[CR] Mystères à Whitby

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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Et c'est parti !

Commençons par les petits prologues écrits distribués aux PJ en tout début de scénario (un pour Rose et un pour Mike) :

http://storygame.free.fr/PROLOGUE7.pdf

Et maintenant place au...


Journal de Mike Beckman
 
Whitby, 3 juillet 2023

En ce début d’été, tout est calme à Whitby. Trop calme.
Je sais pourtant que le Mal est toujours là et qu’il peut prendre bien des visages.
 
Depuis quelques jours, je suis inquiet pour Dorothy. Elle me semble fatiguée, sur les nerfs et particulièrement anxieuse. J’ai essayé à plusieurs reprises, ces derniers jours, de lui demander ce qui n’allait pas mais elle a éludé le sujet à chaque fois.

Et puis, ce matin, alors que Raven n’était pas encore levée, elle a fini par me parler. Ses traits étaient tirés et je suppose qu’elle n’avait guère dormi cette nuit. Elle a fini par se lancer :
 
- Mike.. hier matin, je suis allée à l’église. .. tu sais que j’y vais parfois… mais, pour une fois, je ne suis pas allée à l’église du pasteur Gillman...mais à celle du révérend Stone.
 
J’ai hoché la tête. Il y a deux églises à Whitby : la première, la plus fréquentée, est celle du pasteur Gillman, et est d’obédience méthodiste « classique ». L’autre, plus minoritaire, est celle du révérend Calvin Stone et regroupe des Baptistes évangéliques fondamentalistes. Pour autant que je m’en rappelle, Dorothy est une « méthodiste standard ».
 
- J’avais mes raisons d’aller chez les Baptistes...mais ça n’a rien à voir avec...avec ce que j’ai à te dire.
Elle a marqué une nouvelle pause, puis a repris son souffle.
 
- Les sermons du révérend passent pour être assez...enflammés. Mais là… il a parlé de TOI, Mike, des livres que tu écris. Il a dit que tu servais la cause de Satan, que tes romans mettaient les âmes en danger...que tu étais une menace pour la communauté… et ils étaient tous là, à dire « Amen ! ». Je ne savais plus où me mettre..certains se sont tournés vers moi, c’était un vrai cauchemar.

Elle a fondu en larmes. Je n’avais jamais vu Dorothy dans un tel état.
 
Le numéro de ma mère s’est affiché sur l’écran de mon smartphone.
- Michael ?
- Bonjour, Maman, comment vas-tu ?
- Ton père est mort ce matin, Michael.
Je suis resté muet, comme si mon cerveau ignorait que faire de cette information.
- C’est… comment s’appelle-t-elle, déjà ?... la femme qui vivait chez lui qui m’a appelée tout à l’heure.
J’ai regardé par la fenêtre. La neige tombait doucement sur New York.
- Elle m’a parue un peu dépassée par les événements. Peux-tu l’appeler pour voir ce qu’il y a à régler là-bas ?
J’ai à peine le temps de bredouiller quelques mots que ma mère a déjà raccroché.
Là-bas, c’est la petite ville de l’Indiana où j’ai passé mon enfance et où mon père vient de mourir.
Là-bas, c’est Whitby.
 
J’étais sous le choc. J’ai déjà croisé quelques individus persuadés de voir le diable dans mes écrits et ai subi quelques commentaires insultants, à l’époque où je vivais à New York, mais ceux-là étaient noyés dans la foule et m’étaient anonymes.

Mais, cette fois, ça se passait à Whitby.

Chez moi.

Les mains tremblantes, j’ai pris celles de Dorothy. Je tentai de réfléchir et décidai d’aller voir ce révérend Stone, ignorant encore ce que je lui dirais.
 
- Que se passe-t-il ?
 
Dans son T-shirt trop grand, Raven, les traits encore tirés, nous regardait. Je m’approchai d’elle :
 
- Je te raconterai… ça va s’arranger, crus-je bon d’ajouter.
 
- Mike...je fais encore ces cauchemars...quelque chose se réveille, tu sais.
 
Je hochai la tête et allai ajouter quelque chose quand nous entendîmes les chants, dehors.
 
En jetant un œil par la fenêtre, je découvris, sur le trottoir, une dizaine de femmes portant des pancartes et entonnant des cantiques. Les slogans avaient le mérite d’être clairs : la littérature horrifique menait tout droit en enfer et j’étais un serviteur de Satan. J’eus l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds et tentai de faire bonne figure. Raven s’approcha à son tour.
 
- Indian witch !
 
Elle recula, comme si quelque saleté avait craché dans sa direction et d’ailleurs, c’était le cas. D’où j’étais, je me demandai si j’avais bien entendu : indian witch ? Bitch ? Dans tous les cas, c’en était trop. Je composai le numéro de notre Town Marshal.
 
Quand je me suis tourné vers Dorothy, dans sa cuisine, elle était pâle comme la mort.
 
- Tu connais ces femmes ? demandai-je
 
- Oui… il y a Nancy Harper, qui semble être à leur tête.. et, oh Mon Dieu...Veronica...Veronica Wood.
 
Elle m’indiqua la femme la plus âgée du groupe. Les larmes aux yeux, Dorothy s’écarta de la fenêtre.
 
- Mike, pourquoi font-elles ça ?
 
Je haussai les épaules. J’avais l’impression d’être piégé, assiégé chez moi.
 
Après quelques minutes qui m’ont semblé une éternité, j’ai vu le véhicule de Rose s’arrêter devant la maison. Elle s’est dirigée droit vers Mrs Harper et elles ont discuté un instant. Puis Rose, le téléphone contre l’oreille, est entrée.
 
- Le Maire est prévenu, mais je ne peux rien faire pour l’instant. Elles sont sur la voie publique… la liberté d’expression…

Elle haussa les épaules et soupira :
 
- Je ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui. Quelqu’un a recouvert la vitrine des Epstein de graffitis antisémites cette nuit.

C’en était trop. Quelque chose en moi chuchotait que tout cela était lié. Pourquoi ces fanatiques se déchaînaient-ils aujourd’hui ?

Je me tournai vers Dorothy : elle me regardait, désemparée, prête à s’écrouler. C’est alors qu’elle nous expliqua pourquoi elle était allée à l’office baptiste, la veille.
 
Il y a quelques années, Dorothy a été traitée pour un cancer. Elle vivait sous la menace de la récidive. Cette dernière est là et la lutte est vaine, d’après elle. 
 
Avant que nous ayons pu protester, elle a levé la main et a continué son récit.
 
Une de ses amies, Veronica Wood, une femme très dévote, souffrait depuis des années d’arthrite, au point qu’elle ne pouvait se servir de ses mains, lors de ses crises.
 
Il y a une dizaine de jours, Dorothy a rencontré Veronica en faisant ses courses.
 
L’arthrite de celle-ci avait disparu. 
 
Selon Veronica, cette guérison miraculeuse était l’œuvre  de frère Nathaniel, un nouveau venu au sein des baptistes traditionalistes. Il avait ainsi guéri trois personnes : Veronica Wood, mais aussi Eben Wright, sauvé de son alcoolisme, ainsi que la petite Elsie Henderson, débarrassé de son somnambulisme et de son énurésie.
 
Dorothy avait compris que Brother Nate, comme l’appelaient les fidèles, était son seul espoir. Elle s’était rendue à l’office, ce dimanche.
 
C’est un beau dimanche d’été, au bord du lac. Ma mère a étalé une belle nappe sur le sol, on a pique-niqué. Autour de nous, des familles entières ont fait de même.
Papa n’est pas venu, il est parti tôt de la maison, parce qu’il devait reprendre sa tournée. C’est ce que m’a dit Maman, avant d’enfiler ses lunettes de soleil. Trop tard, j’avais vu le rouge dans ses yeux et ce n’était pas une poussière, cette fois.
- Tu ne vas pas rejoindre tes amis, là-bas ?
Je marmonne quelque chose en secouant la tête. La bande à Epstein joue bruyamment dans l’eau. Je baisse le nez, me plongeant un peu plus dans le roman que j’ai amené.
- Ce ne sont pas mes amis, M’man.
- Quel sauvage tu fais, mon pauvre garçon… moi, à ton âge, j’avais des dizaines d’amis, à l’école.
Oui, je sais, Maman, tu étais LA fille populaire de ta classe, tout le monde t’adorait.
Mais où sont-ils, maintenant, ces amis ? La reine du bal 1962 a été oubliée, on dirait.
Mes amis à moi, ceux du gang of four, seront toujours là.
 
Un long silence s’est abattu sur la pièce. Dehors, les cantiques avaient cessé. Rose nous a assuré qu’elle ferait ce qu’elle pouvait pour éviter tout drame, mais elle était soucieuse. Elle est sortie, et s’est dirigée vers son véhicule. Quelqu’un l’attendait, dehors.
 
Bill Epstein.
 
Le garçon qui avait fait de mes années à la Middle School un enfer, que j’avais haï de toutes mes forces sans me rappeler comment cette aversion était née. Il avait fait fortune à Whitby en profitant du boom de l’immobilier et était sans doute la personne que j’avais le moins envie de croiser de toute cette ville qui devenait folle.
 
Mais aujourd’hui, il n’était que l’ombre de lui-même. Sa démarche hésitante, sa tête baissée, tout en lui traduisait la défaite.

S’apercevant de sa présence, les manifestantes changèrent un instant de cible. Des insultes jaillirent : « ...juif !… ils vendent nos maisons, bientôt ils vendront nos enfants ! »
 
Rose fit alors face à Nancy Harper. Je n’entendais pas ce qu’elle lui dit, mais le face-à-face fut bref. Bientôt, la harpie tourna les talons, entraînant avec elle sa suite.
 
J’étais sur le pas de la porte.
 
Bill Epstein s’approcha à quelques mètres, manifestement ivre. Il me tendit une main tremblante.
 
Je laissai passer quelques secondes, durant lesquelles des images de brimades, des insultes me revinrent. Puis, je lui serrai la main.
Les yeux brillants, il bredouilla.
 
- Je suis désolé, Beckman… pour autrefois…
 
La gorge serrée, je le regardai.
 
- Oublions ça, Bill… on était des gosses… c’est loin.
 
Quand il est reparti avec Rose, je suis resté longtemps plaqué contre la porte. Mes jambes me portaient à peine.
 
Durant l’après-midi, j’ai été contacté par Amanda Myers, du Whitby Daily, qui voulait faire un article sur la manifestation dont j’avais été la cible. J’ai choisi de décliner une nouvelle fois sa proposition, à son grand désarroi.
 
Rassurer Sondra fut plus difficile. Elle a du sentir dans ma voix que quelque chose n’allait pas et mes paroles n’ont pas suffi à dissiper son inquiétude. Je vais lui parler de Dorothy.
 

 
Mardi 4 juillet 2023

Cette année, nous ne sommes pas allés au feu d’artifice donné pour la Fête Nationale.

Dorothy étant trop fatiguée, j’ai préféré rester à la maison, sans doute pour éviter de tomber sur un de ces fanatique ou avoir à raconter l’incident d’hier. 
 
Alors que nous étions dans le jardin, seuls sous les étoiles, j’ai parlé à Sondra de la santé de Dorothy et de mes inquiétudes à son sujet.
 
J’aurais pu lui dire que je sens que quelque chose de terrible menace la ville et que cela dépasse l’entendement de bon nombre de nos concitoyens. Je ne l’ai pas fait.
 
Si Sondra a oublié ce que nous avons vu et vécu, quand nous étions gosses, je dois lui épargner ces horreurs, pour la protéger.
 

Jeudi 6 juillet 2023
Je suis allé voir Rose au poste de police.
 
Elle n’a pas chômé, pendant que je me terrais chez moi. Elle a rencontré le Maire et le Pasteur Gilmann, et garde un œil sur les traditionalistes du révérend Stone. Ces derniers semblent avoir pour modèle leurs coreligionnaires de Westborough, Kansas.  Là-bas, les panneaux appelant à la haine au nom de Dieu fleurissent un peu partout.
 
Par contre, elle n’a que peu d’informations sur ce Brother Nate. Ce guérisseur itinérant a laissé sa trace dans plusieurs états, sous différents pseudonymes, mais impossible de trouver à quoi il ressemble.
 
Le Docteur Maxwell nous a rejoint. Quand Rose l’a contacté, il n’a guère tardé à venir donner son avis sur les guérisons miraculeuses survenues ces derniers jours. Il doute du « cas Eben Wright » et, pour ce qui est de la petite Henderson, le problème venait selon lui des parents, extrêmement religieux . En ce qui concerne Veronica Wood, par contre, il ne sait à quoi s’en tenir.
 
Avant qu’il parte, je lui ai demandé de venir voir Dorothy. J’espère qu’il la convaincra mieux que moi de passer des examens.
 

Vendredi 7 juillet 2023
J’écrivais (ou plutôt tentais de produire quoi que ce soit de lisible) quand Raven est venue me chercher. Quelqu’un, à la porte, demandait à voir Dorothy. Elle se reposait et je suis allé voir.
 
Veronica Wood me faisait face et insista : Dorothy, dans son état, devait se tourner vers le Christ, qui lui apporterait son aide. Un frisson parcourut mon échine et je mis quelques secondes à reprendre mes esprits.
 
Invoquant la récente démonstration à laquelle elle avait participé, j’ai quasiment fermé la porte au nez de cette vieille femme, avant de rester pétrifié.
 
Mon cœur battait la chamade : j’avais fait face à quelque chose d’inhumain, sous l’apparence de Mrs Wood.
 
- Mike ?
 
Raven était près de moi.
 
- Il y a un problème avec Dorothy.
 
Je courus jusqu’à la chambre. Elle se tenait la tête entre les mains et gémissait de douleur.
 
- Jésus ! Il peut me guérir… le cancer va me dévorer, murmurait-elle.
 
Je posai les mains sur les siennes tandis que Raven commença à psalmodier un chant que Willie lui avait sans doute appris. Puis, la douleur et la peur refluèrent et Dorothy se blottit dans mes bras.
 
- Je sens une présence mauvaise, Mike...c’est LUI...Brother Nate, chuchota Raven.
 
J’ai hoché la tête.
 
Quand Dorothy s’est endormie, Raven m’a raconté une vieille histoire wabashanee qu’elle tenait de Willie. Autrefois, l’homme-médecine étant devenu très vieux, les Wabashanee virent arriver un jeune homme qui prit sa place. Rapidement, le nouvel arrivant soigna les membres de la tribu et les eut tous sous son emprise.
 
Le vieil homme-médecine comprit alors que son jeune remplaçant invoquait les démons et, s’il chassait la maladie du corps de ceux qu’il soignait, il la remplaçait par les esprits mauvais, qui prenaient possession des êtres humains. Il affronta donc le jeune homme-médecine et le chassa.
 
Willie comptait sur moi pour lui succèder, autrefois. Je sais maintenant que je dois affronter Brother Nate. J’ai fait part de cette décision à Rose, quand elle est venue voir Dorothy, tout à l’heure. Elle m’a évidemment invité à attendre que nous sachions à qui nous avons affaire.
 
Raven a proposé d’infiltrer l’église des fondamentalistes, pour identifier ce Nathaniel : le jeune Luke, inconnu chez eux, saura tenir ce rôle. Dimanche, il ira assister à l’office et enregistrera ce qui s’y dit.
 

Dimanche 9 juillet 2023
Luke, qui tient à mériter son surnom de Skywalker, s’est aventuré dans le côté obscur aujourd’hui. Pendant que Rose surveillait l’église, installée dans sa voiture, et que je veillais sur Dorothy, il a assisté à l’office et enregistré celui-ci. Puis, il nous a rejoints chez moi, encore troublé par ce à quoi il avait assisté.
 
- C’était bizarre… il y avait beaucoup de chants, ça n’en finissait pas.
 
Il a alors préféré nous passer l’enregistrement. Celui-ci comportait deux sermons. Le premier émanait du révérend Stone et semblait confus, maladroit, comme si le vieil homme peinait à rassembler ses idées. Ensuite, il y eut celui de frère Nathaniel, dont la voix grave et magnétique résonna dans mon salon. Il évoquait les temps troublés que nous traversions et annonça que les fidèles devaient se tenir prêts à l’arrivée du Veilleur de la Fin des Temps.
 
Rose et moi, nous nous regardâmes, stupéfaits. Mais la voix continuait : Il était avec nous, le Gardien du Seuil, le Guetteur de la Fin des Temps... Des dizaines de « amen ! » lui répondirent.

Leaning, leaning, safe and secure from all alarm

Leaning, leaning, leaning on the everlasting arm

 
Puis, Brother Nate entonna un vieil hymne qui nous fit frissonner. Derrière les paroles de consolation, nous entendions une autre voix.

Il l’appelait, lui, le Moharahani !

(à suivre)
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

(suite et fin)

Mon sang s’est glacé, d’un coup. Raven et moi regardions le téléphone de Luke comme s’il s’agissait d’une bête prête à bondir sur nous. Je savais ce que faisait ce Nathaniel : il préparait la venue du Gardien du Seuil et allait lui offrir une armée de fidèles.

 
Rose prit les choses en main. Tandis que je resterai ici, elle irait voir Wilma, la fille d’Eben Wright, l’un des « miraculés ». Il s’agissait d’une des femmes qu’elle avait vu lors de la manifestation devant chez moi et qui lui avait semblé hésitante. En surveillant l’église, tout à l’heure, elle l’avait identifiée.
 
Lundi 10 juillet 2023
J’ai tourné en rond toute la journée, comme un loup en cage.
 
Rose a raison, aller faire face à Brother Nate dans son église pourrait provoquer le pire. Mais le pire, je ne cesse de l’imaginer.
Elle est passée en fin de journée et m’a raconté sa visite chez les Wright. Elle est tombée sur la jeune Wilma et, à force de patience, a fini par assembler quelques pièces supplémentaires du puzzle. Son père, dont elle s’est occupée toute sa vie, a bien cessé de boire depuis peu, mais ce n’est plus le même homme. C’est comme si il ne reconnaissait plus sa propre fille.

Wilma a aussi lâché à Rose que les graffitis antisémites étaient une idée de Wade Harper, qui voulait frapper un grand coup et agir contre les ennemis du Christ : les Juifs et ce Beckman.

Mais ce qui a le plus marqué Rose, c’est la foi qui anime Wilma Wright.Selon elle, les baptistes, quand ils sont « sauvés » le sont une fois pour toutes. Le révérend Stone fait partie de ces heureux élus « sauvés », qu’importe ce qu’il puisse faire, ou ce qu’il ait déjà fait.
En me racontant cela, Rose avait l’intime conviction que le révérend Calvin Stone avait abusé de Wilma et peut-être aussi de la jeune Elsie Henderson. Elle a croisé Eben Wright en quittant Wilma et a eu une sale impression : il y avait quelque chose d’anormal chez lui.
Comme chez Veronica.

Mardi 11 juillet 2023
J’ai très mal dormi.

Je sais que le Dormeur sur le Seuil s’agite.

Combien de temps encore avant la confrontation ?

J’ai passé la journée à préparer le départ de Dorothy pour l’hôpital de Wabash. Elle doit passer des examens ce jeudi.

Puisse ce nuage sombre au-dessus de nos têtes se dissiper…

Rose m’a appelé et m’a raconté qu’elle était allée voir Wade Harper, sous un faux prétexte. La foi de ce dernier en Brother Nate est totale. Ce dernier réside chez les Harper, mais elle n’a pu le rencontrer.

Jeudi 13 juillet 2023
Hier soir, j’ai demandé à Sondra si elle pouvait emmener Dorothy à Wabash, pour son examen, demain matin. Je n’ai pas pu lui dire pourquoi je voulais les éloigner, toutes les deux et ai prétexté un problème à régler.
 
Quand la voiture a disparu au coin de la rue en fin d’après-midi, j’ai gardé la main levée durant quelques instants. Sondra a pris Dorothy en charge de bon cœur mais je sens qu’elle m’en veut de ne pas lui avoir dit pourquoi je restais ici.

Si seulement elle savait que c’est pour les protéger que je les laisse s’éloigner…

J’ai songé écrire un petit mot à l’attention de Sondra, au cas où… mais que pourrais-je y dire ? Je préfère qu’elle ne sache rien de ce que je dois affronter.

Vendredi 14 juillet 2023
Rose est arrivée hier soir, en début de soirée, alors que j’étais seul avec Raven. Nous l’attendions. Le moment était venu.
Elle a composé le numéro de Wade Harper et a demandé à parler à Brother Nate.

- Nathaniel ? Nous savons qui vous êtes. Vous devez partir, quitter cette ville.

Un rire lui répondit :

- Mon Royaume n’est pas de ce monde, Town Marshal. Que m’importent les vivants.

Je pris la parole, espérant que ma peur ne s’entendait pas dans ma voix :

- Ça suffit, Nathaniel, ou quoi que vous soyez. Je vous attends !
 
Quelques instants plus tard, une silhouette se profilait devant la maison. J’ouvris la porte et découvris notre ennemi. C’était un bel homme, diablement charismatique, mais dans son regard, je voyais la même chose que ce que j’avais entrevu chez Veronica.

- Bonsoir, Michael. Tôt ou tard, nous devions nous rencontrer.

- Nate.. ou quel que soit votre nom. Nous savons ce que vous êtes, répétai-je. Shonokin...

Il eut un sourire sinistre.

- Nous étions là avant vous, avant même que les humains ne vivent sur ces terres. Nous serons encore là quand vous ne serez plus que poussière. Vous ne pouvez nous abattre.

Je serrai les poings.
- Je ne vous laisserai pas faire.
- Lorsque j’aurai détruit  ton esprit…
Il laissa sa phrase en suspens, tandis que son visage se modifiait, devenant plus horrible. Je rivai mon regard dans le sien et plongeai au fond de mon esprit. Soudain, il n’y eut plus rien. Les ténèbres, mes vieilles amies, nous entouraient de toute part et nous n’étions que deux halos se faisant face, perçant à peine la noirceur. Son assaut fut brutal, mais je l’avais anticipé et vacillai à peine. Puis je me jetai sur lui, convoquant en esprit l’aide de ceux qui étaient avec moi. Rose, qui tenait la main de Raven et se tenait prête.
Raven, qui psalmodiait et dont la voix traversait les ombres. Et Willie, à la fois loin et proche, que je sentis jeter toutes ses forces dans la bataille.
 
Michael, tu veux bien me raconter ce qui s’est passé, selon toi ?
Derrière son bureau, qui me paraît immense, caché dans la fumée de sa cigarette, le docteur attend en me souriant. Je baisse la tête un instant, puis bafouille :
- Je.. je ne me rappelle plus, monsieur.
Malgré moi, les larmes me sont montées aux yeux. Dans ma tête, là où étaient rangés mes souvenirs des derniers jours passés avec mes copains, il n’y a plus qu’un immense trou noir.
Je ferme les yeux et me concentre, pour fouiller les ténèbres, tandis que l’homme en blouse blanche parle.
… ce n’est pas grave, Michael. L’esprit humain adopte parfois des scénarios d’échappement, pour affronter des situations traumatiques
Derrière le rideau des ténèbres, je sais que C’est là. Des flashes parcourent mon cerveau, je vois des arbres, la terre sous mes pieds et, plus loin, ce trou dans le sol… je ne suis pas seul, mes amis sont là, eux aussi, ainsi que cet homme qui travaille à la Middle School.
… maintenir le traitement pendant plusieurs semaines encore, mais d’ici peu, tout ceci ne sera même plus un vilain souvenir.
Le Docteur conclut son exposé par un sourire à l’adresse de ma mère, puis allume une nouvelle cigarette.
 
Je frappai, avec mon esprit, envoyant vers l’ennemi toutes les forces à ma disposition.
La chose devant moi vacilla, puis s’affaissa et disparut : les ténèbres me parurent moins épaisses. Au loin, j’entendis un long bip sifflant et je sus alors que, à des miles de là, le cœur de Willie venait de s’arrêter, dans une chambre de l’hôpital de Wabash.
Je tombai à genoux les yeux clos, épuisé.
Je propulsai ce qui me restait de forces vers l’esprit de Willie, en me concentrant sur des images du passé.
Le bip se tut enfin : son cœur redémarra.
 
Rose a filmé la scène et me l’a racontée peu après : Nathaniel est tombé à genoux brutalement, quelques instants avant moi et son visage s’est tordu, n’ayant plus rien d’humain. Quand je me suis écroulé, elle s’est précipitée vers moi et il en a profité pour disparaître. Tout autour de nous, je sentais des remous, comme si nous étions au cœur d’une tempête psychique.
 
Chez elle, Veronica Wood hurla de douleur quand ses mains tordues par l’arthrite se rappelèrent à elle. Elle ne souvient de rien de ce qui s’est passé les jours précédents.
Eben Wright reprit conscience et cria le prénom de sa fille, en réclamant son bourbon.
Ali et Steve Henderson virent, impuissants, leur fille Elsie convulser au milieu du salon, sourde à leurs prières.
J’ai sombré dans un sommeil sans rêves et n’ai émergé qu’au petit matin. J’ai appris que Rose est allée chez les Harper, où elle a découvert une Nancy dont l’univers s’était en partie effondré. Puis elle a rendu visite au révérend Stone, qui a prétendu avoir chassé Brother Nate.

Quand mon téléphone a sonné, en milieu de journée, j’ai tâché de prendre une voix assurée pour répondre à Sondra et, dès ses premiers mots, j’ai compris.

- Mike, tout va bien pour Dorothy… Il n’y a aucune récidive, les docteurs sont formels.

J’ai bafouillé quelque chose et ai compris qu’elles seraient là dans quelques heures.
 
Jeudi 3 août 2023

 
Que fais-tu dans la cuisine, Mike ? Et toi, Vera ? Vous seriez mieux à côté.
Je me suis installé ici tant bien que mal, ce matin. D’ordinaire, je profite du confort du salon pour répondre au courrier et prendre des nouvelles du monde extérieur. A côté de moi, Raven lit un vieux roman, perchée sur un tabouret. Sondra pose sa main sur mon bras et me regarde, inquiète.
- Je… je préfère être ici, ai-je répondu.
Dorothy hoche la tête. Elle sait que je ne dis pas toute la vérité, mais ne sait pas pourquoi.
Le salon me fait horreur. Pourtant j’ai passé plusieurs jours, au printemps dernier, à en arracher le vieux papier peint avant de repeindre les murs. Mais, depuis que j’ai affronté cette chose, j’ai l’impression que la pièce est restée souillée et y séjourner plus de quelques minutes me met mal à l’aise.
Sondra entre dans le salon. Elle hausse les épaules.
-Peut-être qu’en changeant le décor… murmure-t-elle.
 
La congrégation baptiste de Whitby a traversé, ces dernières semaines, des heures troubles. Le révérend Stone a succombé à une crise cardiaque hier. Il emporte avec lui ses démons. Wade Harper assurera finalement le rôle de guide de cette église. Il faut se méfier des faux prophètes, selon lui. Si seulement il savait à quoi nous devons faire face. La guerre ne fait que commencer.
Baaldum Dhum
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Baaldum Dhum »

👏👏👏👏👏👏
Bravo, toujours aussi qualitatif!!!
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Hello à toutes et à tous !

Après une trop longue interruption, nous allons jouer ce soir le quatrième et dernier épisode de la saison 2 de Mystères à Whitby...

Et c'est promis : la saison 3 se fera moins attendre que ce huitième opus.  :mrgreen:  

A très bientôt !
Baaldum Dhum
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Baaldum Dhum »

* installation du pop corn et du fauteuil avec plaid.*
Setting parfait pour un Stephen King au coin du feu
😊
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Je cède maintenant la parole à Laurent, pour la suite du...

Journal de Mike Beckman

Whitby, jeudi 9 novembre 2023

Hier, Ray m’a contacté au sujet de mon prochain roman, que je dois livrer bientôt. Pour la première fois de ma carrière, j’ai avoué que je n’avançais pas aussi vite que je le souhaitais.

Ces derniers jours, j’étais en alerte mais Halloween est passé sans que rien ne se manifeste à Whitby. Notre ennemi, le No Man’s Land, n’a pourtant pas rendu les armes, je le sens.

Raven habite toujours chez moi. Nous allons régulièrement rendre visite à Willie, qui est toujours dans le coma, à l’hôpital d’Indianapolis. Son état est stationnaire, selon les médecins. Dans quelle contrée ténébreuse te bats-tu, mon vieil ami, mon maître ?

Cette ville est calme, presque trop calme. Le seul événement notable est le départ de Bill Epstein et de sa famille, qui partent vivre à Indianapolis. Il a fermé son agence immobilière, après avoir vendu tous les biens de son portefeuille. C’est un homme riche qui quitte Whitby.

C’est aussi un morceau de mon passé qui s’en va. Celui qui fit de ma scolarité un enfer et avec qui je m’étais réconcilié.

A une vingtaine de miles de la ville, le projet Dreamland a pris corps. Un grand resort de verre et d’acier est sorti de terre, sans qu’on en sache la réelle vocation.

Whitby change et, parfois, revient en arrière.

Un chien aboyait, au-dehors, tout près. Je ferais mieux d’aller faire un tour, afin de voir si les quelques idées dans mon crâne allaient se décider à se coordonner.

Dorothy est entrée dans le bureau, hésitante :


- Je ne te dérange pas, Mike ?

- Pas du tout… je mettais mes notes en ordre.

Je chiffonnai la page à peine sortie de l’imprimante et l’envoyai vers la corbeille, ratant largement un panier pourtant immanquable. Décidément, ce chapitre était bien rétif et mes aptitudes sportives n’allaient pas en s’arrangeant.

- Les Bishop… ils sont revenus.

- Buster, ai-je murmuré.

Je reconnaissais maintenant les aboiements du chien, un peu plus proches. Alors que j’allais ouvrir la bouche, le carillon résonna. Alan Bishop, flanqué de son fidèle labrador, me rendait visite. Quelques instants plus tard, nous partagions un café. Lui et Laura avaient repris possession de la grande maison voisine et souhaitaient nous inviter, Rose et moi, pour le dîner. Ils avaient à nous parler, mais la situation était complexe et notre entretien devait être confidentiel.

Peu après son départ, j’ai appelé Rose pour lui faire part de l’invitation. J’ai beau savoir qu’Alan aime se draper dans le mystère, le retour des Bishop m’intrigue et Rose est aussi curieuse que moi. Elle m’a rappelé dans l’après-midi pour m’annoncer un scoop : le célèbre Aiden Wise, magnat de la tech et, accessoirement petit-fils du sinistre Professeur Wallenquist, va venir à Whitby pour plusieurs jours. Evidemment, cela doit rester confidentiel.

Ça commence à faire beaucoup de secrets pour une seule journée.

Tandis que Rose allait mettre à jour les plannings de son équipe pour les jours à venir, j’ai voulu prendre l’air. Mes pas m’ont naturellement mené jusqu’à la bibliothèque, comme souvent. Sondra et moi avons profité de ce beau jour d’automne pour marcher dans Whitby. Puis, je suis rentré à la maison : Raven m’y attendait, visiblement en proie à l’angoisse.

Un mauvais pressentiment l’étreignait. Et si quelque chose se passait ? Si l’ennemi remontait à l’assaut ? Elle ne se sentait pas de taille, sans Willie.

J’ai essayé de la détromper : elle devait faire confiance à ses intuitions et possédait plus de forces qu’elle ne pensait. Si Willie l’avait choisie, ce n’était pas pour rien. Pour la rassurer un peu plus, je lui proposai d’aller rendre visite à notre vieil ami, à l’hôpital, le lendemain. Mes arguments portèrent, même si j’avais du mal à y croire totalement. Raven me raconta qu’elle avait fait un de ses cauchemars qui n’augurait rien de bon et qui n’avait rien à voir avec les rêves qu’elle partageait avec Willie : elle errait dans un labyrinthe de couloirs froids, avant de se retrouver face à une porte semblable à celles des sous-marins. Que signifiait cette vision ?

J’ai un mauvais pressentiment. Il est temps pour moi de me préparer : les Bishop vont nous attendre. Ils se sont pliés à notre coutume du dîner à 18 heures.

(plus tard)

Après avoir épuisé les banalités d’usage autour d’un excellent dîner, Laura et Alan ont fini par lâcher les raisons de leur retour. Il n’est évidemment pas étranger à la venue d’Aiden Wise à Whitby. Ce dernier arrive demain et privatisera à cette occasion l’Hoosier Hotel. Il visitera évidemment Dreamland, le mystérieux institut sorti de terre non loin de Whitby. Et si les Bishop sont revenus, c’est parce que Laura va travailler à Dreamland, où elle sera cheffe de projet. A mots couverts, elle a expliqué qu’elle compte ainsi garder un œil sur ce qui se trame là-bas, mais est mal à l’aise à ce sujet.

Pour ajouter au mystère, Alan a déclaré qu’Aiden Wise souhaitait nous rencontrer, Rose et moi, suite aux événements que nous avions vécu avec les Bishop, mais sans pouvoir nous en dire plus.

 

(à suivre)
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

(suite du dernier épisode de la saison 2, intitulé DREAMLAND)
 
Whitby, vendredi 10 novembre 2023

Après avoir épuisé les banalités d’usage autour d’un excellent dîner, Laura et Alan ont fini par lâcher les raisons de leur retour. Il n’est évidemment pas étranger à la venue d’Aiden Wise à Whitby. Ce dernier arrive demain et privatisera à cette occasion l’Hoosier Hotel. Il visitera évidemment Dreamland, le mystérieux institut sorti de terre non loin de Whitby. Et si les Bishop sont revenus, c’est parce que Laura va travailler à Dreamland, où elle sera cheffe de projet. A mots couverts, elle a expliqué qu’elle compte ainsi garder un œil sur ce qui se trame là-bas, mais est mal à l’aise à ce sujet. Le projet en question était mené par un certain Professeur Kessler, qu’elle va seconder.
Pour ajouter au mystère, Alan a déclaré qu’Aiden Wise souhaitait nous rencontrer, Rose et moi, suite aux événements que nous avions vécu avec les Bishop, mais sans pouvoir nous en dire plus.

Alan s’est interrompu un instant et a regardé son smartphone : Aiden Wise et April McNeil, sa girl-friend, venaient d’être aperçus à l’aéroport d’Indianapolis. Les choses se précipitaient.

Il me semble évident que Wise veut évoquer avec nous le No Man’s Land, puisqu’Alan a évoqué l’expérience vécue par Laura ainsi que ce qui s’est produit avec Ms Friday, à l’Hoosier Hotel. Alan a conclu en insistant : nous serons tenus au secret par contrat, et rien ne devra filtrer de notre échange avec Wise. Rose a ricané : comme si elle avait besoin d’un contrat pour garder secrète l’existence du No Man’s Land. Nous sommes repartis sans en savoir beaucoup plus.
 
Le milliardaire Aiden Wise, qui séjourne actuellement dans notre petite ville, refuse toute entrevue à la presse locale. Pourtant, les habitants de Whitby sont en droit de savoir pourquoi le nabab de la high tech est ici : on se doute bien qu’il n’a pas succombé au charme de notre jolie région. Espérons qu’il n’ait pas en tête de bâtir quelque monstrueux datacenter. https://whitbydaily.us/blog/
 
Whitby, samedi 11 novembre 2023
Whitby a rarement connu pareille agitation : la venue de Wise bouscule ma petite ville. A mon retour d’Indianapolis, j’ai eu un appel d’Alan Bishop. Aiden Wise nous recevra demain pour le brunch, à l’Hoosier Hotel. Sans doute devrais-je m’estimer honoré. La vérité est que j’ai peur, mais que j’ignore de quoi.

En attendant de rencontrer un des « grands hommes » de notre foutue époque, j’ai cherché quelques informations sur ce Professeur Kessler et sur April McNeil, qui ont tous les deux leur fiche Wikipédia. Celui qui va mener le projet dans lequel Laura va s’embarquer m’a fait tout l’air d’un charlatan doté d’une intelligence pouvant le rendre dangereux. Quant à Ms McNeil, elle a tout de l’influenceuse-type, capable de vendre une fortune l’eau de son bain.

J’ai consacré une bonne partie de la soirée à éplucher Borderlands, l’un des ouvrages de Kessler. Il y développe une théorie selon laquelle il existe une hyper-réalité, connectée à notre réalité via des territoires interstitiels (sic), les fameux borderlands. Selon Kessler, cette hyper-réalité peut être partagée par des réseaux cérébraux. Un frisson désagréable m’a parcouru, parce que tout cela ressemble à quelque chose que je ne connais que trop bien.

ALVIN KESSLER

Evidemment, Kessler est édité chez Pyramid, qui fait partie du groupe Wise. Et Pyramid est un ogre, qui a englouti quantité de maisons d’édition, de toutes tailles, sans jamais être rassasié. Dont Hexham House. Mon éditeur.

J’ai refermé le portable brutalement, comme s’il allait s’en prendre à moi. Ma peur a une forme, et je ne connais que trop bien cette forme.
Maintenant, je sais de quoi j’ai peur.


AVRIL McNEIL

Whitby, dimanche 12 novembre 2023


Mr Macey, le gérant de l’Hoosier Hotel, n’en revient pas. Non seulement, le grand Aiden Wise a privatisé tout son établissement, mais il lui a aussi fait miroiter un rachat et une entrée dans son empire. Quand il nous a guidé jusqu’à la porte de la salle, il n’avait rien à voir avec l’homme qui nous avait accueillis lors d’un certain Halloween.

Un certain Max, chargé de la sécurité, nous a fouillés avant de nous confisquer nos portables et de nous laisser entrer, après un clin d’œil complice à Rose, qui a haussé les épaules. Dans la salle à manger, Aiden Wise était attablé, entouré de sa garde rapprochée. A ses côtés, j’ignorais si April McNeil, dissimulée derrière ses lunettes noires, nous prêtait attention. Laura se tenait à l’écart et nous destina un mince sourire. Un jeune homme s’approcha, une tablette à la main : il se nommait Alexander Liebermann et était l’avocat de Wise. Avant d’avancer, nous avons dû signer un accord de confidentialité, que j’ai lu avant de le parapher. Rien ne sortirait de cette pièce.


Nous nous assîmes, face à Wise. Il était vêtu simplement, mais quelque chose irradiait de lui. Il prit la parole en me fixant, tandis que Liebermann s’éclipsait.

Wise avait de grands projets pour Whitby et ses environs. Il alla droit au but : le but de cet entretien était de nous proposer d’entrer dans le groupe Wise.
  • Que diriez-vous d’être le nouveau Stephen King, Mike ? J’aimerais beaucoup adapter la trilogie Coleman au cinéma.
J’aurais dû m’y attendre, le coup était habile, mais prévisible.
  • Je suis flatté, monsieur Wise. Mais il y a déjà un Stephen King, vous savez…
  • Pensez à ce que je vous propose, Mike. Monsieur King n’est pas éternel.
Ray m’aurait tué s’il avait été là. J’étais en train de refuser un pont d’or pour lequel n’importe quel écrivain se serait damné.
  • Les écrivains ne meurent jamais, monsieur Wise.
  • Touché, lâcha-t-il.
Pendant que je me demandais si je n’avais pas fait la plus grosse connerie de ma vie, Wise se tourna vers Rose et commença d’évoquer Dreamland. Ce lieu, où les rêves allaient pouvoir être explorés, avait besoin d’un responsable de la sécurité et elle ferait parfaitement l’affaire, étant donnée son expérience passée. Il griffonna quelque chose sur une serviette qu’il glissa en direction de Rose, que cette dernière repoussa sans la regarder.

Ne venions-nous pas de refuser ses caprices à un enfant gâté qui avait l’habitude de voir le monde plier devant lui ? Wise n’avait pas dit son dernier mot.
  • Venez à Dreamland mardi. Alors vous pourrez décider.
(à suivre)
 

 
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

DREAMLAND (suite et fin)

Whitby, mardi 14 novembre 2023

Quand Alan est passé me prendre, en début d’après-midi, je songeais encore au brunch de dimanche. Je n’ai pas osé parler à Sondra de l’offre de Wise, même si je sais qu’elle m’aurait soutenu. Nous sommes arrivés sur place après un trajet silencieux : l’air était lourd de tension dans le SUV de Bishop.

Sorti de terre en quelques mois, Dreamland semblait venu d’un siècle à venir. Dans le hall, nous fûmes reçus par Liebermann, qui nous fit signer un nouveau contrat de confidentialité : cette fois, il n’était plus question de tablette, tout signal étant brouillé dans la zone alentour. Des employés travaillaient silencieusement, penchés sur leurs écrans, obéissant à un dress-code sans doute tacite. Nous suivîmes Liebermann jusqu’à une salle de conférence où nous attendait Wise et son aréopage.

Le fameux Professeur Kessler était là et, après que nous ayons pris place, il commença son exposé.

Le projet Morpheus, qu’il menait, avait pour but de vérifier sa théorie de l’hyper-réalité. Selon lui, au-delà de notre réalité, formée par un consensus collectif, existait une hyper-réalité, vierge et protéiforme, dont il comptait prouver l’existence.
Un frisson me parcourut. Si seulement il savait…

Kessler continuait son exposé, qui ressemblait de plus en plus à un prêche. Selon lui, sous l’effet de certaines substances, nous pouvions, au cours de nos rêves, entrer en contact avec cette hyper-réalité, cet espace intérieur infini qui n’attendait que d’être partagé.

Il avait raison, à ceci près que cette dimension était celle des cauchemars, pas des rêves.

Laura l’interrompit, suggérant quelque chose au sujet d’énergies positives et négatives qui pouvaient influer sur cette « hyper-réalité », mais Kessler était trop exalté pour écouter. Il se tourna vers un des écrans géants qui afficha une salle d’expérience.

- Nous pouvons entrer en contact avec l’hyperréalité, grâce à cela : le dreamcatcher !

 La vieille femme me regarde fixement : -Sais-tu ce qu’est cet objet, Mike ?
Sans me demander comment elle sait mon prénom, je tends la main vers le fétiche qui pend au plafond de la vieille caravane crasseuse.
- Oui, c’est un attrape-rêve, un dreamcatcher. J’en ai vu dans certains magasins. Ça capture les cauchemars…
Ma moue dubitative s’est effacée devant le sourire de Tayahee, mais aussi parce que je sens que cet objet-là n’a rien à voir avec ceux qu’on vend aux touristes.

- C’est tout à fait cela, Mike…


Tandis qu’il continuait son exposé, évoquant des protocoles et des expériences auxquelles se prêteraient des sujets (tous volontaires) dont on enregistrerait les rêves profonds, je sentais mon cœur battre la chamade. Ce Kessler était fou mais ne le savait pas. Pire encore, avec l’appui de Wise, il se classait illico dans la catégorie des plus dangereux.

- Pourquoi avoir choisi Whitby ?  Rose avait interpellé Wise.  Une étincelle brilla dans le regard de celui-ci.

- Whitby n’est pas n’importe quel lieu. Vous savez de quoi je parle, non ?

L’un après l’autre, nous avons tenté de raisonner Wise, de lui démontrer la dangerosité du projet. Mais il balaya chacun de nos arguments : tout était sous contrôle, les protocoles de sécurité étaient stricts : il ne renoncerait pas. Les yeux brillants d’excitation, Aiden Wise nous proposa d’élargir nos perspectives. Selon lui, nous étions appelés à nous revoir bientôt.

Quand Alan nous déposa à Whitby, Rose me confia qu’elle hésitait à accepter l’offre de Wise. Elle pourrait ainsi surveiller de plus près ce qui pourrait, ce qui allait se passer. Mais ce serait abandonner Whitby.

La nuit est tombée depuis longtemps. Je sais que je ne dormirai pas.

Whitby, vendredi 17 novembre 2023

Il va falloir que j’écrive ce qui s’est passé l’autre nuit, quelques heures après notre visite de Dreamland.

Il était environ quatre heures du matin, quand mon téléphone a vibré. C’était Alan Bishop qui appelait : il s’était passé quelque chose à Dreamland. Il était arrivé quelque chose à Laura et à Aiden Wise.

En raccrochant, je soupirai, presque soulagé : je m’y attendais.


Je suis descendu et suis allé me faire un café, en attendant Alan et Rose.

C’est alors que j’ai entendu des pas derrière moi. Raven ne dormait pas non plus.

- J’ai senti quelque chose de terrible, Mike.

Je hochai la tête.

- Je dois y aller… mais toi, tu dois rester ici, loin de tout ça. Tout ce que tu as appris, tout ce que Willie t’a apporté… tu veilleras sur ceux que nous aimons, sur cette ville

Les larmes ont perlé au coin de ses yeux. Elle s’est approchée de moi et m’a serré dans ses bras. Elle tremblait et, soudain, elle a posé ses lèvres sur les miennes, avant de se reculer précipitamment, puis de s’enfuir.

J’ai entendu un sanglot. La voiture d’Alan s’arrêtait devant la maison. Je suis sorti dans la nuit et ai rejoint le véhicule, sans savoir si j’allais revenir.

Tandis que nous filions vers Dreamland, Alan y allait de son topo :

- Après la réunion de mardi, Aiden Wise a insisté pour être le « sujet zéro ». Il s’est installé dans le dreamcatcher et a ordonné à Kessler et Laura de lancer le protocole d’immersion.

Nous savions déjà ce qu’il allait dire ensuite :

- Quelque chose s’est passé… Wise ne répond plus et le protocole d’éveil n’a pas fonctionné. April a fait une crise d’hystérie, Kessler est complétement dépassé et Laura… elle a perdu conscience.


La (WE) voix (TOLD) de Bishop (YOU) vacillait (SO). Il arrêta le véhicule devant Dreamland. Déjà, Liebermann accourait, un papier en main. Rose l’éconduit et son précieux contrat alla bientôt rejoindre les feuilles mortes. Je fixai le bâtiment, muet. Je sentais SA présence, partout alentour. Le No Man’s Landavait tout envahi, comme une marée de ténèbres.

Kessler nous attendait dans le hall. L’affolement avait remplacé l’exaltation.

- Monsieur Wise est en état de mort cérébrale, malgré une activité onirique intense… Je…je ne comprends pas…

Nous l’avons suivi, à travers un dédale de portes et de couloirs, jusqu’à sa salle d’expérimentation, entrevue quelques heures plus tôt sur les écrans de la salle de conférence. Allongé dans son dreamcatcher, Wise avait tout d’un défunt exposé dans son cercueil avant d’être confié à la terre ou aux flammes. Kessler s’agitait, le front luisant de sueur, en proie à la panique : son employeur était en état de mort cérébrale et de très gros ennuis s’annonçaient pour lui. Laura, gisant dans son fauteuil, était à l’écart, dans un coin de la pièce. Alan se dirigea vers elle, tandis que Kessler s’emmêlait dans ses explications.


-Nous avons enregistré un signal au début de l’immersion…

Sur le moniteur, se devinait une forme vague, brouillée par des parasites. Je compris vite ce dont il s’agissait. La porte dont avait rêvé Raven.


- Laura ! s’écria Alan.

Nous nous tournâmes vers eux. Dans son coma, elle ouvrit les yeux brièvement et je sentis un picotement dans ma nuque. Alors, je la vis, sur le mur opposé. La porte était là, telle que me l'avait décrite Raven. Je savais que Rose la voyait aussi tout comme celles et ceux présents dans la salle.


- Je dois y aller… chuchotai-je

Rose posa la main sur son arme et brandit sa maglite. J’approchai et posai la main sur la porte, qui s’ouvrit lentement. De l’autre côté, les ténèbres, mes vieilles amies, m’attendaient.

Une fois franchi le seuil, un long couloir s’offrit à nous, éclairé par des néons blafards. J’avançai, sûr de moi, ne prenant même pas la peine d’ouvrir les portes qui m’auraient de toute façon ramené au même endroit.

En tremblant, je compris que je savais où aller. Derrière moi, Rose avait éteint sa maglite. Une fois franchie cette porte, je sus que, derrière nous, il n’y avait rien. J’avançai, Rose sur mes talons. Sa maglite était éteinte car des néons blafards éclairaient les couloirs devant nous. Il me semblait savoir où aller et, à chaque intersection, je n’hésitais guère.

Puis nous l’entendîmes. La musique semblait venir de partout à la fois.

- De l’allemand, chuchota Rose, incrédule.

Nous crûmes reconnaître une de ces ritournelles à succès de l’Allemagne des années 30, entêtante et incongrue. Les murs froids et gris changèrent d’apparence. Une sorte de moisissure noirâtre semblait les grignoter, tandis que le sol était taché de flaques noires et devenait spongieux. La musique se tut et nous aperçûmes les enfants, ou ce qui restait d’eux. Les spectres nous regardèrent sans nous voir, du moins je l’espérais.

Je poussai une nouvelle porte. Laura était là, telle qu’elle était enfant, Laureen.

Elle nous fit signe de la suivre. Nous avançâmes encore. Devant nous, dans une salle dont je ne distinguais pas les contours, un homme se tenait dans un grand fauteuil. Adrian Wise nous regardait, un sourire mauvais sur le visage. Ses mains parcouraient les cheveux clairs de Laureen. Je m’arrêtai.


-  Laissez cet enfant, Wallenquist !

L’homme me fixa, surpris que j’emploie le nom de son aïeul.

- Non. Elle est à moi… et vous, vous ne quitterez pas ce lieu.

Je devinai un mouvement sur mon côté droit. Le bras tremblant, Rose tendait son arme dans ma direction. Je compris qu’elle luttait de toutes ses forces pour ne pas presser la détente. Face à moi, le visage de Wise se troublait pour laisser place à celui d’un vieil homme. Je compris que ce dernier utilisait le pouvoir de Laureen et attrapai la main de la fillette, sans pouvoir l’attirer vers moi.

Puisant dans sa volonté, Rose s’arracha au contrôle qu’exerçait et prit Laureen à-bras-le-corps. Wallenquist hurla, tandis que ses traits se délitaient un peu et n’avaient plus rien d’humain.

Le Dormeur sur le Seuil, murmurai-je.

L’ombre sur nos talons, nous partîmes en courant, Rose tenant toujours Laureen par la main. Les couloirs rétrécissaient à chaque pas, quelque chose derrière nous, plus sombre que la nuit, s’approchait et allait nous rattraper.

Tandis que la main de la fillette lui échappait, Rose atteignit la porte, tandis que je chutai lourdement, à bout de forces. Devant moi, le passage se refermait : j’allais rester là. Tandis que mille images traversaient mon cerveau, une main se tendit, je la saisis et m’extirpai de cet enfer, avant de m’écrouler au sol, en état de choc.

Nous étions de retour.


Je me souviens de Kessler, penché sur le caisson, s’affairant à réanimer Wise qui finit par ouvrir les yeux, de Laura qui avait repris conscience. On nous a conduit dans un salon où Alan a écouté notre récit. Wise ne reparut pas, cette nuit-là, et Bishop nous a raccompagnés alors que l’aube pointait.
Raven m’attendait. Je n’ai pas eu besoin de lui expliquer où j’étais allé, cette nuit-là. Je me suis écroulé sur mon lit, tout habillé, épuisé. J’ai ouvert un œil, beaucoup plus tard, alors que Sondra était assise à mon chevet, Dorothy non loin d’elle.

Mike…tu vas bien ? m’a-t-elle demandé en posant la main sur mon front, comme on le fait pour un enfant souffrant.

Je me sentais vidé, mais j’ai souri.


Oui, ça va, rassure-toi.J’ai vu Raven, dans l’entrebâillement de la porte, qui me regardait et j’ai répété :

Tout va bien, maintenant.
Whitby, jeudi 23 novembre 2023

Hier, les Bishop ont quitté Whitby, finalement. Ils nous ont reçu à dîner quelques jours après « l’incident » et nous ont appris qu’Aiden Wise était reparti pour la Californie. Le projet Morpheus est arrêté et Dreamland va être abandonné.

Cette année encore, nous avons célébré Thanksgiving à la maison, avec tous ceux qui me sont chers, à Whitby. Dorothy, Sondra, Raven, Rose, Luke et Lex forment finalement ce qui ressemble le plus à une famille pour moi. A la fin de cette journée où nous aurions presque oublié la menace qui rôde, Raven a écarquillé les yeux et son visage s’est illuminé :

- Il est réveillé !

J’ai su alors que Willie était sorti du coma. Demain, nous irons voir notre ami à l’hôpital.

L’hiver viendra bientôt. Apportera-t-il le blizzard, le froid et la peur ?
 
 
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