
Comment rendre justice à Henri III, souverain à la postérité malmenée ?
Connu davantage pour ses frasques et pour son entourage de "mignons" (que la propagande qualifiera "de couchette" pour mieux les disqualifier), Henri III a tout du roi Shakespearien.
En cette fin du XVIe, la France vacille sous la déchirement du tissu social par la diffusion de la Réforme. Avec la mort prématurée d'Henri II, c'est la régence énergique de Catherine de Médicis et sa descendance royale, encore mineure et à la santé fragile, qui devra composer avec une France fracturée. La royauté, loin d'être solide, est alors à la merci de toutes les factions et louvoie comme elle peut au gré des Guerres de Religion.
Henri III, voit ses frères (François II et Charles IX) se succéder avant de pouvoir ceindre la couronne de France. Véritable charnière dans la conception de la royauté, l'époque voit un absolutisme encore naissant devoir composer avec le reliquat des féodalités passées qui se joue de la faiblesse royale. Jeune homme flamboyant tant qu'il n'est qu'héritier présumé, c'est un homme anxieux et pétri d'injonctions contradictoires qui portera la couronne. Rien ne sera épargné à Henri III, ni les révoltes populaires, ni les trahisons des grands et des élites, ni la trahison de sa propre famille. Ni les drames intimes, qui finiront par avoir une répercussion majeure sur la pérennité de la dynastie. Ni les ingérences extérieures, pris entre deux fanatismes toujours plus radicalisés. Roi débonnaire, volontiers suiveur des avis de la reine mère, son indécision et ses volte face lui vaudront de nombreuses inimitiés. C'est aussi un règne marqué par les guerres, les positions radicales et les assassinats (ciblés ou de masse) qui en résulteront. Henri III lui même n'y survivra pas.
Tout au long des 700 pages, bien denses, Pierre Chevallier pose un récit avant tout chronologique qui rend compte de façon passionnante de cette époque tumultueuse. Foisonnant de détail, l'auteur veille néanmoins à baliser le récit pour qu'il reste digeste (bien qu'il faudra louvoyer avec les nombreux acteurs entourant le roi, sans compter les titulatures qui ne cesseront de changer). Plus qu'une simple succession d'évènements, le livre nous fait approcher le roi de près puisque l'auteur utilise de nombreuses correspondances pour appuyer ses propos. Nous plongerons donc dans ses espoirs et ses hésitations ainsi que, parfois, dans les regards partisans qu'ont pu avoir ses contemporains.
Partisan, l'historien le sera aussi, de façon surprenante. Il aura parfois la faiblesse d'user de qualificatifs bien peu distanciés. Tels ambassadeurs seront traités de "malveillants" ou de "perfides", il se laissera parfois aller à évoquer la "duplicité italienne", la "rudesse germanique", la "prudence féminine" ou l''insinuante perfidie à laquelle les personnes de sexe [faible] ne recourent que trop souvent", sans que l'on sache réellement s'il se fait l'écho de ses lectures ou s'il expose des convictions personnelles particulièrement sans nuances. En effet, en 1985 c'est un historien fringuant de 72 ans qui s'exprime, peut-être faut-il remettre l'homme dans son époque.
C'est d'autant plus surprenant que le même critiquera d'autres historiens pour avoir colporté sans recul les calomnies habituellement attribuées à Henri III.
Ces qualificatifs sont anecdotiques et peu fréquents mais ils m'auront suffisamment surpris pour que je les note. Plus anecdotique, on le voit parfois faire des rapprochements hasardeux avec des souverains suivants, notamment Louis XIII (objet d'une autre de ses biographies). En effet, je n'ai pas pu m'empêcher de m'amuser du parallèle qu'il fait entre les coiffures extravagantes imputées aux favoris royaux et à la "mode des chevelures frisées pour les hommes" de son époque. 1985, donc.
Dernière anecdote, l'auteur cite un passage d'une lettre comprenant la menace "je les vicogne tous", en traduisant le passage ainsi "[je les cogne de mon vit - membre viril]. Si l'on en croit l'auteur donc, on tiendrait là un exemple saisissant d'une menace de biffle au XVIe. Rafraîchissant.
Au final, si je ne peux pas occulter la bizarre impression des jugements péremptoires de l'auteur, j'ai refermé l'ouvrage avec la sensation d'une biographie passionnante à lire. Une vie romanesque mise en lumière de façon subtile et judicieuse par un historien qu'on sent s'être pris de passion (un peu trop même) pour son sujet.
Pour suivre la chronologie, j'irai inévitablement lire une biographie d'Henri IV, le successeur contesté. Je suis également curieux de lire une biographie des Guise, tant ils ont su pousser la monarchie dans ses derniers retranchements. Marguerite, la "Reine Margot", soeur du Roi, mal mariée et rebelle notoire me semble également être un personnage haut en couleur qui mériterait qu'on s'y attache.