[CR][AiME] Un Dúnadan en Terres Sauvages

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Carfax
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Le parlement sinistre
Sessions 36 à 39
 
Flop ! Ma botte éclaboussa la langue d’eau boueuse lorsque je pris appui sur la rive noyée. D’un saut leste, depuis sa proue, j’avais quitté l’embarcation du mage brun avant qu’elle ne s’échoua entièrement sur la grève dans un long crissement pierreux. Depuis Rhosgobel, nous avions cheminé plein est pour atteindre, avec célérité, la rive occidentale de la rivière noire. Nous venions de la traverser en empruntant une nouvelle fois l’étrange barque de l’istar pour atteindre la rive opposée située à quelques encablures. J’avançais de quelques pas et, immédiatement, les bois m’engloutirent de leurs noirceurs. Je frémis et ne pus refreiner un soupir de désespoir. Douze jours. Douze longs jours pour atteindre le cœur de cette maudite forêt. Une mélancolie enserra mon âme lorsque, au-dessus de ma tête, le pâle soleil disparut derrière la frondaison oppressante des innombrables arbres enchevêtrés.

Pas après pas, louvoyant entre hautes racines et basses branches, nous progressâmes à grande enjambés. Notre allure était anormalement véloce et la magie de Radagast y était assurément pour beaucoup. Depuis nos premiers pas dans la forêt, le vieil homme ne cessait de marmonner des imprécations inaudibles dans sa barbe. Nous avançâmes derrière lui, prêtant une grande attention à chacun de nos mouvements. Indéniablement, la forêt se refusait à notre présence et elle nous opposait multiples embûches et pièges. Une odeur de putréfaction prégnante emplissait nos poumons à chacune de nos respirations. Pire, et comme mes compagnons, plus d’une fois je me cognais violement la tête sur une branche noueuse assassine ou m’embrochais les pieds sur une sournoise racine. Ma vigilance et mon attention étaient de tous les instants. J’étais fourbu lorsqu’arrivaient nos haltes nocturnes. Le troisième ou quatrième jour de notre marche, Vannedil faillit s’étouffer. Par inattention, il se frotta à une vielle souche désincarnée et écrasa quelques champignons. Ceux-ci libérèrent leurs pores et leurs exhalations nocives s’insinuèrent dans son nez et sa bouche. Une violente quinte de toux le submergea. Avec Beleg, nous eûmes toutes les peines du monde à contenir ses soubresauts et, afin de le soulager, lui faire avaler un peu d’eau de l’une de nos outres. La forêt nous rejetait, notre présence l’indisposait. L’air était suffocant et nos corps étaient éreintés et tiraillés par la fatigue. Peu à peu, au fil des jours, une angoisse palpable s’empara de nous et chacun de nos pas fut plus éprouvant que le précédent. Je vis mes deux amis dépérir et leur visage s’obscurcir. Les nuits n’étaient que peurs et craintes, le sommeil nous fuyait. Les matins blafards n’apportaient aucune joie et nos collations s’avérèrent bien vite frugales et insipides. Même mâcher un peu d’herbe à pipe ne m’apporta aucun réconfort. Les mots se firent rares, chacun se taisait. Le mage était inaccessible, tout préoccupé qu’il était par ses imprécations incessantes. A chaque levé, il se redressait et nous incitait à avancer. Nous le suivîmes mais sans hâte ni engouement.

Malgré tout, nous poursuivîmes et nous nous enfonçâmes dans les profondeurs des bois. L’obscurité grandissait et jour et nuit se confondirent. L’une d’elle fut une nuit de cauchemar. Sa veille, nous avions aperçu les premières toiles d’araignées. Eparses et rares, elles s’agrippaient à quelques branchages. Dans mon sommeil, je fus réveillé en sursaut par Vannedil. Un horrible arachnide, au corps translucide et d’une taille imposante, me menaçait de son dard. Me surplombant, elle s’était approchée depuis le faîte d’un chêne rabougri. Je me levais précipitamment, criant pour alerter mes compagnons de la menace. Le mage avait disparu, son bâton traînait pourtant là, près de sa couche désertée. Mes amis s’armèrent, nous nous agitâmes avec frénésie car deux autres créatures, semblables à la première, approchaient. C’était l’affolement jusqu’à ce que, brusquement, je me redressais en sueur. Assis, les yeux ouverts, ma couverture, sale et poussiéreuse, me glissa sur les jambes. Nulle araignée, nulle menace, une hallucination, une simple divagation. Cette forêt malveillante m’usait physiquement mais aussi psychologiquement. Elle voulait ma perte ou ma folie, nul doute.

Puis le douzième jour arriva. Les prémisses de la présence des araignées apparurent et, rapidement, l’abondance de leurs toiles noya les troncs, branches et rameaux. Omniprésentes, elles étaient multitudes, emmaillotant le moindre végétal, structurant les espaces. Là des hautes colonnes de fils diaphanes, ici des mosaïques de cocons opalins, le tout transcrivait une cohérence et, même si elle ma parut abstraite, affichait une étrange beauté féérique. J’avançais hébété dans ce méandre blanc. Puis, les araignées apparurent. De toutes tailles, sombres ou claires, velues ou non, elles grouillèrent désormais de partout mais, néanmoins, s’écartèrent silencieusement au passage du vieux mage. Accolé à mes compagnons, je suivais le sorcier dans ses pas, scrutant chaque monstruosité, levant et tournant la tête en tous sens. Puis je le vis. Un homme. Décharné. Hirsute et barbu, il marchait tel un errant, les épaules voutées. Il portait un simple pagne masquant sa nudité. Il ne fit pas cas de nous, à peine posa-t-il un regard vide sur notre petit groupe. Sa vue m’horrifia lorsque je vis son corps meurtri d’innombrables morsures, certaines saignaient encore. Il était suivi d’une femme tout aussi dépenaillée et éprouvée. Son regard était vide de toute vie. Ce spectacle m’horrifia. Je balbutiais : « Qui…Qui sont ces êtres ? ». Le sorcier me répondit, sibyllin : « Les esclaves des araignées, leurs choses. Avant c’étaient des hommes, sauvages ou des bois, maintenant ils sont perdus, condamnés. ». Colère et dégoût s’emparèrent de mon être, je stoppais mes pas et tirais lentement ma lame. Beleg apposa prestement sa main sur mon bras et, avec lenteur, repoussa mon épée au fond de son fourreau. « Folie ! Nous sommes ici pour Eau-Sombre. Avançons mon ami ! » m'encouragea-t-il. J’emboîtais son pas, laissant ces deux hères à leur sort. Ma lâcheté me tirailla mais restait-il encore une once d’humanité en eux ?

Imperturbable, psalmodiant inlassablement ses ritournelles magiques, Radagast poursuivit sa marche. Les toiles s’épaissirent et dévoilèrent des compositions majestueuses, harmonieuses et aériennes. Cette beauté froide glaça mon sang lorsque, face à nous, apparut sur les plus hautes d’entre elles des centaines d’araignées. Elles nous encerclaient à présent. Désormais, le mage clamait haut et fort ses sortilèges. Sa voix grailleuse se répercutait sur les entrelacs soyeux des toiles tendues. Puis, soudainement, il se tut et cessa sa marche. Devant nous, une étendue infinie de fils blancs forma de vastes volumes tels trois immenses trônes. Les reines étaient absentes mais je sus que nous avions atteint ici le sein du « parlement sinistre ».    
 
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par dreamofrlyeh »

Le suspense monte... En attendant de pouvoir découvrir la campagne c'est mon feuilleton préféré !

Avec ma table et la pandémie, on a du mettre en pause notre campagne en présentiel de D&D5 en pause et je compte leur faire jouer à distance la mini-campagne de Contes et Légendes des Terres Sauvages. En relisant un peu le fil, j'ai vu que vous aviez commencé à jouer en présentiel, est-ce que vous êtes passés à distance entre temps ? Si oui, est-ce qu'il y a des ressources que ton MJ voudrait bien partager à la communauté ?

Je serais également super intéressé par tes fiches de personnages, que tu as montré, mais pas partagé en fichier (à ma connaissance). Evidemment, si tu préfères conserver les fichiers pour toi, je comprendrais tout à fait.

Excellent dimanche !
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

dreamofrlyeh a écrit : dim. janv. 17, 2021 3:17 pm En relisant un peu le fil, j'ai vu que vous aviez commencé à jouer en présentiel, est-ce que vous êtes passés à distance entre temps ?

Oui nous avons débuté en IRL mais très vite, à cause de la pandémie, nous avons poursuivi en distanciel et cela nous va très bien. Certes on perd en sociabilité et l'expérience est vraiment différente mais nous avançons bien plus vite. Nous jouons autant que possible tous les jeudis soirs 2h/2h30 sous Roll20 pour les images et les lancés de dés et avec meet pour le son. Ca marche très bien.
dreamofrlyeh a écrit : dim. janv. 17, 2021 3:17 pm est-ce qu'il y a des ressources que ton MJ voudrait bien partager à la communauté ?

Bah, il y verrait sûrement pas d'inconvénient mais je ne sais pas trop les ressources en question qu'il pourrait fournir si ce n'est images et bandes son utilisées. De mon côté, je peux bien sûr partager la feuille de personnage. Passe moi en MP une adresse e-mail que je t'envoie le fichier.

Et le merci pour ton intérêt  :bierre:  
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par dreamofrlyeh »

Merci pour ta réponse. Je t'envoie un MP :)
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Le mage reprit son chant. Sa mélopée ensorcela les airs et retint les myriades d’arachnides qui s’agglutinaient alentour. Innombrables, elles n’osaient s’approcher et grouillaient sur les multitudes de fils blancs tissés autour des trois trônes. Le refrain inlassable du sorcier brun protégea indubitablement nos esprits de la terreur naissante d’une telle promiscuité avec autant de monstruosités. Celles-ci oscillaient sur leurs fils, tergiversaient, hésitaient, frétillaient de leurs pattes. Leurs stridulations raisonnaient dans l’obscurité oppressante de leur royaume.

De fines gouttes de sueur perlaient à présent sur le front du mage. Serrant d’une main blanche son bâton, il interrompit brièvement sa rengaine pour nous inciter à engager une discussion puis il reprit intensément son chant. Vannedil éleva sa voix et chevrota : « Nous…nous demandons audience auprès de vos reines ! ». S’extirpant de la masse arachnéenne, un homme frêle, esclave de ces monstres velus, s’avança. Son regard, vide et froid, nous regarda les uns après les autres. Vannedil renouvela sa requête : « Tauler ! Nous souhaitons rencontrer votre reine Tauler. ». L’esclave décharné traduisit alors les stridulations d’une araignée volumineuse toute proche de lui et dit d’une voix veule : « Pourquoi ? Vous êtes ici en leur royaume et vous êtes accompagnés du sorcier brun, un de leurs plus puissants ennemis. Un prix est à payer, celui d’une vie ! ». Beleg reprit : « Mener nous à Tauler-la-Chasseuse ! Elle sera que nous payons toujours le tribut de notre passage. ». Fixant notre immonde interlocutrice et la désignant d’un index nerveux, je renchéris : « Mais qui es-tu, vile créature, pour décider en lieu et place de tes reines ? Fais demi-tour soubrette et va les quérir ! Nous avons une offrande pour tes maitresses, va le leur dire ! Exécute-toi ! ». L’araignée trépigna. Elle atermoya et voulut apercevoir notre présent. Je m’exécutais et lui dévoilais notre émeraude. Dans mes mains, et malgré la faible luminosité du lieu, celle-ci brilla de mille reflets verdoyants. Tout autour, les monstres s’agitèrent frénétiquement. Puis, l’esclave s’absenta brièvement et revint les mains emplies d’un coffret ouvragé. Il l’ouvrit à notre vue. Des joyaux reposaient sur son fond. Ils étaient tous aussi ternes que de vulgaire cailloux, seules deux magnifiques et énormes pierres rayonnaient d’un rouge écarlate tel un cœur palpitant. Comment les araignées pouvaient-elles détenir de tels bijoux ? Je ne saurais certainement jamais. L’esclave dit alors : « Donner votre présent ! Poser votre don dans le coffre ! ». Mes mains hésitèrent. Je questionnais d’un œil interrogateur mes compagnons et chacun acquiesça. Tremblant, je lâchais l’émeraude sur le tas de pierres ternes accumulées dans le coffre où elle rejoignit ses deux sœurs rougeoyantes. L’homme famélique referma abruptement la cassette et nous engagea à le suivre.  Ainsi escorté, la masse des horribles créatures s’écarta et nous avançâmes vers les trônes. Derrière nous, Radagast ne cessait d’incanter.
 
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Les arachnides étaient innombrables. La magie du mage nous protégeait d’une peur folle. Sans elle, j’aurai pris mes jambes à mon cou ou, pire, j’aurai certainement abandonné mon corps à la curée. Car nous pénétrâmes dans une aire sinistre, envahie de milliers de pattes et de corps velus. Les toiles étaient immenses et s’étendaient à perte de vue. L’obscurité ambiante étriqua mon cœur. Je l’entendis battre plus vite. Puis, là, devant moi, trônant sur un entrelacement de fils, une immense araignée. Bouffie, obèse, boursoufflée d’énormes pustules, Sarqin, la Mère-de-Toutes, stridula et ses multiples yeux brillèrent dans le noir. Un silence étrange, comme irréel, s’installa.

Jamais, ô jamais, je n’avais vu plus grosse monstruosité. Autour d’elle, des centaines d’araignées s’agglutinaient. De toutes tailles et toutes à son attention, elles la bichonnaient. L’esclave tomba à genou et se courba : « Ô mère de toutes ! Ô mère de toutes ! ». Sur le corps bulbeux, difforme et grotesque de la reine, je vis d’innombrables œufs : ses filles en devenir, prêtes à éclore et envahir la forêt. L’horreur me saisit. Là, devant moi, la pire créature des bois noirs, la mère pondeuse, fille d’Enna San Sarab, petite fille de Shelob, gardienne du col de Cirith Ungol menant au Mordor. Je détournais mon regard de cette immonde bête, calmant mon esprit d’une folie certaine. J’entendis les imprécations du mage brun marteler mes oreilles, apaisant mes sens. La voix du monstre s’éleva : « Je suis Sarqin. Que désirez-vous ? Pourquoi être venu en mon Royaume ? Parlez ! ». Tout comme moi, j’entendis mes compagnons déglutir à grande peine. Vannedil s’exécuta : « Ô reine, Mère-de-toutes, nous sommes ici pour votre sœur, Tyulqin-la-Tiseuse. Nous cherchons son repère. ». La reine répondit : « Tyulqin est puissante, son repère est sombre et caché. Pourquoi vous le révélerai-je ? ». Beleg poursuivit : « Nous avons apporté un présent pour payer somptueusement le prix de se renseignement. ». Sarqin bougea légèrement et affola la montagne arachnéenne s’ébrouant sur son immense corps : « Le joyau vert est beau et il sera gouteux, mais… ». Une agitation interrompit la reine. De lourdes pattes secouèrent les toiles tendues et, sur sa gauche, Tauler apparut soudainement. Ce n’était pas la première fois que je la vis. Non, j’avais croisé son chemin sur la route naine traversant plus au sud la Forêt Noire. Il ne me faisait aucun doute que la reine m’avait reconnu, tout comme mes compagnons. Enorme et puissante, elle monta sur son trône tissé. Contrariée, sa voix résonna, dure et rocailleuse : « Notre sœur Tyulqin ne sera pas là. Elle sert l’agent du Seigneur des Ténèbres. ». Elle avait perçu notre requête car elle poursuivit : « Si je dois vous divulguer la cache de ma sœur, qu’aurais-je en échange ? ». Vannedil dit hésitant : « Une pierre vous a été livrée ! ». La gourmandise de Tauler l’égaya : « Seriez-vous prêt à promettre sur votre honneur d’autres pierres ? Quel est le prix pour préserver vos vies, votre sang ? ». Radagast souffla derrière nous, son épuisement ne faisait plus de doute. Après tous les sacrifices et les peines endurés pour atteindre ce lieu horrifique, je ne pouvais me résoudre à l’échec. Pour m’encourager, je touchais le tore d’Eberulf que je portais autour du cou. Je restais persuadé que nous pouvions agir autrement et ne pas subir ce chantage, actionner un autre levier, jouer sur les querelles entre les reines. Je m’exclamais : « Tyulqin est cachetière, elle est secrète. Son repère contient des choses que vous, ses sœurs, ignorez. Des joyaux gouteux dont vous ne profiterez pas, des pierres gardées égoïstement et jalousement, fruit du paiement des hommes que Tyulqin oppresse. Elfes et humains sont peu à peu chassés de la forêt et, bientôt, elle sera entièrement votre. Mais qui y régnera ? Vous trois ou bien seulement l’une d’entre vous pour le messager des Ténèbres ? ». Tauler s’ébranla, sa colère transpirait : « Le messager est venu ici, oui. Oui, la fourberie de ma sœur est grande. Des rumeurs ? Oui mais lorsqu’elles sont fondées, elles deviennent réalités. ». Tauler doutait. Beleg ajouta : « Vous rendre dans l’antre de Tyulqin vous est certainement interdit car, elle-même, n’est-elle pas reine ? Mais, nous, nous pouvons… Ce que nous y trouverons, vous pourrez l’apprendre… ». Les deux immondes araignées stridulèrent remuant leurs immenses pattes et leur esclave nous enjoignit à nous retirer : « Les reines ont décidé. Les reines restent reines. Vous pouvez partir. Vos vies ne seront pas menacées. Je vous accompagnerai et guiderai jusqu’aux frontières de leur Royaume. ». Nous étions dubitatifs. Nous n’aurions pas l’information ultime. Mais que faire ? Lutter ? L’obtenir par la force ? Folie. Non, nous n’avions qu’à rebrousser chemin. Ce fut ce que nous fîmes au milieu de l’étau oppressant des araignées. Pas après pas, nous reculâmes et, suivant notre frêle guide, nous nous éloignâmes de ce sinistre lieu. Redevenus murmures, le mage ne cessa ses chants que bien plus tard, lorsque les toiles s’étiolèrent puis disparurent.

Nous marchâmes et marchâmes derrière notre guide chétif. Malgré son état, son pas était vif et assuré. Il nous mena à travers les méandres boisés de la forêt. Autour de moi, j’entendis celle-ci s’agiter. Branches et feuilles frémirent, le sol tremblota subrepticement sous mes pieds. Une horrible araignée, grosse comme un cheval, sombra sur notre guide et ses crochets démesurés lui broyèrent le crâne. Face à cette horreur, j’eu à peine le temps de réagir et éviter le dard d’une deuxième monstruosité surgissant sur mon flanc. Mes compagnons étaient aussi à la peine. De partout, elles vîmes. Nous taillâmes, nous frappâmes. Radagast incanta. Pour une que nous terrassions, deux apparaissaient. Puis les premières blessures, le venin s’insinua dans nos veines. Comme nous tous, Vannedil bataillait sans relâche puis, essoufflé, il cria : « Tauler ! Tauler ! Est-ce ainsi que vous tenez parole ? ». Nos lames pourfendaient, nos armures se fissuraient. Désormais dos à dos, nous luttions pour nos vies. Les créatures fondaient sur nous, toujours plus nombreuses. Beleg hurla. D’une attaque fulgurante, une araignée venait de lui labourer l’épaule mais il s’en défit d’une flèche en plein abdomen. Lorsque le monstre s’écroula sur lui-même, rageur, l’elfe s’écria : « Tauler ! Traitresse ! Est-ce donc cela votre promesse ? ». Nous étions contraints. Adossés les uns aux autres, nous repoussâmes  chaque assaut mais, peu à peu, inexorablement, nous flanchâmes. Je parais l’attaque d’une patte immense mais une autre me lacera le corps. Je suffoquais et lâchais un râle de douleur. Serrant les dents, je mis toute ma force à pourfendre mon assaillante mais elle me sembla invulnérable. La fin ? Ici, dans cette forêt de malheur, sous les crochets de ses affreuses monstruosités.

Sa masse écrasa trois de ses congénères lorsqu’elle chuta dessus. Puis, tel un immense pieux acéré, l’une de ses pattes perça une quatrième araignée à sa portée. Ses stridulations percèrent le tumulte du combat et tous ses sujets engagés dans la lutte refluèrent. La marée arachnéenne se retira et s’éparpilla avant que le courroux de Tauler ne frappa à nouveau. La reine dit alors : « Je me souviens de vous. Oui, près d’un fortin abandonné. Oui, oui, le délicieux goût de juteuses pierres illuminées. Pourquoi êtes-vous là ? ». Beleg s’offusqua « Pourquoi donc nous attaquer ? ». Je poursuivis : « Est-ce ainsi que vos sujets respectent votre parole ? ». Elle nous rétorqua : « Il y a des rebelles dans tous royaumes. Votre sang était trop bon. Comment y résister ? Mais ma fureur les punira pour leur désobéissance. Vous cherchez Tyulqin ? Pourquoi ? Ma sœur ne respecte rien, même pas sa fratrie royale. Souhaitez-vous sa mort ? ». Beleg ne trembla pas : « Nous voulons lui arracher un de ses serviteurs. Nous voulons sauver l’une de nos alliés. Telle est notre cause. ». La reine se redressa et sa masse nous écrasa de sa hauteur. Elle éructa : « Je me moque de votre cause. Je suis Tauler-la-Chasseuse et je veux la mort de Tyulqin. Mais son antre est trop bien protégé. Si je vous montre son entrée, il faudra me faire une promesse. Lorsque vous serez à l’intérieur, vous détruirez les protections qui m’en interdisent l’accès. Alors, oui, enfin, je pourrai l’occire cette traitresse. Je vous accompagnerai aux portes de son antre mais, si vous ressortez sans tenir votre promesse, je vous tuerai. Cette fois, il n’y aura pas de sortie dissimulée, pas de trou pour vous échapper ! ». Ses paroles résonnèrent dans ma tête. La reine imposait ses conditions et nous les acceptâmes. Fous que nous étions !

à suivre...
Dernière modification par Carfax le jeu. févr. 11, 2021 10:20 am, modifié 11 fois.
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par dreamofrlyeh »

Vous deviez pas en mener large pendant la négoce....
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par polki »

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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

@AsgardOdin Tu lis plus vite que ton ombre  :bierre:
dreamofrlyeh a écrit : jeu. janv. 28, 2021 5:02 pm Vous deviez pas en mener large pendant la négoce....

Oh que oui ! Nous avons négocier âprement...pour obtenir un +2 sur notre jet. C'est Vannedil qui a lancé le dé et il a obtenu 24 avec tous les bonus. Inespéré ! Un souffle de soulagement s'est entendu dans tous les casques  ;) . Heureusement il avait encore l'inspiration ce qui lui aurait permis de relancer son dé au cas où. C'est ce qu'il m'est arrivé lors de ma négoce au début de ce scénario pour obtenir notre émeraude auprès des Hommes des Bois.
polki a écrit : jeu. janv. 28, 2021 5:57 pm quand on s engage, c est jusqu au bout ? Image

Argh ! Je ne sais si nous allons revenir de l'antre de Tyulqin mais il va falloir se serrer les coudes...
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

Carfax a écrit : ven. janv. 29, 2021 9:19 am @AsgardOdin Tu lis plus vite que ton ombre  :bierre:
dreamofrlyeh a écrit : jeu. janv. 28, 2021 5:02 pm Vous deviez pas en mener large pendant la négoce....

Oh que oui ! Nous avons négocier âprement...pour obtenir un +2 sur notre jet. C'est Vannedil qui a lancé le dé et il a obtenu 24 avec tous les bonus. Inespéré ! Un souffle de soulagement s'est entendu dans tous les casques  ;) . Heureusement il avait encore l'inspiration ce qui lui aurait permis de relancer son dé au cas où. C'est ce qu'il m'est arrivé lors de ma négoce au début de ce scénario pour obtenir notre émeraude auprès des Hommes des Bois.
polki a écrit : jeu. janv. 28, 2021 5:57 pm quand on s engage, c est jusqu au bout ? Image

Argh ! Je ne sais si nous allons revenir de l'antre de Tyulqin mais il va falloir se serrer les coudes...
Je dois bien confesser que les araignées me mettant personnellement assez peu à l'aise, j'ai surtout survolé les paroles et lu en diagonales les descriptions toujours aussi soignées cependant (presque trop bien je dirais :D )

Cela annonce quand même un moment intéressant..
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

AsgardOdin a écrit : ven. janv. 29, 2021 10:39 am Je dois bien confesser que les araignées me mettant personnellement assez peu à l'aise

Il est vrai que si l'on devait vivre nous même les aventures de nos personnages...brrr...mon dieu, j'en tremble :help
​​​​​​​Edit : exceptionnellement, suite ce soir de notre partie. Le temps de rédiger cela dans la foulée...
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Carfax
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Malgré sa taille imposante, la bête avança à travers les bois avec une facilité et une rapidité déconcertante. Sans jamais briser la moindre branche ni ripper sur le plus traitre des rochers, ses gigantesques pattes déambulaient avec adresse dans un grand silence. Malgré la magie du mage brun, nous la suivîmes avec peine pendant quatre longs jours. Durant ceux-ci, nous nous enfonçâmes un peu plus dans le cœur de la Forêt Noire, empreints d’une angoisse certaine. A la tombé du jour, l’horrible araignée disparaissait dans les ténèbres naissantes pour ne réapparaître qu’aux premières lueurs de l’aube. Le matin du troisième jour de marche, encore seuls, nous rencontrâmes fortuitement un groupe belliqueux d’Hommes Sauvages. A l’évidence, nous étions sur leur terres et, alors que nous montrions nos bonnes intentions pour apaiser leur colère, Tauler surgit des frondaisons. Avec une célérité incroyable, elle s’effondra de toute sa corpulence sur les malheureux et les décima. Elle déchiqueta, transperça et perfora les frêles corps de ses victimes. Ceux qui le purent se débandèrent face à cette tourmente meurtrière. L’horreur du massacre me révulsa et atteignit son paroxysme lorsque le monstre se reput des cadavres. Tauler était une créature du mal et j’avais vu là toute son horrifiante sauvagerie.

Abattus, nous abandonnâmes le charnier pour atteindre, lors du dernier jour et comme si cela fut possible, une zone encore plus sombre des bois. Des toiles noires et finement ouvragées commencèrent à envahir les lieux. Au fil de nos pas, elles se multiplièrent pour tout envahir. Progresser parmi elles, devint une épreuve. Prudente, notre monstrueux guide décèlera son allure pour atteindre l’entrée d’un antre obscure. Sa noirceur me glaça le sang car je compris que nous avions atteint le repaire de Tyulqin. Je n’osais imaginer m’y engouffrer et pourtant Tauler nous remémora notre folle promesse : « Ici vit ma sœur et votre engagement doit être tenu. Détruisez les protections de sa demeure qui m’empêchent d’aller plus avant. Telle est votre parole, insignifiantes créatures. Réussissez et je vous épargnerai, échouez et je vous tuerai ! ». Lorsque le monstre se tut, je regardais avec appréhension l’immense trou noir béant. M’y enfoncer me répugnais. Beleg dit alors d’une voix ténue : « Allons mes amis, songeons à Eau-Sombre, songeons aux peuples libres, affrontons l’obscurité ! ». Radagast illumina d’une pâle lueur l’extrémité de son bâton et nous nous engageâmes dans la noirceur de l’antre de Tyulqin.

L’antre se déclinait en un long boyau de toiles noires tissées et enchevêtrées. La frêle lumière du mage faisait miroiter les myriades de fils tissés donnant une beauté froide et sans joie au lieu. Dans la semi obscurité, je perçus des ondulations alarmantes des toiles environnantes. J’étais sur le qui-vive, une peur grandissante sera mon estomac. Au détours d’un large coude, je vis un boyau s’écarter sur ma gauche et j’en alertais mes compagnons car il me parut plus accueillant et mois entoilé. Vannedil m’avertit : il fallait nous prémunir des illusions de la maîtresse des lieux, sa fourberie était sans limite. Je crus bon ignorer cette mise en garde et entraînais le groupe vers cette bifurcation. Pour mon malheur, nous tombâmes dans un piège et nous nous empêtrâmes dans de fines toiles. Nous fûmes assaillis par une kyrielle de minuscules araignées voraces. Avec sauvagerie, nous nous en libérâmes mais nos corps furent meurtris de nombreuses piqures. Je me maudissais. Comment discerner l’illusoire en cet antre sinistre ?

Nous retrouvâmes le boyau principal pour arriver ensuite sur une étrange cavité. Une eau perlait le long des toiles et s’éparpillait au sol en une multitude de flaques plus ou moins grandes. Tels des miroirs, elles reflétaient nos images et je discernais la mienne dans l’une d’elles lorsque j’avançais prudemment entre-elles. Puis la vision de mon image se troubla pour laisser apparaître le doux visage de Berenhild, ma compagne. Elle tenait ma toute jeune fille dans ses bras. C’était le jour de sa naissance, un jour de lumière, empli d’espoir. Puis je vis ma fille, jeune adulte, armée d’un arc et d’un sac de voyage. Elle s’éloignait du village avec d’autres Hommes des Bois. Elle leva un bras et salua sa mère, restée au loin près de notre chaumière. L’eau se troubla. Le visage de ma bien aimée était pâle et éploré. Berenhild portait autour du coup une écharpe noire, signe du deuil de notre enfant. Je lâchais un cri d’effroi et je piétinais rageusement la flaque dans l’espoir de briser ce triste futur. Tyulqin se jouait de moi. Beleg vint et me posa une main rugueuse sur l’épaule : « Cesse donc mon ami ! L’ombre nous tiraille mais tout ici n’est qu’illusion. Il nous faut croire en une destinée heureuse. ». Puis il me tendit une de ses fioles d’ombre-épine. J’en bus goulument une gorgée. Le fluide emplit ma gorge et son goût sirupeux m’apaisa. Mon corps était en sueur et mon pied avait agité nerveusement un simple imbroglio de fils fins argentés. Nulle eau, nulle flaque. Des toiles, partout ces maudites toiles. Illusions et faussetés, tel était l’antre de cette infecte reine arachnéenne.

De cette maudite salle, trois ouvertures s’ouvraient à nous. Beleg examina le schéma convergent de ces milliers de fils noirs au reflets argentés. Leur direction entrainait vers celle de gauche. Il s’y engouffra. Nous le suivîmes et arrivâmes sur une autre étrangeté.
 
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Beleg était figeait, ses traits étaient durcis, comme souffrant d’une intense douleur. Là, devant ses yeux ébahis, s’élevait une statue elfique. Faite entièrement de toiles sombres, elle représentait une belle et magnifique dame elfe. Merveilleusement figurative, elle semblait réelle. Sa beauté magnifiait la cavité où elle s’élevait. Alors je compris. Tyulqin, cette hideuse créature, avait été une somptueuse elfe aux pouvoirs lumineux infinis. Mas le mal l’avait frappé. L’Ennemi l’avait vaincu et horriblement mutilé en cette monstruosité. Je réprimais un vomissement. Le mal était partout et son ignominie infinie. Je tirais ma lame au clair et me précipitais sur l’effigie elfique. Mais avec autant de soudaineté que ma précipitation, le bras de Beleg retint le mien. Me tournant, les traits hargneux, je le dévisageais. Des larmes coulaient sur ses joues. Elles étanchèrent ma colère et ma frustration. Je saisis la bêtise de mon geste et cessais mon mouvement. Je compris, ô combien, son courage était grand, à la mesure de sa souffrance.

Nous délaissâmes cette salle pour atteindre enfin le nid de Tyulqin. Ici, les toiles constituaient un édifice circulaire, majestueux et grandiose, porté par sept piliers de fils noirâtres entortillés sur eux-mêmes.  Je suivis des yeux l’un d’eux et mon regard s’éleva vers les hauteurs. Là, au centre du haut plafond toilé, l’immonde reine était immobile, comme endormie. Sous elle, à même le sol, des statues de toile étaient rassemblées les unes contre les autres. L’une d’elles, la plus grande, représentait à l’identique le gracieux corps d’Eau-Sombre.

Immédiatement, ce lieu et la vision de sa maitresse m’oppressèrent. La peur s’insinua dans mes veines. La lumière, irradiée par le bâton du mage, peinait à percer les ténèbres ambiantes. Elle s’atténua puis vacilla comme la flamme d’une torche dans le vent. Ses rares reflets luirent sur les fils d’argent tissés et exhibèrent une vision ensorcelée du nid. Radagast murmura d’une voix presque inaudible : « Ces piliers sont la clé. Je le ressens. Ils maintiennent les sortilèges de Tyulqin. Il nous faut les briser, tel est notre délivrance. ».

Ma peur, je me devais de l’exulter. La contenir était trop pour mon âme. En deux pas, sans même en avertir mes compagnons, je fondis sur le premier pilier et trancher de ma lame les fils emmêlés et tournicotés. J’assainis un puissant coup du tranchant. L’onde du choc se répercuta et fit vibrer l’immensité des toiles. J’en fis fi et tapais à nouveau lourdement le pilier. Il céda et se sectionna en deux. Mais la tanière s’ébranla à nouveau et la reine sortit de sa torpeur. Fou que j’étais ! J’avais éveillé le monstre.

Avec la rapidité d’un éclair zébrant une nuit noire, la reine se jeta sur moi. Je n’eus pas le temps d’esquiver. Ses crochets sillonnèrent mon torse et deux de ses pattes me giflèrent violement. Je fus projeté en arrière et chus sur mon céans. Collé aux toiles recouvrant le sol, je levais difficilement mon bras armé et criais : « Fuis créature ! Fuis la lumière pâle de Numgalgor ! ». Ma lame brilla prestement et projeta une lumière salvatrice vers la gueule du monstre. Surpris, il recula suffisamment pour que je puisse reculer rapidement. Entre temps, Beleg avait encoché une flèche. Sa voix elfique raisonna dans l’antre et son trait vint se figer dans l’abdomen de Tyulqin. L’araignée lâcha un râle et se précipita sur l’elfe. Meurtri par la sauvagerie de l’assaut, il dut se désengager, aidé par un courageux Vannedil. Ce dernier détourna l’attention de la bête en la frappant. Celle-ci éructa puis elle vit Radagast enflammer un pilier par un enchantement. Immédiatement, elle engloutit le mage sous une pluie de toile. Ce dernier se débattit et psalmodia des incantations dans sa barbe. Son corps s’illumina faisant fondre ses liens tissés. Mais nul répit, chacun esquivait les attaques sanglantes de la reine, offrant l’opportunité à ses alliés de détruire peu à peu les piliers encore intacts. Chaque assaut nous meurtrissait. Nos défenses s’amenuisaient et nos corps luttaient contre le venin insidieux du monstre. Jamais, non jamais, nous n’arriverions à bout de ses satanées colonnes tressées.

La reine rageait. Le mage brûlait ses défenses. Nous, nous les tranchions. Epuisé et gravement blessé, je m’acharnais avec la fureur du désespoir sur un des derniers piliers. Dans mon dos, j’entendis Vannedil se pétrifier de peur. Une nouvelle fois, Tyulqin était sur lui et ravageait ses chairs. Je perçus son cri de souffrance lorsque la créature laboura son corps. Je redoublais mes efforts. Tout autour, les toiles vacillèrent, le nid s’écroulait sur lui-même. En son centre, Beleg trancha la statue éphémère d’Eau-Sombre. Elle s’écroula tel un mur de sable contre une inexorable marée montante. Cet acte sauva la vie de Vannedil car il accapara l’attention de la reine. Elle délaissa sa proie et exulta un râle perçant pour se tourner vers Beleg. Se redressant face à lui, elle le menaça de toute sa masse. Sa fin arrivait et elle serait horrible. Mais Tauler surgit alors et emporta sa sœur dans un combat colossal. Noyées dans la masse croulante des toiles, les deux monstruosités s’affrontèrent férocement. Non loin, Vannedil était pris de folie, le poison sournois de Tyulqin avait retourné ses esprits. Nous dûmes l’assommer avec Beleg puis, emportant notre ami, nous nous enfuîmes la peur au ventre. Derrière nous, les deux horribles titans s’écharpaient dans une fureur insondable.

à suivre...
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par AsgardOdin »

:runaway Cette angoisse, tellement bien retranscrite..
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par Carfax »

Fuir. Fuir les furies, les toiles, l’horreur. Immédiatement, Radagast nous entraina vers l’Ouest. Le mage, comme toujours, fredonnait ses imprécations et une énergie nouvelle semblait émaner de son être, comme si un poids était ôter de ses épaules. Il allait avec un entrain ardent à travers les obstacles de l’épaisse forêt. Nous le suivîmes dans ce dédale végétal avec peine et fatigue. Au fil de nos pas, l’obscurité du cœur des bois et les fils noirs tissés des araignées s’étiolèrent pour, peu à peu, s’éclaircir pour l’une et disparaître pour les autres. Néanmoins, nous lutâmes contre la malveillance de la forêt : branches et racines entravaient notre élan. Nous mîmes dix longues journées à nous extirper de ses griffes acérées et de sa pesante noirceur. Nous trébuchâmes mainte fois, nous nous perdîmes si souvent. Mais une volonté inespérée animait notre guide et, jamais, non jamais, elle ne fléchit. Au matin du dixième jour, nous atteignîmes enfin les rives du Lac Noir. Vannedil était exténué plus que nous tous et ses traits étaient aussi sombres que les eaux du lac. Il était d’une humeur maussade et glissait, peu à peu, dans un profond désespoir. La forêt rongeait son âme. Désormais, lui, si enjoué à la veillée, se taisait et ruminait. Nos mots de réconfort n’eurent que peu d’écoute et la tristesse noyait ses yeux.

Le lac scintillait de mille reflets sous le soleil levant. Fourbus, nous nous assîmes non loin de ses berges sur quelques vielles souches moussues. Mais le mage ne s’atermoya pas et partit promptement vers le nord longeant les rives inondées de la vaste étendue d’eau. Le souffle court, encore hébétés par la folle traversée des bois, nous suivîmes son allant sans même le questionner.

Non loin, à notre approche, un groupe de hérons noirs s’effraya et s’envola vers les cieux. L’envolée démasqua derrière elle une forme féminine et élancée. A demi-émergée, elle gisait échouée sur la grève. Vêtue d’une simple robe d’écailles argentées, la tenue d’Eau-Sombre miroita les rares rayons lumineux du soleil évanescent de cette triste matinée d’été. Le visage pâle et les yeux cernés, la dame du lac reposait inconsciente. Radagast s’accroupit, apposa une mais sur son front et murmura quelques mots incompréhensibles. Apeuré, je l’interrogeais : « Vît-elle ? ». Lorsqu’il cessa ses murmures, il me répondit d’une voix blanche : « Elle vît mais reste très affaiblie. Il nous faut la porter à Bourg-les-Bois, seule la lampe de Balthi peut la sauver. Le temps est compté. Hâtons-nous ! ». Le mage se releva et fit quelques pas dans les eaux pour y planter fermement son bâton. Les roseaux alentour s’’ébrouèrent comme soufflés par une rafale venteuse. Puis, par enchantement, ils se tressèrent pour former une civière végétale. Nous saisîmes avec délicatesse le corps d’Eau-Sombre et l’y déposâmes dessus. Puis, l’embarcation du mage apparut sur les flots. Elle vint à nous en dérivant lentement. Nous transportâmes la civière à son bord lorsqu’elle s’échoua sur la grève.

La barque fusait sur l’eau, le vent fouettait nos visages. Je regardais avec appréhension le corps d’Eau-Sombre, sa respiration était inaudible, sa poitrine s’élevait avec peine et son visage demeurait d’une pâleur mortuaire. Soudain, les eaux proches du navire clapotèrent fougueusement et je vis les deux sœurs d’Eau-Sombre nager à nos côtés. Le navire surfa sur une vague évanescente et accéléra. Cette célérité nous porta et nous arrivâmes incroyablement vite aux environs de Bourg-les-Bois. Au milieu de la nuit, nous accostâmes les pontons du village. Etonnamment, nombre de villageois était là et, avec leur aide bienveillante, nous portâmes la civière vers la grande salle du village. Dans notre effort, j’entendis les chuchotements interrogatifs de chacun. La vie d’Eau-Sombre se jouait.

Devant le grand hall, plusieurs hommes patientaient dont Fridwald, le chef des messagers des Hommes-des-Bois. Lorsque nous arrivâmes, il nous salua mais nous interdit l’accès au hall en pointant un doigt vers notre civière : « Vous êtes tous les bienvenus ici mais Eau-Sombre ne l’est pas. Nous avons entendu parler de sa trahison, le mal qu’elle fit à ceux du Tarn Noir. La lumière de Balthi lui est interdite. ». Beleg s’emporta : « Vous croyez que nous avons du temps aux palabres. Nous n’avons pas enduré ce que nous avons enduré pour perdre un temps vital en vaines discussions. Nous avons désenvouté Eau-Sombre et ne pouvons la laisser s’éteindre si près du but. ». Fridwald rétorqua : « Vous avez fait énormément mais la lumière de Balthi illumine notre village depuis tant d’années, c’est un trésor inestimable. Que se passerait-il si vous avez été trompés ? Nous vous devons beaucoup et vous êtes tous des amis indiscutables des Hommes-des-Bois. Mais vos esprits sont-ils aussi lucides qu’à l’habitude ? Votre attachement à Eau-Sombre vous laisse-t-il votre discernement ? Vous avez affronté les horreurs de la forêt et vous en êtes revenus. Cela nous réjouit, croyez-le ! Mais la lumière de Balthi est irremplaçable et nous ne pouvons risquer sa perte. La fourberie de l’Ombre peut vous tromper, aussi clairvoyants que vous croyez l’être ! ». Beleg dit alors froidement : « Eau-Sombre se meurt. Là est le fait de l’Ombre. ». Sur ce Vannedil avança d’un pas vers Fridwald et, nez contre nez, le tança d’un regard méprisant. Puis il murmura, haineux : « J’aurai affronté souffrances et horreurs pour rien. Non, je ne peux l’entendre. ». D’un geste lent, il porta sa main sur le pommeau de son épée. Une colère froide s’empara de lui et son poing rougit tant il serra son arme. Il reprit, sifflant entre ses dents : « Pour rien, entendez-vous... Elle crèverait ici, sous nos yeux, et nous devrions garder espoir… ». Beleg posa une main apaisante sur l’épaule de Vannedil : « Il nous faut le garder néanmoins mon ami. Ne laissons pas la haine nous guider. ». Face au regard sombre de Vannedil, Fridwald hésita une dernière seconde puis, d’un pas, céda le passage.

Tout en haut du hall, la lampe pendait dans un écrin de bois percé et tenu par une solide chaîne métallique. Elle éclairait d’une belle lumière tamisée la pièce. Nous déposâmes sous elle la civière. La gardienne de la lampe actionna une poulie, la chaine se détendit et la lampa descendit de son faîte. Arrivée à portée de mains, sa descente cessa et la gardienne l'extirpa de son écrin de bois. Une lumière dorée et vive illumina immédiatement l’entièreté du hall. Par reflexe, je me cachais le visage d’une main et je dus même plisser les yeux pour ne pas être aveuglé. La lampe était magnifique. Elle était la parfaite jumelle de celle brisée et retrouvée dans la tanière du lycanthrope. J’en fus estomaqué : la lampe d’or elfique apparaissait sous mes yeux brûlés. Aux temps anciens, ces deux merveilleuses lampes gardaient le palais du roi de elfes avant que ce lieu ne s’assombrit pour devenir la forteresse noire de Dol Guldur. Comment un tel trésor avait-il pu arriver aux mains des Hommes-des-Bois ? Mystère.
 
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Radagast saisit la lampe d’or et l’approcha au plus près d’Eau-Sombre. Elle gisait à ses pieds. Interloqué par tant d’éclat lumineux, j’assistais pantois au miracle. La dame resplendit de beauté. Comment diantre Fridwald pouvait-il douter de sa probité ? Face à la nitescence de son visage assoupi, je ne pus corroborer même une once de ce doute. La respiration d’Eau-Sombre se fit alors plus visible, son teint rosit. Le soulagement du sorcier brun fut manifeste et je compris que la Dame du Lac vivrait.

Le temps fila. Eau-Sombre se soigna. Puis elle replongea dans les eaux. Mais avant cela, elle nous remercia : « Je sais ce que vous avez éprouvé pour me sauver de la malédiction de Tyulqin. Elle m’a tendu un piège et j’y suis tombée tête première dedans. Pendant de longs mois, mon existence fut un cauchemar. Grâce à votre courage, celui-ci s’efface et je peux à nouveau nager dans des flots épurés et les protéger des forces maléfiques. Je suis à jamais redevable de votre aide et je tiens à vous en remercier. ». Elle nous glissa à chacun un présent, précieux et unique, signe de l’amour et de l’amitié des Dames de la Rivière. Comme mes deux compagnons, je m’inclinais respectueusement et la remerciais poliment. Mais le plus beau des cadeaux, pour nous trois, fut de la savoir à nouveau libre parmi nous.
 
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Fin des sessions 36 à 39.
La corne ébréchée d'Annúminas
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Re: [CR][AiME] Aventures d'un dúnadan en Terres Sauvages

Message par polki »

vous avez bien fait d'accepter cette mission, en definitive :)
" il est beaucoup plus facile à être contre quelque chose que pour" - Cédric Herrou

« Entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous, il faut choisir. » - Thomas Sankara


:bierre:
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