[CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

S'ÉCHAPPER DE PARASITE

L’ambiance d’un Paris en guerre, pris d’assaut par les contre-révolutionnaires et les prussiques est mise en place avec le jeu S’échapper des Faubourgs, puis une bascule s’opère vers une cohorte de vieillards martyrisés par des enfants soldats à la solde des khmers avec le jeu Charogne. Suite de la campagne Mantra / Millevaux, un enregistrement par Claude Féry.

(temps de lecture : 6 mn)

Lire / télécharger le mp3

Le jeu N°1 : S'échapper des Faubourgs, par Thomas Munier, un cauchemar de poche dans une banlieue hallucinée

Le jeu N°2 : Charogne, un jeu de rôle Millevaux sous forme de parcours initiatique vers la décomposition, le désespoir et la mort. Par Claude Féry

Joué le 13/07/2019

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screenpunk, cc-by-nc, sur flickr


Episodes précédents de la campagne :

1. Ramasser la peau de leurs voix à l’ombre de leurs gestes.
Le prologue d’une campagne Millevaux Mantra Oniropunk jouée avec Sève et For the Queen ! Un enregistrement par Claude Féry.

2. Route du Kelp
La campagne multi-monde se poursuit avec une communauté d’enfants aux prises avec des désordres géographiques, climatiques et temporels, et une coalition de créatures insectoïdes. Un récit et un enregistrement par Claude Féry.

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Retours de Thomas après écoute :

A. J’aime beaucoup toutes les infos de contexte (gavroches pris entre les feux des versaillais et des prussiques) qui précèdent à la partie des faubourgs proprement dite.

B. La lumière enferme / l’obscurité libère : sympa d’en faire un double quartier avec d’un côté la Bastille et de l’autre les égoûts.

C. Contrairement à ce que tu dis, on peut faire deux fois la même action, à condition de se reposer entre deux pour redéplier le pétale.

D. Mathieu n’aurait pas pu tuer la nuée de rats : il eut fallu au préalable que le passage ait été décrit, puisqu’il y ait décrit sa personne, puis qu’il ait déplacé sa personne jusqu’à la nuée de rats pour la tuer lui-même et non par l’entremise de l’araignée.

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E. Le jeu est l’occasion pour ta table de se partager la narration et ils s’avèrent à l’aise.

F. Contrairement à ce que tu dis, on ne doit pas placer le monstre sur un quartier pointé par la double flèche : on peut le placer sur n’importe quel quartier déjà décrit.

G. J’aime beaucoup l’expression « la plaine s’étend à perte de vue, à perte de mémoire. »

H. Le discours de Saloth Sâr rappelle le mélange des lieux et des époques

I. La tyrannie des enfants soldats fanatisés fait froid dans le dos.

J. Au final, S’échapper des Faubourgs aura surtout servi à camper un décor… Qui sera peut-être exploré une autre fois, après cette bascule dans l’enfer des khmers rouges.

K. J’aime beaucoup l'image de l’arbre-vieillard étayé.

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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

QUAND LES CHARRUES POUSSERONT DANS LES ARBRES

Trafic de confessions, fricot au ragondin, danse folklorique et vertige logique, voici le menu de l'épisode du jour !

(temps de lecture : 7 minutes)

Joué / écrit le 14/01/2021

Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

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photo : Denis Duchêne

Contenu sensible : aucun


Passage précédent :

43. Les petites misères
Mille petites anecdotes et anicroches complètent le tableau d'une nouvelle menace qui se trame. (temps de lecture : 7 mn)


L'histoire :

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Dreams of the Sylvan Elves, par Arathgoth, un mélange entre dungeon synth et fantasy folk instrumental qui vous plongera au cœur de la forêt de la Lorien.

Sortie de sa gangue de sciure et d'écorce, une tête de chouette émergeait de la bûche sous les coups de burin. Le Sybille soupira. Aux Voivres, on lui demandait des buffets, des ormoires, des chaises. Mais il préférait les menuiseries plus artistiques, il voyait la vie cachée dans les troncs et rêvait de l'en extraire. Ses récentes confections meublaient son atelier comme la calugeotte d'un entasseur, et toutes portaient des ornements qu'on ne lui avait pas demandé. Au Nono Elie qui voulait une horloge toute simple, il avait rajouté des feuilles de vigne sans espoir de se les faire payer. Au Père Domange qui avait commandé des tabourets, il leur avait mis des sabots de faune.

"Tu as bien trouvé ce que je t'avais demandé ?". La voix aigre de la Sœur Marie-des-Eaux le sortit de sa réflexion.

"Oui, regarde. Il y a de l'huile de friture, un briquet. C'est le sabre que j'ai eu le plus de mal à trouver. J'ai dû négocier dur avec l'Onquin Mouchotte pour lui acheter son épée de grognard. Qu'est-ce que tu veux faire avec tout ça ?
- Çà vaut mieux pour toi que tu n'en saches pas trop."

Et il fourra les objets dans un habresac dont il ne se séparerait plus.


"Bénissez-moi mon père, car j'ai péché.
- Onquin Mouchotte, c'est encore vous ?
- Oui, mon père, j'en ai encore besoin...
- Vous abusez.
- C'est vous qui abusez ! Je suppose que cette fois-ci vous en voudrez deux louis d'or au lieu d'un ?"

Ses doigts glissèrent les pièces à travers le vantail. Le père Houillon toucha les ongles sales et mal taillés avec une répugnance que le contact de l'or apaisa vite.

"Par Jésus-Cuit, vous m'en faites faire de belles. Bon, voilà ce que je peux vous donner. C'est une confession de la Mélie Tieutieu. Elle est seule chez elle, tranquille, elle se prépare des poirottes avec de la soupe à la graisse et oualà-t-y pas que les Deprédurand toquent à sa porte. Ils rentrent comme ça des affouages et ils sont passés faire un peu le couaroye. Et oualà qu'ils s'installent, qu'ils prennent leurs aises et bientôt c'est la neutée qui vient des bois et on y voit plus goutte dans la maison, il faut allumer une chandelle. La Mélie Tieutieu elle sent bien qu'ils prennent racine et par politesse elle va devoir leur offrir à manger."

L'Onquin Mouchotte vivait cette revoyotte avec toute l'intensité possible. Il l'habitait littéralement. Assis dans la boîte à confesse, un genre de cercueil en plus confortable, il étendit d'abord les mains et tripota les Deprédurand et la Mélie Tieutieu. Il se lèva. S'appuyant sur sa canne, il se traîna jusqu'au dessus du founet et huma l'odeur de la soupe à la graisse, laissa toute l'essence du saindoux lui écluser les narines. Il prit une patate dans sa main, appréciant la chaleur de la chair molle comme un genou de premier communiant. Il respira toutes les odeurs, les transpirations d'aisselles, les robes gorgées d'effluves de graillon, le fumé de la cheminée.

Pour finir, il s'assit sur un siège laissé vacant et prit place au milieu des convives. Il toucha les cartes de belote lancées sur la table. Il poussa un soupir d'aise expulsé de sa vieille cage thoracique, et attendit la suite.

"La Mélie Tieutieu enrage. Elle a pas de viande à leur servir. Alors elle leur sert une tisane dont elle a le secret, et comme de bien entendu, ils partent tous en file indienne à cafourette. Mais elle est pas sûr d'en être débarassés, ils seraient bien fichus de revenir, avec leurs fins museaux en quête de repas gratuits. Alors, elle sort près du ruisseau avec son battoir à tapis, et là elle trouve ce qu'elle cherche. Y'a toujours un ragondin qui vient patauger dans le ru.
On dit qu'ils sont nuisibles, mais çui-là, il va me rendre un fier service, elle se dit.
Et paf ! Elle l'assomme avec son battoir à tapis. Bon, elle a dû lui donner quelques petits coups en fait, car c'est coriace, ces beusses-là.
Et oualà qu'elle revient à la cuisine par la porte de derrière, et zip elle le depèce comme un lapin et le fourre dans la cocotte !

Elle leur a fait bouffer du ragondin, la commère !"

Le curé Houillon se tordait de rire. De l'autre côté, l'Onquin Mouchotte, les papilles encore imprégnées de cette confession achetée, fit la remarque : "Oh, on s'habituerait au goût, ma foi."

"Bon, restons sérieux une minute. Vous me direz deux Pater et trois Ave, et vous me ferez vingt genuflexions.
- C'est ça. À la revoyotte !"

Quand les deux sortirent du lavoir, ce fut pour se retrouver nez à nez avec la Sœur Marie-des-Eaux. "Vous venez vous confesser ?", lui fit le prêtre, tout empourpré.

"Je ne faisais que passer, voir si tout allait bien.
- Je suis assez grand pour prendre soin de moi-même.
- C'est ce que nous verrons. Vous avez des richesses et celà peut faire des envieux."

L'Onquin Mouchotte partit avec un ricanement.


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Palingenesis, par Nebelung, du dark folk tout en mélancolie pour une ode à la nature aux accents de sanglots.

À l'Auberge du Pont des Fées, ça dansait la soyotte à tout rompre. Les mouvements hérités des bûcherons vosgiens tiraient fort sur les bras, et les sabots battaient les percussions sur le parquet. Y'avait tout ce que le village comptait d'hommes en chemises blanches, et de femmes aux sourires rougis dans leurs camisoles à dentelle et leurs châles à franges noires. Les tabliers et les gilets en peau de vache sautaient en rythme au son de l'épinette. On fêtait les derniers semis de céréales et tout le monde espérait que la neige tombe vite pour protéger les plants du gel.

Le Curé Houillon était bien sûr de la partie, et caché dans les derniers bancs, la Sœur Marie-des-Eaux qui ne le quittait plus d'une semelle, persuadé qu'il était la clé de l'affaire en cours. Il restait dans son coin, en faction, à s’offusquer de l’abondance de nourriture. La Bernadette servait de la choucroute, avec des pommes de terre en robe des champs cuites dans un gros pot de fonte inséré dans le fourneau à quatre pots, et accompagnées de bols de fromage blanc.

Avec, elle servit de l'alcool de foin empli de souvenirs amoureux.

"Çà me rappelle l'histoire de cette homme-là qui dit à sa femme qu'il aimait bien sa choucroute. Et bien, elle lui en a servi toute la semaine ! Et bien à la fin, il l'aimait pus tant que ça, la choucroute !"

Tout le monde riait de cette énième saillie et ceux qui n'avaient rien compris où y voyaient une allusion grivoise s'esclaffaient de plus belle.

On jouait à la manille, à la belote, à la bourre, au noir-valet. Le père Vauthier proposait le Nain Jaune, et si on se mêlait à une partie avec lui, on trouvait dans le jeu une impression d'étrangeté et de soufre qui laissait une drôle de nausée dans la tête. L'ivrogne se plaît, en battant les cartes, a rappeler le conte dont est tiré ce divertissement. Une histoire de nain hideux et jaloux qui sauve une jeune fille d'un horla et exige sa main en retour. Mais celle-ci ne veut pas. Elle veut épouser un beau chasseur. Le nain capture le chasseur, et il renouvelle ses exigences, sans quoi il tuera sa victime. La jeune fille est sur le point de céder, mais le nain manque de patience, et tue le chasseur. Sa promise tue le nain jaune, et se tue ensuite. Son corps et celui du chasseur deviennent des souches dont les racines sont éternellement entrelacées. Le Père Vauthier se goussait tout en racontant. Il est des histoires qui semblent trop présentes pour être supportables.

Puisqu'on en venait à raconter des histoires, l'abbé Houillon alla de sa confidence :

"Vous avez peut-être tous connu le Mondmond..."
On acquiesça par politesse, comme tout le monde était amnésique.
"Alors vous savez qu'il rangeait jamais ses outils agricoles. Il y en avait partout dans ses champs, et ça débordait dans les champs des voisins. Ça a fini par devenir une cause de nuisance publique, et quelques jeunes de la Grande Fosse, qui étaient bien costauds, imaginèrent une farce pour lui apprendre à prendre soin de ses affaires. Pendant la neutée, ils s'en viennent en grand nombre et préparent leur coup."

Les gens sont bouche bée, ils veulent savoir ce qui s'est passé, car tout le monde a oublié cette histoire, même le Mondmond qui est de la fête.

" Le lendemain, quand le Mondmond se réveille, oualà-t-y pas qu'il est tout ébaubi : ses engins ont disparu !
Il a dû fouiller partout pour les retrouver, une faux dans un fossé, une brouette dans une ouature, et caetara.
ça lui prend la journée avec ses bœufs de récupérer son matériel partout dans les Voivres. Mais il restait le bouquet final !

Il arrive sur la place du village, et demande aux jeunes s'ils ont pas vu sa charrue. 

Ben, lève les yeux, ils lui font. Ils avaient perché la charrue dans le chêne de la place du village !"

Et alors que tout le monde éclate de rire, la Sœur Marie-des-Eaux croit voir des planeurs noirs se poser sur la charrue.

Des corbeaux.


Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1700
Total : 80333


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article
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Message par Pikathulhu »

RÉÉCRIRE LE RÉEL

Dans la forêt post-apocalyptique, quand on est chamane nécromancien, traquer les tueurs en série n’a rien de simple ! Un récit par Damien Lagauzère.

(temps de lecture  : 24 mn) 

Le jeu : Psychomeurtre, les meilleurs des profilers contre les pires des serial killers

Image
Jason Spaceman, cc-by


Et voila donc mon petit Psychomeurtre à la sauce Millevaux et Don't Rest your Head
J'avoue, j'ai eu du bol aux D, ça aurait pu beaucoup plus mal se mettre. sur le plan technique, j'ai géré les jets d'investigation avec le talent de fatigue de don't rest (avec le risque de sombrer et de virer dans un cauchemar de Coelacanthes, mais ça n'a pas eu lieu) . et pour les cochages relevant du role play, je me suis créé un talent de folie consistant à "écrire" le réel. donc, si ce pouvoir fonctionne, il me donne la possibilité de valider mes hypothèses ^^ mais bon, avec Don't rest, il y a toujours le risque que ça tourne très mal. Mais j'ai vraiment eu du bol. Globalement j'ai eu pas mal de réussites et le Tourment n'a pas dominé tant que ça ou, en tout cas, pas quand ça m'aurait vraiment été défavorable ^^


À lire en écoutant :

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Basement Apes Vol.1, par Sunwatchers, la circularité psyché-jazz, la transe chamanique, le non-lieu cosmique


L’Histoire:

    On m'appelle le mHaze. Comme tous les shamans du Clan des Arbres, je dissimule mon visage derrière une cagoule de cuir surmontée de bois de cerf. 
    Mon nom n'est pas comme ceux des autres membres du Clan car je suis une « pièce rapportée ». C'est mon père adoptif NoAber, qui me l'a donné. Et NoAnde, le shaman qui m'enseigne, m'a dit qu'un jour je connaîtrai l'origine de ce nom. J'espère que NoAber vivra assez longtemps pour me révéler ce secret. Il va de plus en plus mal. Et j'ai de moins en moins de temps à lui consacrer.
    J'ai aussi de moins en moins de temps à consacrer à l'art des shamans. Aujourd'hui, toute mon attention est concentrée sur la recherche de la chose qui a tué ma compagne, Edes !
    NoAnde m'a donné son accord pour que ma route s'éloigne un temps de celle du Clan. Il sait qu'il ne s'agit pas d'un simple vengeance. Ce qui a tué Edes a déjà tué auparavant et tuera encore. Il faut que quelqu'un l'arrête. Et le temps m'est compté car, si comme je le pense, ce Horla est soumis à un cycle, je dois le trouver avant qu'il ne quitte notre monde. Mais de combien de temps dispose-je en réalité ? Je n'en sais rien.

    Nous sommes le 19 Vrillette,

« J'veux bien couper les arbres et mettre la charrue !
Mais avant le vendredi saint, la terre saigne, et après elle bouffe plantes et hommes. »

    Cela fait maintenant deux jours que j'ai quitté le Clan des Arbres. J'erre dans les bois, me fiant à ce que je crois, à ce que j'espère, être sa trace. Et je trouve une nouvelle victime. C'est un homme cette fois. Il a la peau rouge et une veste de bûcheron. Je sens encore sa transpiration. Il est mort il y a peu. Le monstre est-il encore dans les parages ?
    Le pauvre homme a été roué de coups. Il est couvert d'hématomes. Ses yeux et ses lèvres sont gonflées. Son nez écrasé saigne. Ses lèvres aussi. Je le palpe et constate que ses côtes sont cassées, enfoncées. Les os de ses bras et de ses jambes ont également été brisés à mains nues. Comme Edes...
    Je remarque également un impact au niveau du crâne. Il a été touché à la tête. Par un caillou peut-être ? Il faudrait que je le trouve. Je regarde autour de moi. La forêt offre bien des endroits où se cacher, où tendre un piège. Est-il possible que ce monstre ait attendu ici qu'une innocente victime passe par hasard ? Si mon hypothèse est juste et qu'il est soumis à un cycle, il va vouloir en finir avec sa tâche avant d'être contraint à rejoindre un autre monde. Aussi, il est probable qu'il connaisse cet endroit. Il sait qu'il y a du passage. D'une certaine façon, il est chez lui. Et il est fort probable qu'il ne soit pas loin ou qu'il compte revenir. Si c'est le cas, malgré l'éventuelle urgence due à l'achèvement de son cycle, il doit rester confiant. 

    À ce stade de mon enquête, je pense qu'il n'a peut-être pas forme humaine. Sinon, il ne prendrait pas la peine de se cacher ou d'attaquer à distance. Il pourrait approcher ses victimes et tenter de se faire passer pour un ami.
    Cette nouvelle victime a été tuée non loin du territoire du Clan des Arbres. Peut-être que ce Horla est lié d'une façon ou d'une autre à cet endroit. En tous cas, je pense qu'il le connaît bien.
    Ce rituel qu'il veut ou doit accomplir avant de quitter Millevaux suppose la mort de plusieurs personnes. Combien ? Il a certainement déjà tué avant. Et il est probable que la fréquence de ses crimes s'accélère s'il est loin du compte. Peut-être, d'ailleurs, que l'accomplissement de ce rituel lui permettrait de rester ici ?

    Je fouille les environs, à la recherche du caillou qui a servi à assommer le bûcheron. Ce faisant, je trouve aussi des empreintes de pas. Et elle confirme mon hypothèse. Ce Horla n'a pas figure humaine. Ces traces sont de taille humaine mais elles présentent d'étranges déformations, comme si les orteils s'étaient assemblés pour former des sabots de chair. Ne trouvant pas ce maudit caillou, je me concentre sur ses empreintes. Je ferme les yeux et demande, humblement, leur aide aux esprits de la Forêt. Je sens qu'ils me sourient. Cette chose n'est pas humaine mais se déplace comme un humain, sur ses deux pattes arrières.

    Je remercie les esprits pour leur aide. J'ai encore beaucoup de questions à leur poser mais je sais, par expérience, qu'il ne faut pas abuser de leur bonté. Je me rappelle les leçons de NoAnde à ce sujet. Les esprits ne sont pas là pour nous servir. C'est nous qui les servons. Et s'ils acceptent de répondre à nos requêtes, c'est uniquement parce que cela sert leurs intérêts. Ce que nous croyons être nos motivations, nos buts, sont en réalité les leurs...

    Je ne sors pas d'un rêve. Je voudrais sortir d'un rêve, un de ceux où les Esprits seraient venus me visiter et me dispenser leurs bons conseils. Mais, depuis la mort d'Edes, je ne dors plus. Est-ce la vengeance qui me tient éveillé ? La douleur ? 
    J'ai attendu longtemps, assis à côté du cadavre de ce bûcheron. Mais rien n'est venu. Ni le sommeil, ni l'illumination, ni le meurtrier... Rien, ni personne. Alors, après plusieurs heures passées à réfléchir, j'ai décidé de me lever.
    Mais ces heures n'ont pas été vaines. J'ai beaucoup réfléchi. Peut-être que je me trompe en pensant que c'est un Horla qui a tué Edes. Peut-être n'est-ce qu'un homme, un vilain estropié ? Ou un sorcier pensant servir une déité Horla ? En tous cas, peut-être que le tueur, quelle que soit sa nature, est malgré tout soumis à un cycle. Il y aura donc d'autres victimes. Mais cela veut aussi dire qu'il y en a eu d'autres avant ! Si je les trouve, j'aurais peut-être de nouveaux indices.
    Je m'approche d'un arbre, un Noyer. Je pose mes mains à plat contre le tronc. Je me rapproche encore. Je colle ma joue contre lui. Je ferme les yeux et cherche à entendre le battement de son cœur. A-t-il quelque chose à me dire concernant les autres victimes ? 

    Un flash ! 

    « Change de lieu ! Une chasse aux sorcières ! »

    Qu'est-ce que ça veut dire ? Je traquerais donc une sorcière ? Et elle serait ailleurs ?

    Bien, mais... Je veux en savoir plus sur les autres victimes. Alors ?
    Alors, oui ! Il y en a eu d'autres ? Je vois tout ces petits points luisant faiblement dans les ténèbres. Autant d'âmes perdues. Elles se répartissent dans l'espace et le temps, entre les mondes des vivants et des morts et des Esprits et du Rêve. Pour l'heure, il n'y aurait eu qu'un seul cycle. Celui-ci serait donc le premier mais il aurait commencé il y a longtemps. La fin n'est pas proche mais le rythme pourrait pourtant s’accélérer. 
    Mais pourquoi ? Que veut cette sorcière ? Puisqu'il semble bien qu'il s'agisse d'une sorcière. L'Esprit du Noyer, peut-il m'aider ? Je regarde dans ma besace et en tire trois noix.

    Et je suis soudain en nage ! Je ne sais pas ce qui m'arrive. Je m'accroche à cet arbre avec la terrible, l'horrible peur de tomber, de chuter de son sommet et de mourir écrasé au sol. Je ferme les yeux le plus fort que je peux. Je sens le frottement de l'air contre mon visage. Cette sensation de chute, de vertige est insoutenable. Je tombe à genoux ! J'ouvre les yeux et constate que je suis bel et bien tombé, oui, mais seulement du haut de ma personne. Quel avertissement les Arbres ont-ils voulu m'adresser ? Je m'examine. Malgré tout, j'ai réellement peur de m'être blessé. Mais je n'ai finalement qu'une vilaine bosse. Je la touche. Je la presse. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose dedans. Mais ce n'est qu'une impression, une sensation sans fondement car je suis si fatigué.
    Je ferme les yeux et je vois un astre se dessiner dans la nuit. Et j'ai le terrible pressentiment d'un effondrement à venir.

    Je regarde autour de moi. J'ai l'impression qu'on m'observe. Pourtant, je suis seul. Et je pense à mon père adoptif, NoAber. Il m'a recueilli quand j'étais enfant. Il m'a donné à manger, à boire. Il  m'a soigné et m'a donné mon nom. Je n'ai pas le même nom que les autres hommes du Clan des Arbres. NoAber voulait que je sache que je venais d'ailleurs. Mais il ne voulait pas que j'en souffre. Il voulait au contraire que j'en sois fier et que je fasse de mes origines une force, un don précieux pour le Clan. C'est aussi pour ça que j'ai choisi de devenir shaman. Je lui dois beaucoup. Je lui dois tout. Et ne devrais-je pas être à ses côtés aujourd'hui alors qu'à son tour il a besoin de moi ? 

    Inutile de rester ici. Les Arbres ont été clair quant à la nécessité de quitter cet endroit. Mais pour aller où ? Je sais qu'il y a eu d'autres victimes par le passé. Et il y en aura d'autres ! Je sais aussi qu'il est possible que ces meurtres ne soit pas le fait d'un Horla mais d'une sorcière aux pieds difformes. Mais peut-être change-t-elle d'apparence au moment de passer à l'acte ? 
    Je ne sais pas pourquoi elle agit ainsi. Elle obéit à un cycle, un cycle long. Mais son rythme n'est pas nécessairement régulier et tout pourrait s'accélérer, d'autant plus que j'ai eu cette vision de chute et d'effondrement. Et cet astre dans la nuit, quel est son rôle ?
    Tue-t-elle pour obéir à une puissance supérieure ? Pour s'attirer ses faveurs ? Est-elle seulement folle ? Comment le savoir ? Elle a tué Edes et cet homme en les rouant de coups mais... et si il y avait autre chose ? Je dois examiner les corps. Je soulève le corps du bûcheron et décide de rentrer. Là, je tenterai d'en savoir plus.

    C'est avec joie que je retrouve le Clan des Arbres, même si je ne suis pas parti si longtemps que ça. Je m’enquiers de l'état de santé de NoAber et constate que rien n'a changé. Je fais semblant d'être optimiste. 
    Je dépose ensuite le corps du bûcheron et explique mon plan à NoAnde. Cela me fait plaisir et me rassure que celui qui m'a tout appris de l'art des shamans du Clan des Arbres approuve ma quête et valide mes hypothèses. Ne voulant pas abuser de sa générosité, je n'ose pas lui demander de m'assister dans ce rituel de nécromancie. Mais je lui demande tout de même de bien vouloir veiller sur NoAber.
    Je prépare les corps, celui d'Edes et celui du bûcheron. Je les lave. Je les habille avec des vêtements propres. Je peins sur leurs visage, leurs mains et leurs pieds les symboles qui me permettront, par le truchement des Esprits, de lire en eux, de les faire parler. Je dois savoir précisément ce qu'on leur a fait. Une fois les corps préparés, je dessine le pentacle qui va les accueillir et dispose, aux points symboliques, des coupelles remplies d'encens, de pétales de fleurs, de bougies. Je n'ai pas dormi depuis des jours. J'espère que ma concentration ne va pas s'en ressentir. J'ai tellement besoin de savoir. 
    Je me concentre. Je gobe une poignée de noix. J'entonne le chant rituel en dansant autour du pentacle. Une fracture ! Dans la réalité ! La transe s'empare de moi. Je perds le contrôle. Les dessins, le pentacle, les corps ! Tout change de forme. L'espace autour de moi se redessine. Je suis entouré de symboles étranges que je ne comprends pas. Il y a pourtant un sens à cela. Quel est-il ? Je regarde le corps d'Edes. Il est tordu dans tous les sens. Lui aussi dessine de nouveaux symboles. Il semble vouloir me dire quelque chose. Edes veut me dire quelque chose. Mais quoi ? La bosse, celle que je me suis faite en me cognant dans la forêt, se met à pulser. Ce qu'il y a dedans, car il y a vraiment quelque chose dedans, veut sortir ! La transe s'est emparée de moi. Je suis en transe ! Je suis l'incarnation de la transe. La transe incarnée ! Et pourtant, il y a ce voile entre moi et la vérité, entre moi et ce que les corps tentent de me dire. Je dois déchirer ce voile et lire la réalité ! 
    Et d'un coup de tête, les bois fixés à ma cagoule écorchent, tailladent et balafrent le réel. Et derrière, je vois, non pas cette sorcière meurtrière, mais ses buts, ses objectifs. C'est une page blanche. Je prends un bout de charbon et j'écris.

    Cette sorcière veut s'attirer les faveurs d'une déité Horla. Elle accompli ces meurtres à des dates précises, selon un calendrier connu d'elle seule. Mais il y a une certaine logique derrière tout cela. Il y aura d'autres morts car la déité Horla est exigeante.

    Je lâche le bout de charbon. Je recule. Je regarde cette page de réel. Elle n'est plus blanche. Je lis là ce qui anime cette sorcière. C'est ça, elle tue pour s'attirer les faveurs d'une déité Horla. 
    Et je m'écroule au sol, agité de spasmes. Je sens quelque chose cogner à l'intérieur de cette bosse. Puis, ces mouvements se calment et s'arrêtent. Je me relève et me rue vers un miroir. Cette bosse a changé de forme. Elle ressemble maintenant à... un serpent qui se mord la queue ?

    J'ai besoin de repos. Je suis épuisé. Pourtant, impossible de dormir. Rêver me ferait du bien. Les Esprits pourraient venir me parler, me réconforter, purifier mon âme. Et pourtant, je ne dors pas.  Est-ce que cela veut dire que le repos de l'âme m'est interdit désormais ? À moins que je ne trouve le repos qu'avec la mort de cette sorcière ? J'ai pourtant besoin de me changer les idées. Mais j'ai toujours besoin d'apprendre. Alors, je rejoins NoAnde. Je lui raconte cette étrange expérience. Il me sourit et me dit qu'il n'a pas de réponse. Et s'il y en a vraiment une, elle appartient aux Esprits de la Forêt, aux Esprits des Arbres. Alors, il me raconte l'histoire de l'Esprit du Noyer et comment les Noix permettent de voyager entre les mondes. Il me raconte aussi la lutte contre les Cœlacanthes. J'aime écouter ses histoires. Elles sont toujours riches d'enseignements. NoAnde me jure qu'il n'a pas de réponse à mes questions concernant cette sorcière, mais ce n'est certainement pas par hasard qu'il me parle du Noyer et des Cœlacanthes.

    Je passe ma main sous ma cagoule. La bosse est toujours là, avec sa forme étrange. Dois-je y voir un message des Esprits ? Un serpent qui se mord la queue... Dois-je voir là qu'il s'agit bien d'un cycle, de quelque chose qui va se répéter ? Ou alors... est-ce que cela voudrait dire que je me dévore moi-même en me lançant dans cette quête, cette enquête ? 
    Ou... est-ce là une mise en garde ? Le cycle arriverait à son terme ? Dans ce cas, je ne dois pas perdre de temps. Mais dans quelle direction aller maintenant ? 
    Je pense que cette sorcière connaît bien les lieux. Dans ce cas, peut-être qu'elle fait partie de la communauté dont est issu le bûcheron dont j'ai trouvé le cadavre. Peut-être aussi qu'elle fait partie du Clan des Arbres. Mais, dans ce cas, je pense que je l'aurais remarqué. À moins que... qu'elle ne se cache particulièrement bien. Peut-être aussi qu'elle vit cachée dans la forêt.
    Et si je parvenais à entrer en communication avec elle par le biais du monde des Esprits ? Et si, l'espace d'un instant, je pouvais voir par ses yeux, entendre par ses oreilles ? Cela me donnerait une idée de là où elle se trouve.
    Après m'être assuré que mon père allait aussi bien que possible et donné des instructions pour qu'on prenne soin de sa santé, je retourne dans la forêt. Là, je trouve un Noyer. Je presse mes paumes et mon front contre son tronc. Je lui demande de m'aider. Je l'implore. J'ai conscience qu'il ne me doit rien, que c'est moi qui lui doit tout. Mais je dois savoir. Je dois trouver cette sorcière. Il ne s'agit pas seulement de venger la mort d'Edes. Il s'agit et surtout d'empêcher de nouveaux meurtres et d'empêcher la réalisation de ce rituel morbide. Ô Noyer, aide-moi !
    Et l'arbre m'aide. Je souris. J'y vois là sa volonté d'arrêter cette sorcière. Il sait que ces projets sont néfastes aux hommes comme aux Esprits. Et je vois...
    Un aigle ! Il tourne en rond dans le ciel. Elle a donc les yeux levés vers le ciel. Est-elle haruspice ? Interprète-t-elle les virevoltes de l'oiseau ? Je vois maintenant une porte. Elle regagne ce qui doit être sa chaumière. Oui ! Elle vit seule dans la forêt. À l'intérieur, elle regarde un cristal. Il est énorme et taillé de façon irrégulière. Elle le touche, le caresse. Elle lui parle. Elle parle de... ma bosse. Sait-elle que je suis sur sa trace ? Elle parle à celui ou ce qu'elle appelle « le Dragon ». Et ce cristal, chacune de ses faces est une fenêtre vers un ailleurs. Lequel regarde-t-elle ?
    Dans le cristal, un endroit étrange. Deux personnes sont reliées à une sorte de pompes qui leur injecte un produit semblant les plonger dans l'hébétude la plus totale. Quel lien avec le dragon ?
    Dans une autre facette, c'est une automobile, mais pas une carcasse comme on en trouve dans la forêt, une vraie, qui roule et qui... fond littéralement comme neige au soleil.
    Je préfère me retirer avant qu'elle ne se rende compte que je l'observe. 

    Elle vit donc là, seule, dans cette chaumière quelque part dans la forêt. Elle est finalement assez proche de nous. Elle sert celui qu'elle appelle « le Dragon ». Quelle sorte de monstre, de Horla ou de déité Horla cela peut-il bien être ? Et ce cristal ? 
    Mais surtout, où est cette chaumière ? Je dois la trouver ! Et soudain, je me demande si elle n'aurait pas des complices. Peut-être au sein du Clan des Arbres d'ailleurs ? Cette pensée me fait mal mais, malgré tout, je ne dois pas l'évacuer. Alors, je rentre...

    Nous somme maintenant le 23 Vrillette et je n'ai toujours pas dormi...

    « J'dirais pas qu'c'est mal de coucher avec sa mère.
Mais ce que ça retourne au niveau de la mémoire et de l'égrégore... 
Tu veux pas savoir. »

    C'est par ces mots que m'accueille NoAnde. Et il n'a rien d'autre à me dire... Comme souvent, c'est à moi de trouver le sens de tout cela. 
    La transgression. NoAnde me parle de transgression. Et il me dit que ce n'est pas mal mais qu'il faut en assumer les conséquences. Dois-je me livrer à une grande et grave transgression pour parvenir au terme de mon enquête ? Quelles en seront les conséquences ? Et, finalement, est-ce que je veux vraiment savoir qui a tué Edes ? Et pourquoi ? NoAnde veut-il me dire par-là que je dois aujourd'hui faire le choix entre poursuivre ma quête mais en assumer les conséquences ou bien faire mon deuil et reprendre ma place au sein du Clan des Arbres, en acceptant que le coupable de la mort d'Edes ne soit jamais puni ?
    Mais ce n'est pas qu'une histoire de vengeance. Cette sorcière tuera encore, au nom de ce Dragon. Je dois l'arrêter. Car, quelles seront les conséquences si je ne fais rien ? Les conséquences pour notre Clan seront peut-être bien pires que ce que j'aurais à supporter comme prix pour avoir tenté de l'arrêter ? L'heure est plus grave qu'il n'y paraît. Et elle est plus grave car, assurément, cette sorcière n'agit pas seule. J'en ai l'intime conviction, si elle ne le dirige pas, elle est au cœur d'une cabale qui tue au nom de ce Dragon. Alors, oui, j'irai jusqu'au bout quel qu'en soit le prix. Mais, pour ça, je vais avoir besoin de trouver ses complices. Et si je ne trouve pas d'indice, je tordrai la réalité pour qu'elle me les donne...

    Je m'installe au chevet de mon père. Lui, il dort paisiblement. Je sors une poignée de noix de ma besace.

    Et un voile, LE voile, se déchire. Là, sous mes yeux. Et je vois. Et ce que je vois m'emplit de terreur. Une terreur telle que je m'enfuis en hurlant. J'erre dans les bois en criant car je comprends que la réalité n'est pas... ce qu'on croit. Rien n'est vrai ! Tout est permis ! La réalité est une construction qui ne s'impose à nos sens que par ce que nous l'acceptons. Nous pensons, nous pauvres humains, que nous ne pouvons que nous plier à la réalité. Mais c'est faux ! C'est une illusion. C'est ce que la réalité veut nous faire croire. Mais en réalité, la réalité a peur de nous. Elle a peur de l'homme car l'homme peut la contraindre. Il y a des moyens. L'homme a eu les moyens. Il les a toujours eu. Mais il les a oubliés. La réalité a toujours œuvré à ce que l'homme oublie comment la soumettre, la réécrire. 
    Et soudain, je m'arrête de courir car je suis face à un trou noir. Il ne s'agit d'un véritable trou dans le sol. C'est un trou dans le réel. Dans ma conception du réel. Et là, je suis face à l'insondable tâche consistant à le remplir. Je dois créer ce réel pour qu'il ne demeure pas un trou noir qui va aspirer tout le reste de la création. Ce que je créerai pour combler ce trou deviendra la réalité et je devrai l'assumer, je devrai assumer le contenu de la réalité. Je dois prendre et assumer cette responsabilité de créer le réel car, j'ai besoin de connaître les complices de cette sorcière si je veux l'arrêter. Alors, je vais les fabriquer et je vais les traquer. Et quand je les aurais trouvé, ils me mèneront à elle et j'en finirai avec le Dragon !

    Je ne suis pas animé par la vengeance mais ceux que je cherche le sont. NonUnd, un chasseur à l'arc au sein du Clan des Arbres, était jaloux. Il convoitait Edes et nous ne le savions pas. C'est pour ça qu'il l'a désignée comme victime. Je le connaissais comme un homme prétentieux et inconséquent. Je ne pensais pas qu'il pourrait commercer avec le Mal. Et pourtant ! Et EzBaina,ce jeune qu'on aime à appeler « l'Ermite » en raison de son goût pour la solitude. Il est son complice, lui aussi. Je vois, je sais, car je l'ai écrit. Il a dérobé un objet. Il a erré seul dans les bois et il a volé cette corne. Cette corne de Dragon. C'est lui qui a introduit le culte Dragon parmi nous. C'est lui qui  le premier a rencontré la sorcière. 
    Le trou dans la réalité se referme. Je sais maintenant ce que je dois faire. Je reprends mes esprits et retourne au chevet de mon père.

    NoAnde sait-il ? Sait-il pour la réalité ?

    Quelque part dans la forêt, un jeune homme pousse un porte. Dans la chaumière, une vieille femme est penchée au dessus d'un cristal. 
    « C'est toi, EzBaina. »
    Ce n'est pas une question.
    « Oui, Grand-Mère. ».
    Il lui tend quelque chose, une longue corne torsadée. La vieille femme ne se retourne pas.
    « Garde-la. Tu l'as prise. Elle est à toi maintenant. »


    De retour au sein du Clan des Arbres, mon regard sur les miens a changé. Je sais déjà, car je l'ai écrit, que NonUnd et EzBaina sont des traîtres et conspirent avec la sorcière qui a tué Edes. Mais ils ne sont sûrement pas les seuls. Qui sont leurs complices ? À qui puis-je me fier pour les retrouver ? NoAnde, évidemment.

    Contre toute attente, NoAnde répond négativement à mes questions. Non seulement il ne les a pas vus mais je sens une certaine froideur dans ses propos. Il ne me dit pas de laisser tomber cette piste mais je comprends bien qu'il ne m'aidera pas à les trouver. Peut-être qu'il sait comment j'ai eu ces informations ? Peut-être qu'il sait que je les ai créées, que c'est moi qui a crée la culpabilité de NonUnd et EzBaina. Ils seraient restés innocents si je n'avais pas comblé moi-même ce trou noir dans le réel. Mais maintenant, c'est comme ça. Telle est la réalité. Même si c'est moi qui en ait décidé ainsi, ils sont tous les deux réellement coupables.
    Je ne suis pas un meneur d'homme. Pourtant, j'ai besoin de l'aide des membres du Clan pour trouver NonUnd et, surtout, EzBaina. Je n'ai que rarement pris la parole devant les autres, et jamais pour leur demander quelque chose ou leur donner des ordres. Mais aujourd'hui, c'est différent. Je ne rentre pas dans les détails mais leur rappelle la mort d'Edes et du bûcheron. Et je leur dis que je dois parler à ces deux-là. Je les veux, vite ! Et on me les emmène, vite !
    Je les fais conduire dans un endroit un peu à l'écart, pieds et poings liés. Ils me connaissent. Ils savent que je suis lié aux Esprits de la Forêts. Je ne sens pas de la peur dans leur regard mais, malgré tout, une certaine appréhension. Ils savent pourquoi ils sont là. Alors, je ne prends pas de chemins détournés, ni de gants. Je leur explique savoir qui a tué Edes. Je veux retrouver cette sorcière. Je veux l'arrêter. Et s'ils m'aident, alors, j'effacerai leurs noms de la liste de ses complices. Je suis shaman du Clan des Arbres. Ils savent que mes paroles ne sont pas des mots en l'air. Ils me croient quand je leur dit avoir ce pouvoir, mais ils ne savent pas à quel point je possède effectivement ce pouvoir. 
    Pour achever de les convaincre de me révéler la vérité, je leur explique que si les mots ne sortent pas de leur bouche, j'irai les chercher au fond de leurs entrailles. J'ai été initié à la nécromancie. Je sais faire parler les morts autant sinon plus que les vivants. Maintenant, c'est à eux de choisir.
    Et ils parlent !
    EzBaina s'est effectivement retrouvé le gardien de la Corne du Dragon. Lui et sa grand-mère se sont alors mis en tête de l'invoquer, lui, le véritable Dieu de la Forêt. En échange, ils auraient eu un nouveau statut au sein du Clan. Elle n'aurait plus été considérée comme une sorcière mais comme une shamane. Et lui, il serait devenu une sorte de héros, le champion du Dragon. Alors oui, il a répandu la parole du Dragon au sein du Clan et oui, sa grand-mère a usé de ses pouvoir pour lui offrir des victimes, pour l'attirer ici, l'inciter à revenir.
    EzBaina finit par me donner une des informations dont j'ai besoin. Effectivement, cette série de meurtres touche à sa fin. Il y aura bientôt eu assez de victimes pour que le Dragon revienne. Mais cette ultime victime doit être spéciale. Il doit avoir les yeux verts et avoir été échangé à la naissance. 
    Je repense à l'historiette de NoAnde. Est-ce cela le prix à payer pour avoir transgressé les règles de la réalité ? Ces deux-là ne peuvent pas le savoir mais, sous ma cagoule, j'ai les yeux verts. Et, même si ce n'est pas un secret, tout le monde ne sait pas que je ne suis pas né au sein du Clan. Il y a toujours ce mystère autour de ma naissance que seul mon père connaît. 
    Inconsciemment, je fais un pas en arrière. Sentent-ils ma tension ? S'ils savent ces choses me concernant, ils savent que je suis une victime toute désignée pour cet ultime sacrifice. J'ai le sentiment qu'ils ne le savent pas mais la vieille, dans son cristal, qu'a-t-elle vu ? Que sait-elle ? J'ai réécrit la réalité et voilà qu'elle se retourne contre moi. Je presse la bosse sous ma cagoule. Le serpent se mord la queue.
    Dois-je réécrire le réel pour tenter de sauver ma peau ou, au contraire, dois-je aller au devant de mon destin et accepter ce qui arrivera quoi qu'il arrive ?

    Je réfléchis et prends conscience que je ne savais pas que la grand-mère de EzBaina vivait à l'écart du Clan. Pourquoi ? Lui refuse de m'en dire plus. NoAnde acceptera-t-il ? Pas plus mais il me conseille malgré tout de m'en remettre à mes visions. Il est moins froid maintenant et me donne même une poignée de noix. Je retourne auprès de mon père et m'en vais rêver éveillé.
    Je me sens bien. Je suis serein. Je nage en pleine folie mais cette folie n'est pas la mienne. Celle que EzBaina appelle Grand-Mère était destinée elle aussi à devenir shaman. Mais elle s'est vouée aux aspects les plus sombres du monde des Esprits. NoAnde me l'a dit. Les Esprits ne nous servent pas. C'est nous qui les servons. Quand ils répondent à nos demandes, c'est parce que nos demandes sont en fait les leurs. Mais elle, elle ne voulait pas obéir. Elle voulait les soumettre. Elle aussi, voulait tordre la réalité. Mais elle y a laissé une partie de son âme. Elle s'est laissé envahir par les recoins les plus sombres du monde des Esprits. Elle s'est laissée posséder par les plus diaboliques d'entre eux. Elle a écrit leurs paroles, leurs pensées. Puis, elle a appris. De shaman, elle est devenue sorcière. Et elle a été bannie. Là, seule, plus rien ne l'a freiné dans sa course vers les ténèbres. Et elle a fini par trouver le Cristal et la Corne du Dragon. Et quand EzBaina, par jeu, par curiosité, lui a dérobé la Corne, alors est né ce projet fou de faire venir le Dragon, de lui offrir des vies pour le contraindre, le soumettre, obtenir de lui pouvoir et reconnaissance.

    Est-ce un tel destin qui m'attend si je persiste dans cette voie consistant à réécrire le réel ? Mais si je ne fais rien, quel destin m'attend ? Être la cible de cette vieille sorcière ? Dois-je m'y résoudre ? Dois-je prendre les devants ? Je pourrais le faire mais j'ai peur.

Il y a des éclairs cette nuit. 
Par intermittence, on distingue la silhouette étrange d'un être recouvert d'une carapace sombre et  aux jambes tordues.
Cette chose ressemble à un être humain mais n'en a plus que vaguement la forme.
Son visage n'a plus rien d'un homme.
On dirait un arbre, un enchevêtrement de branches et de brindilles.
Un homme est lui aussi sous la pluie. Malgré l'orage, il fait le tour des pièges qu'il a posés. 
Il ne sait pas qu'il va mourir.
Il reçoit un caillou un visage. Il se tourne mais ne voit personne.
La créature l'a déjà contourné et se jette sur lui.
Elle le roue de coups.
L'homme tente de se défendre mais ne peut rien contre la servante du Dragon.


    Je tâte la bosse sur mon front. Le serpent se mord la queue. Le Dragon se mord la queue ! Être la dernière victime, celle qui ouvrira les portes au Dragon, est-ce là mon destin, ma punition pour avoir transgressé ce tabou consistant à écrire la réalité pour faire de NonUnd et EzBaina les témoins dont j'avais besoin pour stopper la meurtrière d'Edes ? « Tu veux pas savoir... » dit l'historiette. Et pourtant...
    J'ai oublié la dernière fois que j'ai dormi. Cela fait des jours. Alors, peut-être qu'en réalité je suis en train de dormir et de rêver, rêver que je ne dors plus. J'ai choisi de transgresser le tabou et je dois l'assumer. Alors, je choisis d'aller au devant de mon destin, aussi funeste soit-il. 
    Je n'ai pas osé demandé à NonUnd et EzBaina où se trouvait la chaumière de la sorcière. Je pourrais le faire maintenant. Ils me répondraient. Ils ont trop peur de ce que je pourrais leur faire. Pour autant, cette histoire est la mienne. Et si je choisis de ne pas subir les événements, je dois assumer aussi ce rôle consistant à écrire moi-même ma propre histoire. Alors, je gobe une poignée de noix.
    Et je vois la chaumière. Elle n'est pas si loin que ça de là où notre Clan s'est installé. Mais elle est bien cachée. Malgré tout, cette petite clairière n'est pas si facile d'accès pour celui qui ne sait pas où elle est. Mais je sais ! Et à mesure que je m'approche, je sens ce poids sur mes épaules. Le poids de mon destin. Et je me dis que rien n'est dû au hasard. Cette vieille sorcière savait pertinemment ce qu'elle faisait et ce depuis le début. Elle l'avait certainement vu dans son cristal. Elle devait avoir tout prévu. Et moi, je me jette dans la gueule du loup, la gueule du Dragon. Je devrais faire demi-tour mais je continue d'avancer. Je ne suis plus qu'une marionnette mue par le destin ou plutôt ce sortilège que la sorcière a dû me jeter. Car c'est ça, je suis ensorcelé, victime d'une magie noire mortelle je m'en vais présenter mon cou à la hache du bourreau, ma gorge à la mâchoire du Dragon. Mais j'avance...
    Je sens quelque chose fourmiller sous ma cagoule de shaman. Quand je passe la main sur mon visage, je sens... de la mousse. Comme celle qu'on trouve sur les arbres. Qu'est-ce que cela signifie ? Quand j'arrive devant la chaumière, la mousse recouvre le dos de mes mains. Je me mets à courir. J'ouvre la porte...

    La vieille est là, au milieu d'un pentacle dessiné au sol. Je reconnais certains symboles. C'est la Langue Putride ! Elle a la tête rejetée en arrière. Et elle brandit, bien haut au-dessus d'elle, une lame rituelle. Elle se tourne vers moi, affichant un horrible sourire édenté. Et je comprends. Je vois ses yeux verts. La dernière, l'ultime victime, celle qui ouvrira la porte au Dragon doit avoir les yeux verts et être née hors du Clan. Je ne sais rien de ses origines mais peut-être qu'elle aussi est née ailleurs. Alors, dans ce cas, ce n'est pas moi la dernière victime !
    Elle se met à rire. Lit-elle dans mes pensées ? L'espace d'un instant, j'ai envie de la laisser mettre fin à ses jours. Mais, si je la tue, cela ouvrira malgré tout la porte au Dragon. Je dois la tuer. Je peux la tuer. Mais pas à l'intérieur de ce pentacle. Aussi, je me jette sur elle !
    Et la folie s'empare de moi ! Bien avant que la lame n'atteigne son cou, je me saisis de la sorcière et la projette hors du pentacle. Elle lâche son arme qui glisse dans un coin. Et je me précipite sur elle. Je m'en saisis et me retourne vers la vieille qui tente de s'enfuir en rampant. Je lui saute dessus et plante la lame entre ses omoplates. J'ai l'impression de la tuer plusieurs fois. Son sang recouvre mes mains et en imprègne la mousse verdâtre qui y est apparue. Je me sens mal. Il se passe quelque chose dans mon corps. Mes os bougent à l'intérieur de mes membres mais ils ne suivent pas les ordres émanant de ma volonté. Péniblement, je gagne l'extérieur. Je fais quelques pas sous la lumière du soleil. Mes pas sont lourds, difficiles. Et je me fige. Je sens mon pied s'enfoncer dans le sol. Je sens mes orteils déchirer mes bottes et s'enfoncer dans la terre. Contre mon gré, je lève mes bras au ciel et les vois s'allonger. Mes doigts, de dix deviennent vingt puis cent ! La mousse se répand et devient feuillage...

    Je suis un Arbre…


Commentaires de Thomas :

A. J'écoutais une pièce de psyché-jazz trop chamanique en lisant ce CR et donc, je le propose comme playlist : 
Image
Basement Apes Vol.1, par Sunwatchers, la circularité psyché-jazz, la transe chamanique, le non-lieu cosmique

B. As-tu utilisé Bois-Saule ou juste les entrées de l'Almanach ?

C. Il y a un certain contraste a vouloir jouer un expert profiler de Psychomeurtre dans le monde post-apo de Millevaux, où on peut supposer que les enquêtes aboutissent principalement à des impasses, faute de moyens d'investigation corrects et proportionnés aux menaces. A ce titre, pour jouer une enquête dans Millevaux qui serait plutôt vouée à l'échec et à l'erreur judiciaire, j'utiliserais volontiers Le Témoignage.

D. De fait, les compétences d'investigation des personnages de Psychomeurtre me semblent ici relativement caduques. Qu'as-tu finalement utilisé du système ? La fiche de serial killer et l'enchaînement des scènes ?

E. "Je prépare les corps, celui d'Edes et celui du bûcheron. Je les lave. Je les habille avec des vêtements propres. Je peins sur leurs visage, leurs mains et leurs pieds les symboles qui me permettront, par le truchement des Esprits, de lire en eux, de les faire parler." 
Très cool ce rituel ! Je sais pas si ça rentre dans le parfait manuel du profiler de Psychomeurtre, mais on s'en fiche :)

F. "La transgression. NoAnde me parle de transgression. Et il me dit que ce n'est pas mal mais qu'il faut en assumer les conséquences. Dois-je me livrer à une grande et grave transgression pour parvenir au terme de mon enquête ? Quelles en seront les conséquences ? Et, finalement, est-ce que je veux vraiment savoir qui a tué Edes ? Et pourquoi ? NoAnde veut-il me dire par-là que je dois aujourd'hui faire le choix entre poursuivre ma quête mais en assumer les conséquences ou bien faire mon deuil et reprendre ma place au sein du Clan des Arbres, en acceptant que le coupable de la mort d'Edes ne soit jamais puni ?" 
ça fait très Inflorenza Minima ce genre de dilemme :) 

G. "Mais, pour ça, je vais avoir besoin de trouver ses complices. Et si je ne trouve pas d'indice, je tordrai la réalité pour qu'elle me les donne..." : 
ça ressemble aux transgressions du protocole dans Psychomeurtre : intéressant d'en donner là une version surnaturelle ! Et ça a des conséquences folles en jeu : NonUnd et Ezbaina sont coupables... parce que l'enquêteur en a décidé ainsi !

H. "Mais en réalité, la réalité a peur de nous. Elle a peur de l'homme car l'homme peut la contraindre. Il y a des moyens. L'homme a eu les moyens. Il les a toujours eu. Mais il les a oubliés. La réalité a toujours œuvré à ce que l'homme oublie comment la soumettre, la réécrire. " 
ça, ça fait une super théorie au sujet de l'oubli et de l'égrégore !

I. Cela me fait aussi penser à une phrase de Romain Gary dans Europa : "La réalité n'a jamais été capable de nous fournir une preuve de son existence"

J. On dirait bien que le héros s'est fait avoir ! Finalement, la personne qu'il pensait coupable est la victime, et lui-même qui se pensait victime, s'avère coupable. En croyant se défendre et protéger le monde, c'est lui qui a invoqué le Dragon (est devenu le Dragon) en tuant la sorcière...



Réponse de Damien :

hey! merci pour la bande son, je m'en vais écouter ça derechef  alors… j'ai utilisé Bois-Saule ET l'Almanach  mais (de tête) j'ai dû utiliser une version light de Bois-Saule pour privilégier Don't Rest et Psychomeurtres. Et pour ce dernier, j'ai "adapté" les compétences et les transposer en "version shamanique". ensuite, j'ai géré ça avec les règles de Don't Rest et ce talent de Folie consistant à réécrire des pans de réalité. ça peut paraitre un pouvoir énorme mais dans ce jeu les contreparties sont énormes aussi ^^ et ça a surtout été l'occasion de voir les potentiels d'un tel pouvoir que je compte réutiliser. en fait, j'ai surtout utilisé la trame narrative de Psychomeurtre en mix avec Bois-Saule et les règles de Don't rest pour les compétences "adaptées" de Psychomeurtre à la sauce Millevaux. et pour le dilemme, c'est notamment la conséquence dde la règle du Tourment dans Don't Rest et le genre de questionnement imprévu au départ qui a émergé de la partie. j'aimerais bien refaire un truc comme ça un de ces jours  tordre la réalité comme ça peut aussi coïncider avec certains talents de Grey Cells et de la Crasse. ça pourrait être sympa de tout mélanger. et les considérations sur la réalité ont aussi émergé de la partie sans que cela ne soit prévu. mais c'est vrai que c'est intéressant et je pense que ces questions pourraient se reposer dans mon prochain de la Crasse, Mantra et Millevaux. et il va falloir que je lise Europa alors ^^ et pour finir… et bien le final de la partie est justement la conséquence du Tourment. à trop tordre la réalité… et bien c'est comme quand on joue avec un élastique, au bout d'un moment on se le reprend dans la gueule et c'est contre ça qu'a voulu le prévenir NoAnde mais bon… c'est la vie 

mais bon, quand même, j'en profite pour redire que ce scenar a été vachement intéressant à jouer car j'ai pu tester Psychomeurtre en version "surnaturel", j'ai pu tester ce talent pour Don't Rest qui est quand même vachement intéressant et j'ai pu encore une fois voir un scenar partir dans des considérations complétement improbables et imprévues… et sans MJ ^^
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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

L'AMOUR VACHE

Un dernier train d'anecdotes pastorales avant une chute brutale.

(temps de lecture : 8 minutes)

Joué / écrit le 21/01/21

Le jeu principal utilisé : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
sapin88, cc-by-sa

Contenu sensible : zoophilie, feu


Passage précédent :

44. Quand les charrues pousseront dans les arbres
Trafic de confessions, fricot au ragondin, danse folklorique et vertige logique, voici le menu de l'épisode du jour ! (temps de lecture : 7 mn)

L'histoire :

Image
The Song of a Long Forgotten Ghost, par Mortiis, un classique du dungeon synth, long morceau de bravoure solennel et médiéval.

La bise soufflait dans les jouets à vent. Leur tintement était le seul bruit à demeurer près des yourtes de Champo, depuis si peu à l'abandon, et déjà colonisées par les rampinottes et les saxifrages.

La Sœur Marie-des-Eaux, plus maigre et borgne encore qu'à l'accoutumée, priait pour la mémoire de son ami. Il salivait pour préserver dans son palais le goût de l'oublie, qui restait sa seule nourriture.
Il vit un oiseau noir se poser à terre, becquetter un peu de mouron, puis s'engager à petits seaux dans une coulée. Le novice y vit forcément un signe et le suivit. Il écarta les branches nues qui lui barraient le passage et voulaient l'enserrer, il franchit le Ru Migaille qui n'avait plus que la peau sur les eaux, et c'est ainsi qu'il atteignit le cercle de sorcières. Il y avait là une jeune femme qui finissait de s'habiller, son corps comme un fruit chargé de tatouages sarcomantiques, autant de boursouflures sur sa peau qui ne faisaient que lui donner plus de sens. Elle ajusta sa tunique sans l'ombre d'une gêne, se sachant d'un autre monde. La Sœur Marie-des-Eaux fixa ces yeux où brillaient des bijoux de cornée et ce visage sillonné d'anneaux, cherchant à lire la vérité qui s'y dérobait, reconnaissant la femme qui leur avait ouvert le seuil, au Pont des Fées.

"Il était temps que je te retrouve, Marie.
- Qu'est-ce que vous me voulez ?
- Comme je te l'ai dit, je connaissais bien Euphrasie."

La seule évocation de ce nom figea le novice, comme un rappel de la malemort qui avait habité son corps.

"Je sais qu'elle a disparu lors de votre expédition à Xertigny. Je voulais juste que tu me parles d'elle."


Le novice lui prit la main et ensemble, entrèrent dans son château intérieur. Foulant les gravas et la crasse, ils parcoururent les antichambres et les cagibis, les vieux clapiers vides où rancissait l'odeur de vie, les baugeottes éventrées d'existences révolues. Ils descendirent dans les caves de l'oubli, frôlés par les vignes vierges, au fond du passé déjà suri que des mains sans gras fouillent, et c'est là, à la lueur vacillante du candélabre, qu'il lui montra Euphrasie, qu'il la toucha, qu'ils remontèrent ensemble les forlonges du destin, pour raviver celle qu'ils avaient connus,

Euphrasie

Euphrasie

Euphrasie



À l'autre bout du village, au Château de Paille, ça coupait à qui mieux mieux. Les Frères Fournier ne lâchaient plus leur scie à cadre depuis que les semis étaient terminés. Gagner, gagner de la terre sur cette maudite forêt, c'était l'obsession qui dégoulinait dans leur sueur et leur faisait oublier le froid d'un hiver qui s'annonçait piquant. Ils étaient en bras de chemise, rouges comme des forges, et que ça limait, et que ça limait, les pieds calés sur les contreforts racinaires, attaquant un orme vénérable comme on entre en coït.

Et quand enfin la beusse tomba de toute sa masse, ce fut pour lâcher une volée de choucas pris dans ses pattes crochues.

"C'est pas bon signe, ça. Les chasseurs ont beau en tirer, il en revient toujours plus."

Leurs cris avaient des accents de ricanement.


Image
Œuvres complètes, par Erik Satie : le coton fait piano, l'humour et la fantaisie faite beauté, la tristesse faite murmure.

"Bénissez-moi, mon Père, car j'ai péché."
" Vauthier ? ça fait des siècles que je t'ai pas entendu dans mon cagibi.
- C'est que... j'ai des problèmes.
- Quel genre de problème ? Tu peux tout me dire, c'est garanti par le secret de la confession."

Un gros louis d'or apparaissait dans le champ de vision du Père Houillon, sans qu'il parvienne à s'en débarasser la rétine.

" C'est compliqué...
- Parle sans crainte, le Seigneur Vieux t'écoute sans te juger.
- Ben disons que je voudrais plus m'adresser au médecin qu'au prêtre... Après tout, c'est vous qui faites les pansements et qui soignez les bêtes, en plus de faire pâturer nos âmes.
- Qu'est-ce que vous voulez dire...
- Ah, vingt bois... Ben, que vous seriez bien bon de me rejoindre de l'autre côté de la boîte, avec une bougie pour vous éclairer. J'aurais comme qui dirait besoin que vous m'examiniez."

Quelques minutes plus tard, l'abbé Houillon passait dans le presbytère, empourpré comme une première communiante, en tirant le Père Vauthier par la main, qui retenait son pantalon de tomber.

"J'ai besoin de lumière pour voir ce que vous avez !", fulmina le prêtre.
"Mais votre bâbette si elle voit mon..."
"Germinie, vous avez pas du linge à étendre ? Allez, filez !"

Une fois dans le calme de la sacristie, l'abbé rechaussa ses lorgnons et poursuivit son observation, en claquant la langue à la mode vétérinaire.
"M'sieur le curé, dites-moi ce que j'ai, pitié, je souffre...
- Mais par l'Esprit-Chou, vous avez la gonorrhée !
- Ah merdre alors.
- Vauthier, vous avez trompé votre femme !
- Ah non, j'vous jure, j'ai pas péché...
- Vous allez pas me faire croire que vous êtes la Vierge Marie ! L'immaculée infection !
- Non, j'veux dire, oui c'est vrai, j'ai triqué, mais c'était pas pécher.
- Mais nom de Vieux de nom de Vieux, comment voulez-vous...
- Ben, c'est la Blanchotte...
- C'est qui la Blanchotte ?
- La vache des Peutot... Une belle vosgienne, avec toutes ses p'tites taches su' l'dos, on dirait du lait sur un uniforme de bonne sœur...
- Oh, épargnez vos blasphèmes !
- Bon, ben c'est l'autre jour, j'l'ai trouvée... Elle avait fourré son nez dans un arbre creux, p't'être qu'elle y cherchait une douceur... La tête est restée coincée... Elle était là, à gigoter, à tendre sa croupe...
-  Ne me dites pas que...
- Ben si..."


La Germinie Colnot était dehors dans le grand froid, étendant le linge d'une main et tendant l'oreille de l'autre, quand elle vit le père Vauthier courir hors du presbytère à toutes jambes, et derrière lui l'abbé Houillon lui lancer des coupes et des encensoirs à la tête : "Allez-vous en d'ici ! Histrion ! Blasphémateur ! Sauvage ! "

" Ah, j'vous jure, Germinie, ils vont me faire tourner en bourrique ! En bourrique ! "


C'est ainsi que la vie poursuivait son cours aux Voivres, les uns absorbés dans les affaires courantes, les autres inquiets de plus grandes menaces, comme la Sœur Marie-des-Eaux, qui voyait de la diablerie partout.

Ce qui faisait grand bruit, c'est l'Urbain Pelletier, le plus pince de tous les vieux du village, un gars qui toute sa vie avait compté les sous sur les quelques doigts qui lui restaient. Il avait un commerce d'horticulture et ça se disait partout qu'il devait avoir amassé une sacrée goyotte, depuis le temps, vu qu'il vendait ses fleurs au prix fort et qu'il achetait rien, et même qu'il glanait les sombres de pommes de terre dans les champs des autres comme un crève-la-faim. Et bien, il a suffi d'une nuit absent de chez lui, alité chez sa fille après une mauvaise chute. Quand il eut rentré, la baraque était sans dessus dessous. On lui avait volé tous ses objets mémoriels ! Des lanternes, des images d'Epinal, des carnets, des daguerrotypes, des obus gravés, des mégots de cigarette, des camés, des cahiers d'écoliers, des crucifix de première communion, des dents de laits dans leur petit réceptacle en porcelaine, des lettres du front, et j'en passe. Une vraie fortune. Les économies de toute une vie, envolées. On murmurait que l'Onquin Mouchotte, soupçonné de bien de trafic sans jamais être pris la main dans le sac, était derrière tout ça. Çà jasait dur au lavoir.

Cela n'empêcha pas le curé Houillon de continuer à le recevoir pour ses désormais traditionnels gueuletons. Le vieil antiquaire ne se faisait pas prier, d'une parce que la sacristine faisait toujours un bon fricot, de deux parce qu'on ne refuse pas les souvenirs gratuits dont le prêtre, décidément invulnérable à l'oubli, était prolixe. Le curé, de son côté, cherchait juste un auditoire, ça lui faisait son propre confessionnal à ciel ouvert où il pouvait couarer, couarer tout son soûl.

"La Germinie, tu vas descendre à la cave pour nous chercher du vin à la reine des prés. Et pendant que tu tireras le vin, tu siffleras.
- Et pourquoi je dois siffler, mon père ?, fit-elle comme une poule devant un couteau.
- Ben, parce que pendant que tu siffles... tu peux pas boire !"

Le curé se tenait les côtes en s'esclaffant, et l'Onquin Mouchotte ricassait pour donner le change.

Pendant qu'elle était en bas à siffler, le curé se confia à l'aveugle :
"Paraît que je devrais me faire du souci. Que je serais en danger. C'est la Sœur Marie-des-Eaux qui dit ça. Il espionne tous mes faits et gestes. Il veut me suivre dans tous mes déplacements et même que je les restreigner. Si je l'écoutais, j'irais même plus donner les saints sacrements aux vieux dans leurs grabats ! Elle dit aussi que je devrais arrêter de raconter des anecdotes à la cantonade.
- Méfiez-vous d'elle. Lé conseyou n’on mi lé peyou. Cette bonne sœur, c'est un animal déguisé en madone."


"Mon père, v'nez ouar ! J'ai un problème !
- Qu'est-ce qu'elle fait encore celle-là ? J'vous jure, elle est adroite de ses mains comme un cochon d'sa queue !"

Le prêtre descendit les escaliers en dandinant. Il avait pris du poids depuis les bons soins de sa bâbette.

Il ne vit pas le piège tendu sous ses pieds à mis-hauteur et se prit une saprée quiche à travers les marches restantes !

Il était aplati sur les dalles de la cave et au-dessus de lui, la Germinie se tortillait en margolant : "Chuis désolée, m'sieur le curé, elles m'ont dit de le faire..." 

Son corps se met à trembler comme de la gelée. Et oualà-t-y pas que des serpents tressés sortaient de sous sa robe en glissant. Et que ça se déroule, que ça se déroule, des mètres et des mètres de cordes, et la bâbette perdait du tour de taille à vue d'œil.

"J'aurais dû m'en douter qu'elles se cachaient là...", siffla-t-on depuis le rez-de-chaussée.

Et les cordes s'enroulaient autour du curé, et déjà lui rentraient dans la bouche et les oreilles.

La Sœur Marie-des-Eaux dévala l'escalier en évitant la corde tendue au milieu.

"C'est de ça qu'elles se nourrissent ! De la mémoire ! Elles vont tout lui sucer !"

Et le prêtre bouâlait comme pas possible, visiblement l'opération n'avait rien d'inoffensif.

Le novice ouvrit son habresac et reproduit les gestes longtemps répétés.

Jeter l'huile de friture sur les cordes !

Y allumer le feu !

Couper les cordes à coup de sabre !

Mais ça ne se passa pas comme prévu. Le novice avait envisagé un combat en milieu aéré. Pas au fond d'une cave avec des tonneaux de bois. 

Quand les flammes grimpèrent en hurlant jusqu'au plafond, il comprit que les cordes avaient été vaincues. 

Il comprit aussi que tout le monde allait le détester au village, n'en déplaise à son ardente recherche du bien commun.

Car quand on remonta le père Houillon et la Germinie Colnot de la cave, ils avaient plus l'air de kémotes cuites sous la braise que d'êtres humains.


Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 2028
Total : 82361


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

CE QUI GROUILLE AU FOND DE NOUS

Une partie solo réalisée avec le jeu de cartes de rôle fumé au bois de hêtre, histoire de vous montrer ce qu’il a dans le ventre ! Ambiance de moiteur et d'horreur organique garantie !

(temps de lecture : 6 minutes)

Le jeu : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier

Joué le 22/01/21

Avertissement : contenu sensible (voir après l'image)

Image
AirmanMagazine, michel de graaf, cc-by-nc, sur flickr

Contenu sensible : mutilation sur adulte, torture sur enfant, référence à la Guerre du Vietnam, racisme, évocation du suicide

L'histoire :

Image
Ultima Thulee, par Blut aus Nord, du pagan metal riche en choeurs hallucinés et en claviers spectraux, odyssée fantômatique, guerriers égarés de plus en plus loin vers l'inconnu.

Je suis Roncelouve. Je patauge dans la mangrove depuis un temps impossible à estimer. J'ai mal, mais on m'a appris à serrer les dents et je le fais bien, alors j'arrive à ignorer pendant des heures entières l'immensité de la douleur qui explose dans ma poitrine.

Reste-t-il des membres de mon régiment encore en état de raisonner ? En tout cas, j'entends des glapissements et des cris au-delà de mon champ de vision, derrière le mur végétal. Est-ce qu'ils me cherchent ? S'ils pensent que je suis une proie de choix, ils se trompent. J'ai été entraînée à tuer, et ils ne savent plus se servir de leurs armes.

J'essaye de me rappeler pourquoi notre corps expéditionnaire a été envoyé dans cette vacherie, au milieu des nappes d'eaux croupies, où les sangsues s'en donnent à cœur joie, comme des tétines plantées sur ma peau noire, où les moustiques me harcèlent en nuées qui obstruent mon champ de vision. Mes pieds s'enfoncent dans des couches immémoriales de vase et je préfère ne pas songer à ce qui est exactement en train de grouiller entre mes orteils.

J'ai encore ma mitraillette, c'est une AK 47, capable de fonctionner encore après des heures d'immersion. Je m'y accroche comme à un enfant chéri.

Purée, fais des efforts, Roncelouve, concentre-toi, c'est pas si difficile de te rappeler pourquoi t'es dans ce merdier et pourquoi t'as dû te faire amputer des deux seins. 

Est-ce que je suis encore une femme ? En tout cas, je reste plus que jamais une bête de guerre. Si je veux survivre. Et paradoxalement, si je veux pas finir comme les autres.

Et ça me revient enfin en pleine face comme si on me lançait un baquet d'acide à la gueule. Et je comprends aussitôt que j'aurais préféré ne pas m'en rappeler.

On devait déloger les nids de résistance en plein cœur de la jungle.

C'était un foutu sale boulot réservé aux commandos d'élite, ceux qui partent des mois en freestyle sans plus rendre compte à leur hiérarchie.

Image
Robert Sullivan, domaine public & brian hefele, cc-by-nc

On a trouvé ce vieux barbichu dans sa maison sur pilotis. Il était entouré de dizaines d'enfants en pagne, crasseux et avec une lueur fauve dans le regard. Lui-même n'était que vieux de la tête, si je puis m'exprimer ainsi. Son corps avait l'air robuste et ses mains étaient lisses comme celles d'un adolescent.

Crevrogne a commencé à vouloir lui tirer les vers du nez. Je l'ai jamais trop aimé celui-là, c'était un franc-tireur parmi les francs-tireurs et il ne se départissait jamais des rats qu'il avait trouvés un jour dans nos cales et apprivoisé depuis. Il lui a dit que s'il vivait ici dans la jungle, c'était soit que c'était un terroriste, soit qu'il connaissait des terroristes et qu'il allait donc devoir parler.

Image
wmacphail, dentarg, cc-by-nc

Le vieux-jeune est resté hiératique. Et ça a eu l'air de faire marrer cet enfoiré de Crevrogne. Il a chopé un des gamins et il l'a enfermé dans une des cages à poule trouvée dans le secteur. 

"Vous n'êtes tous que des rats... Mais les rats se bouffent entre eux, tu sais ?"

Et il lâché ses bestioles dans la cage. Qu'il n'avait pas nourri depuis des jours.

Les autres membres de la compagnie ont tenu le vieux-jeune par les forces, ils ont dû s'y mettre à plusieurs pour l'empêcher de sauver son fils adoptif. 

"Dis-nous où sont les terroristes, sale merde que tu es, si tu veux pas que tous tes mioches y passent !"

Tout ça s'est passé hyper vite, et je crois que je m'y attendais pas, même venant de Crevogne. La mangrove avait dû lui siphoner la caboche. Pendant un temps, mes réflexes martiaux étaient comme anesthésiés. Des taches organiques s'agglutiner dans mon champ de vision. Puis, les cris du moutard ont monté si fort que ça m'a sorti de ma torpeur. J'ai flanqué une grosse patate à Crevogne, en plein dans sa gueule bouffie.

Mais c'était trop tard.

Le vieux-jeune nous avait déjà maudits.


Image
Aokigahara, par Flowers for Bodysnatchers, dark ambient forestier à pianos fragiles

Je suis arrivée au milieu des ruines de ce qui devait être une petite ville. Ça me fait trop bizarre de voir des boutiques avec leurs enseignes et leurs affiches en langue étrangère, bouffées par la mousse et l'humidité. L'eau turbide est montée jusqu'au niveau du comptoir. Je crois apercevoir un globe de verre et sous sa surface noire de champignons, des boules de bubble-gum. La vache, je suis presque tentée de m'aventurer à l'intérieur. Mais je me ravise parce que les maisons inondées peuvent être le repaire d'une mandragoule, ou pire encore. Des lucioles volent en essaims autour de moi, j'ai l'impression d'être hors du monde et hors du temps, je sens que je me laisse happer par la contemplation. 

Mais bon sang, il faut résister ! Je me file des claques. Je ne dois céder à aucune langueur. Il y a trop de prédateurs qui attendent que je leur fasse ce plaisir.

En premier lieu mes anciens coéquipiers.

Mais j'y tiens plus. Je me pose sur un rocher, en dessous des milles bras d'un palétuvier chargé de cheveux d'ange. Je m'allume la dernière cigarette de mon foutu dernier paquet.

Je me rends compte alors que tous les clopes que j'ai pu fumer dans ma vie sont connectés entre eux et mon aspiration m'uy projette. C'est pas le moment de se laisser aller, pourtant.

Je suis allongée sur un brancard de fortune. Au dessus de ma tête, les palmes d'un abri de forestier. Crevogne m'a tendu une cigarette. "T'en auras besoin. Je t'aurais bien donné de la gnôle, mais j'en ai plus. T'as du courage de vouloir faire ça, ma belle. Moi j'ose pas."

C'est plus fort que moi, en tirant du plus possible sur ma taffe, je plie le cou pour voir ma poitrine. J'ai deux tentacules qui se tortillent, animés d'une volonté propre. Crevogne approche le couteau Bowie de la base du premier.

"Alors, si notre transformation a un sens, ça veut dire que je suis une foutue preuve."

Crevogne rit jaune. 

Nom de Dieu, j'ai hyper mal, et en même temps j'ai l'impression que ce souvenir sonne faux. Est-ce que la douleur qui déstructure tout ? Comment l'épisode le plus traumatique de ma vie peut avoir un tel aspect fabriqué, une sorte de brouillon artisanal ? Quel est le bâtard qui a bricolé ma mémoire ?


J'entends que ça patauge dans les environs ! Ça me tire illico de cette prison du passé.

J'avance en direction du bruit, les nerfs tendus, crispée sur mon AK-47, je fais super gaffe à tout, et notamment où je mets mes pieds. Je me rappelle des pieux aiguisés à morts qu'ils enfouissent sous le niveau de l'eau.

Il y a un cri strident qui me déchire les oreilles.

Je balance une rafale, en pur réflexe. Les troncs des palétuviers explosent dans tous les sens. Quelle crétine je fais ! J'ai pas les moyens de gaspiller des balles.

Mais j'entends plus rien.

Je me rapproche avec une infinité de précautions. Je pense à ma grand-mère sénile, je vais si lentement qu'elle pourrait marché à mes côtés, dans son déambulateurs, avec de la vase jusqu'aux genoux.

C'est là, au milieu des palmes en pleine corruption. 

Il est là, étalé de tout son long, et tout son barda éparpillé autour de lui. Ce qui me fout le plus la gerbe, c'est le paquet de lettres qui est tombé de son sac à dos. Des lettres de sa famille. 

Et c'est moi qui l'ai tué.

Je saurai même jamais s'il me voulait du mal ou s'il cherchait de l'aide.

À son cul, je vois un gros tube de chair en plaques que je prends d'abord pour un serpent. Mais en fait...

C'est sa queue. 

Une queue de rat.

Je sens alors quelque chose grouiller en moi. C'est peut-être juste le dégoût, ou c'est peut-être quelque chose qui vit. 

Et si j'avais pas tout coupé ?

Et si ça ne suffisait pas ?

Je mets le canon de la mitraillette dans ma bouche.




Le Making-Of :

Je me suis affecté une heure pour faire cette partie. Mais j'ai consacré une partie de ce temps à la mise en forme. Si vous jouez sans mise en forme, voire sans écrire, vous devriez dérouler plus de fiction.

Mes tirages :
Musiques tirées sur la playlist aléatoire des Sels de Millevaux
Le portrait de Roncelouve
Nom : Ronceloup (féminisé en Roncelouve)
Climat : Épidémie d’animalisme.
Souvenir : Un souvenir qu’on aurait préféré ne pas revoir.
Saynète : Une personne à la fois très jeune et très vieille
Le vieux barbichu vient de la banque de portraits de Nervure mais je l'ai choisi plutôt que de le tirer au hasard.
Le portrait de Crevogne
Nom : Crevogne
Lieux : une boutique en ruine
Souvenir : une imitation de souvenir
Une table au hasard : questions
Question : pourquoi représentes-tu un danger contre toi-même ?
Lieu : la forêt aux lettres mortes.

Avec un écriture de 1500 mots en une heure, je constate à nouveau la puissance de cet oracle ! J'espère que Nervure vous permettra de vivre le même genre d'expérience immersive qu'il me permet d'atteindre de mon côté ! Bon vent et bon jeu !
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Message par Pikathulhu »

VIANDE NOIRE

Suite de la campagne multi-mondes : un épisode hanté par la mère de toutes les araignées, aussi douloureux qu'initiatique. Un enregistrement par Claude Féry.

(temps de lecture : 3 minutes / temps d'écoute : 1h30)

Le jeu principal utilisé pour cette séance : Millevaux Mantra, le jeu de rôle du multivers forestier par Thomas Munier

Joué le 20/07/2019

Lire / télécharger le mp3

Image
Daniel Bagel, cc-by-nc, sur flickr


Episodes précédents de la campagne :

* : partie enregistrée
** : partie enregistrée, sans compte-rendu

1. Ramasser la peau de leurs voix à l’ombre de leurs gestes. **
Le prologue d’une campagne Millevaux Mantra Oniropunk jouée avec Sève et For the Queen !

2. Route du Kelp *
La campagne multi-monde se poursuit avec une communauté d’enfants aux prises avec des désordres géographiques, climatiques et temporels, et une coalition de créatures insectoïdes.

3. S'échapper de Parasite **
L’ambiance d’un Paris en guerre, pris d’assaut par les contre-révolutionnaires et les prussiques est mise en place avec le jeu S’échapper des Faubourgs, puis une bascule s’opère vers une cohorte de vieillards martyrisés par des enfants soldats à la solde des khmers avec le jeu Charogne.

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Photo : Claude Féry, par courtoisie


Commentaires de Claude :

Suite de notre campagne Millevaux Mantra ce soir.
Gaetan a succombé à la morsure d'une araignée des frondaisons alors que les miséreux tentaient de récolter de la viande noire sur des cadavres de communards  dans une tranchée piégée abandonnée aux ogres prussiques. La Procure Ia surmonté sa peur des araignées pour découvrir que l'âme de Gaetan s'était réfugiée dans son morceau d'écorce fétiche. Tricorne au comble de la terreur a fiché le canif de Gaetan dans le crâne de l'odieuse araignée.

Avalanche de Karma et consommation de perles, belle partie intense avec lourde ambiance de 1h30.
Xavier était très impressionné.

Image
Photo : Claude Féry, par courtoisie


Retours de Thomas après écoute :

A. La viande noire = viande des cadavres. Intéressante interprétation.

B. L’image des ventres tendus par la famine est évocatrice. La faim est bien sûr un thème récurrent de Millevaux, mais il est encore plus récurrent dans tes parties.

C. Peux-tu repréciser la teneur du rituel bouddhiste khmer que tu évoques ?

D. Sympa le clin d’oeil à la machine aux orgones, autre emprunt à Burroughs avec la Viande Noire

E. Intéressant d’avoir mixé l’araignée des frondaisons avec l’araignée violeuse d’hommes qui pond des clones

F. La peur ressentie par Xavier est vraiment palpable à l'écoute, et motive son retour "Je n'ai pas aimé mais je jouerai volontiers par la suite". Comment gérez-vous ce genre de situation en matière de sécurité émotionnelle ?

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Photo : Claude Féry, par courtoisie


Réponse de Claude :

C. Je le tiens du dernier film auto biographique de Ritty Pan, Les tombeaux sans noms. Des aliments sont déposés devant le sujet. Des figurines d'aliments représentent la famille disparue. Un voile est placé sur lui. Puis l'officiant récite les 19 voies selon lesquelles l'âme souillée par la violence et la mort revient, renaît au monde.

F. Nous utilisons les gestes des Sentes pour communiquer en méta. Xavier nous a informé de sa gêne, bras en croix, et pouces vers le bas. Nous avons ménagé une pause et je lui ai proposé de poursuivre afin qu'il n'imagine pas pire que ce que nous étions prêts à envisager. Mathieu m'a accompagné dans cette démarche et nous avons rapidement constaté qu'il nous rejoignait. Après le bilan Xavier est venu me trouver en me disant qu'il était fier d'avoir surmonté sa peur et a revisité l'histoire
Sur cette partie, au moment précis où l'objet de sa peur s'est manifestée il me tournait le dos et Alexane et Mathieu se faisaient face et échangeaient, si bien que nous avons pas lu la peur sur son visage avant qu'elle ne se soit emparée de lui.
Lors de la partie suivante avec Oriente il a joué de sa peur et un peu plastronné.

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Photo : Claude Féry, par courtoisie


Réponse de Thomas :

F. Tu dis que Xavier a revisité l'histoire : veux-tu dire qu'il a utilisé la revisitation des Sentes ou veux-tu dire autre chose ?


Claude :

F. Autre chose et en même temps une revisitation, puisque nous jouons en cercle intime, cela revient au même. Il a relaté les faits en diminuant la peur ressentie et s'appropriant certaines actions de Mathieu.

Image
Photo : Claude Féry, par courtoisie
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

ÉTRANGE VÔGE

Quand tout ce qu’il y a de plus bizarre au village se déchaîne.

(temps de lecture : 8 minutes)

Joué / écrit le 28/01/2021

Le jeu principal utilisé : Nervure, un jeu de cartes et de rôle pour explorer la forêt de Millevaux, par Thomas Munier

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Jérôme Bosch, domaine public

Contenu sensible : zoophilie explicite


Passage précédent :

45. L’amour vache
Un dernier train d'anecdotes pastorales avant une chute brutale. (temps de lecture : 8 minutes)

L'histoire :

Image
Métal, par Dark Sanctuary, du métal orchestral et gothique avec un chant féminin d’opéra pour une épopée forestière poignante.

Les processionnaires foulaient aux pieds les cocottes de pin qui jonchaient. L'air était imprégné d'ondes lourdes que le vent charriait en vagues d'une froideur à faire tourner en sorbet le sang des poivrots. C'était ce climat étrange qui ravive la mémoire et qui peuple les regards de visions du passé.

La Sœur Marie-des-Eaux n'en revenait pas de ce qu'il était en train de faire. Il célébrait les funérailles des deux personnes dont il avait causé la mort. Les gens du village l'écoutaient et faisaient procession, parce que dorénavant, une nonne tueuse pour célébrer la messe, c'était le faute-de-mieux. Le maire Fréchin passa devant lui et lui jeta cet œil qui veut dire "on se comprend".

Le novice était encore chamboulé par les deux revoyottes qu'il avait vécu. Elles confirmaient qu'il avait causé leur mort, comme une sorte de juge métaphysique et impartial. 

Le souvenir du curé Houillon, c'était même pas vraiment le sien, mais un souvenir qu'il avait volé. Lui qu'en avait tant ! C'était une confession du fils Domange, mais faut dire que celle-là, elle était gratinée, pas étonnant que ça ait marqué la caboche de l'abbé au fer rouge.

Tout en récitant les prières au sein de la marche funèbre, le novice voyait le souvenir s'imprégner dans la scène. Elle voit le fils Domange suivre le cortège, il est là sans être là (surtout que le vrai est à l'intérieur du cortège), il est aux aguets, ça se passe peu après qu'il ait trahi la Mère Truie. Et elle sort des fourrés.

"Grrrruikkkk... C'est moi que tu cherches ?"

Le jeune paysan saute comme un beau diable. 

"Ah ! C'est toi, Mère Truie...
- Je crois que tu m'as vendu aux curetons. Résultat, on a eu quelques problèmes avec eux...
- Non, c'est pas vrai ! Je te jure, maman truie !"

L'animal le renverse et lui monte dessus. Le fils Domange, qu'est habitué à la puanteur, a franchement du mal à soutenir l'odeur fauve qui le submerge. Elle colle son groin contre son nez.

"T'as quand même pas voulu qu'on fasse du mal à Maman ?
- Non, maman, non jamais, non maman, je t'aime..."

Le novice trébucha dans ses répons, craignant à l'avance ce qui allait se passer, rassemblant tous ses esprits pour chasser la vision, sans succès.

"Y'a intérêt que tu m'aimes, mon fillot..."
Elle sort sa langue, immense, et lèche le greugnot du fils Domange. Elle lui ouvre la bouche avec son appendice, et le lui plonge en travers de la gorge. Il est d'abord écœuré et réprime à grand-peine un vomissement, puis, comme à chaque fois, il se laisse emporter. Il suce la langue de la suidée, il sent contre ses gencives les dents crottées de la beusse, immenses et qui pourraient lui croquer la tête entière. Ses tétines dures se frottent contre sa poitrine et son bassin.
"Donne-moi ce que je veux, et on sera quitte !"
Le fils Domange sent encore confusément qu'il s'apprête à se vautrer dans la contre-nature, mais il n'est plus maître de lui. Déjà dans son pantalon, c'est dur comme un maillet. 
Elle le défroque de ses pattes arrières, lui éraflant les cuisses au passage. La douleur le rapproche encore plus violemment de l'instant. Elle frotte les plis de sa large vulve contre son tronc, elle le cherche, et elle le trouve, elle l'enfouit dans les replis tire-bouchonnés de sa chair intime, elle se sert de lui, de plus en plus vite, oubliant son propre poids et lui fracturant presque les côtes et le bassin, elle grogne d'aise puis son couinement descend dans les graves à mesure qu'elle extrait la sève du jeune.

Puis elle se roule sur le côté, repue, laissant son amant, pantelant et honteux.

"Tu fais le bon choix. Vous les humains, vous y viendrez tous. Vous viendrez tous à maman truie, et la nouvelle race en naîtra. Iä ! Iä ! Gruiiiiiiiiiiiiikkkkkk...."

"Ça ne va pas, Marie ? Ça fait cinq minutes que vous ne chantez plus et vous êtes blanc comme une fesse., demanda la Jacqueline.
- Non, ça va pas. Ça va pas du tout."


Image
Cast of Mind, par Kali Malone. Un drone extatique, un orgue endormi qui vous rêve à travers des tunnels de branchages interminables.

La Sœur Marie-des-Eaux passait de plus en plus de temps dans la forêt, par besoin de fuir ses contemporains, et de se fuir lui-même. L'ermitage le tentait. Il tâchait de s'abîmer dans le recueillement, mais il y avait toujours quelque chose pour le distraire.

Cette fois, ce fut cet arbre grêle, avec ses bras et ses genoux tout en os, son écorce prépubère. Le novice le caressa, pressa son visage contre le tronc. Il fouilla de ses doigts dans les blessures des branches, sentit contre son corps l'irrégularité des tumeurs. Il perdait le sens de l'équilibre et sa tête lui tournait. 

Il recula pour se soustraire à cette langueur. Ses sabots s'enfonçaient dans le lit putride des feuilles mortes.

Cet arbre. Il lui était semblable de corps. Cette même frêlure dure au mal. Cette même maigreur érotique.

"Où est-ce que je suis, vingt bois ?"

Il courut à travers les sommières, se heurtant dans les gaulis, s'emberlificotant dans les rampinottes, pataugeant dans les fondrières. 

Il était perdu !

Les retombées résiduelles des mémo-ondes lui vrillaient encore le crâne. Il avait mal partout où il s'était cogné, et les vieilles blessures physiques et mentales se rouvraient de toutes parts.

Il aperçut la Madone à la Kalach, émergeant d'un hallier.

Elle le fixait avec son visage de porcelaine, et répétait cette sentence mémomancienne qu'il l'avait si souvent entendu lui marteler :

"Savoure chaque souffrance, car c’est tout ce qui reste de ton identité."

Il courut pour la prendre dans ses bras. Et se prit une quiche contre le tronc d'un sapin !

Le novice perdait totalement pied.

Il tituba dans une direction au hasard, les cimes tournaient au-dessus de sa tête, il y a avait des bruits, peut-être des oiseaux de proies, peut-être des larsens...

Il roula dans un talus traîteusement tapi derrière un buisson. Les racines d'un chêne rouvre stoppèrent sa chute de la plus rude des façons.

Il se redressa du mieux qu'il put, se laissa glisser sur ce qui restait de pente, sa robe retroussée. On entendait la rumeur d'un torrent, mais ça venait du ciel. Une fuite de gibier, mais le son venait du sol. Des tapis de feuilles mortes s'étalaient sur le tronc des arbres. Des taupes sortaient des nids d'écureuil. Le novice étendit le bras, et tomba. Il comprit à son corps défendant que la gravité ici avait perdu tout son sens. L'humus se repliait en spirale de telle sorte que la terre et le ciel se succédaient dans l'espace et que les arbres poussaient dans tous les sens.

"Où est-ce que je suis, Jésus-Cuit tout bouillant, où est-ce que je suis ?"


Image
In a dark tongue, par Harvestman, un manifeste space folk et psyché-drone, aboutissement extra-dimensionnel d’un rituel forestier.

C'est alors qu'il arriva.

D'abord par petites touches entraperçues au détour d'une spirale, puis tout près, puis très éloigné, et enfin là.

Le chariot, ou plutôt juste une caloubrette d'indigent, tiré par deux sangliers.

Et dessus, transporté comme un sac à patates, une personne vêtues de haillons jaunis par la crasse, avec une baugeotte sur la tête qui lui faisait un casque en osier et lui masquait le visage.

"Qui êtes-vous ?
- Tu peux m'appeler le Roi en Jaune.
- Alors, rectification, qu'est-ce que vous êtes ?
- Hé hé... Le monde s'est rétréci, tu sais, ma sœur. Il est maintenant plus facile encore d'y attrapper des dieux que des perdreaux de l'année.
- Cesse de blasphémer. Il n'y a qu'un dieu.
- Oui, et il est... Oh, et puis si tu veux. Disons alors que je suis... une entité. Comme tu en as croisé d'autres.
- Pourquoi viens-tu me tourmenter ? Ne sais-tu pas que je suis un exorciste ?
- Oui, je t'ai vu à l'œuvre... Je t'ai suivi parce que tu es emberlificotée dans les racines du destin. On te voit comme un moucheron dans une toile, impossible de te rater. Disons que je viens t'apporter... Un présent.
- Que pourrais-je recevoir de toi ? Je n'ai plus rien à perdre et plus rien à gagner.
- Que dirais-tu de... la vérité ? Percer le voile qui couvre tous ces mystères...
- Pourquoi me ferais-tu ce présent ?
- Oh, en échange de... si peu de chose ! Ta raison me suffira.
- Si c'est ma raison que tu cherches en obole, alors passe ton chemin avec ton équipage, voyageur du néant. Je l'ai déjà perdue.
- Entendu. Passe le bonjour à Vauthier. Il me sert bien.
- Personne ne te sert. Tu n'existes pas.
- Il est plus facile de me servir que de croire en moi."

Ce fut impossible à expliquer comment la Sœur Marie-des-Eaux revint au village. Il avait l'impression d'avoir franchi un ru et... le voilà qui était rendu à l'Auberge du Pont des Fées.

Il se dit qu'il était venu renre visite à la sœur Jacqueline.

"Tiens, il n'est pas au bistrot, le père Vauthier, pour une fois ?, s'enquit-il auprès de la Bernadette.
- Il n'est plus là. Il a bu trop de liqueur d’oubli. Va, il est heureux maintenant.
- Alors, sers-moi en un."

La cuisinière fit ce qu'elle faisait d'habitude dans ces cas-là. Ne pas poser de questions.


En incrustation dans le bistrot, le novice voyait la Germinie Colnot, qui le fixait avec insistance. C'était ça, la revoyotte qui avait suivi sa mort. C'était un souvenir brûlant, comme une marque d'acide, Marie sentait sa peau cloquer et sa gorge suffoquer alors qu'il n'y avait ni feu ni fumée. La Germinie essayait de lui passer un message, et ça se faisait sans mot, juste par la douleur. Elle n'avait pas vraiment choisi d'être au service des cordes. C'était juste une fille simple qui toute sa vie avait fait ce qu'on lui avait demandé. Alors quand les cordes lui ont demandé, quand elles lui ont promis, une bonne place chez le curé, en échange de quelques menus service, rien, les porter, chercher des objets mémoriels, suivre quelques ordres rares, comment refuser. Son regard dardait sur le novice, lourd de "À quoi bon ?"

Le novice voulut les écarter, ses yeux accusateurs, et il écarta des branches. Le souvenir, et le bistrot avec lui, se faisait cerner par les pousses et les friches. Des lichens gonflaient à vue d'œil sur le comptoir, jusqu'à éclater en bulles grotesques, d'où s'échappaient des tiges et des cotylédons. Les ronces écartaient les fissures du plafonds et se laissaient couler jusqu'à ses épaules. Il reprit une grande rasade de goutte. La puissance de la mirabelle fermentée lui explosa en bouche et dans les tempes. Mais ça fonctionnait. Des arborescences se déployaient entre les tables, des stolons renversaient les verres. Les vitres éclatèrent sous la pression de la végétation. Une marée verte grouillait à ses chevilles. On ne voyait plus que les mains de la bâbette, tendues et contenues par les rhizomes. Et puis tout se couvrit de feuilles et c'en fut fini.



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Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 2040
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

L'ENFANT-VALISE
 
Un remake de La Traversée de Paris version Millevaux avec une règle unique : dire oui à tout. Avec un atelier complètement sous acide !
 
Le jeu : sans règles
 
Joué le 18/06/17 lors de la Tournée Paris est Millevaux 5
 
(temps de lecture : 5 minutes)
 
[font][font][font]Image[/font][/font][/font]
[font][font][font]Paul, cc-by-nc-nd, sur flickr[/font][/font][/font]
 
 
Personnages : Marco, Janvier, Tas de Bois, Sale Gueule, Mémé Carabine, L'Enfant-Valise
 
 
L'histoire :
 
"Janvier !" Ce cri résonne dans la forêt, poussé par Marco, un homme buriné et bouffi en même temps. Il porte une valise, il y a un enfant dedans qu'il va vendre avec ses comparses, Janvier et Tas de Bois.
 
Ils se font arrêter par Sale Gueule, un mutant aux genoux bizarres et Mémé Carabine ; ils semblent convoiter l'enfant.
Tas de Bois se fait tirer dans le bras mais il repousse.
Le bruit fait venir une moissonneuse de la douane.
Janvier veut amadouer le douanier avec un registre mentionnant leurs noms mais ça ne suffit pas.
Sale Gueule donne un coup de coutelas au douanier et Marco lui savate la gueule.
Mémé s'empare de l'enfant et saute dans la moissonneuse. Tas de Bois veut les rattraper mais se fait moissonner le bras.
 
Dans la ville souterraine de Métro, le marché noir. Foule interlope. Cochons et topinambours.
La réserve d'enfants : il y a des pupitres où des écoliers enchaînés suivent les cours d'une maîtresse à lunettes.
Surgit Sale Gueule qui fait peur à tout le monde. Il appelle son contact Zourk qui dit que Mémé est sûrement à la guilde des voleurs.
Marco propose une collaboration à Sale Gueule.
Mémé Carabine entre dans la guilde des voleurs : la cour des miracles.
Elle va voir un homme à la fine moustache, et demande à voir le Rat : on la conduit jusqu'à un rat géant affalé sur des coussins, qui fume du Haschisch Jaune dans une chicha. Derrière lui, des foetus dans des bocaux de formol.
Elle lui vent l'enfant qui est l'élu de la Pièce.
Le Rat tire une grande bouffée de chicha. Il a une Vision du Roi en Jaune qui monte jusqu'à la pièce.
Enfant est prostré en chien de fusil. Il dégage de l'égrégore.
Marco et les autres arrivent devant la porte cour des miracles, bloquées par des gardes bodybuildés.
Sale gueule prétend qu'il détient l'enfant d'un des gardes. Ce dernier lui montre que ce n'est pas possible : il est castré.
Tas de Bois offre aux gardes du tabac de mémoire.
Sale Gueule ricane car il est vraiment l'enfant du garde.
Marco se dit : "Si j'étais lui, je me rappelerais du jour où j'avais encore des couilles."
Mouvement de foule dans la cour des miracles. Des tentacules jaunes apparaissent puis se résorbent. L'enfant a disparu.
 
Mémé Carabine se carapate malgré la demande de Marco de les rejoindre. Il regrette de malmener l'enfant car c'est son fils mais il rêve de quitter Millevaux avec l'argent de la prime. Sale Gueule exerce un chantage avec la flûte des rats taillée dans la dent du rat. Ils évoquent l'idée de faire un enfant mutant (Sale Gueule ne demande qu'à avoir un môme, ce que Marco pourrait lui fournir.)
Le Rat offre un coffre de matériel. Marco prend du saucisson et une hache. Janvier voit plein d'enfants autour de lui - les enfants du registre -, les seuls souvenirs qui lui restent, qu'il espère transformer en autres souvenirs, sans pour autant s'y résoudre car il y est attaché et en même temps, il regrette ses actes. Il pense à la maîtresse qui le regardera enfin quand il ramènera l'enfant-valise.
 
Tas de Bois montre une bille où on voit une salle de théâtre des Hypogées. Marco partage son saucisson comme un dernier repas.
 
Le théâtre envahit tout.
 
Poussiéreux, froid polaire. Lustre couvert de toiles d'araignées. Spectateurs squelettes avec jumelles et programmes. "J'aime pas les théâtreux, tous ces gens qui font des phrases.". L'enfant est sur scène, terrorisé. Ils se retrouvent sur la scène, leurs corps attachés à des fils de marionnettes.
 
Entrée de la mère de l'enfant-valise.
"T'as de beaux yeux, tu sais.", lui dit Marco en récitant son texte.
 
Elle chante un opéra dans une langue inconnue. Les acteurs répètent la scène du début. Le souffleur les engueule. Filaments jaunes.
 
"Janvier !"
 
 
Commentaires :
 
Durée : 1h1/4 + 1/2 h debrief
 
Atelier [on fait une première partie en "oui-non", dans le but de tester les limites] :
 
Durée 1/2h + 1/4 h debrief
 
Un homme à tête d'ours, un arbre, une griffe. Des voix qui lui parlent. Il attaque l'Arbre, qui s'avère rempli de sperme. Tremblement de terre, attaque d'abeilles noires à tête d'ours. Une créature lui propose de faire un pacte mais ça lui coûtera son bras.
Flash-back : l'homme rencontre un ours qui lui donne sa tête, il l'embrasse chastement. [font]À[/font] la recherche de sa femme, elle est loin.
Retour au temps présent : L'homme s'enfouit sous terre. Sa femme explose sous forme de papillons. Il recherche des photos et des souvenirs de sa femme, trouve une photo et un papillon, il les mange.
 
Dans le combat contre les abeilles à tête d'ours, un golem de bois invoque une pluie acide qui fait fondre les insectes.
 
Son oeil fond. Un homme arrive. Des fraises lui poussent sur le crâne. Il en mange et c'est délicieux. Il offre un oeil au golem de bois qui devient un parasite mental.
Le golem de bois se fait blesser, il rampe jusqu'à sa maison.
Il y a son enfant dans un berceau et sa femme morte dans le lit.
L'enfant a des fraises qui lui poussent sur le pied, il les mange, c'est aussi délicieux que douloureux. Le plafond lui tombe dessus et lui écrase le crâne tandis que son père s'accouple avec sa mère morte.
 
 
Retours de l'équipe après la partie principale :
 
A. : On a plus construit cette fois-ci. Moins de descriptions, de magie, de sauvagerie, de mutations. Mais au final ça fait avancer l'histoire et on a abouti à quelque chose qui visuellement avait de la gueule.
 
R. : Très bonne partie. Les "non" sont pas bloquants ou ressentis comme un mur. Quand j'avance que le fils du vigile a pas de couilles, ce n'est pas interprété comme un refus de jeu, on rebondit dessus.
Ce type de jeu provoque des sensations différentes. J'avais un perso mutant chat, j'attendais rien et quand Eugénie m'a fait arriver en faisant peur, du coup on l'a fait jouer différemment. [réponse d'Eugénie : je l'ai fait parce que c'était intéressant de twister le perso. J'aurais eu peur de faire à l'inverse. Ric : Mais non, car j'aime pas les persos badass.]
 
E. : J'ai adoré. L'atelier va vraiment avec : on a fait toutes les conneries possibles. On a dit "non" à Thomas plein de fois et du coup la "vraie" partie était cohérente.
Le rat, tout le monde l'a joué et l'a décoré. Les gens se sont emparé des PNJ.
On a eu de l'émotion, des moments drôles.
 
S. : J'ai vraiment adoré. C'était très cool. Y'avait l'histoire, le décor, l'ambiance, on faisait poper les PNJ, c'était fluide tout en étant un joyeux bordel.
Y'a eu des instants dans la partie ou il y a eu plusieurs conversations. ça me semble crucial de se borner à une seule conversation.
C'était agréable d'agir et de décrire.
 
C. : C'était très cool. C'était extrêmement focusé, y'a très peu de choses qui ont pas servi. [A. : on a vu le bénéfice de l'atelier. S. : le côté échauffement était bénéfique. E. : par exemple, dans l'atelier, on balance le mot "sperme", comme ça c'est dit, c'est évacué.]
L'esthétique était cool.
C'est difficile de créer un perso à la volée : Tas de Bois était un peu pâle.
 
R. / E. : C'était plus "non merci" que "non"
 
Thomas : J'ai "remeublé" Marco avec la vision de l'enfant.
 
S. : J'ai vraiment apprécié. Avec la question "Janvier", ça m'a invité à un monologue intérieur sur qui j'étais et pourquoi j'accompagnais Marco.
 
Thomas : En tant que spectateur, j'étais immergé dans l'histoire, c'était rythmé et fluide. Le background forestier a pas trop servi, mais j'étais en plein dans l'ambiance.
 
S. : difficile dans la partie, c'était d'identifier qule est le personnage qui prononce quelle phrase. Mais les deux phrases suivantes permettaient de se raccrocher.
 
[On se félicite mutuelllement sur les fils de marionnettes inventés par Clément à la fin, et le "oui" collectif à cette proposition]
 
E. : dès la première scène, on savait ce que vous vouliez faire.
 
A. : Je cherchais dans la mythologie de Millevaux les persos que je pouvais refiler.
 
C. : le mot-clé "non" peut quand même être cassant si tu sais pas comment réagir par dessus
 
Thomas : Pour mon personnage de Marco et sa tirade "Janvier !", je me suis inspiré de Jean Gabin dans le film "La traversée de Paris".
 
 
A voir aussi :
 
Le retour personnel d'Eugénie sur cette partie dans son article Les Ateliers 1 sur le blog JenesuispasMJmais
 
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LES CHOSES INTIMES

L'introspection, les êtres et les sentiments qui couvent comme des pommes de terre sous la braise.

(temps de lecture :  6 minutes)

Joué / écrit le 04/02/2021

Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Olive Titus, domaine public

Contenu sensible : zoophilie, violence sur animaux


Passage précédent :

46. Étrange Vôge
Quand tout ce qu’il y a de plus bizarre au village se déchaîne. (temps de lecture : 8 minutes)


L'histoire :

Image
S/T, par Myrkur, du black métal avec un chant féminin cristallin et nordique, une élégie qui souffle le froid et la glace.

Les mains jointes à s'en faire mal.

Les doigts tremblant.

Les bras qui flanchent.

Les genoux fléchis sur le dallage glacé.

Les dents qui claquent.

La mâchoire serrée.

Des sueurs froides sous la coiffe.

Impossible.

La Sœur Marie-des-Eaux n'arrivait plus à prier.

Agenouillée devant l'autel de la Chapelotte, elle enrageait de cette incapacité, de cette invalidité spirituelle en pleine montée. 

"Notre Dame de Bonne-Espérance... Notre Dame de Bonne-Espérance....

Oh et puis merdre."

Alors, il en était donc rendu là. L'acédie. Le péché de la tristesse et de la désolation spirituelle.

Il cherchait en lui, dans ses tripailles même le souffle de foi qui lui restait, la dernière envie de se battre, la dernière ressource, l'ultime cause.

Mais il n'y avait que les tréfonds de la faim et plus rien d'autre entre ses côtes.

Avec l'ascèse du corps et la chape du malheur, il n'y avait plus de place en lui pour la piété.


Il sent une fleurance familière. Le temps de retourner la tête, il est déjà ailleurs. Le voilà de nouveau dans son château intérieur contre son gré, au milieu des chandeliers dégoulinant de cire et des bahuts défoncés par le poids des souvenirs.

L'odeur des plumes mouillées

Une ombre s'avançait à travers les rideaux de toiles d'araignée. Une silhouette à trois têtes.

Trois têtes de belettes.

"Prescience !"

Déjà il est dans ses bras, le novice, alors redevenu l'enfant-soldat, se tapit dans le fouillis des rémiges de son amant.

Prescience ne dit rien, Marie sent juste qu'il a accès à la totalité de son esprit, conscient, comme oublié, et donc les mots sont inutiles.

"Avant Euphrasie, tu es la seule personne que j'ai aimé, Prescience... Alors pourquoi j'ai fait ça, pourquoi j'ai fait ce qui t'a perdu ?"

Les têtes de belette se penchent sur lui, ses greniots lui frôlent le visage. Par des hochements, il lui fait comprendre qu'il ne pouvait pas savoir, ou que c'était le destin.

"Pourquoi a-t-il fallu que nos deux mondes soient à ce point incompatibles ? Pourquoi a-t-il fallu que je t'embrasse ?"

Il voit le noir de ses yeux, humides et expressifs à s'y noyer.

Et à nouveau, il n'y tient plus. Il s'accroche à ses épaules, et il colle ses lèvres contre une tête du horla, sa langue cherche celle de la belette, glisse sur les crocs et les babines, il sent le souffle musqué et s'en enivre, et enfin la langue animal répond et s'anime sous la sienne. Il sent les pattes et les ailes du horla le serrer très fort, et ça y est ! 

Ils retournent à Douaumont.

La bise ventile à toutes forces et les entoure en spirales. Les arbres crevés de shrapnels sont de retour et les détonations tout autour.

Mais ce n'est pas les tirs qui ont tué Prescience.

C'est le contact intime et profond avec un humain, c'est le choc des deux mondes.

La langue de Prescience s'arrête en même temps que son cœur, et dans les bras de Marie, soudain il pèse des tonnes. L'enfant-soldat, sa mitraillette en bandoulière, pleure et crie à tout rompre en portant le cadavre du horla.


La Sœur Marie-des-Eaux s'est surpris à reproduire ce même cri de toute la violence de ses poumons anorexiques.

Elle est maintenant sur un balcon de son château intérieur, perclus de lierre et de rampinottes. Il n'a pas un regard sur les contours du château, c'est une vision pour laquelle il n'est pas encore prêt. 

Déjà ses yeux ont fort à faire à parcourir le paysage de forêt hercynienne portée par les montagnes vosgiennes rondes comme des ballons, et s'écroulant dans les ravins.

Il tremble de tout son long, et se retient à s'en faire péter les phalanges pour ne pas tomber par-dessus la balustrade. L'acédie, la culpabilité et le chagrin le disputent à la peur.

Car ces forêts aux teintes obscures qui s'étalent au pied de son château intérieur ressemblent beaucoup trop aux forêts limbiques.

Et aussi parce que le novice pressent, traversant le monde en une immense lame de fond, la venue d'un désastre qui va balayer tout ce qui a précédé.


Image
Nektyr, par Demen, un chef-d’œuvre de la doom pop où une voix féminine éthérée parcourt des étendues de ruines à la beauté et à la solitude sans pareille, servis par une musique aussi caverneuse que majestueuse.

En comparaison avec la froidure des bois et son gel intérieur, la chaleur qui règne à l'Auberge du Pont des Fées est obscène. La Sœur Marie-des-Eaux y trouva la Sœur Jacqueline, comme d'habitude, assise sur un tabouret, fixant la Bernadette affairée aux marmites, avec une bouche fixe où s'ébauchait presque un sourire, et des yeux en ronds de soucoupes.

"Vous avez pris du poids, Jacqueline", fit le novice pour simuler une conversation.
Il mit sa main sur le ventre tendu sous sa tenuque de religieuse. L'abdomen avait la dureté et l'élasticité d'un tambour.
"Par l'Esprit-Chou... Vous n'avez pas grossi... Vous êtes enceinte."

La Bernadette leva la tête de ses fourneaux.



L'Ernest Peutot était dans sa ferme, au milieu des effluves de bouse et de lait qui faisaient son ordinaire rassurant. 

"Loulou ? T'es là ?" Il appela d'un claquement de langue.

Il trouva ce qu'il cherchait caché dans la tiédeur des bottes de paille. Un veau de quelques semaines, encore frêle sur ses pattes, se redressait à l'approche du paysan, il approcha sa tête de lui, le fixa de ses beaux yeux sans volonté, puis lui lécha les doigts.

L'Ernest était là pour lui donner le biberon, mais il faisait toujours durer un peu le rituel. La pitance devait se gagner par quelques caresses et coups de mufle. 

Puis il cédait, lui fourrait la goulotte dans la bouche, et le bébé têtait par à-coups pressés, tandis que l'Ernest se remémorait tout ce qu'ils avaient vécu ensemble. La mise-bas difficile, lui tirant des heures sur la vêleuse à s'en déchirer les muscles, c'est pendant le travail qu'il lui avait trouvé son nom et il l'appelait : "Loulou ! Allez viens Loulou, vingt ras !". L'animal trop frêle pour marcher et même pour têter la mère, si bien qu'il lui donna le biberon aussitôt. 
Il se revit l'amenant dans sa brouette, et le veau en tomber, et les gamins éclatés de rire à la vue de la quiche qu'il s'était prise !
Il revit les semaines passées ensemble, remplaçant la maman qui était retournée dans le troupeau pour se faire traire, l'animal qui reconnaît sa voix ou le bruit de ses sabots, qui cherche des doigts à lécher, qui le bouscule dans sa précipitation, et lui qui joue avec lui, ils roulent tous les deux dans la paille...

Mais aujourd'hui, même si Loulou l'ignorait, le lait avait un goût amer.

Car il était temps pour Loulou.

Une vision l'assaillit un instant. La tête de Loulou qu'il va récupérer. Sa femme à la cuisine.

Ça tapa à l'entrée de la ferme.

L'Ernest sursauta comme si le diable lui avait sauté dans le calbute.

C'était le Fréchin avec son couteau.

"Alors, tu m'as fait dire qu'y'en avait un de mûr ?"

Loulou délaissa le biberon tari et tituba vers le nouveau-venu, comme à son habitude curieux de tout.

Et l'Ernest resta les genoux à terre, il regarda Loulou partir vers son destin.


Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1355
Total : 85756


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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

[Marchebranche] Ce qui appartient à tout le monde

Une partie solo de Marchebranche pour prouver que l'abondance de tables aléatoires s'y prête tout à fait : au résultat, une partie introspective qui m'a ému. 

(temps de lecture : 12 minutes)

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matthias lueger, cc-by-nc-nd
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

LE CARREFOUR DE L'ENFANT ROLLO

Les peines toutes simples sont les plus lourdes à porter.

(temps de lecture : 7 minutes)

Joué / écrit le 11/02/21

Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

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Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Christen Dalsgaard, domaine public

Contenu sensible : mort d'enfant


Passage précédent :

47. Les choses intimes
L'introspection, les êtres et les sentiments qui couvent comme des pommes de terre sous la braise. (temps de lecture :  6 minutes)


L'histoire :

Image
II, par Toundra, post-rock épique et forestier.

"Vous étiez censée veiller sur elle !"

La Sœur Marie des Eaux plaqua la Bernadette contre le mur de sa cuisine, renversant assiettes et casseroles !

"Comment se fait-il qu'elle soit enceinte ! Vous avez laissé un de vos poivrots...
- Non ! Non ! Non !
- Alors quoi ?"

"Aucun homme ne l'a touchée, je vous le jure ! Cet enfant qu'elle attend... C'est notre enfant.
- Vous vous foutez de ma gueule ?
- Non, non, je vous le jure, par l'Esprit-Chou... Vous savez qui je suis. Je peux tout. L'amour peut tout."

Le novice l'empoigna par le licol et lui glissa son opinel sous le cou.

"Quelle diablerie as-tu faite, sale sorcière !
- Calmez-vous, Marie, je vous en prie. Nous... Nous ne sommes pas ennemies. J'ai voulu vous aider, et j'aurais continué à le faire si Jacqueline n'avais pas refusé mon assistance. Je regrette juste d'avoir employé la magie pour la séduire. Car je n'en aurais pas eu besoin, en fin de compte. Je sais que tout ça heurte vos convictions, mais je vous demande de réfléchir un instant où vos convictions vous ont mené. Sont-elles bien les vôtres d'ailleurs, ou des pensées qu'on vous a inculquées de force ? Il existe d'autres réalités. Laissez-moi être votre amie...
- Epargne-moi ton baratin !"

Il le lâcha et la laissa s'affaler sur le carrelage, puis se barra en claquant la porte.


À la Tranchée, les frères Fournier contemplaient les champs de blés semés tout autour de leur ferme, dans la glèbe patiemment arrachée à la forêt. 

Ils pognaient la terre dure des premiers givres. Ils tremblaient pour leurs germes.

"Vingt rats, faut que la neige arrive pour les tenir au chaud... Faut qu'elle arrive, vingt rats..."


Sous les coups de pieds du novice, les champignons gelés éclataient en cristaux. Les rendez-vous avec Augure derrière la yourte de Champo étaient devenus une habitude. Il n'avait plus qu'elle à qui parler. Alors qu'il se confiait à l'étrangère, son souffle se ramifiait en frondaisons blanches sous l'effet du froid.

"Je suis en proie à tous les doutes, Augure... Je ne relis plus mon carnet, et je ne le tiens plus à jour. J'essaie de prier, mais le Vieux n’entend pas nos prières... Il a perdu contact avec nous. L'Euphrasie m'a révélé des choses sur mon passé, mais je ne veux pas la croire. Elle prétend que j'ai eu une enfance normale et que j'ai rejoint le cloître de mon plein gré. Pourtant, le passé que je me serais inventée d'après elle, il a l'air tellement plus vivant... Toute cette série de catastrophe, la mort de mon frère Raymond à cause de la rougeole, l'engin agricole qui s'est renversé sur moi, puis ma vie d'enfant-soldat auprès de la Madone à la Kalach, ma rencontre avec Prescience, la mort de la Madone et mon enrôlement de force chez les nonnes..."

Augure l'avait écouté tout du long. Il s'approcha. Marie reconnut une odeur qui s'échappait de son haleine. Celle de plumes mouillées. Augure essaya de l'embrasser.

Mais le novice recula.

"Vous n'êtes pas Euphrasie."


"Allez, cette fois-ci, j'y arrive."

La Sœur Joseph, cramponnée à son bâton, était enfin parvenue à la grand'rue. Elle parcourut les maisons du regard, toutes débordées par les arbres derrière, et enfin elle dénicha une proie.

Le Fleurance Jacopin était accroupi dans un fossé, en train de fouiner dans un terrier avec une branche.

"Toi, viens-là ! En route pour l'école !"

Il se tourna vers elle, et son regard avait la même férocité que celle des chats harets qui rôdaient autour des fermes. Il se redressa et d'un bond fut hors de sa cache.

La religieuse lui fit la course à l'échalotte, toute empêtrée dans ses robes, criant et jurant, mais le môme fut vite absorbé par les fourrés et malgré la nudité hivernale des couverts, il était déjà perdu de vue. 

La Sœur Joseph baissa la tête et les bras. Elle avait encore échoué.


Image
Wildflowers, par Nhor, un piano solitaire pour égrainer la tristesse qui ne se tarit jamais malgré le passage des saisons.

Alors qu'il actionnait le rabot, le Sybille Henriquet ne pouvait retenir ses larmes.

Des meubles, il en avait fait dans sa vie. Et toujours il y mettait son cœur, mais il savait aussi brider ses sentiments, car il faut bien s'en séparer à la fin, car il faut bien continuer.

La sculpture apparut peu à peu sous la gouge. Il avait longtemps cherché quel animal représenté, puis ça s'était révélé de soi-même au coup de ciseau : une biche, blanche comme l'aulne qu'il avait choisi pour sa facilité de sculpture et justement, pour sa couleur.

Des cercueils, il en avait fait dans sa vie. Mais celui-là, c'était difficile.

Pas qu'il y ait beaucoup de masse, mais il y avait du cœur à mettre à l'ouvrage. Trop de cœur.

Et quand ça eut été fini, il l'a mis sur son dos, il est sorti, il a traversé la grand-rue dans le tout petit frisquet du matin.

Il a frappé. On a mis du temps pour lui ouvrir, bien qu'il entendit du bruit à l'intérieur.

La main d'un paysan tourna la clenche, et le menuisier se trouva au seuil de la cuisine. Tout était en désordre. Des monceaux de casseroles. La ruine s'installait. Et une demi-douzaine de personnes entassées là autour d'une chicorée refroidie, la famille, les ouasins, la Sœur Marie-des-Eaux.

Et la Mère Rollo, quand elle eut vu le petit cercueil sur l'épaule du Sybille, c'est là qu'elle se rendit compte, vraiment.

"Mon enfant ! Mon enfant est mort !"


Il y eut au cours de cette veillée une sorte d'enquête policière, menée par des mères de familles aux yeux rouges. Le Fleurance Jacopin leur dit que l'enfant Rollo avait couru après les corbeaux avec son pistolet à bouchon. Faut dire qu'à force d'entendre le Nônô Élie et d'autres en parler comme d'un fléau, il s'était mis en tête de jouer les héros. Et donc il avait poursuivi les volatiles jusqu'aux Feugnottes. 

C'est là que le loup l'a gnoqué.

On l'a retrouvé au carrefour qui relie la Tranchée, la Grande Fosse, les Creuses et la Colosse.


"Allez vous coucher, les enfants.

Sinon, gare au Couche-Huit-Heures ! 

Vous savez bien que ce horla fait la tournée du village le soir.

Vous savez qu'il s'en prend aux enfants qui ne veulent pas aller dormir."


La route est souvent longue. 

Et sinueuse.

Pour se rendre aux veillées mortuaires, on met son gilet, sa capeline, son écharpe, son fichu. On passe par toutes les maisons sur le chemin, bonsoir, on vient vous chercher, vous prendrez bien un canon pour vous réchauffer, oui mais faut qu'on y file juste après.

Il y avait bien la moitié des Voivres à se presser au chevet de l'enfant Rollo.

"Ils l'ont bien réussi.", mentionnait-on en parlant de l'apprêt du corps. 

"Oui. Il a l'air d'un biquit."

Et ça renifle, et ça pleurniche, et ça tricote. Et ça picole, aussi.

À la fin, ils étaient tellement foingés qu'ils ont béni l'enfant avec de la goutte.


Le lendemain matin, le Sybille était de retour. C'est la mort dans l'âme qu'il mit les clous sur le couvercle du cercueil et que les hommes l'emportèrent.

La Sœur Marie-des-Eaux fit sortir le matelas de l'enfant. Il y mit le feu avant de se rendre à l'église.

"Il est nécessaire de brûler les paillasses des morts pour éviter leur retour."

Le novice revoyait encore les fantômes d'enfants non-baptisé qu'il avait croisé dans les forêts limbiques.


La mère Rollo le retint par la manche.

"Avant qu'on aille à la messe, je veux me confesser.
- Je ne peux pas vous garantir qu'un sacrement donné par une religieuse soit valide. Mais je peux vous écouter."

On retourna dans la chambre vide du minot. Le novice s'assit sur un des bancs, et la mère s'agenouilla à ses pieds.

"Bénissez-moi, car j'ai péché.
- Parlez sans crainte, mon enfant.
- Je fais tout pour être une bonne chrétienne, mais j'ai quelque chose sur le cœur qui me pèse.
- Le Vieux peut tout pardonner, vous savez.
- Ben voilà, j'ai caché la vérité.
- Donc vous avez commis le péché de mensonge.
- Oui. Oh, c'est peut-être rien, et c'était il y a longtemps, mais j'ai quand même honte. Je remontais de la Grande Fosse d'aller chercher des mirabelles, et j'ai croisé le Nônô Élie et sa femme qui tiraient un veau par une longe.
- Poursuivez.
- Et bien quelques heures plus tard, le père Peutot boualait partout qu'il avait perdu un veau et que c'était le loup qui l'avait pris. On a fait des battues pour le retrouver. Même que le Nônô Élie en faisait partie.
- Et donc ?
- Ben le veau on l'a jamais retrouvé. Et pour cause. C'était le Nônô Élie et sa femme qui l'avaient pris. Mais j'ai pas osé dire."


Pendant la messe, le corps de la Sœur Marie-des-Eaux était bien présent, à parler latin comme un automate. Mais son esprit cherchait refuge dans le château intérieur.

Il était en bras de chemise, dans la grange, auprès de la pétrissoire, à malaxer le pain, à façonner des petites oublies.

Il appliqua le tampon sur une boule de pâte, mais le motif s'imprimait mal. La matière était spongieuse. Il chercha la cause de cette humidité et la trouva tout autour de lui. Les poutres dégorgeaient. Les souris pataugeaient dans une paille visqueuse. Il ouvrit la porte de l'accès de cave. Les escaliers étaient noyés, où de hideux crapauds patouillaient.

Son château intérieur était littéralement en train de prendre l'eau.


On mena le cercueil au cimetière dans une vieille caloubrette menée par le Fréchin et le Nônô Élie, pas décuités de la veille.

L'embarcation buta sur une racine et la boîte fut caboulée sur le sol. On s'affaira dessus très vite, on empêcha la mère de voir et vite on recloua le couvercle.


Personne n'eut le cœur de s'indigner de cet incident. On voulait tous en finir.


Et le soir venu, après le vin d'honneur, la mère Rollo fut de nouveau seule.


Alors, elle prit sa tête dans ses mains, et accepta enfin la venue des sanglots.

"Mon pauvre Jacquot, tu mourras une deuxième fois quand je t’aurai oublié..."



Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1846
Total : 87602


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

STURKEYVILLE II
 
Un épisode d’enquête occulte dans l’Amérique Lovecraftienne des années 1920 que Millevaux envahit insidieusement. Un récit par Damien Lagauzère.
 
(temps de lecture : 35 mn)
 
deuxième chapitre d’une enquête du jeu Grey Cells avec des bouts de Bois-Saule, de Cœlacanthes, de The Name of God et de La Trilogie de la Crasse dedans.
 
Le jeu principal de cette séance : https://www.kickstarter.com/projects/greycells/grey-cells-rpg]Grey Cells, un jeu de rôle d’enquête contre la montre par Bogdan Constantinescu
 
Joué le 07/04/2019
 
Cette partie fait suite à une première partie, https://rpsolo.blogspot.com/2019/03/greycells-sturkeyville-nous-sommes-le.html]Sturkeyville I, qui était moins axée sur Millevaux.
 
 
Image
Jonathan Haeber, cc-by-nc, sur flickr
 
 
L’histoire:
 
Lewis Patrick Hatecroft se remet lentement des derniers événements. Ceux-ci ont été éprouvants tant sur les plans physiques que psychiques. Il doit non seulement se remettre de deux agressions mais aussi apprendre à vivre avec, sur la conscience, la mort d'une poignée de cultistes ; conséquence d'un rituel au cours duquel il s'est lié à un Sombre Rejeton de Shub-Niggurath.
Toutefois, un mystère demeure. Comment Archer et ses complices ont-ils su qu'il possédait un exemplaire des Unaussprechlichen Kulten ? C'est une sottise, il le sait. Pourtant, convaincu que tous les complices d'Archer ne sont pas morts, il ne peut s'empêcher de tenter de les pousser à se dévoiler. Ainsi, par l'entremise de Lane, il fait publier dans la Gazette de Sturkeyville une soi-disant nouvelle dans la rubrique fiction, espérant susciter quelques réactions.
Quelques jours après l'annonce du décès d'Archer, on pouvait lire :
 
« Parce que tout a commencé par ce qui n'aurait pu être qu'un banal vol... Votre serviteur, qui tient malgré tout à conserver l'anonymat malgré le méfait dont il fut victime, a eu le triste privilège de constater la disparition d'une pièce très particulière de sa collection. Cet ouvrage se transmet dans notre famille de génération en génération. Ce livre, véritable relique au contenu antique, mystérieux, occulte... dangereux. De prime abord, pour le simple amateur de l'art du détective, aucun indice, aucune trace d'effraction. Pourtant, votre serviteur a retrouvé une unique cartouche.
Votre serviteur a alors immédiatement couru s'informer du modèle de l'arme utilisant ce type de munition. Il s'agissait donc d'un fusil ayant servi dans l'armée allemande durant la Grande Guerre. Ainsi, comment le ou les auteurs de ce méfait sont-ils entrés en possession d'une telle arme ? Sont-ils des vétérans ? Sont-ils des proches ou des mercenaires au service d'anciens soldats ?
Il est de notoriété qu'un de ces vétérans, un marginal, vit à la sortie de notre finalement pas si paisible Sturkeyville. Dire que votre serviteur fut accueilli sans courtoisie est un euphémisme. Point de violence physique - ce n'est que plus tard que votre serviteur fut par deux fois vigoureusement agressé - , mais des mots bien étranges évoquant autant les traumatismes générés par la guerre que les contenus occultes de l'ouvrage dérobé : la mort et la quête de la vie éternelle !
Filatures, interrogatoires courtois, passage à tabac et, fort heureusement, l'apparition d'un allié aussi inattendu que providentiel, me permirent de tisser un faisceau de preuves convergeant vers une personnalité de notre cité et, certainement derrière elle, tout un réseau d'acolytes en quête également de la vie éternelle... à n'importe quel prix. Et, gardien de cet ouvrage dangereusement occulte, votre serviteur se trouve particulièrement bien placé pour savoir que ce prix peut être extrêmement élevé. Mais comment les confondre ? Comment mettre un point final à leurs sinistres projets sans pour autant faire la lumière sur des réalités devant rester dans l'ombre ? Une solution s'imposait à moi : combattre le mal par le mal !
Mais, le gardien des savoirs interdits peut-il ne pas être au fait des sombres connaissances dont il a la charge de préserver le monde ? Non, il ne le peut pas ! Mais lui, à l'inverse des membres de cette sinistre secte, il ne veut pas payer ce prix. Et il ne veut pas que l'humanité le paye non plus. Toutefois, votre serviteur s'est vu contraint de risquer sa santé psychique, sa vie même! afin de préserver l'humanité des manigances de ces vétérans en quête d'immortalité. Alors, je me suis rendu dans les bois et j'ai obtenu des sombres esprits qu'ils mettent un terme aux agissements de ces sorciers. Le résultat ? Vous l'avez lu dans la rubrique nécrologique de la Gazette... Et maintenant, sommes-nous sauvés pour autant ? J'aimerais en être certain. Je fuis le sommeil autant qu'il me fuit, hanté que je suis par le prix que ces esprits de la forêt vont exiger de moi. Car ils viendront... Et ce jour là, je l'espère, le remède ne se révélera pas pire que le mal que j'ai contribué à endiguer. »
 
A se relire ainsi dans le journal, Lewis Patrick avait conscience tout autant de la maladresse de sa démarche et de ses faiblesses littéraires. Il ne savait ce qui le toucherait le plus entre une réaction des cultistes ou un mauvais accueil de la part des lecteurs. Pour autant, un fait divers sanglant éclipsait sa prose. On venait de retrouver un cadavre ensanglanté et mutilé dans la forêt. Celle-là même où il s'était livré à ce terrible rituel. Le Sombre Rejeton hantait-il toujours les lieux ? Lane peut-il lui en dire plus à ce sujet ?
 
Lewis Patrick convie donc son ami reporter à Hatecroft Manor afin d'en savoir plus à ce sujet. Mais Lane n'est au courant de rien. Il n'est pas sur le coup et a en réalité d'autres chats à fouetter. En effet, il est convaincu que le directeur adjoint de la banque de Sturkeyville se livre à quelques malversations. Il est sur sa trace depuis un bon moment maintenant. Il n'a pas l'instant rien trouvé mais Horace Mumford a forcément quelque chose à cacher. En effet, non seulement il a refusé plusieurs fois de répondre à ses questions mais il a également disparu de la circulation depuis plusieurs jours. Lane voit là un aveu de culpabilité. Se sachant traqué, Mumford se serait donc enfui. Ou, en tout cas, il se cache. Par ailleurs, un autre employé de la banque, Vernon Archer, est lui aussi absent. Y a-t-il un lien ? Sont-ils complices ?
Lewis Patrick connaît le jeune Archer et a du mal à voir en lui quelqu'un de malhonnête. Pour autant, il en est conscient, cela ne prouve rien et tout est possible, vraiment tout... Il n'y a a priori aucun rapport entre l'enquête de Lane et le cadavre dans les bois mais Lewis Patrick ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour Archer vis-à-vis duquel il se sent redevable, voire même quelque peu coupable. Mais, que faire ? Il est hors de question de révéler à Lane comment il a fait la connaissance du jeune homme, ni même pourquoi il s'intéresse à cette histoire de meurtre dans les bois.
 
Le soir venu, Lewis Patrick est angoissé. Il traîne. Il lit, boit du thé, erre dans les couloirs d'Hatecroft Manor. En réalité, il ne veut pas se coucher. Il a peur de ce qui pourrait venir hanter ses rêves. Mais, bien après minuit, il se résout finalement à gagner son lit et le sommeil finit par le rattraper.
 
Lewis Patrick se réveille. Il sait qu'il dort, qu'il rêve. Il est de nouveau dans la forêt. Mais ce ne sont pas les bois de Sturkeyville. C'est autre chose. C'est... Millevaux ! Il porte ses vêtements habituels mais ils sont vieux, troués, raccommodés, élimés. Il n'y a pas grand chose dans sa besace en cuir. Un peu de viande séchée, une poignée de noix, son exemplaire des Unaussprechlichen Kulten.
Il voit dans ces rêves récurrents l'influence de Shub-Niggurath. La Chèvre Noire tente de le rallier à elle. Elle l'attire en ce lieu pour le corrompre mais lui, contraint d'y errer, entend bien y trouver quelques vérités afin de combattre l'influence néfaste des Anciens. Combattre le mal par le mal, faire flèche de tout bois... serait-ce là son nouveau credo ? On dirait. Mais il sait qu'il y a toujours un prix à payer. Il a d'ailleurs conscience d'être précisément en train de le payer. Mais il craint malgré tout les intérêts. Et ces dernières réflexions « financières » le font penser au jeune Archer qui travaille à la banque et à l'enquête de Lane sur le directeur adjoint. Mumford ? Oui, c'est ça.
Dans le rêve, il ne sait plus quel jour il est dans l'éveil. Mais ici, nous sommes le 14ème jour du mois de Serpente. Et ces mots, différents à chaque fois, résonnent à ses oreilles :
 
« Tu montres une telle confiance, une telle générosité... Tu as un parfait profil de victime.
À moins que tu ne sois un bourreau en puissance. »
 
Hum... La confiance et la générosité font-elles partie de ses qualités ? Il ne sait plus trop. Est-il vraiment généreux ? Est-ce généreux que de se résoudre à d'immondes rituels pour mettre fin aux activités d'adorateurs des Anciens ? N'est-ce pas plutôt un prétexte ? Il en a conscience. Il le sait. Il sait que son altruisme n'est qu'une façade mais qu'en réalité il n'a qu'une envie, celle d'explorer les sombres mystères dont il est le gardien. D'une certaine façon, il est le gardien d'une boîte de Pandore et lui aussi l'a ouverte. Mais parviendra-t-il à la refermer et à ne pas succomber à la tentation de ne pas l'ouvrir à nouveau ?
La nuit est brune. On y voit pas très bien. C'est bizarre car le temps est sec mais, pourtant, il est trempé, comme s'il pleuvait à verse. Et surtout, Lewis Patrick a faim. Il aperçoit un vieux bâtiment en ruine. De loin, cela ressemble un peu à la scierie de Sturkeyville. Il court pour s'y abriter. Mais de quelle pluie ? Il espère y être au sec et à l'abri...
Il a de nouveau senti cette présence. Cela fait plusieurs fois que, dans ces bois, il sent une présence, quelqu'un, quelque chose le suit depuis plusieurs rêves. Il ne l'a qu'entraperçue, une silhouette haute, très musclée, recouverte de fourrure. Pas tout à fait un ours mais pas tout à fait un homme non plus. Il y a tant de choses étranges qui peuplent cette forêt. Il ne sait pas si cette chose le traque pour le tuer ou seulement pour jouer. Il est certain que, si elle le voulait, cette créature ne ferait qu'une bouchée de lui. Et il repense à cette affaire de cadavre dans la forêt.
Lewis Patrick se laisse glisser le long d'un mur. Peut-il s'endormir dans un rêve ? Et dans ce cas, où se réveillerait-il ? Dans son lit ou... un autre rêve ? Alors qu'il se laisse aller à ces pensées, son regard se porte sur le pan de mur qui lui fait face. Une nuée d'insectes (des araignées?!) courent dans tous les sens et tissent une toile immense et improbable à vitesse accélérée. La toile et les araignées elles-mêmes forment des mots sur le mur : La Capitale de la Douleur !
A la vue de ces mots, et il ne sait pas pourquoi, Lewis Patrick se met à trembler. Ses mâchoires se contractent douloureusement. Ses muscles se tétanisent. Il voudrait se lever et arracher cette toile, piétiner ces araignées. Il voudrait hurler mais ces mâchoires restent soudées l'une à l'autre. Ses mains et ses doigts sont soudain agités de mouvements saccadés et incontrôlables. Ses yeux sont grands ouverts, exorbités. Lewis Patrick a l'impression qu'ils vont quitter son crâne. Un hurlement retentit au loin. Il bave de rage. Il veut tourner la tête en direction du hurlement mais ne peut détacher son regard du mur et des araignées.
Le hurlement... est... le sien ! Lewis Patrick se réveille en sursaut. Il se jette hors de son lit et secoue les draps à la recherche d'araignées ! Il est convaincu que des insectes grouillent dans ses draps. Mais après quelques minutes d'agitation frénétique, il se rend à l'évidence. Il n'y a rien. Toutefois, demain, il se rendra à la droguerie et fera provision de poudre insecticide.
 
Aujourd'hui, et au grand dam de ses domestique, Lewis Patrick fait donc la chasse à l'arachnide. Il traque la moindre toile dans le moindre recoin. Il s'agite dans tous les sens en marmonnant des propos plus ou moins intelligibles et cohérents concernant la Capitale de la Douleur et invectivant la peste des insectes. Mais c'est lorsqu'il entreprend de répandre ses poudres dans la pièce où il conserve les éléments les plus obscurs de la collection dont il est le gardien que son sang se glace. Deux pièces manquent à l'appel ! Deux fragments de journaux intimes. De mémoire, il s'agit du journal d'un guerrier viking qui aurait accosté en Amérique il y a fort longtemps, bien avant la conquête espagnole. Et il décrit là ses contacts avec les indiens et comment il a appris leurs coutumes, leurs mythes et légendes. Mais il n'est plus vraiment certain du contenu. Il ne les a que survolés il y a déjà fort longtemps. Pour autant, un second vol si peu de temps après le premier, cela ne peut pas être une coïncidence. Et si la publication de sa fausse nouvelle dans la Gazette avait finalement l'effet désiré ?
Lewis Patrick donne congé à tous ses domestiques. Il veut être seul à Hatecroft Manor pour examiner les lieux du crime et tenter d'y déceler un indice. Celui qui s'est introduit ici a bien dû laisser une trace de son passage. Et surtout, cela confirme bien que quelqu'un à Sturkeyville est au courant des raretés qu'il conserve au manoir. Il ne pense pas un seul instant que ses domestiques puissent être mêlés à cette effraction. Toutefois, s'il ne devait trouver aucune autre piste, il faudra peut-être se résoudre à les suspecter.
Mais, après avoir fait plusieurs fois le tour de la pièce et en avoir examiné le moindre recoin, rien ! Lewis Patrick ne trouve rien! Pourtant, il est certain que cela est en lien avec l'affaire Archer sauf que... il ne peut même pas contacter le jeune Archer puisque celui-ci a disparu, en même temps que son patron ! Alors, désespéré, il se prépare une tasse de thé et s'installe dans la pièce où il organise ses soirées spirites. Il songe alors que cela fait longtemps maintenant qu'il n'en a pas organisé une. Et si...
Il ne suffit que de quelques appels téléphoniques pour que les choses se précipitent. Myrtle Veneti sera là bien sûr. Mais aussi Greg Benson, le pharmacien et Julius Andrew, le notaire. À eux quatre, ils devraient parvenir à contacter un esprit. Et peut-être que ce dernier saura ce qui s'est réellement passé à Hatecroft Manor aujourd'hui.
Le soir venu, les invités s'installent dans cette pièce qu'ils connaissent bien. Il y a à boire et à manger mais personne n'y prête vraiment attention. Lewis Patrick est nerveux. Il espère vraiment qu'un esprit va se présenter pour lui apporter des réponses mais sans toutefois trahir auprès de ses convives sa fonction de gardien de savoirs occultes. Il pense pourtant ne pas pouvoir faire autrement que prendre ce risque. Tous s'installent autour du guéridon. Lewis Patrick se fait le maître de cérémonie, comme à son habitude.
Au bout de quelques minutes, tous remarquent que Myrtle Veneti est animée de quelques légers tremblements. On dirait que quelque chose la dérange mais personne n'ose prendre la parole pour lui demander quoi. Puis, elle laisse échapper un long souffle rauque.
 
« La Capitale... de la... Douleur... »
 
Lewis Patrick se fige. Comment est-ce possible ?
 
« Les Araignées tissent leurs toiles en l’honneur de leur déesse ! Mais elles craignent les Champs de Feu, Lewis Patrick. Elles craignent les Champs de Feu... »
 
Lewis Patrick se lève de sa chaise. Il se penche vers Myrtle Veneti et la presse de questions. Mais l'esprit s'en est allé, la laissant là dans un état hébété, à moitié endormie. Benson et Andrew restent silencieux et proposent de prendre congé. Ils se chargent de reconduire Myrtle chez elle. Lewis Patrick se retrouve donc seul avec ses pensées. Oui, manifestement tout est lié. Son dernier rêve millevalien, les araignées, cette Capitale de la Douleur... Tout cela paraît lié avec la déesse des araignées et ces Champs de Feu qu'elle craindrait. Mais de quoi s'agit-il vraiment ? Il est maintenant tard. Aussi se résout-il à laisser son inconscient trier ses informations. La nuit porte conseil, non ?
 
Lewis Patrick dort d'un sommeil agité. Ses songes le conduisent de nouveau à Millevaux. Il fait nuit et il se retrouve à descendre le long d'un tronc couvert de veinules et de débris de mues monstrueuses ou humanoïdes. Il y a aussi des objets chargés de mémoire incrustés dans les parois : camées, horloges, fleurs... Au fond, deux sphincters géants avec chacun une pancarte : « les meilleurs souvenirs » et « les pires souvenirs ». Mais il y a une gardienne : une grosse limace garnie de rangées de seins gonflés de pus avec une tête de femme crâniotomisée, le cerveau sous verre, la peau autour des yeux déchirée, à vif. Elle a des pattes d'araignée à la place de la bouche et des cornes ensanglantées en guise de bras. À la vue de ses pattes arachnides, il pousse un hurlement. Il sait qu'il rêve et il espère que son propre cri va le réveiller mais...
… cette chose immonde se jette sur lui avec une rapidité surprenante. Et lui, est littéralement paralysé par la peur. Le monstre s'écroule sur lui de tout son poids et insère ses pattes dans la bouche de Lewis Patrick, étouffant ses cris, l'étouffant tout court...
… et Lewis Patrick se réveille, en nage. Il a le souffle court. Il a l'impression de s'être noyé. Il a un goût horrible dans la bouche. Il boit et recrache plusieurs verre d'eau et se lave même la bouche avec du savon. Et c'est devant le miroir de la salle de bain qu'il se rend compte, qu'il voit...
… sa peau... a... changé... de couleur ! Il a maintenant le teint de ses fiers Incas ou Mayas. Comment cela est-il possible ? Qu'est-ce que cela signifie ? Mais surtout, comment va-t-il pouvoir se montrer en ville maintenant ?
 
Tôt le lendemain, Lewis Patrick informe son personnel de maison qu'il doit se rendre en urgence auprès d'un membre de sa famille à New York. Son absence risquant d'être un peu longue, il les invite donc à en profiter pour prendre quelques vacances bien méritées. Ainsi, il pourra rester à Hatecroft Manor sans que personne ne puisse témoigner de sa nouvelle apparence.
Et maintenant, que faire ? Impossible de quitter le manoir ainsi ! Sa couleur de peau a changé mais pas ses traits. Il ne peut même pas se faire passer pour un étranger de passage. Le jeune Archer, au fait des manigances occultes de son père, aurait peut-être plus facilement que d'autres accepté cette transformation mais il a disparu. Vers qui se tourner ? Lane ? Pas sûr. Et il semble si occupé par son enquête sur Mumford et... Archer justement puisque les deux employés de la banque ont disparu quasiment en même temps. Myrtle doit encore être trop secouée par son expérience de la veille. Il l'appellera plus tard pour prendre de ses nouvelles. Andrew, Benson ? À eux, il pense pouvoir leur faire confiance et garder ce secret. Il leur téléphonera dans la journée.
Pour l'heure, Lewis Patrick a besoin de faire le point sur les événements. Tout d'abord, la mort de Lawrence Archer, Jonas Parker et tout ou partie de leurs sbires suite à l'invocation du Sombre Rejeton de Shub-Niggurath. Puis, la découverte de ce corps dans la forêt. Ensuite, la disparition de Mumford et du jeune Archer. Parallèlement, ces rêves étranges où il vagabonde dans une forêt sans fin, suivi de loin par une créature humanoïde rappelant un ours. Et puis ce message écrit par des araignées, repris par Myrtle. La Capitale de la Douleur. La Déesse Araignée. Les Champs de Feu. Et ces carnets qui lui ont été dérobés. Tous ces faits apparemment sans lien mais, pour qui sait lever le voile, alors les fils apparaissent. Mais comment lever ce voile ? Lewis Patrick va-t-il encore devoir se résoudre à user de magie pour contraindre le réel à lui dévoiler ses secrets ?
Soudain, des rires se font entendre en provenance du sous-sol ! Ils sonnent étrangement... creux ! Lewis Patrick se lève d'un bond. Son premier réflexe est de se précipiter à la cave mais il a subitement peur de se retrouver nez à nez avec quelques insectes et... araignées ! Il attend quelques instants. Les rires ont cessé. N'était-ce que son imagination ou y a-t-il réellement quelqu'un d'autre au manoir ? Malgré sa peur, il ouvre la porte de l'escalier et crie à l'attention d'un éventuel importun de se montrer immédiatement. Et quelque chose sort de l'ombre...
Un petit garçon d'une douzaine d'année se tient là, de bout, au pied des escaliers et fixe Lewis Patrick en souriant. Il reste silencieux mais on entend encore résonner cet étrange rire creux. Il semble venir de derrière l'enfant. Il n'est donc pas seul.
 
« Montrez-vous ! » ordonne Lewis Patrick, qui tente de conserver une certaine contenance.
 
Et l'enfant fait un pas en arrière, disparaissant dans l'ombre...
 
Lewis Patrick reste un moment là, figé devant la porte, scrutant l'obscurité. Mais il n'y a plus rien, ni personne. Puis, il trouve enfin le courage de descendre. Une fois en bas, il appelle de nouveau. Et de nouveau, il entend ce rire mais plus distant cette fois. Comme si son auteur s'en allait. Il allume alors la lumière et constate avec soulagement que, contrairement à ce qu'il craignait, il n'y a pas de colonies d’araignées courant sur les murs. Par contre, par terre, une montre de gousset. Lewis Patrick la ramasse. Elle est tout ce qu'il y a de plus banal si ce n'est... qu'elle tourne à l'envers !
 
Quand Lewis Patrick lève la tête, il n'est plus dans sa cave mais dans une grotte. Il porte de nouveau ses vêtements usés typiques de ses voyages à Millevaux. Il rêve donc. Mais il se sent mal. Il a froid et est en proie à de violents tremblements. Il a de la fièvre. Peut-on souffrir de la grippe dans le rêve ? Est-ce ainsi que son corps et son esprit lui hurlent qu'il est en danger et qu'il doit tout faire pour s'enfuir, rentrer à Sturkeyville et, surtout, retrouver une vie normale ? Mais comment ? Malgré la nuit brune, il parvint à peu près à y voir dans cette caverne. Il s'approche de la paroi. Elle est humide. Il y colle son front et savoure cette fraîcheur.
 
Nous sommes le 22ème jour du mois de Messe.
 
« Rouges les rivières, rouges les racines et rouges mes bras. Bat ma poitrine et bat l'écho.
Une forêt de sang, d'artères et de cœurs battants. »
 
Lewis Patrick regarde ses mains. Elles sont couvertes de sang. Ce n'est pas de l'eau qui suinte de ces murs mais du sang. Par réflexe, il porte ses mains à son visage et étale encore plus de ce sang qui fait de lui... un peau rouge ?
Et il sent une présence derrière lui. Il n'ose se retourner car il sait qui se tient là. L'homme ours ! Alors, collant de nouveau son front contre la paroi ensanglantée, il se met à marmonner :
 
« Je suis la Feuille !
Ici et maintenant, pour m'adapter aux changements, je m'en remets au dieu du vent !
Je suis la Feuille ! »
 
Et il souffle alors un vent violent et son assaillant laisse échapper un cri de surprise. Lewis Patrick ferme les yeux. Il serre les dents puis, après quelques minutes, alors que le vent est retombé, il se retourne. La grotte est déserte.
Adossé à la paroi, il se laisse tomber et se met à sangloter. Alors, il est envahi par une douce chaleur semblant venir de lui-même, de son cœur. Et cette chaleur se répand et chasse les frissons et la fièvre.
Il veut dormir, se réveiller. Sa vie est devenu un cauchemar. Les événements tragiques s’enchaînent depuis ce rituel dans les bois. Et il n'a toujours aucune piste.
 
Ce matin, Lewis patrick a toujours ce même teint qui le fait ressembler à un indien. Aztèque, Apache, Incas, Sioux ? Quelle tribu a cette couleur de peau ? Ce changement n'est-il le fait que d'un triste hasard ou a-t-il une quelconque signification ? La sonnerie du téléphone le tire de ses pensées.
Une voix volontairement étouffée commence par affirmer savoir que son intérêt pour l'occulte est de notoriété. Toutefois, des choses plus sérieuses et plus graves se trament à Sturkeyville. Ça, il s'en doutait ! Le calme de Sturkeyville n'est qu'apparent et c'est la raison même pour laquelle cette petite ville attire tous ceux dont les activités les plus sombres nécessitent la plus grande discrétion. Et là, Lewis Patrick se demande si ce n'est pas pur une même raison que son oncle défunt s'est installé ici avec sa collection secrète. Shub-Niggurath, Rlim Shaikorth, Atlach-Nacha... Les astres s'alignent selon une funeste configuration. Ceux qui savent doivent alerter le monde. Et ceux qui le peuvent doivent tout tenter pour arrêter les adorateurs des Dieux Anciens. Ainsi parlait cet homme... ou cette femme d'ailleurs, sans laisser le temps à Lewis Patrick d'en placer une. Mais l'information qu'il n'attendait plus finit par venir. Jonas Parker était fou de la Chèvre Noire et elle l'a tué. Horace Mumford était fou du Ver Blanc et il l'a tué. Ken Cellys est fou de la Déesse des Araignées mais... le tuera-t-elle ou parviendra-t-il à la satisfaire ?
La communication s'est arrêtée depuis quelques instants et Lewis Patrick a toujours le combiné collé à l'oreille. Il murmure en boucle ce nom : « Ken Cellys ». Qui est-ce ? Un adorateur d'Atlach-Nacha, la Déesse des Araignées, manifestement. Il finit par reposer le combiné et réfléchit. Trois adorateurs de divinités Anciennes, sans compter leurs complices, se livrent à des rituels en leur honneur. Pour deux d'entre eux, leur Dieu s'est retourné contre eux. Qu'en sera-t-il du troisième ?
Avant tout, vérifier que Mumford est bien mort. En effet, Lane atteste de sa disparition mais pour l'heure rien ne le mêle aux affaires des Anciens. Mais si tel devait être le cas, cela pourrait signifier que lui aussi, comme Archer et ses complices, s'est livré à quelques rituels. Ironie du sort, Archer vénérait Shub-Niggurath et c'est un Sombre Rejeton de la Chèvre Noire que Lewis Patrick a invoqué pour les arrêter... définitivement. D'après cet informateur anonyme, une même ironie aurait frappé Mumford. On dirait que les Anciens sont sans pitié vis-à-vis de ceux dont Ils ne sont pas satisfaits. Et ce Cellys alors ? L'espace d'un instant, Lewis Patrick se laisse aller à espérer que ce dernier déçoive sa Déesse et que celle-ci ne se débarrasse tout simplement de lui.
Si Mumford est bien mort, il peut attendre. Ce Cellys, par contre... Une recherche dans l'annuaire indique les numéros et adresses de Kendall Cellys mais aussi de Kenneth Cellys. Il faut bien commencer, va donc pour Kendall !
Ce Cellys habite à la périphérie du centre-ville. Nous sommes encore dans les « beaux-quartiers » mais pas très loin d'une zone d'habitations plus populaire. Le vent souffle très fort aujourd'hui et c'est une excellente raison pour porter chapeau et imperméable. Lewis Patrick espère ainsi croiser peu de monde dehors et, surtout, qu'on ne le reconnaîtra pas. Et il espère surtout qu'un homme errant dans les rues par un temps pareil n'attirera pas l'attention. Mais la réussite de son entreprise est au prix de ce risque.
Les rues sont désertes. Le vent et la pluie s'abattent méthodiquement sur Sturkeyville. Kendall Cellys est manifestement chez lui. Il y a de la lumière au rez-de-chaussé. Lewis Patrick, confiant, s'approche. Il ouvre le portillon donnant sur le petit bout de jardin. Certain que personne ne peut le voir, il s'approche et regarde par la fenêtre. Cellys est dans son salon. Il s'agite et fait les cent pas devant un groupe d'une demi-douzaine d'hommes et de femmes. Il note d'ailleurs qu'il y a une majorité de femmes dans cette assemblée. D'ailleurs, il n'est pas sûr de lui mais il se demande s'il n'a pas croisé l'une d'elle lors d'une soirée mondaine. Mais il se recentre sur Cellys. Il déambule toujours dans son salon, nerveux. Il agite ce qui est manifestement une dague de sacrifice rituel. Va-t-il assister là à un rite sanglant ? Pourvu que non. Il essaye d'entendre ce qui se dit à l'intérieur mais n'entend rien à cause du vent et de la pluie. Mais il a dû trop s'approcher car un cri retentit. Il est repéré. Là, à travers la fenêtre, un homme s'est levé et le pointe du doigt. Lewis Patrick s'enfuit et rejoint son auto en courant.
De retour à Hatecroft Manor, il remercie intérieurement ce mystérieux informateur. Cellys a bien quelque chose à se reprocher et quelque chose se trame. Maintenant, il lui faut creuser cette piste, en savoir plus et l'arrêter. Mais il doit aussi confirmer les propos concernant Mumford. Et il y a tout à croire que là-dessus non plus on ne lui a pas menti. Et s'il mettait Lane sur le coup ? Et si lui aussi devenait un informateur anonyme ? Bonne idée mais... comment connaître alors le résultat des investigations de son ami ? Celui-ci accepterait-il de tout lui révéler lors d'une conversation « anodine » ? Lewis Patrick décide de laisser la nuit lui porter conseil.
 
Lewis Patrick dort mal. Il éprouve une sensation désagréable autour du cou. Cela finit par le réveiller. Il se rend alors compte qu'il est nu et qu'une sorte de cordon ombilical s'est enroulé autour de son cou. Ce cordon est relié à un gigantesque arbre creux, calciné et mourant sous un soleil brûlant qui racornit tout. L'arbre se dresse sur un désert qui s'étend à perte de vue et reflète l'aveuglante lumière d'un soleil rouge sur le point d'exploser.
Il commence par désenrouler le cordon et tire doucement dessus. Il ressent une légère douleur. Conscient qu'il ne pourra pas s'éloigner de l'arbre sans couper le cordon et que le faire pourrait se révéler, par contre, assez douloureux, il préfère s'approcher du tronc et regarder à l'intérieur du creux. La morsure du soleil est cruelle. Il veut se mettre à l'ombre mais, à l'intérieur du tronc, il voit une espèce de poisson doté de trois paires de bras humanoïdes foncer vers lui, une gueule munie de plusieurs rangées de crocs acérés grande ouverte.
Souffrant toujours plus du soleil, il met autant de distance que lui en permet le cordon entre lui et cette créature. Il se retrouve alors face à un pendu qui pourrit. Ses viscères dégoulinent hors de son abdomen. Lewis Patrick s'avance vers le pendu. Un coup d’œil en arrière lui indique que le monstre a renoncé à le poursuivre. Il lève les yeux vers le cadavre et reconnaît son visage !
 
Lewis Patrick se réveille en sursaut et court dans la salle de bain pour se regarder dans la glace. Mais il a toujours ce même teint qui le fait ressembler à un indien. Mais, ­ est-ce à cause de ses propres traits caucasiens inchangés ? -, il ne saurait dire s'il ressemble désormais à un indien d'Amérique du nord ou du sud.
Quoi qu'il en soit, la nuit lui a porté conseil, malgré ce cauchemar. Ou peut-être grâce à lui. En effet, est-ce que, confronté à sa mort, il a alors saisi l'urgence de passer à l'action ? Il décide donc d'appeler la Gazette de Sturkeyville et demande à parler à H. P. Lane. Dès qu'on le lui passe, il colle un chiffon sur le combiné pour masquer sa voix et explique que les activités louches et occultes de Mumford ont causé sa mort. Et il raccroche avant que Lane ne puisse poser la moindre question. Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre que le reporter mène son enquête. Il le rappellera dans quelques jours sous prétexte de prendre des nouvelles et tentera alors de lui tirer les vers du nez. Mais pour l'heure, que faire ? Comment confondre et arrêter Cellys ? L'espace d'un instant, il songe à retourner dans les bois pour demander au Sombre Rejeton de se charger de lui mais... de quels stigmates sera-t-il alors affligé ? Et quels cauchemars hanteront ses nuits ? Non, le prix qu'il doit déjà payer est bien assez élevé. Mais il a néanmoins une idée. Il croit bien avoir reconnu parmi les complices de Cellys une femme qu'il pense avoir croisée lors d'une soirée mondaine. Et s'il organisait une soirée à laquelle il inviterait le gotha de Sturkeyville ? Cette femme devrait alors être là et il pourrait l'identifier, voire la confondre. Mais comment organiser une soirée au manoir alors qu'il a donné son congé à son personnel et qu'il ne peut se montrer en public avec cette nouvelle couleur de peau ? Un nom s'impose : Myrtle Veneti, bien sûr ! Il avait d'ailleurs promis de la rappeler suite à leur dernière soirée spiritisme.
Au téléphone, Myrtle affirme aller bien mais Lewis Patrick la sent quelque peu tendue, voire à cran. Lui en veut-elle de cette étrange soirée ? Non, bien sûr mais elle aurait souhaité que les choses se passent comme... d'habitude.
 
« Cahcallah nohuiyan īnentlah... cocōc... »
 
A ces mots, Lewis Patrick l'arrête tout de suite et lui demande de répéter mais Myrtle répète les derniers mots qu'elle a prononcés avant de parler dans cette langue étrange. Et elle ne voit pas du tout de quoi Lewis Patrick veut parler. Ce dernier comprend que ce n'est pas la peine d'insister mais demande à son amie de patienter, le temps de s'emparer de quoi noter et tenter de bien se rappeler ce qu'il a entendu. Ceci fait, il reprend alors la conversation sur un ton plus léger et lui propose d'organiser une fête costumée. Il explique qu'il aurait bien organisé cela à Hatecroft Manor mais son personnel de maison étant en congés, Myrtle accepterait-elle d'accueillir les festivités ? Mais, à son grand étonnement, il se heurte à un refus catégorique. Et il sent bien que ce n'est pas la peine d'insister. Lewis Patrick prend alors poliment congé et raccroche. Jamais son amie ne lui a parlé sur ce ton. Et jamais elle n'a refusé de participer ni d'organiser une réception. Que se passe-t-il ?
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Pikathulhu
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

Le 10ème jour du mois de Chien...
 
« La sarcomancienne vous greffe la peau tatouée d'étrangers ;
alors leurs souvenirs et leurs émotions coulent encore chaudes dans vos veines. »
 
Lewis Patrick est de nouveau dans cette forêt, Millevaux. Il regarde ses mains. Dans le rêve aussi sa peau a changé de couleur. Et il repense à l'historiette. Et si les souvenirs de cette peau étrangère se mettaient à couler dans ses veines ?
La Nuit Brune, encore, et il pleut, encore. Lewis Patrick est à la recherche d'un abri. Il ne cherche pas à se protéger de la pluie mais de ce qui le traque. Car, il le sent, il le sait, cette chose est de nouveau derrière lui. Elle approche.
C'est quand on cherche qu'on ne trouve pas et c'est quand on ne cherche plus qu'on trouve. Fatigué, ruisselant de pluie, Lewis Patrick continue de marcher mais sans plus prêter attention à là où ses pas le guide. En réalité, il est ailleurs. Il rêve, il le sait. Mais il est encore ailleurs. Son corps est dans son lit, à Hatecroft Manor. Son esprit, ou du moins une partie de son esprit, est ici dans ces bois. Mais une autre partie de son esprit a quitté le rêve pour retourner à Hatecroft Manor, dans la bibliothèque. La bibliothèque secrète, celle où sa famille cache depuis des générations ces livres aux contenus mystiques, occultes, ésotériques, interdits, dangereux. Là, il compulse un ouvrage relatif à une créature venant du fin fond de l'espace et du temps. Le chapitre décrit un conglomérat de cadavres d'êtres issus de tous les mondes et de toutes les époques, de toutes les dimensions. Et cette chose, quand elle s'approche d'un nouveau monde, diffuse ses spores morbides. Et ces spores infectent alors les habitants de ce nouveau monde. Ces derniers mutent. Leurs corps subissent d'horribles transformations. Mais leurs esprits changent également. Ils se reconnaissent, se fédèrent, s'organisent et œuvrent afin de hâter la venue de ce géniteur qu'ils considèrent comme une divinité devant se repaître de toute la vie présente ici-bas. Eux, ils seront sauvés car ils rejoindront le conglomérat.
Lewis Patrick referme le livre et le repose dans le coffre, juste à côté de ces vieux carnets. Par curiosité, il en prend un.
 
« J'ai passé beaucoup de temps à écouter les légendes du peuple de Nokomis. J'ai aussi passé beaucoup de temps à chanter et danser pour voir son autre monde. Cette forêt est bien étrange. Elle est sans fin. Là, j'ai croisé la route de bien des esprits et certains m'ont parlé de celle qu'ils appellent la Mauvaise Mère ou encore la Chèvre Noire. Curieux, je l'ai cherchée. Je ne pouvais croire que celle qui avait crée cette forêt pouvait réellement être mauvaise. Cette forêt ne m'apparaissait pas comme une malédiction. Je ne comprenais pas l'ingratitude de ces esprits face à la beauté de ces lieux et à la vie foisonnante qui les peuplait. Esprits, créatures chimérique, hommes et femmes de tous les âges semblaient s'être donnés rendez-vous là, sous l'égide bienveillante de Shub-Niggurath. Pourtant, tous n'appréciaient pas ce don. Millevaux est un cadeau. Et Millevaux m'a offert Echidna, une voyageuse solitaire parcourant Millevaux. Je ne sais pas d'où elle vient. Elle vient d'une autre Terre, d'une autre époque. Elle me parle de son monde mais je ne comprends pas. Elle me parle de Mouches et de Cafards. Elle rêve, elle aussi. Nous nous retrouvons de plus en plus dans cette région de Millevaux qu'elle appelle les Forêts Limbiques. Là, nous nous abandonnons au rêve. Nous nous abandonnons l'un à l'autre. Je ne veux rien lui cacher. Alors, je lui fais don de cette partie de mon passé qui déjà devient floue. Je fais d'elle la gardienne de ma mémoire, d'une partie de ma mémoire. Je compte désormais sur elle pour me rappeler qui je suis.
 
Le temps passe. Echidna m'initie aux secrets du Foutre de Mouche, de l'Opium Jaune et de la Viande Noire. Même dans le rêve, nous rêvons. Nous parcourons d'autres mondes, parfois merveilleux, parfois horribles. Nous croisons la route d'autres hommes et d'autres femmes venus de tous les mondes et de toutes les époques. Certains nous prennent pour des esprits, des hallucinations. D'autres ne nous voient même pas. Et une nuit, alors qu'Echidna se repose, il me prend de consommer seul de cet étrange Jus de Singe. Et quand je me réveille, j'ai quitté Millevaux. Je suis de nouveau... chez moi ? Combien de temps a passé ? Je ne reconnais rien, ni personne. Où sont Echidna et Nokomis ?
 
Ce monde a changé. Je ne l'aime pas. La forêt me manque. Il y a de plus en plus d'hommes blancs. Ils ont apporté la guerre. Ils ont détruit la forêt pour construire des villes toujours plus étendues, toujours plus hautes. Avant, leurs maisons étaient en bois. Maintenant, elles sont en pierre. Je me réfugie de plus en plus dans les forêts limbiques. Là, je cherche la paix. Ou, au moins, je cherche la solitude. Et peut-être que je finirai par trouver, sinon l'oubli, la Chèvre Noire. Alors, je saurai... mais quoi ? Et pourquoi ? Et c'est parce que l'oubli me gagne, me ronge, que j'écris ces quelques lignes. Je fixe là ma mémoire. Mais pourquoi et pour qui ? »
 
Lewis Patrick referme le journal. Il n'a pas le temps de le replacer dans le coffre qu'il est de nouveau dans Millevaux. Ses pensées ont retrouvé le chemin du rêve. Il stoppe net ! Il pleut toujours. Il regarde autour de lui. Il sent la présence du monstre qui le traque. Et il sait maintenant qu'il s'agit d'un être dévoué à Shub-Niggurath. Est-là le prix qu'il doit payer pour avoir invoqué un Rejeton de la Chèvre Noire ? Et ce carnet ? Il fait partie de ceux qu'on lui a volé récemment. Quel message le rêve cherche-t-il a lui délivrer ? Qui est cette Echidna ? Que sont ce Foutre de Mouche et cet Opium Jaune ? Et Nokomis ? C'est un prénom indien.
En tout cas, bien des gens parcourent cette forêt, que ce soit en rêve ou réellement. Et il y a des moyens d'accéder volontairement à Millevaux, pas seulement au hasard d'un rêve mais en utilisant certains produits. Mais pourquoi l'auteur de ce carnet est-il sur ses traces ? Et si... et s'il voulait récupérer ses carnets ? Et si c'était lui qui les avaient volés ? Mais dans ce cas, pourquoi continuer à le pourchasser ? À moins que ce ne soit quelqu'un d'autre qui les ait dérobés, sachant qui en était l'auteur...
D'une certaine façon, Lewis Patrick est rassuré. En effet, s'il retrouve ces carnets, il pourra tout simplement les rendre à leur propriétaire et tout devrait rentrer dans l'ordre. Du moins l'espère-t-il...
Bien qu'il pleuve toujours, il s'assoit et s'adosse à un arbre. Il ferme les yeux et se réveille.
 
Lewis Patrick sort de son lit et gagne la salle de bains. Dans un premier temps, il n'y prête pas attention mais sa peau a de nouveau changé de couleur. Elle est redevenue comme avant. Il laisse éclater un cri de joie en même temps que le téléphone sonne.
Lane ne prend pas la peine de le saluer.
 
« C'est vrai ce qu'on raconte ? On dit que si on ne te voyait plus ces derniers temps, c'est parce que tu étais interné dans un asile Psychiatrique. »
 
Lewis Patrick n'en revient pas. Qui a pu raconter de telles sottises ? Lane n'en sait trop rien, c'est un bruit qui court. Et il court d'autant plus que cela fait plusieurs jours que personne ne l'a vu en ville et que les seuls contacts qu'il a pu avoir furent par l'intermédiaire du téléphone. Lane lui rappelle qu'il a donné son congé à ses domestiques et qu'il peut très bien avoir passé ses appels d'un sanatorium. Mais s'il est à Hatecroft Manor ce matin, cela veut-il dire qu'il est de retour ? Et que tout va bien ?
L'espace d'un instant, Lewis Patrick craint que ce ne soit Myrtle Veneti qui ait lancé cette rumeur. Mais pourquoi ? Pour se venger de cette douloureuse expérience ésotérique ? Il ne ne saurait peut-être jamais. Mais pour autant, il devait profiter d'avoir Lane au téléphone pour en savoir plus au sujet de Mumford. Et, innocemment, il lui demande de ses nouvelles, notamment au sujet de ces investigations pour la Gazette. Et à sa grande surprise, Lane ne se fait pas prier. Il raconte avoir remonté la piste de Mumford et l'avoir retrouvé mais... que faire maintenant ?
Lewis Patrick apprend ainsi que son ami s'est introduit, pour la seconde fois, par effraction chez le banquier. Et cette fois, dans la cave, il fut le témoin d'une scène des plus étranges, horribles et inimaginables. Oui, Horace Mumford avait bien des choses à se reprocher. Mais rien concernant la falsification de comptes et de vulgaires histoires d'argent. La cave de Mumford s'était révélé le théâtre d'un meurtre rituel. Et la victime innocente n'était autre que le jeune Archer ! Mais le plus étrange, outre le froid régnant là, était que Mumford était présent lui aussi, mais... congelé, littéralement réduit à l'état de statue de glace. Il tenait à la main une sorte de couteau ouvragé qu'il n'a pas réussi à lui ôter mais, par contre, il a fait main basse sur un livre qui avait l'air important. Lane est étonnant désemparé. Face à une telle scène, il n'a pas appelé la police. D'une part parce qu'il aurait eu à justifier son effraction et le vol de ce livre, ces Manuscrits Pnakotiques, et d'autres part parce qu'il était tout simplement incapable d'expliquer l'état de Mumford.
Lewis Patrick est quelque peu honteux car il a conscience qu'il va profiter de la détresse de son ami mais il lui propose toutefois de l'aider à condition de lui remettre cet ouvrage et de l'introduire chez Mumford. Une fois qu'il aura fait sa propre enquête, il verra comment en informer la police sans que Lane ne soit inquiété. Après tout, il est une figure locale de Sturkeyville. Il a des relations. Et, ayant retrouvé sa couleur de peau, il va pouvoir de nouveau se montrer en ville et faire taire cette rumeur. Peut-être même que Myrtle Veneti se montrera plus affable.
 
Maintenant, il s'agit d'être efficace et d'élaborer un plan d'action. Lewis Patrick a invité Lane au manoir pour le lendemain. D'ici là, il va rappeler son personnel de maison et organiser cette soirée mondaine qu'il voulait organiser chez Myrtle. Maintenant, il peut l'organiser à Hatecroft Manor. Il appelle donc certaines personnalités de Sturkeyville, les invite à cette « soirée de retour » et les charge également de faire circuler l'information. Il espère ainsi que la complice de Cellys sera là et qu'il pourra la confondre d'une manière ou d'une autre. D'ici cette soirée, il aura visité la cave de Mumford et peut-être trouvé un lien entre lui et Cellys. Par définition, la Déesse Araignée tisse sa toile donc, d'une manière ou d'une autre, tout doit être lié.
Lewis Patrick s'endort ce soir avec le sourire. Il a le sentiment que tout va aller pour le mieux maintenant. Les choses lui semblent rentrer dans l'ordre. Il sait qu'il va rêver mais il est sûr que ce sera un beau rêve. Il ne va pas se rendre dans Millevaux cette nuit. Il n'affrontera pas le vent et la pluie. Il ne sera pas traqué par cette créature étrange. Non, il rêve d'une grande maison de terre cuite, d’une seule pièce, avec des fours et des athanors en ébullition. Chouettes, chats sauvages, araignées (il frissonne en y pensant) et crapauds grouillent dans les ombres. Racines, fougères, lierre et champignons envahissent les lieux. Une grande armure humanoïde faite de terre cuite et de matériaux composites trône au milieu. Et elle est là, la Magicienne. Elle lui explique qu'il faut aller demander l'aide… de la personne qui incarne la Magicienne pour avoir une chance de vaincre les Abysses.
Lewis Patrick comprend que cette armure est sensée lui permettre de gagner ce que la Magicienne appelle le « Méta-Monde ». Là, il doit retrouver celui dont elle est l'avatar, celui qu' on appelle « le Joueur ». Lui sait. Lui peut. Il joue pour jouer. Il joue pour connaître la suite de l’histoire. Peu lui importe que les Anciens ou les Cœlacanthes triomphent. Peu lui importe la fin de l'histoire. Il veut simplement la connaître, la jouer. Mais, affirme la Magicienne, il peut la changer. Il peut décider de leur sort à tous. Alors, Lewis Patrick doit enfiler cette armure et convaincre le Joueur de faire triompher la Lumière.
 
Quand Lewis Patrick se réveille, il se sent bizarre. L'espace d'un instant, il a peur d'avoir de nouveau changé de couleur mais ce n'est pas le cas. Il est toujours lui-même. Mais, se dit-il, après tout il est toujours lui-même quelle que soit la couleur de sa peau. Pour autant, il a l'impression que quelque chose a changé. Si ce n'est pas lui, c'est autour de lui. Il a ce sentiment désagréable que la réalité qui l'entoure n'est plus aussi consistante que la veille, qu'elle n'est plus aussi... réelle...
 
Aujourd'hui, Lewis Patrick doit donc prendre connaissance et tenter de comprendre ce qui s'est passé dans la cave d'Horace Mumford. Il doit aussi prendre possession des Manuscrits Pnakotiques. Aussi, il attend Lane avec une certaine impatience doublée d'une nervosité non moins certaine.
Lane arrive en fin de matinée. Lui aussi est nerveux. Pas à l'idée de rentrer par effraction chez un citoyen de Sturkeyville mais à celle de revoir cette scène étrange et ces cadavres, l'un sacrifié, l'autre... gelé. Lewis Patrick, lui, est toujours sous le coup de son rêve de la veille. Il repense aux propos de la Magicienne, aux Joueurs, à cette armure en terre sensée lui permettre de changer de monde. Durant le trajet, il survole les Manuscrits Pnakotiques. Et son attention se porte sur les paragraphes concernant Rlim Shaikorth, le Ver Blanc. Mumford aurait donc été un adorateur de ce monstre. Ne prêtant aucune attention à ce que lui raconte Lane, il poursuit sa lecture et apprend que le Ver Blanc vivrait dans la Contrée des Rêves. Dans le rêve, comme Millevaux ? La Millevaux de Shub-Niggurath ? Là serait le lien tissé par Atlach-Nacha ? Le rêve semble être le nœud où tous ces fils se retrouvent et s'emmêlent.
Et quelques minutes plus tard, après s'être étonné de l'aisance avec laquelle Lane force, une fois de plus, la porte de derrière de la maison de Mumford, Lewis Patrick descend les marches menant à la cave. À chaque marche, il a l'impression que la température baisse. Réalité ou simple impression ? En bas, tout est comme Lane l'a décrit. Il n'a touché à rien, si ce n'est aux Manuscrits Pnakotiques. Le corps de Mumford est parfaitement conservé, gelé, alors que celui du pauvre Archer, malgré le froid ambiant, commence déjà à montrer des signes de pourriture et à sentir. Même s'il ne prévient pas la police, les voisins devraient le faire d'ici quelques jours car ils seront indisposés par l'odeur et ils se poseront des questions. Mais avant tout, il est là pour examiner la scène de ce crime rituel. Y a-t-il ici un indice qui aurait échappé à Lane ou un indice que seul un spécialiste des sciences occultes pourrait trouver ? Peut-être bien oui !
Une poupée d'enfant... Que fait-elle là ? Et pourquoi Lane n'a-t-il pas remarqué un objet à la présence aussi improbable en ces lieux ? Lewis Patrick repense à sa vision, celle qu'il a eu dans sa propre cave. Un rire, un enfant et quelque chose derrière. C'est là qu'il avait trouvé cette montre étrange qui l'avait précipité dans Millevaux. Cette montre, il l'a toujours... Mais, que doit-il comprendre ?
Atlach-Nacha tisse sa toile, donc tout est lié d'une manière ou d'une autre. Lewis Patrick réfléchit. Cette montre l'a projeté dans le rêve. Le Ver Blanc vit dans le rêve. Mumford a certainement accédé au monde du rêve lui aussi. A-t-il utilisé une montre ou autre chose ? La Magicienne lui a dit de trouver le Joueur, d'aller le chercher dans son monde en utilisant l'armure de terre. Mais cette armure se trouve dans le rêve. Le rêve est la clé, la porte...
La clé et la porte... Pourquoi ces mots tournent ainsi dans sa tête. La clé et la porte. La Clé et la Porte ! Yog-Sothoth ! Lewis Patrick a lu des choses concernant cette horreur. Et il repense à Atlach-Nacha dont on dit que quand sa toile sera achevée, cela sera la fin du monde. Est-il possible que Cellys et ses complices souhaitent en réalité s'attirer les faveurs de Yog-Sothoth en lui offrant la fin du monde ? Ce serait donc à cette fin qu'ils tenteraient de hâter les plans d'Atlach-Nacha ? Il faut vraiment être... tordu pour échafauder un pareil plan, pour avoir de telles pensées mais... la folie n'est-elle pas le guide des adorateurs des Anciens ?
Lorsque Lane lui demande s'il a trouvé quelque chose, Lewis Patrick ne sait quoi répondre. Oui, il a trouvé quelque chose, mais comment expliquer ça à quelqu'un comme Lane, quelqu'un de... normal !
 
« Je... Je dois rêver. Maintenant !
Non, tu ne rêve pas. Mumford est bien congelé et...
Tu ne comprends pas ! Je sais que je ne rêve pas. Mais je dois rêver. Je dois rêver maintenant ! Il faut que je rêve ! »
 
Et Lewis Patrick fouille dans ses poches mais il ne trouve pas la montre. Il saisit Lane au col.
 
« Herbert, je dois dormir ! Tout de suite ! Fais moi dormir ! C'est une question de vie ou de mort ! C'est la fin du monde ! »
 
Et Lewis Patrick a dû se montrer particulièrement convaincant car son ami lui décoche un crochet au visage qui le plonge dans les ténèbres et le ramène... dans la maison de la Magicienne.
Et elle est là, assise sur un petit tabouret de bois. On dirait qu'elle attendait. Qu'elle l'attendait. Elle lui sourit. On dirait qu'elle sait. Elle s'approche de l'armure de terre, l'ouvre et explique son fonctionnement. Elle explique aussi qu'il ne faut surtout pas en sortir car l'air du méta-monde pourrait lui être fatal, à lui, être de fiction. Mais il faut faire vite. Cellys et ses complices ont déjà commencé leur rituel. Lewis Patrick n'a aucune idée de ce qui lui permet d'affirmer cela mais il la croit. Aussi, il entre dans l'armure et la Magicienne la referme sur lui.
 
On ne voit pas très bien à travers les deux ouvertures faisant office d'yeux. Sa vision se trouble. Les murs de la cabane de la Magicienne laissent la place à des murs blancs. Comme chez la magicienne, il y a peu de meubles. Mais point d'athanor ou de créatures dans des bocaux. Là, il n'y a que quelques livres sur des étagères blanches ou en bois. Il y a deux malles bleues devant lui. Mais son attention est attirée par un raclement venant de sa droite. De l'autre côté d'une porte ouverte, un homme est penché sur une sorte de machine à écrire dont émane un halo lumineux. Lewis Patrick fait un pas dans sa direction. L'homme ne lui parle pas. Il se borne à taper sur son étrange machine et Lewis Patrick entend les mots résonner dans sa tête.
 
« Bonjour Lewis Patrick Hatecroft. Je suis le Joueur. À l'occasion, on m'appelle aussi Demian ou Demian Hesse. Mais aujourd'hui, je suis le Joueur. Tout ne s'est pas passé comme prévu. Cellys et ses complices sont passés à l'action plus vite que je ne le pensais et tu n'as plus beaucoup de temps si tu veux sauver ton monde. La Magicienne a raison. Je peux faire quelque chose. Je peux décider qu'Atlach-Nacha ne finira pas sa toile aujourd'hui. Je peux décider que ce ne sera pas la fin du monde, que Sturkeyville ne deviendra pas la Capitale de la Douleur. Je peux décider que Yog-Sothoth ne viendra pas apprécier ce cadeau et récompenser ceux qui le lui ont fait. Mais je suis le Joueur. Je joue pour connaître la suite de l'histoire. Si je fais ça, l'histoire s'achève. Mais si je ne le fais pas... elle s'achève aussi. À moins que je ne choisisse de jouer dans un monde ravagé par les Anciens... Lewis Patrick, tu connais l'expression « mourir pour renaître » ? Si tu acceptes de mourir pour renaître, pour vivre une autre histoire et de nouveau combattre les Anciens, je sauve ton monde. Mais tu as conscience que si tu accepte, ce sera un autre Lewis Patrick Hatecroft qui se réveillera demain. Tu ne seras plus le gardien d'ouvrages occultes. Tu ne vivras peut-être même plus à Sturkeyville. Il ne te restera que ton nom et ta volonté de combattre les Anciens et leurs adorateurs. Acceptes-tu ? »
 
Et le joueur s'empare d'un dé à six face.
 
« Pair, tu accepte. Impair, tu refuse. »
 
Et le dé tombe sur six !
 
 
Feuille de personnage avec les règles de Bois-Saule :
 
Destin fatal : (Le Jugement) Le bien précieux est une chose légendaire, s'en emparer peut transformer votre destinée.
Chassé par : un monstre (un vampire ?).
Chasse : les cultistes.
Une question : Pourquoi ces rêves étranges ?
Une certitude : les bois de ses rêves sont en lien avec ceux de Sturkeyville. Il y a un mystère dans les bois de Sturkeyville.
Une croyance : ce qu'il y a dans les livres du mythe est malheureusement vrai. Notre monde est menacé.
Une vertu : il veut vraiment combattre le mal et protéger l'humanité.
Un vice : il est attiré par les forces obscures et combattre le mal par le mal lui donne un prétexte pour s'adonner à ces noires magies.
Un souvenir qui te hante : le rituel d'invocation d'un Sombre Rejeton.
Ta quête : la vérité et le triomphe de la Lumière sur les ténèbres incarnées par les Anciens et leurs adorateurs.
Tes symboles : le Bâton qui guide les fidèles & l'Essaim aux milles mains et aux milles visages.
Tu possède un objet important : un exemplaire des Unaussprechlichen Kulten.
 
 
Commentaires de Thomas :
 
A. Hatecroft Manor ? Un jeu de mots avec Lovecraft ?
 
B. Pour cette partie, j'ai l'impression que l'apport de Bois-Saule se borne à tirer l'historiette du jour. On devrait alors plutôt dire qu'il y a des bouts d'Almanach plutôt que des bouts de Bois-Saule
 
C. D'où vient le changement de carnation du héros ? Est-ce que c'est une conséquence d'avoir vécu un cauchemar de Coelacanthes ?
 
D. Tu innoves en introduisant des cauchemars de Coelacanthes différents de ceux que tu utilise d'habitude, c'est cool.
 
E. J'y pense comme ça, mais si tu cherches un cadre d'enquêtes surnaturelles contemporaine en Amérique du Nord à investir avec du Millevaux dedans, je te conseille chaudement L'Autoroute des Larmes, qui se prêterait certainement fort bien à un crossover Psychomeurtre / Grey Cells.
 
F. "Maintenant, il peut l'organiser à Hatecroft Manor. Il appelle donc certaines personnalités de Sturkeyville, les invite à cette « soirée de retour » et les charge également de faire circuler l'information. Il espère ainsi que la complice de Cellys sera là et qu'il pourra la confondre d'une manière ou d'une autre. " ça fait très Agatha Christie comme procédé :)
 
G. "Ne prêtant aucune attention à ce que lui raconte Lane, il poursuit sa lecture et apprend que le Ver Blanc vivrait dans la Contrée des Rêves. " On pourrait imaginer que Millevaux envahisse notre monde en transitant par les Contrées du Rêve, ce serait cool :)  [et ceci dit, c'est plus ou moins ce qui se passe dans Cœlacanthes, mais utiliser les Contrée du Rêve lovecraftiennes comme passage serait assez cool.]
 
H. "De l'autre côté d'une porte ouverte, un homme est penché sur une sorte de machine à écrire dont émane un halo lumineux." : j'adore la description d'un ordinateur vu par un homme de 1920 :)
 
I. Sacré ironie que le joueur propose un choix au personnage, mais tire ensuite un dé pour savoir ce qu'il choisit.
 
J. "Tes symboles : le Bâton qui guide les fidèles & l'Essaim aux milles mains et aux milles visages." : d'où tire-tu ces symboles ?
 
 
Réponse de Damien :
 
A, oui, c'est carrément ça Lewis Patrick Hatecroft = LPH=HPL love/hate etc. ^^
 
B, j'ai surtout joué avec Grey Cells au niveau technique. Bois Saule m'a servi pour poser certains éléments d'ambiance. ces derniers temps, j'ai pas mal utilisé Millevaux comme une contrée des rêves alternatives pour mes scénars de Chtulhu.
 
C, oui, c'est un effet du cauchemar. comme il est mort dedans, j'ai tiré sur la table de Cœlacanthes et voila.
 
D,j'ai pas fait exprès. je tire les cauchemars coelacanthes au hasard. des fois, je tombe sur les mêmes, des fois non. mais c'est toujours au hasard.
 
E, oui ^^ je suis déjà tombé dessus
 
F héhé, là je joue un "Socialite" c'est l'archétype du mondain dans Grey Cells et effectivement c'est plus pour jouer des scénars à la Christie. J'ai trouvé que ça collait bien avec le perso.
 
G,et oui, c'est ça, j'ai utilisé Millevaux comme une contrée des rêves et j'ai finis par tilter que si j'utilise plus Millevaux comme une menace de corruption de notre monde par cette foret que comme "terrain de jeu" cela vient justement de Cœlacanthes. je pense reprendre cette notion quand je me lancerai dans ma campagne de Mantra-Crasse-Millevaux.
 
H. j'ai un peu repompé ce passage sur le final d'un autre de mes solos ^^ mais j'aime bien cette idée que les persos puissent voir le joueur à l'œuvre mais lui non… ce serait casser la magie ^^.
 
I bah disons que j'essaie de ne pas trop tricher ^^ mais j'aime bien le meta-jeu comme ça. j'aimerais en faire plus.
 
J, ces symboles? ils sont sortis tout droit de Terres de Sang est Millevaux ^^ d'ailleurs, il faudrait que je me refasse un mix de Terres de Sang et Sphynx car j'ai eu une idée pour améliorer la jouabilité en solo en utilisant le questionnaire de préparation des ruines de la même façon que la fiche du serial killer dans Psychomeurtre. Il s'agirait de visiter les ruines et tenter de répondre à toutes ces questions: savoir qui vivait là, comment et pourquoi ils ont disparu etc.
 
voila, j'espère ne pas avoir été trop fouillis dans mes réponses car je ne suis pas sur le bon PC et n'est plus le CR sous les yeux. en tout cas, demain je me fais un ptit one shot de Silent Hill en version Sombre Max et je pense ensuite attaquer Mantra-Crasse-Millevaux avec de nouvelles incarnations de Haze, Corso et Lewis 🙂
 
 
Réponse de Thomas :
 
C. Ce qui est intéressant, c’est que dans Cœlacanthes, le changement de peau a en fait très peu d’influence : tout le monde s’en fout :) Alors que retransposé dans les USA des années 20, ça a beaucoup plus d’impact : le héros doit se cacher, etc.
 
G. Le thème de l’invasion des mondes par Millevaux est encore plus présent dans Millevaux Mantra.
 
J. En fait, la fiche du serial killer de Psychomeurtre est inspirée de la liste des révélations de Sphynx : le procédé est juste plus transparent et ordonné. Mais du coup, réincorporer la fiche de Psychomeurtre pour créer un liste de révélations plus transparente et ordonnée pour Sphynx, ce serait un intéressant renversement de situation :)
 
K. Cool pour Mantra-Crasse-Millevaux. Tiens-moi au courant !
 
 
Damien :
 
ouais, j'avoue que j'ai tiqué quand je suis tombé sur cette transformation car je me suis vraiment demandé comment j'allais m'en sortir. Limite, j'aurais préféré de bon gros tentacules dans le dos ^^ disons que comme Cœlacanthes aura été ma porte d'entrée sur Millevaux ça conditionne plus ou moins consciemment plein de choses dans ma façon d'intégrer Millevaux dans mes scenars. et comme je compte mélanger ces univers et jeux que sont Millevaux, la Crasse et Mantra, au final, ça devrait coller ^^ pour Sphynx, je me suis rendu compte que je le faisais de manière informelle mais je me suis dit que mon RP gagnerait peut-être en qualité ou fonctionnerait peut-être mieux si je formalisais cela justement. sinon, je continues mon Silent Hill que j'ai commencé en prenant pour situation de départ un texte court d'Anton Vandenberg publié sur sa page FB ^^ ensuite, je voudrais tester le jeu solo de Matthieu Bé et ensuite j'attaque la Crasse. Normalement, j'aurais 3 persos: 1 Mouche, 1 Cafard et un mort-vivant. les 3 bosseraient pour Black rain et enquêteraient donc sur le meurtre de l'Hommonde mais aussi sur une nouvelle manifestation de l'Entropie : Millevaux! dont les agents seraient les Horlas et les Cœlacanthes. Et je compte aussi intégrer (si je peux) une nouvelle sorte de créatures plus ou moins hostiles ^^ ensuite, quand j'aurais reçu Mantra, je compte en remettre une couche en terme de Méta-jeu en faisant de nouveau apparaître le personnage du Joueur que j'ai déjà "joué" dans d'autres solos. le Joueur serait donc un Ancien de Mantra et les 3 autres ses avatars de la Crasse. enfin, c'est l'idée... après, ça prendra ptete une autre forme, on verra bien. et côté technique, je pense jouer la mouche avec Grey Cells, le mort-vivant avec Black Star Rise et le cafard avec divers système mixé à Parasite (de Fabulo ^⁾.
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

DÂROU ! DÂROU ! VÉNET DO MO SAC !

Comment la chasse d’un animal imaginaire a mis le feu aux poudres.

(temps de lecture : 5 minutes)

Joué / écrit le 18/02/2021

Le jeu principal utilisé : pas de jeu pour cette session

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
Jay Cross, cc-by, sur flickr

Contenu sensible : violences et menaces sur enfant, mort d'enfant


Passage précédent :

48. Le carrefour de l’enfant Rollo
Les peines toutes simples sont les plus lourdes à porter. (temps de lecture : 7 minutes)


L'histoire :

Image
Tungunska, par The Wonders of Atomic Mutation, une pièce entre ambient drone, americana et dungeon synth qui vous transportera dans un hiver nucléaire de toute beauté.

Le Fleurance Jacopin donna une pichenette sur la grenouille posée sur la souche. Elle était complètement gelée, toute blanche à travers l'obscurité de la grasse-nuit. Tric, trac, il la fourra dans son sac. Il savait que le batracien était juste en stase et aurait dégelé au printemps s'il ne lui avait réservé un autre destin. Il plongea ses mains dans l'eau du Ru Migaille. C'était froid comme la mort, mais ça en valait la peine ! Il attrappait les grenouilles une par une, le ruisseau en était griboulu.

Çà gigota dans les buissons. Vingt rats, et si c'était le Couche Huit-Heures qui était après lui ?

La pêche avait assez duré. Il jeta son sac par-dessus son épaule et repartit vers les yourtes abandonnées de Champo dont les silhouettes se taillaient dans les ténèbres. 

C'est là qu'une forme en robe sortit des fourrés comme un diable de sa boîte !

"Non, non, la Sœur Joseph, j'veux pas aller à l'école !"

La religieuse le pogna et le poussa contre l'écorce d'un arbre avec violence.

"Je ne suis pas la Sœur Joseph, abruti !"

L'apparition serra ses mains grêles sur le cou du gamin.

"Tu vas me causer où je t'étrangle comme tu le fais avec les chats !"

Il hoqueta et lui fit signe qu'il ne pouvait pas causer, justement.

Alors la Sœur Marie-des-Eaux relâcha ses étreintes, elle reporta une de ses mains sur le front du mioche et de l'autre enfonça la lame de son opinel à l'intérieur de son oreille, à un fil de lui percer le timpan. 

"T'as dit que l'enfant Rollo avait couru après les corbeaux avec son fusil à bouchon. Mais je me suis renseigné à la bonne adresse, figure-toi ! Et aucun enfant n'a suivi les corbeaux ce jour-là !
Alors tu vas me dire ce qui s'est vraiment passé !
- D'accord ! D'accord ! Mais m'enfoncez pas le surin dans l'oreille, si vous aimez le Vieux ! Je vais tout vous raconter !"


Image
Vortex, par Wolvennest, un album de psyché-doom absolument fumeux et ritualiste, à la gloire de Shub-Niggurath et des gestes épiques de fin du monde.

Il était donc maintenant aux côtés du Fleurance, ce soir-là, cette noire-nuit là, au carrefour que désormais on n'appellerait plus autrement que le carrefour de l'Enfant Rollo.
Le novice n'en revenait toujours pas de cette capacité qu'il avait, comme beaucoup d'autres des amnésiques de ces régions, à pouvoir s'immerger de façon aussi réaliste dans tout récit du passé. Le Fleurance faisait plus que lui raconter. Il était caché dans les fougères putrides, à croupeton avec lui, à revivre ce moment.
Les arbres étaient penchés autour d'eux en concile resserré.
Au croisement des quatre chemins, l'enfant Rollo, la peau bleue mais bien vivant, un bâton dans une main et un sac dans l'autre.

Le Fleurance murmurait comme si les acteurs du passé risquaient de l'entendre :
"En fait cette nuit-là on l'a invité à chasser le Darou.
- Tu veux dire qu'il a été le dindon de la farce.
- Ben... Au début ça s'est passé comme prévu. On lui a dit de se poster là et qu'on rabattrait le darou sur lui. Mais bien sûr on s'est pas pointés. Sauf moi, j'me suis planqué là parce que je voulais voir sa tête.
- Et bien entendu le darou n'est pas venu non plus puisque c'est une farce.
- Et ben..."

L'enfant Rollo, tremblant de peur et de froid, répétait : « Dârou ! Dârou ! Vénet do mo so sac ! »

Le Fleurance Jacopin mit son index sur sa bouche, intimant le plus profond silence. Pour un gamin tueur de chat à moitié rapace, il faisait soudain preuve d'une saprée faroucherie.

C'est alors que la chose se traîna jusqu'au carrefour.

La Sœur Marie-des-Eaux crut d'abord à un loup, mais c'était plus grêle et ça avait deux pattes plus courtes que les autres. La beusse était vêtue en poil de cul ou en crin d'auroch, difficile à dire, en tout cas son pelage était répugnant. Elle avait une gueule plate garnie de chicots en désordre avec des yeux jaunes tout pisseux. Son grollement était long comme un tambour avec des accents de jubilation.

Les genoux de l'enfant Rollo battaient la mesure l'un contre l'autre.

« Dârou, Dârou...», fit-il en claquant des dents.

« Vénet do mo so sac ? »

D'un bond, le novice fut hors de leur cachette et taillait vers le monstre.

Mais c'était vindiou de trop tard !

Le dârou était déjà sur le gamin et l'avait caboulé. Il lui labourait les jambes avec ses griffes, lui fouaillait la gorge et la poitrine à coups de crocs.

C'est alors qu'un rire gras raisonna dans le fouillis des branches. On vit distinctement la silhouette de la Mère Truie.

"On se tire !", boualla le Fleurance à plein poumons.

"On se tire !"


Image
S/T, par Bardo Pond, la messe mescal-folk et psyché-drone la plus triste et la plus intronaute de tous les temps marquée par un chant féminin flottant au-dessus d'un océan de drogue.


"Gruiiiiikkkkk ! Père Soubise ! Viens me gratter le dos !"

La Mère Truie se roulait dans sa soue, en attendant la venue de son dernier serviteur.

Distraite, elle engloutit un de ses porgrelets pour passer le temps. Ça croquait sous la dent et elle sentit l'afflux de pouvoir qui revenait en elle en même temps que la poche à merde de sa progéniture se crevait et répandait son jus dans sa gorge.

"Alors Père Soubise, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Gruiiikkk !"

"Le Père Soubise ne viendra pas."

L'animal sortit le groin de son abri.

Dehors, Augure se tenait debout, sans peur.

"Comment oses-tu venir me menacer ? D'abord vous arrêtez de me servir d'espion, et maintenant tu viens empiéter sur mes plates-bandes !"

"Je ne suis pas seule."

Des croassements fusèrent de toutes les branches et ce que la truie avait d'abord pris pour des feuilles noires s'avérèrent être des corbeaux perchés. Des nuées.

"Qu'est-ce qui vous prend de me tenir tête ?
- Quelqu'un que tu connais bien a découvert la vérité pour l'enfant Rollo. Tu es allée trop loin, Mère Truie."

Et la marée noire s'abattit tous becs dehors sur la folcoche.


Mais ces représailles survinrent trop tard.


Le Nônô Élie posa son fusil sur la table avec fracas. Tous les chasseurs du village l'entouraient, et cette fois, personne n'était masqué.

Leur chef était rouge comme une boule de Noël.

"On peut plus les laisser faire ces foutus corbeaux ! Ils ont conduit le petiot au loup ! Ça peut plus durer ! Je vous jure par le Vieux que tout ce que la terre contient de plomb va leur finir dans l'aile !"


Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1264
Total : 88866


Système d'écriture

Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


Feuilles de personnages / Objectifs des PNJ :

Voir cet article
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Re: [CR] Millevaux et autres jeux Outsider

Message par Pikathulhu »

50. DES NOUVELLES DU VATICAN

On attaque le dernier volet du roman avec un regard sur le journal intime de la Sœur Marie-des-Eaux et l'apparition inquiétante d'un nouveau protagoniste.

(temps de lecture :  7 minutes)

Joué / écrit le 25/02/21

Le jeu principal utilisé : Bois-Saule, jeu de rôle solo pour vagabonder dans les ténèbres sauvages de Millevaux

N.B. : Les personnages et les faits sont fictifs.

Le projet : Dans le mufle des Vosges, un roman-feuilleton Millevaux et une expédition d’exorcisme dans le terroir de l’apocalypse

Précision : ces feuilletons sont des premiers jets, donc beaucoup de coquilles demeurent. Merci pour votre compréhension.

Avertissement : contenu sensible (voir détail après l’image)

Image
the streetweeper & n8wood, licence CC-BY-NC, sur flickr

Contenu sensible : exhumation


Passage précédent :

49. Dârou ! Dârou ! Vénet do mo so sac !
Comment la chasse d’un animal imaginaire a mis le feu aux poudres. (temps de lecture : 5 mn)


L'histoire :

Image
Not listening, par STBL, un drone tout en échos fuyants pour des réalités qui se dérobent infiniment.

Premier de Descendres

Je croyais être le héros de cette histoire.

Mais mon destin de mémographe est de conserver et témoigner des hauts faits de mes proches.

Aujourd'hui, avec le sentiment d'être aux portes d'événements encore plus tragiques que ceux qui ont précédé, je reprends mon calame sur ce carnet. 

Car, moi, Sœur Marie-des-Eaux, je ne suis plus mené par la seule motivation de me souvenir, mais par le besoin d'enseigner.

Il faut que ceux qui me suivront sachent ce qui s'est passé depuis mon arrivée aux Voivres, et ce qui va se passer à présent.

J'ignore combien de temps le Vieux m'alloue encore sur cette terre. Il faut que ce carnet me survive.

Je repense à toutes ces personnes plus grandes que moi et que le Vieux a rappelées, le père Benoît et Champo en premier lieu. Et aussi à ces personnes à qui il refuserait peut-être les portes de son Paradis, mais qui m'ont chéri et protégé. Prescience. Euphrasie.

Je ne suis qu'un pécheur à moitié fou qui consigne des absurdités sur du papier que le vent emportera.

Ce vent que j'entends sur les jouets de bois suspendus à la porte de la yourte dans laquelle je viens de m'installer. Je n'avais ma place ni au presbytère, ni à l'Auberge du Pont des Fées.

J'ai entendu les cocottes des sapins crisser sous un sabot. J'ai mis le nez dehors et ai vu une forme dans le brouillard et la nuit brune, qui sortait de la forêt comme un diable de sa boîte. À sa main, une lanterne l'éclairait à peine. 

C'était la Bernadette. Elle est venue "en gage de bonne amitié".

Je n'ai plus aucun ami ici, alors je ne sais que penser de son empressement. Je me suis même pris à penser qu'elle était venue poser des charges pour m'envoûter, comme elle l'avait fait avec la Sœur Jacqueline. Ce n'est qu'à contre-cœur que je l'ai laissé entrer sous la yourte, et je n'ai pas desserré la main de mon opinel dans ma poche au cours de notre entrevue.

Nous avons parlé des derniers événéments. À demi-mots des deux côtés, mais on se comprenait.

"Les horlas se font la guerre, a-t-elle dit. On est là que pour compter les points.
- Je ne sais pas. Je crois que ce concept de horla cache une réalité plus complexe.
- Méfiez-vous. Les horlas sont plus simples que vous ne le croyez. Ils sont juste comme nous : insatiables."

Puis la cuisinière m'a laissé seul avec mes pensées.

Je n'avais toujours pas le cœur de prier, mais j'ai eu l'impression d'y voir plus clair en moi.

Durant toute ma carrière d'exorciste, je me suis appliqué à traquer les démons sans montrer aucune pitié. Mais j'ai aussi eu l'occasion d'en connaître mieux certains, et, oui je l'avoue, d'en aimer certains.

Aujourd'hui, je m'interroge sur tout, sauf sur une chose. Je sais que j'ai une mission dans ce village. Et ce n'est peut-être plus celle d'un bourreau. Je suis pessimiste sur ce qui va se passer plus tard car les prédictions de l'Apocalypse commencent à s'accomplir. Mais je suis optimiste concernant l'attitude que je vais adopter. J'ai le sentiment, inédit, de savoir que je saurai me comporter avec cœur dans les épreuves qui viendront.

Je revois des endroits de mon passé en impression sur ma rétine.

L'ossuaire...

Oui, je n'ai pas toujours choisi le camp des humains. Je vaux surtout choisir le camp des justes.

Un tourbillon m'a pris et j'ai compris que plus rien ne serait comme avant.


Image
La Haine Primordiale, par Nors'Klh, du dark ambient martial toute de fureur rentrée qui orchestralise la montée en puissance du mal.

Second de Descendres

J'ai voulu dessiner dans ces pages le portrait de l'Euphrasie. Le fusaie sous mes doigts osseux hésitait de toutes parts. L'épaisseur du sourcil, l'intensité du regard. Autant de choses que j'échouais à saisir.

J'ai compris que j'étais déjà en train d'oublier son visage.

J'ai déchiré la page.


Alors que l'acédie est plus forte que jamais et que je sens entre le Vieux et moi une distance aussi fine et impénétrable qu'un suaire, alors que mon incapacité à prier me cloue au sol et me tient éloigné du ciel, je repense à mes conversations avec Augure, une personne que je trouve aussi fière qu'étrangère.

"De quelle terre venez-vous ?", lui ai-je demandé.

Elle a levé les yeux vers les nuages et a répondu :

"Aucune."

En ayant choisi de prendre ma retraite dans ce qui fut la demeure de Champo, je me demande si je suis entré en ermitage ou en paganisme.

Je me surprends à fouler la terre gelée, cette terre faite pour enfouir des corps, et à la trouver plus pleine de vérité que le discours des hommes ou le regard du Vieux.

Les outardes, si peureuses avec leurs barbes sous le bec et leurs pattes de poule, viennent picorer jusqu'à moi et je peux presque les toucher.

Je me tiens trop éloigné du village. Cela pourrait compromettre la mission que je me suis assigné de les protéger contre leur gré.

Je m'en suis rendu compte ce soir-même. C'est presque de force que le Sibylle Henriquet m'avait remorqué jusqu'à la grand-rue, pour un baptème à donner.

C'est ainsi, pour ainsi dire par accident, que j'ai appris qu'un homme d'église était arrivé aux Voivres.

Il avait son chariot parqué devant le lavoir, et à son bord une bande de fier-à-bras jouaient aux dés. J'en ai compté six, ils avaient tous des armes.

Je suis remonté en toute hâte au presbytère, c'est là que je l'ai trouvé, en grande conversation avec le Nônô Élie et ses chasseurs. Ils étaient dehors, il n'avait pas pris la peine de se déchausser ou de s'installer, signe que leur discussion était marquée du sceau de l'urgence.

J'ignore pourquoi, ça m'a rappelé une histoire que me racontait la Mélie Tieutieu :
"C'est l'homme-là qui pour tuer son chien l'a accusé de la rage. Et ben son chien il est devenu enragé et lui a bouffé la tête."

C'était un jeune homme, je ne lui donnais pas plus de quelques années que moi.

Je n'ai que très peu d'inclinaison pour les sentiments amoureux, même mon sacercoce mis hors de compte. Je dois cependant reconnaître que c'est un bel homme. Il est mal rasé comme le sont ceux qui voyagent et sont dans l'action, les cheveux longs sous la tonsure lui retombent sur le front et les yeux. Une tâche blanche de naissance lui recouvre le nez. Il porte une robe de moine blanche et un capuchon très simples, dans une toile grossière, et une immense croix de bois pour tout ornement.

Il a écarté les chasseurs, reconnaissant ma robe de religieuse, et a pris la peine de se présenter à moi :

"Bonjour, ma Sœur. Je suis Dom Pasquale Moretti. Je suis un Inquisiteur et j'ai été mandé au diocèse de Saint-Dié par le Vatican. L'évêché a reçu un pigeon voyageur laissant entrevoir de graves problèmes dans cette paroisse, problèmes que ces habitants sont justement en train de me confirmer. Je suis ici pour régler toutes ces questions.
- Le Père Benoît, exorciste de Saint-Dié, m'a souvent dit qu'on n'avait plus de nouvelles du Vatican depuis longtemps.
- Ce prêtre, dont on vient de m'annoncer le décès, ainsi d'ailleurs que l'infortuné père Houillon. Vous êtes, je suppose, la Sœur Marie-des-Eaux."

Je n'ai pas répondu. J'ai tout de suite compris que j'avais affaire à un charognard. J'espère qu'il a bien senti mon œil unique se concentrer sur lui et le vouer aux gémonies.

"Il faudra qu'on parle, mais j'ai plus urgent encore à faire. Vos amis ici présents m'ont parlé d'un étrange cas de mort tombé du ciel. Nous allons aussitôt procéder à son exhumation."

Je n'avais aucune envie de supporter sa présence, mais je les ai quand même suivis au cimetière, histoire de savoir ce qui allait se passer.

Maintenant que j'avais fréquenté l'Euphrasie et l'Augure, je me doutais bien de ce qu'ils allaient découvrir, et j'avais besoin d'observer leur réaction. Je me disais que s'ils me poseraient des questions, je ferais celui qui n'était pas au courant.

C'est ainsi que nous nous trouvâmes une dizaine à trouer la presque-nuit de nos flambeaux, embarqués dans le cimetière avec des mines de profanateurs.

Je marchai au milieu des sépultures et le temps me semblait ralentir. Je repensais à la nécropole de Xertigny, qui abritait tous les morts des ères passées, et aussi à tous les enterrements auxquels j'avais assisté depuis ma venue aux Voivres.


Le soi-disant Dom Pasquale Moretti n'a pas touché à une pelle ou à pied-de-biche, laissant cet ouvrage à ses mercenaires et aux chasseurs. Il n'était pas du genre à se salir les mains.

Quand il s'est penché sur le cercueil ouvert, j'ai su que rien ne serait plus comme avant.

À l'intérieur, il y avait le squelette d'un corbeau encore paré de quelques plumes.

J'ai compris que la guerre corvine était déclarée.

Et moi, j'en suis déchiré car mon cœur est à moitié Corax.

Il faut que je revoie Augure au plus vite.


Je suis rentré sous la yourte aussi vite que j'ai pu.

J'ai fermé à clef depuis la première fois de ma vie.

J'ai retiré ma robe et me suis allongé sous les chaudes couvertures. Le poêle donnait toute la chaleur qu'il pouvait. La lame de l'opinel glissait sur ma peau nue, sa froideur me faisait du bien et me rappelait sa présence.


Je fixe la porte et je ne trouve ni le sommeil ni la prière. Je m'attends à ce que des coups y soient frappés. À ce que l'inquisiteur auto-proclamé vienne me demander des comptes.



Lexique : 

Le lexique est maintenant centralisé dans un article mis à jour à chaque épisode.


Décompte de mots (pour le récit) : 
Pour cet épisode : 1816
Total : 90682


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Retrouvez ici mon système d'écriture. Je le mets à jour au fur et à mesure.


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