CHAPITRE 30 : Tanathos écrase Eros
— Pour mon père, pour Jorren, crèèèèèèvve, chien abject, crrèèèèèèève ! Maintenant je sais pourquoi notre bannière est une épée qui transperce un loup garou ! Crrèèèèèève ! »
Chaque coup de dague transperce des chairs déjà sanguinolentes, déjà tuméfiées, déjà inertes. Je ne vois plus rien, je suis tout entier concentré dans cette lame, je suis l’acier qui s’abat, encore et encore, je ne suis que cris, violence, et frénésie, bousculant les ombres indécises qui osent me disputer mon morceau de proie…
— Crrrrèèèèèèève ! ».
C’est la douleur qui me tire progressivement de mon état second. De l’épaule au poignet, tout mon bras me lance. A part la tête de mon ennemi qui est tranchée net par Walder le Noir, le reste du corps n’est que bouillie sanglante. Mécaniquement, je sors la fiole que m’a confiée Illirya, et je n’ai aucun mal à récupérer du sang de cette engeance, sous le regard circonspect des Frey qui en ont pourtant vu d’autres. Le liquide pourpre qui emplit les parois de verre semble ranimer mes souvenirs.
Il y a plus d’un mois que j’ai quitté Deathwatch, juste après la victoire éclatante de mon cousin sur Rickard Ryswell. J’étais heureux qu’il ait pu libérer sa rage, transformer sa tristesse abyssale en colère implacable. La disparition de ces deux verrues ne pouvait nous être que bénéfique. Mais j’ai toujours ce sentiment que quelque chose, ou quelqu’un nous a échappés, cette désagréable impression qu’un ennemi intérieur se délecte des drames qui nous frappent. Lady Lyanna pensait à Andre Snow, qui peut être suspecté vu son statut d’héritier, moi je me méfie toujours de Harsnow, un de nos bannerets, proche de feu mon oncle…
Mais tout cela appartient à mon cousin, c’est sa tâche, son fardeau. Moi, le destin m’appelle plus au Sud, aux Jumeaux, où le message sibyllin de mon grand père m’autorise un espoir des plus fous. Je ne sais ce qu’il manigance, mais il a décidé de se retourner contre les Stark et je veux y jouer un rôle.
J’embarque avec moi quelques gardes, des chevaux, et deux personnes que je laisserai à Seaguard. Un marchand pour continuer à ouvrir des comptoirs, et un … assistant, pour étendre mon… autre réseau, pour le compte d’Edrick. Officiellement, je me rends aux Jumeaux à l’invitation de mon grand père. Inutile de révéler trop de détails si ce n’est pas nécessaire. Nous naviguerons pendant une semaine sur une galère fer-née prise sur notre butin de guerre, sans bannière. Il faut aller vite, et je ne veux pas prendre le risque d’attirer les Poiscailles en battant pavillon Blacksword. Nous serons un peu à l’étroit et dormirons à la dure, mais qu’importe, les oreillers douillets, ce sera une fois la vengeance accomplie.
La première nuit, je m’effondre sur ma paillasse après une journée marquée par une mer démontée et un tangage auquel je ne me ferai jamais je crois. Les yeux clos, je tente d’oublier les ricanements des marins qui perdent leur solde aux jeux de dés, la houle et le vent qui sévissent derrière ces planches cloutées.
Curieusement, je ne ressens pas le froid et l’humidité, je suis comme blotti contre un corps bien chaud, et je frissonne alors qu’une main me caresse les cheveux, en susurrant : « Volken… je suis là pour toi… tout va bien… » Hein ? Quoi ? une main, une voix ? Je… me réveille et constate que je suis plus ou moins enlacé avec une Illirya plus flamboyante que jamais. Un rêve ? non, mon mouvement brusque me fait cogner contre la coque et la douleur est bien réelle. J’ai envoyé valdinguer deux trois ustensiles et j’ai dû crier car des marins se sont arrêtés de jeter leurs dés et me regardent fixement. Pas un regard, pas un commentaire vers l’apparition qui me sourit toujours –
« Volken, que se passse-t-il ? Pourquoi me fuis-tu ? C’est moi , Illirya !
— Non, c’est imposs… tu n’es pas là, ce n’est pas toi, je…
— Mais voyons, Volken, tu sais ce que je peux faire…. Tu vogues vers ton destin, je dois être là pour toi, mon chéri.
— NNON ! QUE VEUX-TU ? TU N’ES PAS ICI CAR PERSONNE NE TE VOIT… TU VEUX ME HANTER, ME RENDRE FOU ? NE TE METS PAS EN TRAVERS DE MA VENGEANCE ! »
Evidemment cette esclandre alimente les rumeurs gênées et discrètes des marins qui tournent leur index sur leur tempe en me désignant et chuchotent quand je passe près d’eux. Illirya disparait et revient à son gré. Je ne sais quelle sorcellerie elle utilise, mais je sais à quel point les faveurs de son dieu de flammes peuvent être cruelles. Il est peu de choses qu’elle ne puisse accomplir, provoquer la crise cardiaque de mon oncle ou transformer mon cousin en machine de guerre n’étant pas les moindres, mais à chaque fois elle doit en payer le prix. Quel sera celui-ci ? Projeter son âme ainsi sur de longues distances et aussi longtemps, cela doit l’épuiser, la blesser…
Je finis par prendre des précautions et discute le plus discrètement possible avec elle. Ce n’est pas simple dans un espace aussi réduit, et je passe donc une semaine agitée, au sommeil incertain. Illirya tente de m’apaiser avec des paroles réconfortantes, pas question de stopper mon entreprise, bien au contraire elle se propose de m’apporter son aide par-delà les distances et les flammes. (Elle prétend être ici et à Deathwatch en même temps, veillant sur notre fils). J’ai beau lui répéter que j’ai besoin de calme, de concentration, de vide autour de moi pour venir à bout de mes ennemis, elle n’en a cure. Je peux devenir blessant, lui dire en boucle jusqu’à la fin des temps que je n’éprouve pas de sentiment pour elle, ça ne change rien au sourire contrit qu’elle me lance et à sa croyance marquée au fer rouge : un jour son dieu m’ouvrira les paupières sur notre destinées commune. Elle semble prête à attendre, érigeant sa patience en acte de foi. Bien sûr, si elle entrevoit un moyen d’accélérer les choses, elle ne s’en privera pas.
Nous accostons enfin au port de Salvemer, où l’administration portuaire s’empresse de calculer les taxes juteuses qu’elles ponctionnera sur notre navire. En tant que représentant des Blacksword (statut vérifié sur les lettres que je possède) je suis convié au château des Mallister, vassaux des Tully.
Dans l’après-midi, je supervise l’installation de Chor Jormund notre marchand et de Ryvas, l’homme qui devra multiplier ses yeux et ses oreilles dans la ville.
Le souper est cordial, mais pas des plus chaleureux : les Mallister, via les Tully, sont encore des alliés du jeune Loup et il est connu que notre famille a brisé ses liens avec les Stark. Et puis il serait déplacé de ripailler grassement quand la population est marquée par les affres de la guerre, des privations…
Si les dieux existent, ils savent que nous n’avons pas été épargnés par les malheurs dans les Barrowlands, mais au moins nos terres n’ont eu à subir que quelques raids fer-nés. Ici, les places fortes, les villages, les champs portent les stigmates des massacres, viols, récoltes brûlées… On est loin des étendards qui claquent au vent et des charges héroïques, le plastron pimpant !
Le patriarche, Jason, nous abandonne rapidement, il doit partir le lendemain recruter des hommes parmi les tribus qui vivent dans les marais. Il sera accompagné d’un petit détachement mené par la mère de Lady Lyanna, Maege Mormont. Quel soulagement, cela fera déjà une ourse de moins à extirper du champ de bataille. Reste sa sœur…
Son fils Patrek prend le relais et m’explique la situation. Depuis la défection des Karstark, le jeune Loup tourne en rond, englué dans les Conflans, privé de l’accès au Nord à cause du verrou de Moat Cailin, incapable d’engager un siège d’envergure avec ses forces réduites. Tywin Lannister le rongera lentement, comme un os avarié. Son seul espoir : recruter l’armée Frey et contre attaquer à l’Ouest. Il a donc prévu de marier son oncle Edmure Tully à l’une des innombrables filles du Tardif. Il est justement en route pour célébrer ces noces et se demande à juste titre si je fais de même. Je donne une réponse évasive, toujours en lien avec la convocation de mon grand père. Le vin qui coule dans nos gobelets ne doit pas altérer mon jugement, moins les Mallister en sauront sur mes intentions, mieux ce sera.
J’estime ne m’en être pas trop mal tiré d’ailleurs, si on prend en compte le fait qu’Illirya, toujours invisible pour les autres, passait son temps à me déconcentrer, passant des mots doux aux menaces soyeuses avec une candeur qui n’a d’égale que sa cruauté. J’ai dit non, c’est non, je ne deviendrai pas fou !!! Si elle est soi-disant vraiment parmi nous, elle n’a qu’à se montrer à tous, pas seulement à moi. Chiche ?
Et d’ailleurs, pour la faire enrager, je la plante sur place et quitte le dîner en compagnie d’une soubrette locale lui palpant fermement les fesses pendant que nous avançons dans les couloirs. Une fois dans ma chambre, si Illirya continue à m’espionner, elle en prendra pour son grade ! J’entre d’un pas décidé, et…. Je freine des quatre fers! ELLE est déjà là, étendue sur mon lit, un sourire mutin et aguicheur.
« Ooh Volken, te voilà enfin ? Je t’attendais… Et euh, tu as amené une nouvelle amie ? Si Lady Lyanna savait cela…
(la servante devient blême, se détache immédiatement et part à reculons en marmonnant des excuses auprès d’Illirya et en me décochant un regard venimeux)
Pris au dépourvu, je referme violemment la porte. Ok, je ne sais pas si je parle à l’originale, à son fantôme, je n’ai aucune idée de l’étendue de ses pouvoirs, mais j’explose et utilise sa langue maternelle :
« Arretez cela, Illirya, tout de suite ! Vous pouvez apparaitre, disparaitre, vous téléporter, cela ne changera rien ! J’ai un très beau souvenir de notre rencontre à Braavos, je suis fier du fils que vous m’avez offert, je suis votre éternel obligé pour m’avoir sauvé la vie contre Arken, je suis conscient des sacrifices et des risques consentis pour ,mmm… éliminer l’Immortel…
— Moins fort, Volken, vous savez bien que ça doit rester un secret absolu ! Quel est le « mais » qui va suivre ?
— MAIS je suis amoureux fou de Lady Lyanna. Vos sortilèges, prophéties, dieux rouges, bleus ou jaunes, n’y changeront rien. Je la chéris depuis trop longtemps, son visage est imprimé dans mon cœur pour toujours. Désolé d’être aussi direct, mais vous méritez la vérité, pas de faux espoirs. Il n’y a que deux choses qui dictent ma vie aujourd’hui : venger mon père et reconquérir son cœur. Sauver sa sœur effacera j’espère ma promesse non tenue. Je la veux elle et aucune autre, fusse-t-elle belle, envoutante, fusse-t-elle-même la mère de mon fils. Ma colère passagère m’ a poussé vers vous, vers ce parfum envoutant du passé, et vous étiez cette douce chose fragile que je pouvais me glorifier de protéger. Mais vous n’avez plus besoin de moi aujourd’hui. Ferrego est reconnu, il est pupille de Deathwatch. Edrick vous fait confiance, le mestre Drake est un de vos amis d’enfance, votre position est solide parmi nous. Je continuerai à m’assurer que vous ne courez aucun danger et pourfendrai ceux qui s’en prendraient à vous ou à mon fils. Vous faites partie de la famille Illirya, mais je n’éprouve pas de passion pour vous. Rien de comparable avec…
— … avec la petite servante que vous venez de séduire? Ca contredit un peu votre beau discours Volken.
— ………….. ? Pff argh non ça c’était juste pour vous faire enrager, je ne serais pas allé jus… oh et puis allez aux sept enfers, vous ne pouvez pas comprendre.
Drapé dans ma fierté, je passe une nuit inconfortable sur le tapis pendant que la prêtresse de R’hllor soupire dans le grand lit à baldaquins. La nuit porte certainement conseil car ce n’est qu’au réveil que j’assimile enfin ce qu’implique la scène de la veille : je ne suis plus le seul à voir Illirya ! Elle est donc vraiment à mes côtés !
Cela se confirme dans la cour où nous harnachons les chevaux avec les gardes qui me suivent encore vers les Jumeaux. Ils se jettent mutuellement des regards éberlués alors qu’elle enfourche gracieusement une magnifique jument blanche sortie de nulle part. Je bredouille rapidement une excuse moisie sur le fait qu’elle a pris la mer la veille et devait me rejoindre incognito pour semer le trouble chez d’éventuels pirates fer-nés. Ils sont vraiment naïfs s’ils y croient, et Illirya joue gros dans cette histoire. Quand ces clampins rentreront à Deathwatch, ils répandront sûrement des rumeurs à base de sorcellerie démoniaque…
Le voyage ne durera que deux jours et devrait se dérouler sans encombre. Patrek Mallister nous a bien mis en garde contre les bandits, pillards, charognards de guerre, mais si je commence à redouter quelques malandrins, je n’irai pas loin ! Il a également insisté sur une bande plus organisée, plus nombreuse, à la réputation grandissante, la Fraternité sans Bannière, qui s’en prend volontiers aux nobles et aux rançons qui flottent au dessus de leur tête. Cela semble plus sérieux, mais au besoin je ferai des miracles avec ma lance ! Tant que j’ai du bon tabac dans ma tabatière, rien ne peut m’atteindre !
Tout se déroule comme prévu, un voyage morne et sans périls, une nuit tranquille à l’Auberge des deux rivières. La laideur de la guerre que nous devinions déjà près de la côté s’exhibe sans pudeur à l’intérieur des terres. En chemin et à l’auberge, les pauvres hères, réfugiés, soldats brisés, déserteurs plus ou moins discrets complètent ce tableau sinistre. Nous entendons parler à nouveau de cette Fraternité sans bannière, en termes plus élogieux cette fois. Cette petite armée semble prendre soin des gueux, des miséreux et traquer les criminels de guerre.
En chemin, la pluie et la boue nous ralentissent, nous fatiguent. Nous ressemblons bientôt à des golems de crotte juchés sur nos chevaux fourbus. Tous, sauf… Illirya, fraiche, propre sur elle, aux cheveux à peine mouillés par les averses féroces. Mais comment fait-elle ?
Nous parvenons enfin en vue des Jumeaux, ces deux tours majestueuses qui encadrent un pont du même acabit. Nul moyen de traverser ailleurs la turbulente Verfurque, pas pour une armée du moins. Les plaines aux alentours sont vides, nous sommes donc arrivés à temps (ou bien trop tard ?), ce qu’Illirya s’empresse de souligner, pour bien montrer l’inutilité de ma colère à son encontre avant le duel judiciaire de mon cousin. J’en profite pour explorer un peu les collines, j’aimerais trouver une grotte isolée, un point de chute discret pour évacuer et cacher quelqu’un facilement. Je ne trouve pas mon bonheur mais repère tout de même un bosquet reculé près d’une cascade qui pourrait convenir…
La gorge un peu nouée, je conduis notre petit groupe aux portes des Jumeaux. Après une rapide vérification de mon identité, je suis introduit dans la grande salle où trône le vieux, le très vieux, l’indéracinable et indécrottable Walder Frey. Pour le coup, l’Immortel, ce devrait être lui…
Son regard plein de malice et de morve semble nous scruter, nous déshabiller… surtout Illirya. Que ce soit feint ou sincère, il met un certain temps à reconnaitre qui je peux bien être et quel lien j’ai avec lui. Après avoir congédié quelques gardes, et proféré quelques remarques peu subtiles sur Illirya et mon goût en matière de femmes, il m’encourage à révéler le but de ma présence.
« Mais vous le savez bien Seigneur ! Je vous l’ai écrit ! Je suis venu vous demander de ne pas honorer de votre hospitalité ce chien de Robb Stark qui vient mendier votre armée après vous avoir trahi, après avoir craché sur vo… notre famille en délaissant votre fille pour une souillon Ouestrelin… Ce chef misérable incapable de retenir son armée et qui ose traiter les hommes d’honneur qui l’entouraient comme de vulgaires criminels. Il a pendu mon père, Seigneur, sans même lui accorder un regard. Je n’aurai pas de repos avant de voir le corps de ce fils de pute livré aux corbeaux ! »
Un long silence s’ensuit, Walder Frey cherchant l’approbation de ses lieutenants (dont son mestre) qui finissent par lui accorder d’un hochement de tête.
« Oh oh que de fougue juvénile ! Heureusement certains ont la tête mieux remplie et ont déjà prévu quelques misères pour le Jeune Loup, qui n’a effectivement rien compris au monde et à la façon dont il tourne. Il va payer sa trahison. Toutes ses trahisons.
— Vous ne pourriez plus me combler, Seigneur. Quand il viendra dresser son camp devant vos murs, vous n’aurez qu’à donner l’ordre, et j’irai lui planter ma lance dans la gorge, peu importe les obstacles. Je…
— HA HA HA AHA AHA AHA HA HAHA HA ! »
Progressivement suivi par celui des suiveurs, le rire grinçant, grêleux de Walder Frey résonne dans la salle. Mêlé de toux, il prend un certain temps pour se calmer, le temps qu’il me faut pour ravaler cet affront et rester de marbre.
« Et après on s’étonne de voir que tous les matamores de Westeros meurent dans la fleur de l’âge. Ce n’est pas ainsi qu’on dure, qu’on survit, qu’on résiste, qu’on reste intact ! Je les enterrerai tous, toi y compris, si tu t’obstines à raisonner comme un taureau enragé ! Suis-moi !
Il m’emmène dans un salon privé avec son mestre et étale un plan des lieux :
« Dans un mois (un mois ! la vache, je suis en avance), le Jeune Loup sera reçu chez moi, nous célébrerons ces fameuses noces, nous partagerons le pain et le sel, nous festoierons, et quand ils seront tous bien saouls et somnolents, quand les musiciens finiront de jouer, ils saisiront leurs véritables instruments pour le bouquet final… (Il pointe différents emplacements sur le plan) Arbalètes, hallebardes, poignards, portes verrouillées de l’extérieur. Nul n’en réchappera. Nous nous occuperons également de ses troupes stationnées devant nos murs, ils ne verront rien venir.
» Et oui, je sais, c’est contraire aux principes, aux commandements divins, mais je m’en fous ! Les dieux aussi crèveront avant moi ! L’avait qu’à réfléchir à deux fois ce merdeux avant de fourrer sa queue dans sa catin à moitié paysanne ! »
J’accuse un peu le coup. C’est tellement énorme… Je comprends mieux les visions d’Illirya, ces bannières, ces alcôves, ces arbalètes… Elle me fixe d’ailleurs du regard comme pour me signifier : « tu vois, je ne t’avais pas menti ». Ce sera un véritable massacre, pas très honorable. Oh, et alors, j’ai toujours clamé que ce déchet ne méritait pas une mort digne de son rang, il est temps d’assumer. Je participerai, bien évidemment ! Seulement, il faut aussi que je sauve Dacey Mormont. J’évoque maladroitement le sujet de la présence des Ourses aux côtés du jeune Loup.
« Ah ! Il est vrai que les Blacksword sont liés aux Mormont par mariage ! Bah, Maege est partie dans les marais, je crois, elle n’assistera pas aux noces. Rassuré ?
— Il reste sa fille, Seigneur, Dacey Mormont.
— Peuh, ah oui, je l’avais oubliée. Faut dire qu’elle est moche comme une truie. Tant pis pour elle, nous ne ferons pas d’exception !
— Je…. Ne pourrait-on…
— Quoi ! Ne me dites pas que tu veux lui sauver la vie ? Tu as un autre objectif que la mort du jeune Loup ?
— Euh non, je ne pense qu’à ça, je vous assure. »
Et merde, pour une fois, ma voix chavire, et j’ai du mal à le regarder dans les yeux. Devant un vieux singe comme Walder Frey (et son mestre qui n’a pas l’air d’être né de la dernière pluie), autant me balader avec le mot menteur peint en rouge sur le front. Il frappe violemment la table et envoie valdinguer un plateau de bronze
— Tu me mens sous mon toit, tu oses ?
— Je… désolé, oui, je l’avoue, j’aimerais que Dacey Mormont survive. Seule elle ne sera pas une menace pour vous. Elle n’est pas responsable de la trahison du Stark, et ne devrait pas payer pour ses crimes. Cela ne change rien à ma détermination seigneur ! Je ferai tout pour que votre plan réussisse, je pense juste être capable de mener ces deux missions de front.
— Non, non, NON ! Trop risqué ! Je ne vais pas mettre en péril ce plan mûri depuis des mois pour tes états d’âmes passagers ! Tu te feras une raison, Volken. Je prends deux décisions, et elles sont irrévocables. Tu participeras aux noces, et vengeras ton père. Tu as un mois pour bien te préparer. Je vais t’adjoindre deux hommes de ma garde personnelle. Ils seront là pour s’assurer que tout se passe bien. S’ils me rapportent le moindre début d’indice que tu es en train de conspirer pour avertir qui que ce soit, Mormont ou pas, dans l’entourage du Stark, tu seras mis aux fers et toute l’affaire se fera sans toi ! Bien sûr, le simple fait de tromper la vigilance de tes nouveaux amis aboutira à la même sanction.
— Je… très bien.
— Parfait. Ah, et une dernière chose. Si tu te lasses de ta grognasse orientale, envoie-là dans mes appartements, je lui trouverai bon usage ha hin a hhin ha hin ! »
Les jours s’écoulent à toute allure. Walder le Noir me prend en charge pour préciser mon rôle. Etant peu doué une arbalète à la main j’obtiens de me glisser parmi les gardes qui seront dans la salle. Je garderai l’une des portes. Rien n’est laissé au hasard, et je partage la vie des autres trouffions pour en comprendre les habitudes, la démarche guindée, les tics de langage. J’ai quand même droit à des séances d’entrainements personnalisées avec « le Black » qui se révèle être un bourrin de première. Jouant tout sur son physique massif et la violence de ses coups, il a manqué à plusieurs reprises de me briser deux ou trois côtes, mais j’ai pu aussi exploiter quelques failles dans ses postures et lui prouver que je rivalise sans problème côté technique.
Illirya continue de me tourmenter sans forcément s’en rendre compte. Plus d’une fois, elle m’attire sur le lit et prend une pose évocatrice. Il est vrai que sa chevelure blonde sur sa peau hâlée n’est pas des plus repoussantes. Et que dire de ses seins chauds qui appellent tant de promesses. Mais, plus rompu qu’elle aux techniques de séduction, je parviens tout de même à résister. Pour Lyanna. Pour ne pas me disperser avant la date fatidique.
Je constate avec dépit que la garde d’honneur de Walder Frey est très efficace. Ils se relaient quand il le faut et ne me laissent JAMAIS seul en dehors de ma chambre ou des latrines (limite…). Idem pour mes gardes courtauds qui ne servent décidément à rien. Que faire ? Comment prévenir Dacey Mormont de quitter l’armée nordiste et de ne pas venir se jeter dans la gueule du… hum, l’expression consacrée m’arrache un sourire vu la situation.
Illirya m’offre une solution. Etant simultanément ici et à Deathwatch (creepy…), elle va persuader lady Lyanna d’envoyer un message auprès de sa sœur, qui soit suffisamment alarmant mais qui ne dévoile rien du piège en lui-même évidemment. Nous avons encore le temps pour cette tentative. C’est notre avant dernière chance de la sauver.
Un beau matin, l’armée Stark arrive enfin par le sud. Comme par enchantement, je suis consigné jour et nuit dans mes quartiers, pendant les deux jours qui suivent, jusqu’à la soirée des noces.
Illirya, qui peut se rendre invisible, parcourt le camp de l’ennemi. D’un commun accord, elle ne parlera à personne, ne révèlera rien. Non seulement cela pourrait compromettre ma vengeance, mais de toute façon, qui croirait une braavienne sortie de nulle part, entourée d’une aura de soufre et de sorcellerie ? Elle peut toutefois m’apprendre ce que je craignais : l’inflexible Dacey Mormont n’a pas abandonné son suzerain pour un message aussi vague que « rejoins-moi, c’est une question de vie ou de mort, signé Lyanna ».
Très bien, je passerai donc au plan B. Celui-ci est assez simple en théorie. Quand les armes parleront, je me précipiterai vers elle, et la ferai s’évanouir grâce à mon gant et la substance anesthésiante que j’ai pris soin de récolter auprès de l’empoisonneur de Blazetower (un type ramené par Solmyr lors de notre enquête sur l’assassinat d’Astreya pour faire un faux témoignage si besoin était. Besoin ne fut pas, mais il a gardé son utilité). Une fois à terre, plus rien ne s’interposera entre moi et Robb Stark, entre lui et sa damnation.
Il devrait être aisé ensuite d’emporter le corps de Dacey Mormont (officiellement pour le remettre à sa sœur), m’isoler dans la clairière repérée aux alentours il y a un mois, lui expliquer du mieux possible la situation et fuir avec elle à Salvemer, puis à Deathwatch.
Il y a un hic : inconsciente ne signifie pas décédée, et pour partir tranquille, il faut que tous la croient vraiment morte. La honte colore légèrement mes joues quand je réclame, encore, l’aide d’Illirya. Fasciné par ses pouvoirs grandissants, je lui demande si elle peut donner à Dacey l’apparence d’un cadavre quand elle tombera au sol, disons pour quelques heures. Elle me l’accorde, à une condition : que je recueille pour elle le sang du Roi qui a perdu le Nord… Je n’en suis plus à une bizarrerie près, j’accepte sans négocier.
L’attente interminable arrive à son terme. Je dois me contrôler pour ne pas trembler d’excitation, engoncé dans mon uniforme Frey. Je suis posté près de la porte sud-est, pas très loin de la rangée où se situe Dacey Mormont. Bien sûr, c’est dur de ne pas se ruer d’emblée sur le jeune Loup qui parade à portée de ma lance, mais patience, patience. Je me donne du courage, je pense à mon père, si joyeux, rayonnant, le conquérant qu’il était l’épée à la main, ou une fleur à la boutonnière en fonction de ses cibles… Je me rappelle son audace, sa gloire, l’amour qu’il me portait… Ce soir, enfin, il connaitra le vrai repos.
L’assemblée boit plus que de raison (Dacey moins que les autres, ça ne m’arrange pas) Pendant qu’Edmure se fait emporter par une marée de filles, Roslyn, son épouse, se fait tripoter par toute l’assemblée mâle. Cela fait un écho sinistre à la cérémonie de mariage à Deathwatch. Là-bas, seule la mariée avait péri. Ici, elle seule risque de survivre…
Je… non, ce n’est pas le moment de faiblir !
D’ailleurs l’orchestre s’apprête à terminer les pluies de Castamere. Walder Frey lève la main et prononce quelques paroles que je n’entends déjà plus.
Tchac ! Les premiers carreaux fusent vers les convives ! Robb Stark en prend un dans le bras, ô joie ! Je me précipite vers Dacey Mormont, mais avant que je ne puisse l’atteindre, elle s’en prend un aussi, en plein dans l’estomac ! Nnnnnoooooon !
Un type, je ne sais qui, s’interpose entre nous et m’attaque avec un barreau de chaise… je l’embroche sans ménagement. Avec difficulté dans ce chaos général, je me glisse derrière Dacey Mormont et entreprends de plaquer mon gant chloroformé sur ses narines. Mais j’ai perdu du temps, et la bougresse ne se laisse pas faire. Elle ne peut pas me faire bien mal, désarmée comme elle est, mais elle gigote dans tous les sens, retardant l’échéance, et agrandissant l’horrible plaie autour du carreau. J’ai envie de crier, de lui hurler d’arrêter, que je veux la sauver, mais de toute façon elle n’entendrait rien, la panique qui se lit dans ses yeux est celle des bêtes qui se savent condamnées. Elle faiblit enfin, je peux appliquer plus fermement le produit… elle glisse, inerte.
Mes oreilles sont sur le point d’exploser dans ce vacarme infernal. Les cris de douleur se multiplient, le fracas des tables fracturées, les chopes lourdes qui tombent, les arbalètes qui claquent, les victimes qui tambourinent vainement sur les portes scellées, les plaintes, les supplications, le sifflement des lames dégainées, le rire de mon grand père. Quand Catelyn Stark s’effondre, la gorge ensanglantée, le cadavre d’Aegon Frey entre ses mains, c’est l’hallali. Robb Stark, prostré au sol, ne bouge presque plus. Je me rue en hurlant, précédé, suivi par d’autres…. Ma vision se brouille, je ne vois que du rouge.
- Crrèèèèèèèèvee ! (cf début du CR)
La fiole est pleine. Quelle est la situation ? C’est une vision d’apocalypse. Les corps sont enchevêtrés parmi le verre et le bois brisé. Les tentures arrachées par des ongles désespérés pendouillent le long des murs. L’odeur du sang surpasse tout, les mares qui se forment prennent possession des lieux. Même les murs sont décorés d’horribles motifs pourpres… Les mêmes qui maculent le corps des victimes et des bourreaux. Mes mains en sont dégoulinantes…
Des râles se font entendre ici et là, pendant que des gardes ricanant achèvent les blessés. Je réprime à grand peine l’envie de dégobiller toutes mes tripes.
Je… DACEY MORMONT ! Nooon ! Combien de temps s’est écoulé ? Je fonce, la prends dans mes bras. Elle est morte ! Le teint verdâtre, elle ne respire plus !
« Volken… »
La voix d’Illirya , je l’ai entendue ! Illirya ! Mais oui bien sûr, je suis bête, c’est l’illusion que je lui ai demandé, Dacey n’a que l’apparence de la mort ! Je la saisis et entreprends de fuir, avec mes deux gardes. Walder le Noir m’arrête, vérifie le pouls de l’Ourse, puis se désintéresse de la situation quand il constate sa mort. Le plan fonctionne !
En compagnie de mes acolytes, nous esquivons les combats qui se propagent désormais dans le camp des Stark et rejoignons le plus vite possible le bosquet caché repéré il y a un mois.
Nous enlevons les vêtements de Dacey, tentons de laver sa plaie. Celle-ci est abominable, elle a perdu beaucoup trop de sang, et les chairs ravagées ne cachent même plus l’intestin…
Le tonnerre gronde, et l’orage qui couvait depuis quelque temps se déchaîne au-dessus de nos têtes.
Nous nous regardons tous les trois, paniqués. Qui peut gérer les premiers soins ? Les deux boulets haussent les épaules.
« Je peux tenter le coup, Messire, j’ai déjà retiré un carreau d’un collègue après la bataille d’Ash Harbour.
— Ah, ben qu’est-ce que tu attends alors ?
— Ben il en est mort… mais je peux le faire si vous voulez. »
Je n’ai pas le choix, je dois le faire moi-même. Délicatement, je saisis le carreau et je l’extrais tant bien que mal, déchirant un peu plus le pourtour de la plaie. Le sang gicle à gros bouillons. Je plaque mes mains en désespoir de cause, et j’ordonne qu’on applique un cataplasme enduit d’un autre produit de l’herboriste de Blazetower, curatif celui-ci.
L’illusion d’Illirya se dissipe et Dacey apparait telle qu’elle est vraiment. C’est à peine mieux. Elle est livide, tremblante, la peau froide, glaciale. Elle papillonne des yeux, semble prendre conscience, m’agrippe le bras.
— Volken B… Blacksword ? AArgh… »
La douleur la tétanise. Je l’enjoins de se calmer, qu’on tente de la sauver, pas de la tuer, pour la ramener auprès de sa sœur.
Elle fixe sa blessure puis tourne péniblement la tête vers moi. Même si elle est bien moins gracieuse, même si ses traits sont plus grossiers, j’ai quand même l’impression que c’est Lyanna elle-même qui me fixe, qui m’accuse en silence.
« Ma sœur… Lyanna… bien sûr (elle tousse horriblement). Je… son message… vie ou mort… quelle idiote je su … »
Ses yeux se figent, son bras retombe mollement, son souffle déjà bien ténu disparait. La plaie que je comprime gargouille et bouillonne, le sang suinte sous mes paumes.
— NNOOOOOOOOOON ! Dacey, n’abandonnez pas, je vais vous sauver, je l’ai juré ! »
Je me mets à faire n’importe quoi, à retourner le cataplasme, aspirer le sang, faire une sorte de massage cardiaque désordonné. J’appuie sur sa poitrine, je frappe, de rage, de douleur, je m’acharne, il faut qu’elle survive, il le faut ! Je ne sens plus la pluie, ne vois plus les éclairs.
— Seigneur Volken, arrêtez ! C’est terminé… laissez-la reposer en paix. »
Je finis par entendre, au bout de la dixième fois peut-être. Je lui ferme les yeux. L’averse, au moins, nettoie le sang qui se dilue lentement dans les fourrés. Une fissure est apparue en moi… une fracture, une faille… Mes os sont intacts, mais j’ai l’impression de me briser en mille morceaux.
Mécaniquement, j’ordonne la création d’un brancard et le transport de Dacey jusqu’à Salvemer où je les rejoindrai le lendemain. Je dois revenir aux Jumeaux pour ne pas donner l’impression que nous fuyons.
Sur place, le spectacle est à peine plus soutenable que tout à l’heure. Walder le Noir parade avec le corps de Robb sur lequel ils ont cousu la tête de son loup-garou.
Les conspirateurs se congratulent. Frey, Bolton et… Lannister dont un émissaire arbore le lion doré sur son surcot. Si le maitre de Castral Roc n’a plus d’urgence à gérer, plus de guerre à mener, il va peut-être tourner son attention sur Deathwatch et la mort du Lion ecarlate. J’en informerai mon cousin.
Je marmonne quelques banalités polies auprès de mon grand père qui a déjà presque oublié mon existence. Avant de partir, je ne peux m’empêcher de provoquer Roose Bolton.
— Vous triomphez ici, Ser, mais laissez moi vous apporter d’autres nouvelles. Roger Ryswell a été reconnu coupable du meurtre de lady Astreya, sa nièce. Les dieux ont confirmé le verdict en soutenant le bras d’Edrick contre Rickard. Justice a été rendue mais il est possible que nous n’ayons pas appréhendé tous les commanditaires. S’il en reste quelque part sur Westeros, ils seront châtiés, l’Immortel y veillera. »
Il me fixe quelques instants de son regard gris pâle, un peu malsain.
— Si votre cousin a pu vaincre Rickard, c’est que les dieux étaient vraiment favorables à sa cause. Pour le reste… faites ce que vous avez à faire. Comme chacun ici. »
Je ne pousse pas plus loin cet échange de menaces feutrées. C’est tellement vain, inutile. L’espoir est mort dans ces contrées.
Dans le baquet d’eau brûlante où je me nettoie avant le départ, je fais le bilan. Il n’est pas bien compliqué. J’ai vengé mon père. Enfin, j’ai participé à une innommable boucherie sous ce prétexte. Cela ne l’a pas ressuscité. Je me suis juste acharné sur un morceau de viande criblé de carreaux qui ne pouvait même pas esquisser le moindre geste pour se défendre. Je n’imaginais pas avoir ce goût de poussière, de cendre dans la bouche… J’avais une soif insatiable et tous ces litres de sang n’ont fait que m’assécher l’esprit…
Et par-dessus tout (je me coule en dessous de l’eau, laissant quelques bulles crever à la surface), j’ai délaissé la seule tâche qui comptait, j’ai échoué, j’ai rompu une promesse solennelle, une de plus. Lady Lyanna avait placé tous ses espoirs en moi, et je vais lui ramener le cadavre de sa sœur. J’aurais pu la sauver, j’aurais pu… il fallait juste me détourner de mes pulsions morbides. J’ai définitivement brisé les liens avec la lumière de ma vie, elle ne pourra jamais pardonner ce reniement, cette trahison. J’ai délaissé la vie, vendu mon âme à la Mort pour quelques piécettes…
Ce sont ces mêmes pensées qui tournent en boucle tandis que je rejoins les autres à Salvemer et que nous prenons la mer pour rentrer… Je ne vois qu’un moyen pour racheter mes pêchés, et il me fait de moins en moins peur à mesure que les flots nous emportent…