Elle le pousse sur le ponton mouillé.

Ils font l'amour.

"Tu ne partiras plus cette fois-ci.
- Est-ce que je te manquerai ?
- Oui.
- J'ai besoin que tu me manques." Air de vengeance

Hochement de la chaloupe.

Une personne tombe à l'eau.

Tous les deux dans le lit de la cabine. La nuit ne finira jamais.


Commentaires :

Durée : 1/2 H

Mise en place : J'ai choisi le phénomène (la nuit), l'autre joueur a choisi le contexte (le bateau)

Retour :

C'était sensoriel, sensuel. Les jetons n'ont pas été trop utilisés. Le jeu à deux s'avère puissant en termes de sensations. On a joué la nuit, avec juste la lumière de la rue, en parlant bas, ça a beaucoup aidé pour nous mettre dans l'ambiance.
Dans les dialogues, je ne me rappelle plus qui disait quoi, mais cela rend bien l'ambiance de profonde ambivalence qui régnait lors de cette partie.
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LES PETITES MISÈRES

Mille petites anecdotes et anicroches complètent le tableau d'une nouvelle menace qui se trame.

temps de lecture : 7 minutes

Joué / écrit le 07/01/2021

Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, u roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
    Carl Heinrich Bloch, domaine public

Contenu sensible : aucun


Passage précédent :

42. La semaine des morts
Quand le système de résolution nous réserve une méchante surprise... Il faut accepter son sort. (temps de lecture : 7 mn)


L'histoire :

Image
The Hunt, par Ulvesang, un dark folk tout de guitares sèches tendus, un voyage initiatique d’une grande majesté où dort une sombre menace. 

Le lendemain de ce désastre, le père Houillon en constatait un autre, cette fois dans son clocher. Plus un seul pigeon. Les corbeaux les avaient donc tous mangés. Il ne restait plus que ce merle qui avait appris à dire la messe :
"Et spiritus sanctiii... Crââ !
- Tais-toi, toi... Te prache pour rien do to !"


La Sœur Marie-des-Eaux, quant à lui, priait au pied de l'autel, dans la Chapelotte. Il arpentait les couloirs enténébrés de son château intérieur, une pétoche à la main, passant l'autre sur la suie des murs, respirant les volutes de poussières et d'anthracite, trébuchant dans les amas de branches au sol, frissonnant dans le froid de cette demeure oubliée depuis si longtemps. Il croyait entendre les rires de Raymond, son jeune frère disparu, s'il eût jamais existé.
Et ce rire se mua en ricanement, en couinement, alors que le novice s'extrayait de ces songes.
Sortant le groin du tabernacle, un porgrelet fit son apparition. La chose n'avaient que des globes couverts de peau translucides en guise d'yeux, et se traînait sur ses deux pattes avant, son arrière-train sans anus rempli de sa propre merdre. 
"Tu l'aimais bien, le Père Benoît, n'est-ce pas...
- Comment ose-tu, la peute bête-là que tu es !
- C'est notre maman truie qui m'envoie. Elle me fait te dire qu'Herqueuche est venue sur sa commande. On t'a pas oublié, et on va te faire de plus en plus mal."

Le novice ne pouvait pas en entendre davantage. Déjà, sous un réflexe incontrôlé, il avait planté son opinel dans le crâne mou de la bestiole. Il sentit une onde électrique, le choc mental, très limité par la taille de la créature et sa propre résistance de tueur, et puis un souvenir du porgrelet, sortant de la vulve de sa mère, couvert de mucus, heurtant ses frères et sœurs dans le matin puant de la vie.


Au presbytère, il y avait de la vaisselle dans le lavier. Dans un saladier, la bâbette mit de la farine, trois œufs, du lait, du sel. Elle prit une cuillère, tatouilla la pâte et y ajouta un gros bol de cerises. Ensuite, elle mit sur le feu la tourtière et la poêle. Elle jetta dans chaque ustensile un morceau de saindoux, versa quelques cuillerées de pâte, elle frisa au bord et se dora. Elle retourna les beignets, on les entendait griller. 

D'ordinaire, ce fumet faisait accourir le prêtre comme une mouche sur la bouse. Comme il ne venait pas, la Germinie Colnot en déduisit qu'il s'était absenté. Elle commença à fouiller les placards et l'ormoire : "Où est-ce que tu les planques, tes objets mémoriels, nom de Vieux ?"

"Je peux vous aider ?"

C'était la Sœur Marie-des-Eaux. La sacristine devint encore plus rouge que les séquelles de l'ébouillantement le permettaient.


Si le père Houillon n'avait pas accueilli sous l'impulsion des effluves de beignets, c'est qu'il était occupé avec son monde. Depuis qu'il avait une bâbette, il se piquait de recevoir et ce jour-là, le Sybille Henriquet, le Nônô Elie et l'Onquin Mouchotte avaient répondus à l'invite. Le Sybille, parce qu'il ne savait pas dire non, et le Nônô Elie et l'Onquin Mouchotte parce qu'ils se détestaient trop pour laisser à l'autre l'opportunité de glaner seul des ragots.

Quand la Germinie Colnot leur apporta la chicorée, suivi du novice comme un garde suisse, le curé était en plein dans une de ses anecdotes dont il avait le secret :

Le plus sapré des enfants de chœur que j'ai pu avoir, ça a bien été le Nénesse. Celui-là, le bon Vieux lui ait jamais rentré dans la tête, il y avait trop de foin à l'intérieur. Une fois pendant la messe des Rogations, alors que l'église était bourrée à craquer, et que tout le monde chantait en chœur, oualà-t-y pas que mon Nénesse s'agite et fouille sous les bancs. Moi, je décide de le laisser faire, j'ai d'autres chats à fouetter, c'est quand même la messe la plus suivie de l'an, et donc je reprends d'une voix bien forte mon "Dominus vobiscum et cum spiritus deo". Et oualà-t-y pas que le Nénesse se tourne vers moi, la colère au visage, et me fait : « Chut ! » puis « T’érôs pas tant biscounet, j’érôs pris ène rète ! ». T’aurais pas tant biscoumé, j’aurais pris une souris !


Image
Void, par Wolvennest. 
Tout le maelström hypnotique de la totalité forestière est concentré dans cet album rituel entre psyché-drone mélodique et blackgaze ethéré.



C'est encore avec ces rires gras en tête que la Sœur Marie-des-Eaux reprit son sacerdoce, ce pour quoi il était venu et à quoi il avait tant sacrifié : l'exorcisme.

Dans la chaumière transie de froid, sous la surveillance de ses parents, un jeune homme entièrement nu, tremblant comme une feuille, en position foetale, le sexe étréci, statuaire. La peau constellée d'hématomes.

Le novice, avec à la main la Bible du Père Benoît, reprit : "Abjure-tu ta foi démoniaque ?
- Mais je comprends pas..."

Et la Sœur Marie-des-Eaux de le battre à nouveau avec la Bible, cadençant ses coups par des prières.


C'est en sortant de cette demeure de la Grande-Fosse, pris dans une sorte d'ivresse, entre sentiment du devoir accompli et montée du doute, qu'il croisa dans cette fin d'après-midi déjà devenue une nuit férale, la Sœur Robert, sortant de l'école, avec tout juste une gamine aux genoux cagneux à son bras.

"Vous n'avez pas d'autres enfants à l'école ?
- Ah, misère ! Sans Champo pour les amener et les reconduire à travers bois, j'ai eu ben dô maux ! J'ai essayé d'aller les chercher toutes seules, mais les parents n'ont pas voulu me les confier ! Je n'ai que la petite Georgette, qui est plus bête qu'une poule ! Quand on s'est quittés, je vous avait dit que je prendrai les choses en main. Mais le Vieux m'est témoin que c'est un échec total ! Le village va s'enfoncer dans l'ignorance et l'impiété ! Pensez, tous ces gamins qui sont à courir dans les chardons toute la journée ! "


Au village, l'ambiance chauffait à mesure que le temps se refroidissait et que la neige couvrait les sapins d'un épaisseur blanche. Alors que la Sœur Marie-des-Eaux repartait d'une visite à la Sœur Jacqueline et remontait vers le presbytère, l'Onquin Mouchotte, attablé au bar, lança à la cantonnade un "En oualà une chatte qui va aux r'gnaux !"

C'était finement joué parce que justement une minette passait par la fenêtre, et c'est ce qui lui épargna de se faire écraser le greugnot d'un coup de poing, le novice ne put que battre en retraite.

La Mélie Tieutieu le rejoignit dehors. 
"Je vois bien que vous êtes peu aise, ma sœur...
- Qu'est-ce qui lui prend à l'Onquin Mouchotte ? Qu'est-ce qu'il insinue...
- Ben j'suis pas sûr, mais comme qui dirait... Que le curé Houillon y jouerait avec votre culotte.
- Jésus-Cuit tout bouillant ! Il va m'entendre !
- Faites pas attention... Nous on jette nos ordures dans le ruisseau mais l'Onquin Mouchotte il a une bouche d’égoût, si vous voyez ce que je veux dire."


Il continua sa progression, emberlificoté dans les vignes vierges et les broussailles, défrichant les coulisses de son château intérieur. Il parvint dans ce boudoir où les moisissures dessinaient de nouveaux motifs sur les tapisseries. L'humidité avait laissé son odeur partout. Les fougères déployaient leurs ailes entre le pupitre et le fauteuil. Le Père Benoît l'y attendait, penché sur l'étude. C'était son premier sourire qui n'était pas de composition.
"Je n'en peux plus, mon père. À quoi bon se battre pour eux ?
- N'oublie pas, Marie. On peut chasser les démons des autres mais on ne viendra jamais à bout des nôtres."


La Sœur Marie-des-Eaux se réveilla à l'étroit dans un lit d'enfant. Des toiles d'araignées tendaient un voile au-dessus de sa tête. Le parquet était vermoulu jusqu'à la rupture, craqua sous ses pieds nus. Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait dans son château intérieur à son corps défendant. Il décida de poursuivre le rêve lucide. Il fouilla la malle d'où montaient des germes de pommes de terre, à la recherche d'objets mémoriels qui pourraient lui en dire plus long. 

Un daguerrotype usé jusqu'à la corde. Un homme et une femme, raides, mais ils se tiennent le bras, un signe d'affection. C'est écrit dessus à la main : "Avec tout notre amour. Père, mère."

Le novice avait la nausée. Des phosphènes dansaient sous ses yeux, se multipliaient et se ramifiaient comme des organismes vivants. Il fallait se réveiller ! Il se frappa le ventre et la poitrine, la douleur était présente, mais rien n'y faisait. Il se larda la main à coup d'opinel.


Quand il reprit ses esprits, il était dans la cuisine des Thiébaud. L'endroit était plus mal entretenu que jamais, ça schlinguait l'urine humaine et la crotte de chat, et les casserolles carbonisées s'accumulaient sur la cuisinière. Le temps de reconnaître leurs visages avachis, il tenta de comprendre ce qu'il était venu faire là. Oui, en savoir plus sur les cordes.

"Pouvez-vous me parler davantage de votre fils, Basile le cordelier ?
- Comment ça ? On n'a pas de fils !"

Il les regarda fixement, et la surprise céda à la révélation. Les deux pauvres vieux avaient perdu la mémoire.

Ils avaient été consommés.


Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1706
Total : 78633


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


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