Boz a écrit : ↑lun. déc. 27, 2021 7:42 am
Merci pour ces très intéressantes réflexions. Je précise que ma remarque initiale n'était pas une critique, même dissimulée, du système de RQG. Simplement que je ne voyais pas comment rendre les aspects mythiques des textes de
King of Sartar dans le système D100. Je m'apprêtais donc à faire un peu ce que Wolfgang Petersen avait fait avec son
Troie, en adoptant une approche moins mythologique que le poème d'Homère, en partant du principe que les scribes qui avaient écrit les anales de la Guerre des Héros avaient cédé à l'exagération épique.
La question de l'approche réaliste vs. approche épique est très intéressante, et tout groupe gloranthien devrait se la poser à un moment ou un autre.
En 1978, RuneQuest se présente texto comme un JdR avec une approche réaliste. Le JdR y est défini comme « simulating the process of personal development commonly called life » et les règles de RuneQuest sont le résultat de modifications basées sur les règles de D&D dans le but de les rendre plus réalistes, au sens "simuler la vérité physique". On n'en est pas encore aux règles cherchant à émuler un genre fictionnel.
En soi, cette approche réaliste du JdR est une voie sans issue : on se retrouve vite avec des règles pour simuler une quantité absurde de détails et une magie ou des pouvoirs spéciaux qui viennent un peu comme des cheveux sur la soupe, avec un paramétrage très "physique" des effets de la magie.
Le luxe de détails sur la vie quotidienne en Sartar, sur la géographie de la Passe du Dragon, sur les jours de fêtes religieuses placés exactement sur le calendrier annuel, tout cela va bien dans le sens d'un Glorantha "réaliste" dans le sens où les règles du monde sont suffisamment solides et définies pour donner des réponses aux joueurs à des questions du style "dans combien de jour est la prochaine grande cérémonie à Ernalda ?" "Combien coûte une amphore de vin de Clairvin et combien contient l'amphore ?" "Combien d'adeptes d'Humakt puis-je trouver à Boldhomme ?" ou "Quelle est la pluviométrie moyenne dans la saison du feu à Alda-Chur ?".
L'approche réaliste se heurte quand même à l'importance de la mythologie et de la magie dans la vie ordinaire. Tu peux débarrasser le récit de Troye des interventions divines, mais pour Glorantha ça serait complètement passer à côté de ce qui en fait le principal intérêt : faire ressentir aux joueurs l'importance du mythe dans tout ce que feront, ressentiront et comprendront leurs personnages. Si tout le monde tombe malade dans le camp des achéens, c'est dû à un virus (option réaliste) ou à une malédiction d'Apollon suite au pillage de son temple (option mythologique). Dans Glorantha, la malédiction divine est la seule explication. Le surnaturel n'est pas rajouté au réel comme des règles de magie seraient rajoutées à un wargame médiéval. La magie et le mythe sont le naturel, l'expérience vécue par tous.
Du coup la question de savoir si Harrek et la Chauve-souris pourpre peuvent exister "tels que racontés" dans ton Glorantha plus réaliste posent quand même pas mal de problèmes avec le système RuneQuest. La Chauve-souris pourpre EXISTE : elle est décrite dans tous les détails techniques à partir de la page 188 du bestiaire. Tu connais sa taille et sa force, elle a une armure de 42 sur tout le corps, une table de localisation, une portée de 20m pour l'attaque de sa deuxième langue etc. etc.
Si tu prends les règles de RQG, tu connais les statistiques complètes de crimsie. Si tu prends les règles de l'univers, un groupe de héros préparé peut réussir à la vaincre (le roi Broyan et sa garde par exemple) ou au moins à la faire fuir. Mais en jeu, tu ne peux pas faire coïncider les deux, ou alors tu te prépares un sacré casse-tête. Avec RQG, la seule solution pour battre la chauve-souris pourpre est de trouver un moyen narratif pas forcément défini en terme de stats de jeu et de ne pas utiliser les capacités du bestiau telles que définies par les règles. Les règles nous hurlent encore une fois "on existe, on prend plein de place dans le bouquin mais surtout ne nous utilisez pas telles quelles".