CHAPITRE 26 : Lit mortel pour l’Immortel
L’aube ne va pas tarder à pointer le bout de son nez, et il est temps pour nous deux de quitter ce refuge douillet pour rejoindre le château et ne pas alimenter d’inutiles rumeurs. L’effort que cela suppose n’est pas anodin : profiter chacun de la présence de l’autre est terriblement tentant, et piquer un petit roupillon après toutes ces heures de fornication débridée, je ne serais pas contre… Elle rêve peut-être de son fils Jeor, que je lui ai ramené sain et sauf . Pour tout autre que moi cela aurait été une affaire bien mal engagée. Avec quelques hommes rameutés à la va vite, j’avais réussi à couper la retraite des 3 sbires des lions qui l’emmenaient, mais quand leur sergent a placé sa lame sous la gorge du petit nous intimant l’ordre de les laisser passer, il fallait être capable de réfléchir vite, très vite ! Ma promesse de torture infinie si Jeor mourrait et de garantie de les laisser en vie et même libres en leur faisant franchir les portes Est s’ils se rendaient a eu raison de la loyauté des deux trouffions. Leurs piques se sont retournées contre leur sergent. J’ai tenu ma parole, les trouffions se sont échappés. Quant au sergent qui a rejeté mon offre, eh bien… nous jetterons un voile pudique sur son sort
Je sors de ces pensées et la contemple à nouveau. Madre dé sept dios, elle est quand même ma-gni-fique. Surtout ainsi vêtue de... rien , à part le collier de diamants que je lui ai demandé de porter (non nous ne sommes ni dans Titanic ni dans Les 3 mousquetaires…). Elle s’éveille peu à peu, et accepte de partager une bonne prise de ce tabac qui s’adapte merveilleusement bien à la situation.
Elle a beau tenter de retrouver une attitude digne, son regard et sa chevelure ne trompent pas : même si sa présence dans mon lit constitue à ses yeux une sorte de récompense, je sais très bien qui a le plus crié cette nuit. En tout cas son sourire et le fait que je n’ai pas l’abdomen transpercé d’une dague vengeresse me rassurent sur un point : je n’ai pas évoqué (ou invoqué ?) Illyria au moment de souiller tout ce qui pouvait l’être… Pourtant j’ai cru discerner son visage à plusieurs reprises, un visage troublant, troublé, indécis. Un mélange de de tristesse, d’amour, de reproche, de rictus démoniaque…
Est-ce pour cela que je ne suis pas totalement serein, alors que repose dans mes bras la femme que je poursuis depuis si longtemps ?
Illyria… qui m’a sans doute sauvé la vie face à cette raclure d’Arken, qui se consume d’un amour silencieux, et qui m’a offert ce fils qui me rend si fier. Et puis surtout… elle qui a tout risqué jusqu’à sa vie pour nous offrir la possibilité de prendre notre destin en main. Elle l’étrangère, elle a accompli ce que nous n’osions pas sérieusement mettre en oeuvre… Avec l’aide de son dieu elle a fait fondre la chape de plomb qui menaçait de nous étouffer, elle a rendu possible l’impossible avec comme première conséquence… cette nuit de folie avec Lyanna. Quelle cruelle ironie pour elle.
De retour au château, le spectacle nous remet vite en mémoire les événements de la veille. La puanteur, le sang, la mort… Le cortège de charrettes qui emmènent les cadavres vers les fosses communes fait le bonheur des corbeaux affamés. Heureusement, les livrées rouges y sont plus nombreuses que les noires, la gloire et la victoire ont choisi les Blacksword !
La longue file de blessés va permettre à notre nouveau mestre de ne pas chômer. Ses manches risquent fort de rester troussées en permanence ces prochains jours ! Il n’est pas le seul d’ailleurs, Deathwatch ressemble à une fourmilière géante qui panse ses plaies et se réorganise en prévision du deuil national qui débute aujourd’hui. Une charrette ou deux bifurquent avant les fosses vers… la maison de Sayanne. Des charrettes où les Lannister morts bougent encore… des blessés graves donc.
Cela me préoccupe, car j’ai une petite idée de ce que cela signifie : Illyria désire sans doute plus de chair à peine fraîche pour continuer ses… brr… expériences. Quelles que soient les réserves, - et c’est un euphémisme - que je peux avoir sur ces agissements, je dois au moins reconnaître qu’elle est prête à prendre tous les risques pour accomplir les volontés de son Dieu…
Avec un entrain qu’elle doit souvent penser à réfréner, Lady Lyanna gère les préparatifs et l’organisation des funérailles de son mari. Elle les exige grandioses et se démarque de la tradition, ou du moins l’adapte. Le corps du seigneur reposera dans un majestueux caveau de marbre bâti au cœur du God’s Wood , quelque peu isolé du reste de sa famille dont les os continuent de geler dans la crypte. Je ne sais si elle y a pensé, mais c’est une belle illustration de la solitude et du refus d’aimer qui ont toujours régné sur son cœur. Je ne sais pas pourquoi, je sens que cette présence massive dans le bois sacré va couper net nos petits rendez-vous romantiques. Tant mieux au fond, je nous sentais bien déraper vers une forme convenue et ridicule d’amour courtois… (enfin je n’ai jamais ramené de roses !!)
La question des délais rentre en compte également, l’inhumation aura lieu un dans une semaine, ce qui laissera le temps aux derniers bannerets de se présenter à Deathwatch comme l’a exigé Edrick Jr.
Junior… je souris quand je pense à ce sobriquet Il va falloir que je perde l’habitude de le nommer ainsi, cette époque est désormais révolue. Sa vie, plus encore que la nôtre, vient de prendre un virage des plus serrés dans un col de montagne glissant et battu par les vents. Junior, le mou, le faible, le rat de bibliothèque comptable, a failli mourir broyé par le gant d’acier de son père, et dans ce corps brisé, une âme nouvelle, plus vigoureuse, s’est forgée dans les fourneaux desderniers bouleversements. Il doit toujours avoir le sommeil torturé, aujourd’hui encore qu’avant avec tous ces drames, mais il a le regard moins fuyant, la parole plus ferme, et même moi, parfois, j’en arrive à me taire lorsqu’il s’irrite. J’étais déjà proche de mon cousin depuis notre enfance, mais nous partageons désormais la perte de nos pères, même si les sentiments sont forcément plus mitigés de son côté.
Deux, trois jours se passent. Nous parvenons souvent à réunir le conseil restreint d’Edrick : Lyanna, Dreke, Illyria et moi. Dans nos premières discussions, la réaction des Lannister occupe évidemment une place centrale. Nous disposons forcément d’un certain répit, le temps que la rumeur parvienne aux oreilles de Port Lannis. Mais ensuite ? Reddick Lannister est-il suffisamment important pour que Tywin décide de venger sa mort, englué qu’il est dans la guerre des Conflans ? La légitime défense de notre château peut-elle suffire à justifier toute l’affaire ? Notre relative mansuétude avec les prisonniers pèsera-t-elle dans la balance ?
Bien sûr, la mort soudaine de l’Immortel complique la donne. Sans compter l’annulation du mariage avec Cerrah Lannister et son nouveau statut d’otage. Bref même si les options militaires à court terme des Lions sont quasi nulles, nous ne devons pas oublier leur devise… et nous préparer à quelque subtile manœuvre ou coup de vice. Comme si nous n’avions pas assez à faire avec les Greyjoy qui bloquent Moat Caitlin ou les Stark contre qui nous nous sommes rebellés…
Notre chance est que chacun déteste tout le monde dans cette guerre sans merci. Si nous abattons nos cartes au bon moment, nous pourrons peut-être négocier une trêve.
Les talents d’archère de Cerrah ne sont pas tombés dans l’œil d’un aveugle et mon cousin se prend à rêver d’un bataillon de guerrières à son image, spécialisées dans le tir à l’arc. Des Amazones à Deathwatch ? Enfin, dans le Nord ce serait plutôt des Valkyries… Il faut voir à quel point le concept bousculerait les coutumes bourrues de notre peuple et l’impact sur la loyauté des soldats, mais c’est audacieux. Il faudrait bien sûr un homme à poigne pour encadrer ces recrues à mamelles et si en plus on pouvait les choisir selon hum … certains critères je serais ravi de m’en occuper. Mais je n’ai pas le temps de me porter candidat que déjà Edrick assigne cette responsabilité à Lady Lyanna, qui jubile, trop heureuse de démontrer que les femmes peuvent jouer un rôle central à Deathwatch. Mmm, bien joué cousin…
En parallèle, il veut créer une sorte de milice féminine capable de défendre la ville si elle était attaquée en l’absence de l’armée régulière. Armements de fortune, formation accélérée seront au programme… Là je trouve ça inutile et dangereux, elles ne pourront rien face à des soldats endurcis, et cela ne fera qu’accentuer les meurtres et les viols si elles emportent une brute ou deux dans leur résistance…
Lady Lyanna interrompt ces considérations militaires en se plaignant avec virulence de la présence permanente d’Illyria à nos conseils où sont abordés les sujets sensibles. Elle n’en revient toujours pas de la confiance aveugle et subite qu’Edrick lui accorde (il est vrai que c’est curieux au demeurant, même si ça m’arrange) . Saltimbanque, cuisinière, roturière, espionne braavienne, tout y passe, et les insinuations qu’Illyria lui offre en retour sur ses mœurs légères ne font pas vraiment baisser la température. Cela m’énerve et je finis par lâcher, excédé :
- Lady Lyanna, cet acharnement n’est pas digne de vous. Illyria s’intègre du mieux qu’elle peut, et sert loyalement mon cousin
- Ah oui et comment, en jouant du tambourin et des maracas ?
- Par des …. Euh… visions prophétiques que lui accorde son dieu de la Lumière !
Par toutes les croupes des juments dothrakis, que n’ai-je pas dit là ? Non seulement c’est une explication bancale et un peu fumeuse mais ça rallume l’intégrisme religieux de Lyanna, qui place les anciens dieux au-dessus de tout usurpateur fut-il de feu ou de flammes. Voilà pourquoi je remercie Dieu tous les jours d’être athée…
Cette fois je n’en démords pas et n’essaie pas d’arrondir les angles. Illyria mérite le respect et je contre-attaque en annonçant vouloir reconnaitre mon fils bâtard Ferrego, comme un Snow « officiel ».
Edrick acquiesce, Illyria est ravie, lady Lyanna, livide, quitte la salle. Cela m’entaille le cœur, mais je n’irai pas la rattraper au God’s wood ou ailleurs…
Du coup, je suis toujours là pour entendre la fâcheuse remarque d’Edrick :
- Volken, vous connaissez sûrement les railleries qui accompagnent les enfants Snow. Si votre fils grandit seul, sans camarade proche, il devra les supporter seul, isolé, malheureux. Je peux lui éviter cette peine en faisant venir au château deux gamins de l’orphelinat, qui grandiront avec lui et deviendront sûrement des amis solides, ce qui n’est jamais un luxe pour un bâ…. Snow
- ?????!! Pardon mon cousin, j’ai dû mal comprendre ? Vous suggérez de flanquer mon fils de deux marmots roturiers pouilleux ? Quel meilleur moyen pour qu’il soit définitivement catalogué comme misérable ? Mon fils tient de moi, il n’aura aucun problème à se faire apprécier, tout comme mon père d’ailleurs ! Quant aux adultes qui voudraient le railler, l’humilier, je leur ferai passer l’envie de recommencer !
Edrick n’apprécie pas ma bravade et me congédie, ça tombe bien j’ai besoin de prendre l’air…
Le lendemain, comme chaque matin après l’indispensable séance d’entraînement à la lance je grimpe à la tour pour espérer y trouver une réponse de mon grand père à ma requête. Rien, comme d’habitude… Damned, ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme « le Tardif ! »
Lors de notre réunion quotidienne, lady Lyanna met de la pommade à Brand, telle une renarde désireuse de déguster un bon fromage. Son intelligence, ses nombreuses années au cœur du pouvoir, sa relation privilégiée avec son mari, tout cela rend ses conseils très précieux n’est-ce pas ? Tu parles ! Ils sont beaux ses conseils :
« Avec les événements récents, la donne a changé. L’unification du Nord devient prioritaire, et le meilleur atout pour la famille Blacksword, surtout avec la déchéance des Stark ! »
Peuh, où sont passées ses leçons méprisantes sur mon étroitesse de vue, à base de « le Nord est un nain politique, l’avenir de Westeros et de Deathwatch se joue au Sud ? » Sans doute à cause de mes nombreuses absences, je n’avais jamais réalisé à quel point Brand était un toutou dont l’opinion ne diffère jamais de celle de son maître. Que mon cousin s’amuse donc à lui lancer la baballe, il lui ramènera toujours…
Edrick me convoque en privé, n’insiste pas sur nos différends de la veille et remet sur le tapis le rôle qu’il entend me faire jouer dans les coulisses du pouvoir : celui de super-espion (hum-hum). Nous savons tous deux que la discrétion n’est pas mon point fort, mais il s’agit plutôt de monter un réseau, centraliser les informations, affecter les bonnes personnes, bref, cela exige plus des talents sociaux, d’intrigue, de diplomatie, et d’administration. Le but est de créer puis d’étendre un réseau dans notre « espace vital » dans un premier temps, puis au-delà de notre sphère d’influence habituelle ensuite. Mes activités marchandes offrent des couvertures crédibles aux futurs « agents »
Tout cela est bien joli sur le papier et flatte quelque peu mon ego je l’admets, mais cette entreprise va se fracasser contre un tronc, un mur, une muraille : le manque de temps. C’est une entreprise de longue haleine d’établir un réseau solide, et dans trois mois, après le mariage avec Astreya, je serai parti. Il est temps que chacun (mon cousin bien sûr, mais pas seulement) comprenne ici que je ronge mon frein en attendant le moment où mon serment ne me liera plus. Peu importe le chemin que je prendrai ensuite, je rejoindrai le jeune Loup et, d’une manière ou d’une autre, je lui ferai rendre gorge pour son crime abominable.
Edrick ne se démonte pas, m’assure avoir pris en compte cette contrainte mais me demande quand même de m’atteler à la tâche, quitte à ce qu’il prenne ensuite le relais.
Qu’à cela ne tienne, après tout ça peut devenir amusant. J’ai déjà quelques hommes en place à Blazetower, et j’entreprends de sonder et recruter des hommes compétents et loyaux pour prendre place à Tertre-Bourg, Quart-Torrhen, Motte-la Forêt, Corbois, Blancport, Châteauvieux. Pour allier l’utile à l’agréable, je ne perds jamais une occasion de promouvoir cette plante merveilleuse qu’est le tabac. Plus les gens fumeront, plus il sera rentable de me réapprovisionner dans les terres du Sud, et moins je risquerai la rupture de mon propre stock…
Je n’oublie pas non plus, à titre un peu plus « pour ma pomme » de raffermir mes liens avec la pègre de Deathwatch. Si je me suis impliqué personnellement dans l’exécution d’Arken, c’est bien pour que son successeur, Solmyr (surnommé « 8 doigts » ) n’oublie jamais tout ce qu’il me doit, qu’il ne fasse pas la même erreur que son ex-rival, à savoir disperser sa loyauté. Je lui ai accordé des conditions financières inégalables dans la gérance du Seigneur Brûlé et de ses divers trafics. En échange, je dois tout savoir sur ce qui se trame ou se révèle dans les bas fonds. Quand les gens boivent, les gens parlent. La moindre contrebande d’un collègue marchand, les moindres rumeurs insistantes sur ce qui se passe au château, la popularité respective des membres de notre de famille (être accroc aux sondages ça ne date pas d’hier !!), d’éventuels récits de rescapés du conflit qui pourraient m’aider à piéger le jeune Loup, rien ne doit être laissé au hasard ! Que je constate certains manquements, et ma main se fera beaucoup plus lourde sur les pourcentages prélevés… Et je pense qu’il sait ce qui se passera s’il persiste à me décevoir… après tout, il n’a été nommé gérant du Seigneur Brûlé… qu’à vie… J’ai déjà quelques idées pour le mettre à l’épreuve
Il y a un autre moment où les gens parlent, c’est quand ils couchent, j’en sais quelque chose. Je me rapproche donc à nouveau d’un endroit que j’ai beaucoup fréquenté par le passé, mais délaissé depuis quelque temps : le bordel très présentable la Dame aux orchidées, surtout comparé à son homologue. Une opportunité commerciale, un secret honteux d’un notable, ça a de fortes chances de s’apprendre ici. Je dois payer un peu de ma personne (… et de ma bourse) pour renouer le contact avec ces filles… joyeuses. Ce n’est évidemment pas désagréable, mais pour une fois, j’utilise vraiment ma queue avec des arrière-pensées politiques. Pfff, Lyanna et Illyria ont-elle à ce point réussi à me domestiquer que j’en éprouve de la gêne ??? Grmbll….
J’apprends vite qu’un de mes nouveaux compagnons traîne aussi ici assez souvent, prend soin des filles, dispense conseils, soins et pièces tintantes, qui semblent se multiplier sans difficulté : le mestre Dreke. Depuis qu’il a rejoint Deathwatch avec feu mon oncle, il a fait preuve d’initiative, et ne semble pas rebuté par un environnement nouveau et agité comme le nôtre. Sa progression fulgurante (financière notamment) laisse présager des qualités intellectuelles certaines, ainsi qu’une bonne dose de chance. Il était ainsi de ses dires mêmes aux premières loges pour constater qu’un carreau Lannister perdu ou pas avait transpercé ce gros porc de Ludweck. Je ne sais pas quelles ficelles il a dû apprendre à tirer à la Citadelle, mais il a les réflexes d’un intrigant . Ami d’enfance d’Illyria en plus, quelle belle coincidence, il désire en apprendre plus sur Rhl’oorr, quelle belle preuve de souplesse théologique pour un mestre…
Quoiqu’il en soit, il a eu la même idée que moi et compte exploiter le bordel pour les mêmes raisons. Dois-je tout de suite calmer ce rustre dans ses ardeurs et lui faire comprendre qui est la patron ? Lui indiquer dans le même temps que je vois d’un mauvais œil sa proximité avec Illyria ?
Mmm, en même temps, il y a tellement d’ennemis et de menaces plus tranchantes à gérer, que j’ai bien envie de passer par la voie du négoce ici. Un mestre un est un appui stratégique, d’autant plus quand on attend désespérément des nouvelles par corbeau. J’inscris donc à mon agenda une sérieuse discussion avec lui.
Nous aborderons probablement le sujet de ses visites à l’orphelinat pour jauger les gamins les plus débrouillards. Cela ne peut signifier qu’une chose : Illyria a bu les paroles d’Edrick et se démène pour trouver des compagnons à Ferrego. Des compagnons fils de tavernier ou de ramasseuse de crottin… pfff, mon fils mérite bien mieux ! Elle qui n’hésite pas jamais à lire l’avenir dans les flammes pour un oui ou pour un non, qu’elle le fasse donc pour Ferrego, elle verra bien que j’ai raison !
Ca mériterait une explication franche entre nous, mais … ce n’est pas le bon moment. Depuis la mort d’Edrick sr et les révélations qu’elle m’ a faites, je suis partagé entre la répulsion sur ces pratiques peu honorables et l’admiration devant sa passion et son dévouement. Admiration qui se mue en culpabilité devant le minimum syndical qu’elle obtient en retour . Et quand je me sens coupable, je fais comme beaucoup de mâles, je deviens froid et distant pour éviter de croiser son regard et apaiser mon esprit
N’allez pas croire que ça rend les choses plus simples avec lady Lyanna, qui n’a toujours pas digéré la reconnaissance officielle de mon fils. Je finis par obtenir deux jours plus tard une entrevue discrète et elle me déballe enfin ce qu’elle a sur le cœur : non, ce n’est pas mon fils le problème mais la place officielle à la cour de cette saltimbanque et le soutien sans réserve que je lui offre. Elle y voit une preuve d’amour de ma part. Si elle savait…
Alors que je bredouille des banalités, elle prononce la première des deux phrases que je n’oublierai pas de sitôt :
- Mais vous êtes tous aveugles ou idiots ? Que fait-elle ici à part passer son temps à se profiter d’un prestige au-dessus de sa condition et à se goinfrer aux frais de notre famille ? Gardez-là loin d’ici dans une maison close ou une étable, les Blacksword ne s’en porteront que mieux !
Là, je lui saisis le bras sans doute un peu trop vigoureusement ; le visage cramoisi, les veines palpitantes, je lui crie :
- Ne lui manquez pas de respect my Lady. Vous êtes tellement ignorante ! Illyria n’a rien à envier à personne ici, et vous, plus que d’autres, vous devriez lui sauter au cou et la couvrir de baiser au lieu de lui cracher dessus , car elle a exaucé votre vœu le plus cher ! Elle nous a tous libérés ! Jamais vous ne pourrez comprendre ce qu’elle a fait pour nous !
J’en ai trop dit bien sûr, et je me tais subitement, tournant les talons et plantant sur place celle sur qui je n’aurais jamais cru pouvoir crier un jour.
Bref, après avoir goûté à la félicité et m’être un peu vautré dans une sorte de polygamie de circonstance, je commence à ressentir les effets secondaires néfastes de la situation.
Chacune d’entre elle pense me prendre à mon propre jeu et feint l’indifférence . Illyria et prend un malin plaisir à traîner avec Dreke et à me renvoyer en pleine poire ma politesse guindée, tandis que lady Lyanna découvre subitement des attraits insoupçonnés au barde médiocre de Deathwatch, avec qui elle passe un temps fou, prenant bien soin de rire gaiement à ses blagues misérables quand je suis à portée d’oreille.
Pff, comme si je ne savais pas qu’elle cherche avant tout à ce que cet idiot chante ses louanges partout où il passe, et narre son combat valeureux contre le Lion écarlate. Tout cela est bon pour sa campagne de recrutement d’archères d’élite pas vrai ?
Franchement, l’une comme l’autre, elles pensent vraiment me rendre jaloux ainsi ? Ah ah ah à ce petit jeu-là, elles vont perdre. Si je vois un mauvais œil le retour de Stillgar, si Dreke me semble soudain patibulaire, et si je vais de ce pas demander à Solmyr d’organiser une petite session de démolition de dents et de phalanges pour notre ami le barde, c’est uniquement pour des raisons professionnelles.
Heureusement un petit éclair de bonne humeur transperce ce ciel morose : Edrick redevient celui que j’ai toujours connu lorsqu’il demande au mestre de mettre en place un nouveau système de communication dans le château, à base de kilomètres de câbles reliés à des mécanismes en bois incompréhensibles et de cloches à certains endroits clefs. Edrick n’est pas un geek car ça n’existe pas encore, mais il en est certainement le plus lointain ancêtre !
La veille des funérailles, nous tenons à nouveau conseil . Brand nous avertit de ce qu’il avait d’abord révélé à Lyanna : puisque les Lannister nous sont hostiles désormais, il nous faut nous méfier de celui qui a fait une alliance solide avec eux depuis longtemps, bien avant les actes odieux du jeune Loup.
Spoiler:
Nous évoquons aussi les rumeurs puantes d’assassinat de l’Immortel propagées par Redidck Lannister pour justifier sa tentative de coup d’Etat. Ses messagers ont pu être interceptés avant de sortir de la ville et n’ont pu cracher leur venins auprès des bannerets comme Harsnow mais à l’intérieur de la ville, il ont pu jaqueter dans les tavernes. En pure perte cependant, les Nordiens apprécient Edrick Junior qui a su se rendre plus populaire que son père . En outre mes propres rumeurs sur le fait que le vieux allait annuler toutes les mesures de hausse de gages qu’avait établies mon cousin font que les soldats n’ont aucune raison de juger sa mort artificielle… Enfin, la langue d’un Lannister est souvent considérée comme venimeuse ici, ce qui nous arrange bien.
Lady Lyanna reçoit une lettre de sa famille qui combat aux côtés des Stark. Les nouvelles sont mauvaises : lord Hoster Tully, seigneur de Vivesaigues, père de Catelyn n'est plus de ce monde . Le moral des troupes rouille lentement mais sûrement dans cette guerre moisie. Quelle surprise d’apprendre que Robb le merdeux refuse de rejoindre le Nord et reprendre Moat Caitlin pour continuer sa lutte sans espoir. Quand il nourrira enfin les asticots (et j’espère bien y jouer un rôle ), les Stark tomberont définitivement . Avec Sansa et Arya prisonnières d’un Roi qui semble cruel et timbré, Bran et Rickon brûlés par Theon Greyjoy , et un bâtard confiné au Mur, les Loups connaitront enfin l’Hiver qu’ils annoncent sans cesse. Je sens bien le trouble qui agite Lyanna : que les Mormont soient entraînés dans cette chute, ébranlés qu’ils sont déjà depuis la trahison de ser Jorrah
Inspirant un grand coup, je lui renouvelle ma proposition : naviguons ensemble vers le front, retrouvons le camp des Nordiens. Pendant que je trouverai un moyen d’occire Robb Stark, elle pourra persuader ses aieules de ne pas mourir inutilement pour ce salopard, de rentrer sur l’Ile aux ours et de rejoindre la nouvelle alliance qui se profile au Nord (du moins disons au nord ouest) . Une aventure en amoureux, la gloire au bout du chemin, le sentiment grisant de faire basculer le destin en notre faveur…
- Il suffit Volken ! Vous n’allez pas recommencer ! Cette « quête » est pathétique ! Je n’ai aucune envie de partir à l’aventure, tout risquer pour une chimère ! Ma place est ici où j’ai enfin une chance d’exercer le pouvoir ! Je n’ai aucune prise sur la volonté de ma famille de rester fidèle à leur serment , et je n’ai aucune envie de les voir mis en danger par votre initiative puérile. Vous allez à la mort, Volken, à la mort et à l’échec ! Qu’allez-vous faire si par miracle vous rejoignez le front ? Défier le jeune Loup en duel ? Il vous mettra en charpie, lui et son loup-garou ! Ne comptez pas sur moi pour participer ou encourager votre pitoyable obsession pour cette vengeance ridicule! M’étonnerait pas que votre gitane vous ait farci la tête avec ses fameuses « visions » tiens !
Pendant d’interminables secondes, je reste bouche bée. Vous avez déjà vu un boulet ardent projeté par une catapulte pulvériser un vitrail de cathédrale ? Le vacarme infernal, la pluie de débris qui arrose les environs, chacun plus tranchant, plus acéré que le précédent ? C’est exactement ce que je ressens… Chaque mot qu’elle a prononcé m’a giflé plus douloureusement qu’un gant de mailles
Ma soif de justice, pathétique ??? Ma vengeance , ridicule ??? L’image de mon père, verdâtre, se balançant au bout de sa potence avec un grincement sinistre me vrille le cerveau. Remettre en cause la légitimité de cette vengeance, c’est lui passer la corde au cou une seconde fois ! Comment ose-t-elle souiller ainsi sa mémoire ? Lyanna était la SEULE personne ici à même de comprendre et dont j’espérais le soutien ! Quelle déception ! Peu m’importe si elle s’inquiète de mon sort, elle a franchi une limite intolérable. Je la découvre soudain avec des yeux moins embués de tendresse. Je parviens enfin à siffler entre mes dents :
- Je vois que vous avez changé d’avis… quand Jeor a disparu sous la masse des Lannister, vous étiez prête à attaquer seule 200 soldats. Si je vous avais ramené un cadavre, vous auriez nagé jusqu’à Castral Roc pour vous venger. Mais mon père apparemment, n’est pas digne d’un tel amour. Et moi non plus… Je saurai désormais à quoi m’en tenir.
Alors que je passe seul ma rage lors d’un entraînement musclé, les derniers bannerets arrivent à la cour. Edrick peut ainsi convoquer tout son monde pour annoncer la tenue des funérailles et… la nomination officielle du capitaine Stilgar au rang de chevalier pour sa loyauté et sa conduite héroïque lors de la reprise d’Ash Harbour. Des terres lui sont accordées non loin du port. Il devient aussi général en chef des armées de de Deathwatch. Une décision un peu audacieuse politiquement lorsqu’on sait que le vieux l’avait volontairement banni. Brand redevient capitaine de la Garde, rôle qui lui convient parfaitement. (je me demande quel architecte on nommera pour lui construire une nouvelle niche) Encore échaudé par les paroles de Lyanna, je reproche en privé à mon cousin de n’avoir eu des largesses que pour des étrangers alors que sa propre famille s’est saignée pour lui. Mais avec le recul, c’était sans doute malvenu.
Le lendemain à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, tous les nobles se recueillent dans la crypte du château. Huit soldats se chargent ensuite d’emmener l’Immortel vers sa dernière demeure au cœur du God’s Wood. Sur le flanc de chaque garde, les fourreaux sont peints : en ce jour, chaque arme de Deathwatch est une noire-épée. Les rues pavées de chardons et d’orchidées accueillent une foule silencieuse et résignée. Pas de pleurs en pagaille, les morts s’enchainent trop rapidement. Les adieux à mon père ont asséché pour longtemps les yeux des femmes du pays.
Le vent, pourtant cinglant ces derniers jours, n’ose plus souffler ; les rapaces désertent le ciel ; les chiens jappent en sourdine ; les nourrissons affamés suspendent leurs plaintes criardes ; la fumée semble se figer au sortir des cheminées.
Le cortège serpente et trace un sillon ténébreux jusqu’au caveau. Alors que les fossoyeurs s’activent, une assemblée de veuves entame une prière mortuaire. Leur chant est censé plonger dans les racines et s’élever jusqu’aux cimes des branches de l’Arbre cœur, insuffler de la ferveur aux dieux qui veilleront sur Edrick.
Lyanna clôt ce chant par une tirade poignante sur l’honneur et le sens du devoir de son mari, du bonheur d’être aimé d’un tel homme (siiic !) et de sa fierté d’avoir partagé sa vie. Que les femmes sont douées pour la dissimulation et la comédie !
D’autres prennent la parole, mais laissent à mon cousin le dernier mot. Lui aussi surenchérit sur les qualités immenses de son père, sur tout ce qu’il a accompli, ce qu’il lui lègue et les promesses qui les lient par-delà la mort. Il jure devant l’assemblée qu’il poursuivra son œuvre et garantira la sécurité et la prospérité de ses terres. Ses paroles et le spectacle de la dépouille de son père devraient l’émouvoir, mais je ne lis que sérénité et concentration sur ses traits. Je sais que ses rapports furent plus qu’abominables ces derniers temps, mais tout de même, il s’agit de son père ! J’espère qu’il ne l’imitera pas en fermant son cœur à triple tour.
Alors que le corps est dirigé vers sa demeure de marbre, chacun peut , une dernière fois, fixer dans sa mémoire le visage du vieux seigneur. Je suis plus troublé que prévu. Bien sûr, sa rigidité, sa violence envers son fils, son étroitesse d’esprit et son refus de nous considérer comme des adultes m’ont fait vomir plus d’une fois. Bien sûr, son manque de réaction face à l’assassinat honteux de son frère m’ont donné envie de le mépriser, de le haïr. Mais jusque dans son dernier sommeil il est resté le même, droit, inflexible, l’honneur viscéralement chevillé au corps. Il incarnait tellement le château, la ville, la région… Et il ne méritait sans doute pas cette mort honteuse, plutôt réservée aux obèses fatigués. Et avec lui c’est notre enfance et toute une époque qui se retrouve enterrée
Quelque part, c’est sans doute mieux ainsi, il va continuer sa mission , veiller sur les Tertres sacrés. Il le fera de l’autre côté c’est tout. Faisait-il de toute façon partie des vivants depuis la mort de sa première épouse ? Pour la toute première fois, je crois percevoir un sourire au coin de ses lèvres figées. Rest in peace old warrior ! Illyria, non loin de moi, semble complètement hypnotisée par la scène…
Brand déploie la bannière noire et blanche, et tous les hommes brandissent leurs armes vers le mausolée. Les « Gloire à l’Immortel » s’enchainent sans discontinuer. A cet instant précis nous pourrions repousser n’importe quels envahisseurs, fussent-il dix fois plus nombreux !
Juché sur son destrier, au bout d’une haie d’honneur, Edrick reçoit les serments de fidélités de chaque banneret. Un par un, ils défilent et aucun ne semble réticent ou hésitant. Tout juste peut-on noter une certaine raideur dans les paroles et les gestes d’ Harsnow, le colosse chauve à la barbe rousse qui n’a pas la réputation d’être un tendre.
La guerre de 5 rois ne laisse hélas pas de répit, et nous devons renforcer rapidement nos alliances. C’est ainsi que nous devons déjà nous préparer à recevoir lady Astreya Ryswell avec qui mon cousin annoncera officiellement son union dès que la période de deuil s’achèvera. Le coup de folie du Lion écarlate va finalement nous rendre un grand service : il légitime l’abandon du mariage avec Cerrah et le « retour » aux premières fiançailles . Sans cela, un tel virage à 180° par rapport aux volontés de son père aurait pu apparaitre suspect…
Son navire mouille dans nos eaux le soir même et elle nous rejoint le lendemain, sans avoir perdu de sa superbe et de ses réparties malicieuses. Elle est accompagnée de Tellara Dustin (la fille de Jon Dustin, un deuxième fils qui a quelques terres au nord de Deathwatch), sa gouvernante Néva et d’un obscur gratte-papier. Ah et hum, ai-je besoin de vous préciser que son demi-frère, Andre Snow ne la quitte pas d’une semelle ? Bien plus chaleureuse que la dernière fois, elle est disposée à discuter des détails du futur mariage. Il faut dire que maintenant, Edrick n’est plus seulement un héritier prometteur, il EST le maitre de Deathwatch. De bonne humeur, elle me taquine sur mon fils qu’elle découvre aujourd’hui, mais s’arrête net quand elle dévisage Cerrah Lannister qui se tient en retrait. Elle demande discrètement ce qu’elle fait ici, et ne semble guère satisfaite de la réponse. Le regard venimeux qu’elle lui lance augure de moments pénibles à venir. C’est vrai que nous n’avions pas assez de rivalités féminines à gérer entre ces murs…
Qu’importe… nous verrons cela plus tard. Ce soir, j’ai besoin de réconfort et j’ai enfin compris qui était le plus à même de m’en procurer..
