Episode 6.3
Pressé par Corbeau de récupérer les livres contenus dans la caisse du 13 dont il a appris l'existence en lisant les pensées de Charles-Henri de la Patterie, Philippe organise un nouveau rendez-vous avec le vieux monsieur. Cette fois-ci, les trois enquêteurs du DSPJ préparent un peu plus leur approche. En particulier, il est convenu que Jean-Pierre (qui a passablement irrité le bibliophile la dernière fois) est le plus apte à susciter chez lui des réactions tranchées, ce qui permettra à Philippe d'en savoir plus en lisant ses pensées.
C'est Philippe qui commence la discussion, sur un ton léger. Il explique au vieux monsieur comment lui-même s'est procuré son premier ouvrage occulte, et lui demande de raconter sa propre expérience à ce sujet. En parallèle, Philippe lance son sortilège de lecture de la pensée. Alors que le vieux monsieur raconte la manière dont un vieil ami de sa famille (image fugace d'un vieux monsieur dans les années 30) avait partagé sa passion avec lui et lui avait offert son premier livre, Philippe perçoit une forte culpabilité associée à ce souvenir.
Jean-Pierre enchaîne ensuite en prétextant avoir cherché plus d'informations sur la collection d'ouvrages d'Anselme Leclément. Philippe avait perçu que le nom n'était pas inconnu de Charles-Henri lors de leur dernière entrevue. Jean-Pierre égrene le nom d'ouvrages qui auraient appartenu à ce fameux Leclément, citant non seulement les classiques mais d'autres ouvrages dont il a entendu parler mais qu'il n'a jamais vus. Lorsqu'il mentionne "L'Homme Démiurge", de Louis-Claude de Saint Martin, les souvenirs de Charles-Henri se font plus précis, et Philippe voit nettement une scène ou le jeune de la Patterie pénètre discrètement dans la bibliothèque du vieux monsieur précédemment aperçu et subtilise ce même livre.
Philippe reprend alors la parole, pour préciser que même s'il ne va pas embêter le vieux monsieur avec cela, ils sont sur une affaire de vol d'ouvrages anciens, et qu'en bons bibliophiles, ils ne tolèrent évidemment pas ce genre d'activités. Il sous entend même que certains seraient prêts à tuer pour se procurer des ouvrages, et perçoit une nouvelle pointe de culpabilité chez le vieux monsieur.
Philippe lui demande comment il a constitué sa collection, et si les réponses de Charles-Henri montrent qu'il est de toute évidence plus méfiant (il parle de marchés aux puces à la fin de la guerre et d'acquisitions faites quand tout le monde se préoccupait plus de manger à sa faim que de vieux livres), Philippe voit maintenant clairement la pièce qu'il a entraperçue dans les pensées de De la Patterie lors de leur toute première entrevue.
C'est une salle cachée des catacombes, proche d'une entrée rue du Regard. Philippe perçoit à peu près l'itinéraire menant à cette pièce dans les pensées du vieux monsieur, et pour cause : cette pièce l'obsède depuis plus de 70 ans ! Il y a accédé semble-t'il une seule fois, mais n'a jamais réussi à y retourner pour une raison qui n'apparait pas clairement à Philippe.
Ayant obtenu ce qu'il voulait, Philippe met rapidement fin à l'entrevue. Une fois à l'extérieur, il explique à ses deux collègues ce qu'il a perçu, et ils décident de se rendre sur les lieux au plus vite. Damien contacte le GIP, la police des catacombes, et il est mis en relation avec Mariam Lareda, qui leur propose de passer dans les locaux du GIP pour expliquer ce qu'ils recherchent.
Un peu plus tard, Philippe décrit ce qu'il a vu à la jeune policière des carrières. Il ne lui explique pas la source exactement, parlant des souvenirs d'un témoin dans une enquête de vol et meurtre de vieux documents de valeur.
- Ce que tu décris, ça ressemble beaucoup à la salle secrète rue du Cherche-Midi.
- La salle secrète ?
- Oui, elle est appelée comme ça parce qu'elle est vraiment dure à trouver, même quand on sait à peu près où chercher. Mais je peux vous y emmener si vous voulez.
- Volontiers. Elle à quoi de particulier, cette salle ?
- Ben, c'est une salle dans les catacombes, à quelques mètres de profondeurs. Il y a des vieux graffitis gravés sur les murs, mais on voit ça à plein d'endroits dans les catas, donc rien de très spécial.
Mariam prête des équipements adaptés (bottes, casques, frontales) à ses trois collègues et ils se mettent en route dans son utilitaire. Elle se gare non loin de la rue du Regard et se dirige vers une plaque métallique circulaire qu'elle déverrouille à l'aide d'une grosse clé. On aperçoit un puits étroit et des anneaux métalliques qui font office d'échelle. Puis elle fait signe aux trois officiers de la DSPJ de descendre.
- Attendez moi en bas, il y en a pour quatre mètres.
Elle les suit, prenant soit de refermer la plaque derrière-elle. Elle guide ensuite ses collègues le long d'une galerie technique. Philippe constate que si l'apparence des lieux a changé par rapport aux souvenirs de Charles-Henri, la configuration est similaire. La principale différence, c'est que des accès et couloirs qui existaient en 1944 sont maintenant bouchés, ou alors il ne subsiste que des chattières pour les franchir. A plusieurs reprises, ils doivent s'allonger au sol et se glisser de l'autre côté d'un mur. Pour Damien et Philippe qui sont menus, c'est relativement facile, mais Jean-Pierre souffre par moments à cause de sa musculature.
Enfin, Mariam s'arrête dans une petite pièce rectangulaire. Elle n'a a priori rien de particulier, mais en s'approchant des graffitis mentionnés par Mariam, Damien distingue une inscription, visiblement en latin : "MEMENTO QVEM ANTE FUIT."
- Ca veut dire quelque chose comme "Pense à celui qui était avant", précise-t'il à ses collègues.
En dessous de l'inscription, des lettres alignées visiblement sans queue ni tête. Damien essuie la roche de sa manche et fait apparaître un damier de dix cases sur dix avec une lettre dans chaque case.
- Ca n'a pas l'air d'être du latin, vu qu'il y a des U et des V, dit Damien.
- L'indication au-dessus doit faire penser à un mot, je suppose, rajoute Jean-Pierre.
- PASQ ça fait penser à Pasqually. Ca pourrait être celui qui vient avant Saint-Martin ? suggère Damien.
- Oui mais où serait le reste du mot ? demande Philippe.
- En cryptographie, on fait souvent des statistiques sur la fréquence des lettres dans un code, non ?
- Oui, interrompt Jean-Pierre, mais là l'échantillon est trop faible. Et puis regarde, certaines lettres peu usitées comme le W ou le Z apparaissent plein de fois.
- Tiens d'ailleurs, il y a un seul C, non ?
- Ah oui. Qu'est-ce qu'il y a d'autre comme lettres qui n'apparaissent qu'une fois ?
- U, H, N, B et P.
- Donc on cherche un mot avec ces six lettres là ? Ca va être coton...
- Il doit y avoir autre chose.
Jean-Pierre en profite pour sonder les énergies magiques de l'endroit. Le damier est clairement enchanté, et il comprend que l'enchantement est conçu pour qu'une séquence de lettres particulières déclenche un effet magique, mais ne parvient pas à déterminer lequel.
Les trois officiers examinent le mur, pensifs, sous le regard mi-étonné, mi-admiratif de leur collègue du GIP. Et finalement Damien dit :
- Si il fallait décaler les lettres d'un cran ? Celui qui est avant ça pourrait être ça, non ? propose Damien.
- On peut essayer, dit Jean-Pierre en sortant un calepin. CUHBNP ça nous donne BTGAMO, c'est pas follichon...
- Non, dans l'autre sens !
- Si tu veux. Dans ce cas ça nous donne DVICOQ. Au moins il y a plus de voyelles.
- VIDOCQ ! Celui qui était avant !
- Ah, du coup c'est UHCNBP qu'il faut appuyer, tu crois ?
Fébrile, Damien presse les lettres dans cet ordre. Un bruit sec se fait entendre derrière eux, suivi d'un crissement. Une section carrée du sol d'environ 50cm de côté vient de s'affaisser. Philippe se rue vers le trou. Il aperçoit un boyau environ 1m50 plus bas. Il descend prudemment, se penche une fois que ses pieds touchent le fond, et se glisse dans un étroit boyau qui mène dans une petite pièce cubique.
A la lumière de sa lampe frontale, il aperçoit des os blanchis et des morceaux de tissus. Ils semblent répartis autour d'un trou rectangulaire mal rebouché qui correspond à l'endroit où Philippe a vu la caisse métallique enterrée dans les souvenirs de De la Patterie.
Jean-Pierre, Damien et Mariam le rejoignent, et ils s'approchent de l'endroit où ils espèrent que la caisse soit enterrée. Mariam a une petite pelle pliante avec elle, et Philippe lui demande s'il peut l'utiliser. Il gratte le haut de la surface remuée, et à ce moment là une lueur phosphorescente apparait au-dessus d'un des amas d'os. C'est une silhouette, vêtue comme dans les années 40, un homme chétif et mal rasé, coiffé d'une casquette Gatsby.
- Ah des frangins et des frangines, dit l'apparition d'une voix semblant venir de loin, Ca fait un bail que j'vous attendais !
Mariam pousse un hurlement, et s'évanouit.
FIN DE L'EPISODE 6