LES DEPOSSEDES
Ursula K Le Guin
Je ne comprends toujours pas pourquoi j’ai mis tant de temps à découvrir et à lire Ursula K Le Guin. Si tous ses livres ne sont pas du même niveau, certains sont largement au-dessus de ce que l’on attend, en général, d’un livre de fantasy ou même de SF. Comment cela, je distingue entre la fantasy et la SF ? Deux genres mineurs dénigrés ou encensés ? Mettre Asimov au-dessus de Tolkien ?
Soyons un peu sérieux, quand même. Force est de constater que les livres de fantasy sont souvent de simples livres d’aventure, plus ou moins insipides, dont le style est souvent le plus lourd fardeau payé au mauvais goût. Alors, certes, c’est aussi le style de certains grands auteurs, comme Tolkien, ou de poètes, comme Clark Ashton Smith qui n’en est pas moins souvent pénible à lire. De son coté, la SF tend aussi à produire des séries trop longues ou des romans dénués du moindre intérêt (oui, je te vise, Martha Wells) ou au style lourdingue. Parfois, même, aujourd’hui, on arrive à des livres dont on ne sait s’ils sont des livres de fantasy ou des livres de SF mais, en tout cas, ont le mérite de réunir les défauts des deux styles et la critique sociale digne d’un Aymeric Caron dans une émission de télévision. Oui, je garde toujours un stress post-traumatique après la lecture du premier livre de la terre brisée. Et, dans mes nuits agitées, je me réveille en pensant que j’en ai deux autre sur mes étagères…
Mais parfois, aussi, il y a des auteurs ou, à défaut, une autrice, qui passe sans difficulté d’un style à l’autre et en étant toujours intéressante. Malgré tout, je dois admettre que, pour l’instant, ses livres les plus réussis sont, pour moi, deux livres de SF, à savoir la Main gauche de la nuit et les Dépossédés. Hein ? Je manque d’originalité ? Certes. Mais devant de telles évidences, il est difficile de résister. Ces deux livres abordent des problèmes sociaux qui se recoupent ou pas entre les deux livres. Dans le Dépossédés, nous suivons la vie de Shevek, un homme d’Anares, la lune d’une planète nommée Urras ou planète disposant d’une lune nommée Urras. Sur Uras s’est constituée une société post industrielle classique, qui a donné naissance à un mouvement syndicaliste anarchiste, définit par une femme, Odo, dont les adeptes ont suivi les enseignements. Pour s’en débarrasser, les Urrassiens décident d’offrir la lune aux odoniens, les anarchistes, pour qu’ils y construisent leur utopie. Mais à une condition : ils seront les seuls à pouvoir s’installer sur cette lune et nul ne pourra en revenir.
Shevek est un individu particulier, qui se passionne pour la physique fondamentale et cherche à créer une théorie unifiée. Mais au cours de ses recherches, il se heurte à la fois aux limites de l’utopie et à la dégradation de celle-ci : les besoins de la communauté, la nécessité d’organisation finit nécessairement par créer une bureaucratie et des coutumes qui deviennent des lois. Alors, pour pouvoir continuer ses recherches et espérer les partager avec le plus grand nombre, Shevek fait le choix de quitter Anares pour rejoindre les propriétaires (et leurs esclaves) sur Urras pour réussir à finaliser son travail et, si cela est possible, promouvoir sa vision des choses.
Riche de par ses idées (l’utopie anarchiste, la langue créée pour permettre la réalisation de cette anarchie, les relations interpersonnelles, les questions de place et de besoin des individus et la nature de leur engagement, la place de la femme, le sort des enfants sans oublier les composantes ethnologiques chères à Le Guin), par ses thèmes, le livre est remarquablement écrit. Lire en même temps Janua Vera de Jaworski fait un contraste incroyable, entre deux styles d’écritures totalement opposés. De par la qualité de son contenu (on sent les questions politiques de l’époque, mais rendues intemporelles, la guerre du Vietnam) et de par son écriture, ce livre est, pour moi, l’un des plus grands livres de SF lus et l’un des tous meilleurs Le Guin.